Lambert Wilson dans L’Echange des princesses, de Marc Dugain
High Sea Production / Scope Pic
Une manipulation au sein des cours royales française et espagnole en 1721, filmée comme un fascinant manège par l’auteur d’“Une exécution ordinaire”.
Tout est si soigné, si beau, si « pro » que l’on redoute, d’abord, un de ces films où la belle image fait figure de style. Or non. Marc Dugain, romancier fêté et cinéaste reconnu (Une exécution ordinaire, au cinéma, avec André Dussollier dans le rôle de Staline, et La Malédiction d’Edgar, pour la télé), se sert de la splendeur des images (de Gilles Porte) et des costumes (de Fabio Perrone) pour étouffer davantage ses personnages, prisonniers d’un cérémonial auquel ils ne peuvent échapper.
Nous sommes en 1721. Louis XV, dont la vie n’a été, jusqu’alors, qu’une suite de deuils — lui-même a échappé de peu à la mort —, s’apprête à régner. Afin d’assurer une paix durable avec l’Espagne, le Régent Philippe d’Orléans décide de marier Louis à une infante de sept ans plus jeune que lui : la petite Anna Maria Victoria est âgée de 4 ans à peine. Deux précautions valant mieux qu’une, il organise, aussi, les noces de son adolescente de fille, Louise Elisabeth, avec le futur roi, Don Luis.
C’est cet « échange des princesses », rappelé par Chantal Thomas dans son livre, que filme Marc Dugain avec une sorte de fascination perverse. On connaît son goût pour les complots et les manipulations. Pour les familles, aussi : ces clans politiques insensés, chez qui l’ambition le dispute à la dépravation, et qu’il a notamment évoqués dans son roman Ils vont tuer Robert Kennedy. On sent sa jubilation à saisir, ici, en quelques plans, des grotesques grandioses. Philippe V d’Espagne (Lambert Wilson), épouvanté par son passé de guerrier sanguinaire qu’il tente d’effacer par une foi hystérique. Son fils (Kacey Mottet-Klein) plus touchant certes, parce qu’écrasé, paumé, déjà fichu. A force d’attendre l’âme sœur censée le sauver de lui-même, ce dernier finit par ressembler fâcheusement au prince russe dégénéré qui servait d’époux à Catherine II — Marlene Dietrich dans L’Impératrice rouge, de Josef von Sternberg.
Il y a du Sternberg, d’ailleurs, dans ces hauts décors asphyxiants, ces rituels implacables, observés à la lettre par des courtisans extravagants ou serviles, tous englués dans leur propre inexistence. A laquelle échappent, pour un temps, presque miraculeusement, quelques enfants à qui on ne laisse pas le temps de l’être : ce Louis XV (Igor Van Dessel) en train de se couler dans la défroque du Roi-Soleil. L’infante Anna Maria Victoria (Juliane Lepoureau), femme miniature qui supporte les devoirs de sa charge, au point de tomber amoureuse de son improbable mari. « Madame, on ne vous voit pas grandir », lui assène d’ailleurs le jeune monarque, sans que l’on sache trop s’il s’en désole ou s’en réjouit.
Sans doute la grande victime de ce jeu de rôles est Louise Elisabeth, la fille du Régent, dont l’insolence et les mauvaises manières — qui vont jusqu’à l’homosexualité ! — causeront la perte. Marc Dugain éprouve visiblement une grande tendresse pour ce personnage en révolte et il dirige volontairement sa jeune comédienne, Anamaria Vartolomei, comme une sorte d’ado de banlieue actuelle, qui serait, soudain, invitée à l’Elysée…
Un ange plane sur ce monde frelaté et c’est Catherine Mouchet qui l’interprète avec sa précision aiguë, sa sensibilité dénuée de toute sensiblerie. Depuis Thérèse, d’Alain Cavalier, il y a trente ans, elle va d’un second rôle à l’autre, toujours mystérieuse et douce, comme dans le récent Marvin ou la Belle Education, d’Anne Fontaine, où elle est la première à vouloir faire du héros ce qu’il va devenir. Elle est ici le seul être auquel peuvent se raccrocher le jeune roi et sa petite épouse. Une fois encore, elle éblouit.
Lambert Wilson dans L’Echange des princesses, de Marc Dugain
High Sea Production / Scope Pic
Une manipulation au sein des cours royales française et espagnole en 1721, filmée comme un fascinant manège par l’auteur d’“Une exécution ordinaire”.
Tout est si soigné, si beau, si « pro » que l’on redoute, d’abord, un de ces films où la belle image fait figure de style. Or non. Marc Dugain, romancier fêté et cinéaste reconnu (Une exécution ordinaire, au cinéma, avec André Dussollier dans le rôle de Staline, et La Malédiction d’Edgar, pour la télé), se sert de la splendeur des images (de Gilles Porte) et des costumes (de Fabio Perrone) pour étouffer davantage ses personnages, prisonniers d’un cérémonial auquel ils ne peuvent échapper.
Nous sommes en 1721. Louis XV, dont la vie n’a été, jusqu’alors, qu’une suite de deuils — lui-même a échappé de peu à la mort —, s’apprête à régner. Afin d’assurer une paix durable avec l’Espagne, le Régent Philippe d’Orléans décide de marier Louis à une infante de sept ans plus jeune que lui : la petite Anna Maria Victoria est âgée de 4 ans à peine. Deux précautions valant mieux qu’une, il organise, aussi, les noces de son adolescente de fille, Louise Elisabeth, avec le futur roi, Don Luis.
C’est cet « échange des princesses », rappelé par Chantal Thomas dans son livre, que filme Marc Dugain avec une sorte de fascination perverse. On connaît son goût pour les complots et les manipulations. Pour les familles, aussi : ces clans politiques insensés, chez qui l’ambition le dispute à la dépravation, et qu’il a notamment évoqués dans son roman Ils vont tuer Robert Kennedy. On sent sa jubilation à saisir, ici, en quelques plans, des grotesques grandioses. Philippe V d’Espagne (Lambert Wilson), épouvanté par son passé de guerrier sanguinaire qu’il tente d’effacer par une foi hystérique. Son fils (Kacey Mottet-Klein) plus touchant certes, parce qu’écrasé, paumé, déjà fichu. A force d’attendre l’âme sœur censée le sauver de lui-même, ce dernier finit par ressembler fâcheusement au prince russe dégénéré qui servait d’époux à Catherine II — Marlene Dietrich dans L’Impératrice rouge, de Josef von Sternberg.
Il y a du Sternberg, d’ailleurs, dans ces hauts décors asphyxiants, ces rituels implacables, observés à la lettre par des courtisans extravagants ou serviles, tous englués dans leur propre inexistence. A laquelle échappent, pour un temps, presque miraculeusement, quelques enfants à qui on ne laisse pas le temps de l’être : ce Louis XV (Igor Van Dessel) en train de se couler dans la défroque du Roi-Soleil. L’infante Anna Maria Victoria (Juliane Lepoureau), femme miniature qui supporte les devoirs de sa charge, au point de tomber amoureuse de son improbable mari. « Madame, on ne vous voit pas grandir », lui assène d’ailleurs le jeune monarque, sans que l’on sache trop s’il s’en désole ou s’en réjouit.
Sans doute la grande victime de ce jeu de rôles est Louise Elisabeth, la fille du Régent, dont l’insolence et les mauvaises manières — qui vont jusqu’à l’homosexualité ! — causeront la perte. Marc Dugain éprouve visiblement une grande tendresse pour ce personnage en révolte et il dirige volontairement sa jeune comédienne, Anamaria Vartolomei, comme une sorte d’ado de banlieue actuelle, qui serait, soudain, invitée à l’Elysée…
Un ange plane sur ce monde frelaté et c’est Catherine Mouchet qui l’interprète avec sa précision aiguë, sa sensibilité dénuée de toute sensiblerie. Depuis Thérèse, d’Alain Cavalier, il y a trente ans, elle va d’un second rôle à l’autre, toujours mystérieuse et douce, comme dans le récent Marvin ou la Belle Education, d’Anne Fontaine, où elle est la première à vouloir faire du héros ce qu’il va devenir. Elle est ici le seul être auquel peuvent se raccrocher le jeune roi et sa petite épouse. Une fois encore, elle éblouit.
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