La tension monte pour la capitaine Laure Berthaud (Caroline Proust) après la découverte du corps démembré d’un jeune collègue.
Caroline Dubois/Son et Lumière/Canal+
Braquant une lumière crue sur les failles de ses héros, la série approfondit son regard sur une société à la dérive.
Engrenages met à l’épreuve la patience de ses fans. Pas moins de trois ans se sont écoulés entre cette sixième saison et la précédente, qui avait laissé la capitaine Laure Berthaud blessée, sur un lit d’hôpital, et son groupe dans le désarroi. Trois ans en suspens, c’est long, et peut-être pas tant que ça pour une série complexe et exigeante, nourrie d’une réalité insaisissable au premier coup d’œil. Engrenages prend son temps pour explorer les zones de rupture de la société, capter l’air du temps, plus vicié que jamais… et, finalement, retomber sur ses pieds.
Quelques scènes suffisent pour raccorder le fil des émotions et replonger dans l’ambiance rugueuse du DPJ : l’arrivée d’un nouveau patron à côté de la plaque, la découverte d’un tronc humain au milieu des encombrants dans le 19e arrondissement… Les leitmotivs sordides, la routine grisâtre sont bientôt engloutis par une lame de fond. Parce que la victime démembrée se révèle être un jeune policier, l’affaire se charge, pour Gilou, Tintin et Laure, le trio « fondateur » de la série, d’une résonance personnelle et douloureuse.
Une fébrilité inédite
Depuis le virage amorcé au cours de la saison 4, les fêlures intimes et les états d’âme ont clairement pris le pas sur la mécanique — toujours impeccable — du polar. Plutôt que de créer à tout prix la surprise au risque de se perdre, Engrenages se régénère en creusant toujours plus en profondeur l’humanité de ses personnages. « Comment faire face à l’assassinat d’un collègue ? Au départ, nous avions cette idée de confronter nos flics à la violence de la société à travers le corps mutilé de ce jeune gardien de la paix, explique Anne Landois, qui dirige l’écriture de la série (et a choisi de passer la main à de nouveaux auteurs pour la saison 7). Nous voulions traiter du malaise policier en banlieue, puis la réalité a rejoint la fiction avec le choc des attentats. Les consultants qui nous ont accompagnés sont imprégnés de leur devoir de protéger la population et, en même temps, hantés par la haine qu’ils suscitent. C’est complètement schizophrénique pour eux. »
S’il n’y est nullement question de terrorisme, cette saison, écrite entre l’attentat contre Charlie Hedbo et la tuerie de Nice, et tournée avec les contraintes imposées par l’état d’urgence, se nimbe d’une fébrilité inédite. Rien n’a vraiment changé mais tout ne semble tenir qu’à un fil, comme la vie du bébé prématuré mis au monde par Laure et soigné dans un service de néonatologie. Roban, le juge d’instruction, ne parvient plus à dissimuler les troubles de la mémoire qui perturbent sa mission. Tintin accuse le coup de son divorce et du départ de ses enfants. Même Joséphine Karlsson, l’avocate retorse, touchée dans sa chair, va perdre pied.
A la critique des institutions judiciaires qui l’a toujours travaillé, Engrenages ajoute une dimension encore plus humaine, moins manichéenne, en projetant une lumière crue sur les défaillances de ses personnages. Même les plus droits d’entre eux ne sont plus à l’abri d’un faux pas… « Ce qui nous intéresse, poursuit Anne Landois, c’est le glissement. Comment des services demandés ou rendus aux uns et aux autres constituent une première étape vers la compromission, et font que la foi dans les institutions s’ébranle. » Une élue de banlieue embourbée dans des marchandages hasardeux avec les caïds en échange d’une forme de paix sociale ; des flics ripoux impliqués dans les trafics les plus sordides : cette saison, plus que les autres, navigue dans les eaux troubles de l’ordre républicain. Et la série, jusque-là indulgente à l’égard des méthodes « borderline » de ses flics, ose cette fois mettre en cause l’intégrité policière, évoquant fortuitement l’actualité brûlante cristallisée autour des affaires Théo et Adama.
Au bord de l’implosion
Engrenages continue d’empoigner fermement la réalité la plus âpre de cet « autre côté du périph » déserté par la fiction. Muté à la tête d’un commissariat de Seine-Saint-Denis, Herville, l’ex-patron sarkozyste du groupe, s’emploie à « vider un océan de merde à la petite cuillère », armé de son sens de la formule. Business en tout genre, misère sociale, jeunesse à la dérive… La série assume depuis ses débuts sa vision désespérée d’une société au bord de l’implosion, quitte à flirter parfois avec la caricature. Ecueil évité cette saison grâce à des personnages secondaires, voyous ou flics véreux, dotés d’une épaisseur inattendue.
Au fil d’un « tournage compliqué » aux quatre coins de la banlieue parisienne, le réalisateur Frédéric Mermoud (qui signe cette saison avec Frédéric Jardin) a pu constater l’acuité du propos : « Nous faisions une série sur le pouvoir des bandes et nous l’avons subi en direct. Dans certains quartiers où nous devions tourner, des caïds ont mis leur veto et nous avons dû dégager… » Conseillés par plusieurs policiers en exercice (dont un commissaire du 93), des avocats et un ancien juge d’instruction (Gilbert Thiel, qui apparaît à l’écran), les scénaristes veillent autant à la vraisemblance des situations qu’à la justesse des rapports humains. Sur ce plan, ces nouveaux épisodes redistribuent les cartes, orchestrant des rapprochements sentimentaux et de profonds bouleversements — qu’il convient de ne pas révéler. De quoi élargir la partition de Caroline Proust, de Thierry Godard ou de Fred Bianconi, qui n’espéraient que ça. Ce sont eux (sans oublier Audrey Fleurot et Philippe Duclos) les visages et les corps qui « tiennent la maison » depuis ses débuts, il y a treize ans, qui vieillissent avec leurs personnages « sous des lumières pas toujours flatteuses », comme le souligne Caroline Proust. Privilège des séries qui durent, confondent les héros avec leurs interprètes, et n’ont plus à forcer le naturel… « Parfois, des répliques sautent parce qu’un regard suffit », s’amuse Fred Bianconi, alias Tintin. Plus qu’un polar, Engrenages nous ramène toujours à cette humanité fragile résistant comme elle peut à la sauvagerie du monde.
La tension monte pour la capitaine Laure Berthaud (Caroline Proust) après la découverte du corps démembré d’un jeune collègue.
Caroline Dubois/Son et Lumière/Canal+
Braquant une lumière crue sur les failles de ses héros, la série approfondit son regard sur une société à la dérive.
Engrenages met à l’épreuve la patience de ses fans. Pas moins de trois ans se sont écoulés entre cette sixième saison et la précédente, qui avait laissé la capitaine Laure Berthaud blessée, sur un lit d’hôpital, et son groupe dans le désarroi. Trois ans en suspens, c’est long, et peut-être pas tant que ça pour une série complexe et exigeante, nourrie d’une réalité insaisissable au premier coup d’œil. Engrenages prend son temps pour explorer les zones de rupture de la société, capter l’air du temps, plus vicié que jamais… et, finalement, retomber sur ses pieds.
Quelques scènes suffisent pour raccorder le fil des émotions et replonger dans l’ambiance rugueuse du DPJ : l’arrivée d’un nouveau patron à côté de la plaque, la découverte d’un tronc humain au milieu des encombrants dans le 19e arrondissement… Les leitmotivs sordides, la routine grisâtre sont bientôt engloutis par une lame de fond. Parce que la victime démembrée se révèle être un jeune policier, l’affaire se charge, pour Gilou, Tintin et Laure, le trio « fondateur » de la série, d’une résonance personnelle et douloureuse.
Une fébrilité inédite
Depuis le virage amorcé au cours de la saison 4, les fêlures intimes et les états d’âme ont clairement pris le pas sur la mécanique — toujours impeccable — du polar. Plutôt que de créer à tout prix la surprise au risque de se perdre, Engrenages se régénère en creusant toujours plus en profondeur l’humanité de ses personnages. « Comment faire face à l’assassinat d’un collègue ? Au départ, nous avions cette idée de confronter nos flics à la violence de la société à travers le corps mutilé de ce jeune gardien de la paix, explique Anne Landois, qui dirige l’écriture de la série (et a choisi de passer la main à de nouveaux auteurs pour la saison 7). Nous voulions traiter du malaise policier en banlieue, puis la réalité a rejoint la fiction avec le choc des attentats. Les consultants qui nous ont accompagnés sont imprégnés de leur devoir de protéger la population et, en même temps, hantés par la haine qu’ils suscitent. C’est complètement schizophrénique pour eux. »
S’il n’y est nullement question de terrorisme, cette saison, écrite entre l’attentat contre Charlie Hedbo et la tuerie de Nice, et tournée avec les contraintes imposées par l’état d’urgence, se nimbe d’une fébrilité inédite. Rien n’a vraiment changé mais tout ne semble tenir qu’à un fil, comme la vie du bébé prématuré mis au monde par Laure et soigné dans un service de néonatologie. Roban, le juge d’instruction, ne parvient plus à dissimuler les troubles de la mémoire qui perturbent sa mission. Tintin accuse le coup de son divorce et du départ de ses enfants. Même Joséphine Karlsson, l’avocate retorse, touchée dans sa chair, va perdre pied.
A la critique des institutions judiciaires qui l’a toujours travaillé, Engrenages ajoute une dimension encore plus humaine, moins manichéenne, en projetant une lumière crue sur les défaillances de ses personnages. Même les plus droits d’entre eux ne sont plus à l’abri d’un faux pas… « Ce qui nous intéresse, poursuit Anne Landois, c’est le glissement. Comment des services demandés ou rendus aux uns et aux autres constituent une première étape vers la compromission, et font que la foi dans les institutions s’ébranle. » Une élue de banlieue embourbée dans des marchandages hasardeux avec les caïds en échange d’une forme de paix sociale ; des flics ripoux impliqués dans les trafics les plus sordides : cette saison, plus que les autres, navigue dans les eaux troubles de l’ordre républicain. Et la série, jusque-là indulgente à l’égard des méthodes « borderline » de ses flics, ose cette fois mettre en cause l’intégrité policière, évoquant fortuitement l’actualité brûlante cristallisée autour des affaires Théo et Adama.
Au bord de l’implosion
Engrenages continue d’empoigner fermement la réalité la plus âpre de cet « autre côté du périph » déserté par la fiction. Muté à la tête d’un commissariat de Seine-Saint-Denis, Herville, l’ex-patron sarkozyste du groupe, s’emploie à « vider un océan de merde à la petite cuillère », armé de son sens de la formule. Business en tout genre, misère sociale, jeunesse à la dérive… La série assume depuis ses débuts sa vision désespérée d’une société au bord de l’implosion, quitte à flirter parfois avec la caricature. Ecueil évité cette saison grâce à des personnages secondaires, voyous ou flics véreux, dotés d’une épaisseur inattendue.
Au fil d’un « tournage compliqué » aux quatre coins de la banlieue parisienne, le réalisateur Frédéric Mermoud (qui signe cette saison avec Frédéric Jardin) a pu constater l’acuité du propos : « Nous faisions une série sur le pouvoir des bandes et nous l’avons subi en direct. Dans certains quartiers où nous devions tourner, des caïds ont mis leur veto et nous avons dû dégager… » Conseillés par plusieurs policiers en exercice (dont un commissaire du 93), des avocats et un ancien juge d’instruction (Gilbert Thiel, qui apparaît à l’écran), les scénaristes veillent autant à la vraisemblance des situations qu’à la justesse des rapports humains. Sur ce plan, ces nouveaux épisodes redistribuent les cartes, orchestrant des rapprochements sentimentaux et de profonds bouleversements — qu’il convient de ne pas révéler. De quoi élargir la partition de Caroline Proust, de Thierry Godard ou de Fred Bianconi, qui n’espéraient que ça. Ce sont eux (sans oublier Audrey Fleurot et Philippe Duclos) les visages et les corps qui « tiennent la maison » depuis ses débuts, il y a treize ans, qui vieillissent avec leurs personnages « sous des lumières pas toujours flatteuses », comme le souligne Caroline Proust. Privilège des séries qui durent, confondent les héros avec leurs interprètes, et n’ont plus à forcer le naturel… « Parfois, des répliques sautent parce qu’un regard suffit », s’amuse Fred Bianconi, alias Tintin. Plus qu’un polar, Engrenages nous ramène toujours à cette humanité fragile résistant comme elle peut à la sauvagerie du monde.
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