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Charles Gérard : "Suivre Jean-Paul Belmondo n'est pas de tout repos"

Paris Match. Quand et dans quelles circonstances avez-vous rencontré Jean-Paul Belmondo pour la première fois ?
Cela fait soixante-cinq ans. J’avais été viré de l’école du Pré-Saint-Gervais aux fortifs. Pas un lieu pour les fils de famille mais pour les voyous… Je n’y avais effectué que quatorze jours de présence. J’en suis sorti avec la mention “Bon à rien!” Mes parents n’ont pas compris. J’étais un passionné de boxe inscrit à l’Avia Club. Le professeur, M. Dupain, m’a présenté Jean-Paul. Je lui ai tendu la main et il m’a mis une gauche et cassé le nez. Jean-Paul avait une quinzaine d’années. La gauche de Jean-Paul, c’était de la dynamite, pourtant il est droitier! Quand il vous la balançait, vous étiez sonné. Il a obtenu cinq victoires et quatre nuls en neuf combats. Moi, j’ai fait quatre combats, j’ai été K.O. les quatre fois et on m’a retiré ma licence. Mais je suis resté à L’Avia Club. Tandis que Jean-Paul, lui, a basculé.

A lire : Belmondo en 1960 : son premier article dans Paris Match

Quel genre de boxeur était-il ?
Il faisait le spectacle: sur le ring, il était aérien. Un vrai danseur! C’était une sorte de Mohamed Ali, et il était déjà populaire dans le milieu. Autour du ring les gens l’acclamaient. A l’époque, on boxait au Central, à L’Elysée-Montmartre ou à Wagram. A la fin des matchs, le speaker annonçait: “Un sportif anonyme (ou bien l’entreprise Machin) offre deux boîtes de sardines au vainqueur!» Moi, je n’ai jamais rien gagné, j’ai juste pris des coups.

Est-ce que vous partagez sa passion pour Sugar Ray Robinson ?
Comme Jean-Paul, trois boxeurs figurent tout en haut de mon palmarès: Marcel Cerdan, Cassius Clay alias Mohamed Ali et Sugar Ray Robinson. A l’Avia Club, on appelait Jean-Paul “le bombardier” comme Cerdan, qui était surnommé “le bombardier de Casablanca”.

Votre plus grand souvenir de match de boxe avec Jean-Paul c’est quoi ?
C’est le match Mohamed Ali contre Joe Frazier le 8 mars 1971 au Madison Square Garden à New York. On s’est payé quelques voyages à travers le monde pour voir de grands matchs. On faisait juste l’aller-retour, on ne prenait même pas le temps de dîner. Faut avoir la santé pour être ami avec Jean-Paul !

A lire : La star a 85 ans : Jean-Paul Belmondo en 50 photos d'exception

"On l'appelait le curé volant"

Etes-vous devenus amis immédiatement et pour quelles raisons ?
C’est le sport qui nous a réunis, la boxe, le vélo, mais aussi le foot. A une époque, en juillet et août, invités par Grace de Monaco, nous jouions au profit de la Croix-Rouge monégasque dans toute la région méditerranéenne, à Saint-Tropez, Menton, Villefranche... Il y avait des affiches énormes qui disaient: “Demain, dans votre ville, Jean-Paul Belmondo et son équipe de foot rencontrent les anciens joueurs professionnels de Monaco.” Les stades étaient pleins, les recettes énormes. En gardien de but, Jean-Paul en faisait des tonnes et amusait le public en plongeant à droite, à gauche…

Il le faisait aussi sur le tournage de “Léon Morin, prêtre”, non ?
Je vous raconte l’histoire en détail. D’abord, il refuse le rôle. Jean-Pierre Melville s’accroche et vient le voir sur le tournage du Godard “Une femme est une femme”. Il débarque sur le plateau avec une petite valise dans laquelle se trouve une soutane. Melville implore Jean-Paul: “Pour me faire plaisir, enfile la soutane.” Jean-Paul, toujours prêt à faire le pitre, se dit que ça va être une occasion de faire rire les techniciens. Les femmes présentes s’extasient: “M. Belmondo, ça vous va si bien...” A la suite de cela, il a accepté de faire le film, et pendant les neuf semaines de tournage, il n’a pas quitté sa soutane, rentrant avec chez lui le soir dans son cabriolet. Au feu rouge, il démarrait sur les chapeaux de roue surprenant les gens, autour de lui, qui le reconnaissaient. Dans la cour du studio, il avait fait installer un but et il plongeait en soutane pour récupérer le ballon. On l’appelait “le curé volant”. Pratiquement imbattable, il arrêtait tout.

Il jouait au foot sur tous les plateaux ?
Sur le film “Un singe en hiver” que j’appelle “Deux singes en hiver” – Gabin et lui! –, pendant les pauses, il jouait sur la plage. Un jour, Jean Gabin d’un “pointu”, lui marque un but. Le lendemain, les techniciens n’arrêtaient pas d’en parler sur le plateau. “Un singe en hiver” a été un tournage extraordinaire: Gabin, Belmondo et Audiard ne parlaient que de foot, de cyclisme et de boxe. Sur ces disciplines, ils étaient incollables, ils connaissaient tout. Un jour, j’ai voulu intervenir pour donner mon avis, on m’a dit: “Tu fermes ta gueule, t’écoutes, un point c’est tout.” Et Michel Audiard s’est tourné vers moi en ajoutant: “Le jour où on mettra les cons sur orbite t’as pas fini de tourner.” La réplique que Gabin dira dans “Le pacha”.

Le 16 mars 1960 vous étiez avec Jean-Paul sur les Champs-Elysées au cinéma Le Balzac pour la sortie d’“A bout de souffle”. Vous souvenez-vous de cette journée et de celles qui ont suivi, du succès du film ?
Ça a été formidable. Jean-Paul m’a dit: “Viens, on va aller voir comment le film est affiché et quelle est la température de la première séance.” Le Balzac avait accepté de prendre “A bout de souffle” pour une semaine car le film d’Eddy Constantine, qui était prévu au départ, n’était pas prêt. Nous arrivons donc au Balzac et il y a une file d’attente énorme, qui va jusque sur les Champs. Le propriétaire du Balzac, voyant cela, s’approche de nous et nous traite de petits cons: “Au lieu de payer des figurants pour faire croire que cela marche vous auriez mieux fait de prendre de la pub!”, nous dit-il. Même topo aux séances suivantes. Le film est resté plus d’un an en exclusivité, affichant sans cesse complet. A partir de là, le téléphone de Jean-Paul n’a plus cessé de sonner, il a même été obligé de changer de numéro.

"On fait ce qu'on peut"

Entre 1958 et 1967 vous avez été réalisateur. Pourquoi Jean-Paul n’a-t-il jamais tourné dans un de vos films ?
Mes films étaient tellement mal accueillis par la critique que je n’ai pas voulu l’exposer, mais j’ai fait un documentaire sur lui, “La bande à Bébel”. Je le suivais partout avec ma caméra sur les tournages, quand il jouait au théâtre, quand il faisait du sport… Jean-Paul a vécu la galère avant de réussir. Pierre Dux, son prof au Conservatoire, est même allé voir Paul, son père, pour qu’il le dissuade de devenir comédien. Lors d’un cours, Dux avait dit à Jean-Paul: “Avec la gueule que tu as, jamais tu ne pourras tenir une jolie fille dans tes bras au cinéma.” Quelques années plus tard, Jean-Paul, au bras d’Ursula Andress, à l’époque une star mondiale, croise Pierre Dux sur les Champs. Jean-Paul, dit, en présentant sa compagne à son ancien professeur: “On fait ce qu’on peut.” Pierre Dux s’est excusé avec beaucoup d’humilité, lui proposant même de jouer “Les fourberies de Scapin” à la Comédie-Française. Il a refusé.

Vous avez joué de nombreuses fois avec lui. Comment est-il avec ses partenaires ?
Il vous met en confiance, vous êtes obligé d’être bon. Il est gentil, agréable sur le plateau… Avant “L’animal”, il avait proposé que je joue son agent ringard, mais le producteur, Christian Fechner, ne voulait pas de moi. “Bouge pas”, m’ordonne Jean-Paul, en garant la voiture. Il monte dans les bureaux de la production, où il reste cinq minutes. En redescendant, il me dit: “Vas-y, s’est arrangé!” Moi, vexé, je monte les voir, et pour leur faire payer leur premier refus je demande le double de mon cachet. Ils me virent. Je redescends, Jean-Paul me demande: “Alors, t’as signé? – Négatif, je réponds, ils m’ont jeté.” Jean-Paul remonte. Je ne sais pas ce qu’il leur a dit, mais quand j’y suis retourné mon contrat était prêt et j’avais obtenu le double des conditions proposées au départ. A la fin du film, ils ont reconnu que notre duo fonctionnait parfaitement.

Quel est votre plus beau souvenir ?
Un grand dîner à l’Elysée donné par le général de Gaulle qui réunissait parfois des acteurs. Il y avait Bardot, Bourvil, Romain Gary... C’était un dîner vraiment privé et, à la fin, il est venu près de Jean-Paul, l’a pris par le bras et l’a conduit sur le perron. J’ai suivi. Là, il lui a dit: “J’ai une très grande admiration pour monsieur votre père et vous, cela commence.”

"J'ai été là quand sa fille Patricia est morte"

Est-ce qu’on peut dire que vous avez été là dans les meilleurs et dans les pires moments de sa vie ?
Oui, j’ai été là quand sa fille Patricia est morte. J’aimais beaucoup cette enfant, nous étions très liés. On partait en vacances ensemble à Pâques, à Noël, en été. Sa disparition a été une grande douleur. Tous les ans, on va sur la tombe de son père et sur celle de Patricia. Et puis celle de Madeleine, bien sûr, sa mère qu’il aimait tant. Madeleine était une femme admirable pour qui ses enfants étaient sacrés. Je me souviens qu’elle voulait toujours connaître à l’avance l’histoire du prochain film de Jean-Paul. “Il va continuer à faire ses pitreries ?” me demandait-elle souvent, un peu inquiète. Je répondais: “Non, non, le prochain film est une comédie sans cascades.” Sauf que le soir même, à la télé, on voyait un reportage où Jean-Paul pour son prochain film se suspendait à un hélicoptère. Alors Madeleine me disait: “Bravo Charlot pour vos mensonges!”

Au moment de son accident vasculaire cérébral, comment avez-vous réagi ?
Moi qui ai connu un véritable athlète, j’étais effondré. Mais la promptitude de son rétablissement m’a estomaquée. Juste après son accident, il était incapable de parler. A force de volonté et d’acharnement, il a fini par se faire comprendre et par parler de mieux en mieux. Nous sommes même allés au Festival de Cannes où il a été récompensé. Quand on pense aux critiques qu’il avait subies là-bas par le passé, notamment pour “Stavisky”... Et, finalement, on lui a remis une Palme d’or pour l’ensemble de son œuvre. Après Cannes, nous avons été invités aux Etats-Unis, par la critique américaine. Dans une salle où 4 500 personnes avaient payé pour voir “A bout de souffle”, Jean-Paul a été ovationné pendant vingt-cinq minutes sans interruption.

"Jean-Paul me considère comme son deuxième frère"

Déjeunez-vous tous les jours ensemble ?
Oui et on change tous les jours d’endroit pour déjeuner. C’est lui qui décide, toujours au dernier moment : porte Maillot, Saint-Cloud, Montreuil… Après le déjeuner, nous allons au moins trois fois par semaine au cinéma. Si vous pouviez voir comment il est accueilli dans les salles! Les gens viennent le voir et lui disent: “Merci, vous nous avez fait rire, vous nous avez fait rêver.” Avec lui, j’ai fait un grand nombre de tours du monde et, partout, les gens viennent et demandent à se faire photographier avec lui ou un autographe. Il est toujours bienveillant, gentil, patient, il ne refuse jamais. Dernièrement, dans la cour de son immeuble, je vois un groupe de Japonaises en kimono. Je demande ce qu’elles viennent faire. On me répond : “Elles attendent monsieur Belmondo pour une photo.” Comment ont-elles su qu’il habitait là ? Eh bien, elles avaient fait une enquête!

Avez-vous l’impression de faire partie de la famille Belmondo ?
Anniversaires, fêtes de fin d’année, je suis toujours là. Jean-Paul me considère comme son deuxième frère. Il m’emmène partout.

Pour vous quel est son meilleur film ?
“Léon Morin, prêtre”. Peut-être parce que je suis croyant et parce que, quand le film est sorti, le public a trouvé M. Belmondo aussi crédible qu’un vrai curé.

Toute reproduction interdite

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Paris Match. Quand et dans quelles circonstances avez-vous rencontré Jean-Paul Belmondo pour la première fois ?
Cela fait soixante-cinq ans. J’avais été viré de l’école du Pré-Saint-Gervais aux fortifs. Pas un lieu pour les fils de famille mais pour les voyous… Je n’y avais effectué que quatorze jours de présence. J’en suis sorti avec la mention “Bon à rien!” Mes parents n’ont pas compris. J’étais un passionné de boxe inscrit à l’Avia Club. Le professeur, M. Dupain, m’a présenté Jean-Paul. Je lui ai tendu la main et il m’a mis une gauche et cassé le nez. Jean-Paul avait une quinzaine d’années. La gauche de Jean-Paul, c’était de la dynamite, pourtant il est droitier! Quand il vous la balançait, vous étiez sonné. Il a obtenu cinq victoires et quatre nuls en neuf combats. Moi, j’ai fait quatre combats, j’ai été K.O. les quatre fois et on m’a retiré ma licence. Mais je suis resté à L’Avia Club. Tandis que Jean-Paul, lui, a basculé.

A lire : Belmondo en 1960 : son premier article dans Paris Match

Quel genre de boxeur était-il ?
Il faisait le spectacle: sur le ring, il était aérien. Un vrai danseur! C’était une sorte de Mohamed Ali, et il était déjà populaire dans le milieu. Autour du ring les gens l’acclamaient. A l’époque, on boxait au Central, à L’Elysée-Montmartre ou à Wagram. A la fin des matchs, le speaker annonçait: “Un sportif anonyme (ou bien l’entreprise Machin) offre deux boîtes de sardines au vainqueur!» Moi, je n’ai jamais rien gagné, j’ai juste pris des coups.

Est-ce que vous partagez sa passion pour Sugar Ray Robinson ?
Comme Jean-Paul, trois boxeurs figurent tout en haut de mon palmarès: Marcel Cerdan, Cassius Clay alias Mohamed Ali et Sugar Ray Robinson. A l’Avia Club, on appelait Jean-Paul “le bombardier” comme Cerdan, qui était surnommé “le bombardier de Casablanca”.

Votre plus grand souvenir de match de boxe avec Jean-Paul c’est quoi ?
C’est le match Mohamed Ali contre Joe Frazier le 8 mars 1971 au Madison Square Garden à New York. On s’est payé quelques voyages à travers le monde pour voir de grands matchs. On faisait juste l’aller-retour, on ne prenait même pas le temps de dîner. Faut avoir la santé pour être ami avec Jean-Paul !

A lire : La star a 85 ans : Jean-Paul Belmondo en 50 photos d'exception

"On l'appelait le curé volant"

Etes-vous devenus amis immédiatement et pour quelles raisons ?
C’est le sport qui nous a réunis, la boxe, le vélo, mais aussi le foot. A une époque, en juillet et août, invités par Grace de Monaco, nous jouions au profit de la Croix-Rouge monégasque dans toute la région méditerranéenne, à Saint-Tropez, Menton, Villefranche... Il y avait des affiches énormes qui disaient: “Demain, dans votre ville, Jean-Paul Belmondo et son équipe de foot rencontrent les anciens joueurs professionnels de Monaco.” Les stades étaient pleins, les recettes énormes. En gardien de but, Jean-Paul en faisait des tonnes et amusait le public en plongeant à droite, à gauche…

Il le faisait aussi sur le tournage de “Léon Morin, prêtre”, non ?
Je vous raconte l’histoire en détail. D’abord, il refuse le rôle. Jean-Pierre Melville s’accroche et vient le voir sur le tournage du Godard “Une femme est une femme”. Il débarque sur le plateau avec une petite valise dans laquelle se trouve une soutane. Melville implore Jean-Paul: “Pour me faire plaisir, enfile la soutane.” Jean-Paul, toujours prêt à faire le pitre, se dit que ça va être une occasion de faire rire les techniciens. Les femmes présentes s’extasient: “M. Belmondo, ça vous va si bien...” A la suite de cela, il a accepté de faire le film, et pendant les neuf semaines de tournage, il n’a pas quitté sa soutane, rentrant avec chez lui le soir dans son cabriolet. Au feu rouge, il démarrait sur les chapeaux de roue surprenant les gens, autour de lui, qui le reconnaissaient. Dans la cour du studio, il avait fait installer un but et il plongeait en soutane pour récupérer le ballon. On l’appelait “le curé volant”. Pratiquement imbattable, il arrêtait tout.

Il jouait au foot sur tous les plateaux ?
Sur le film “Un singe en hiver” que j’appelle “Deux singes en hiver” – Gabin et lui! –, pendant les pauses, il jouait sur la plage. Un jour, Jean Gabin d’un “pointu”, lui marque un but. Le lendemain, les techniciens n’arrêtaient pas d’en parler sur le plateau. “Un singe en hiver” a été un tournage extraordinaire: Gabin, Belmondo et Audiard ne parlaient que de foot, de cyclisme et de boxe. Sur ces disciplines, ils étaient incollables, ils connaissaient tout. Un jour, j’ai voulu intervenir pour donner mon avis, on m’a dit: “Tu fermes ta gueule, t’écoutes, un point c’est tout.” Et Michel Audiard s’est tourné vers moi en ajoutant: “Le jour où on mettra les cons sur orbite t’as pas fini de tourner.” La réplique que Gabin dira dans “Le pacha”.

Le 16 mars 1960 vous étiez avec Jean-Paul sur les Champs-Elysées au cinéma Le Balzac pour la sortie d’“A bout de souffle”. Vous souvenez-vous de cette journée et de celles qui ont suivi, du succès du film ?
Ça a été formidable. Jean-Paul m’a dit: “Viens, on va aller voir comment le film est affiché et quelle est la température de la première séance.” Le Balzac avait accepté de prendre “A bout de souffle” pour une semaine car le film d’Eddy Constantine, qui était prévu au départ, n’était pas prêt. Nous arrivons donc au Balzac et il y a une file d’attente énorme, qui va jusque sur les Champs. Le propriétaire du Balzac, voyant cela, s’approche de nous et nous traite de petits cons: “Au lieu de payer des figurants pour faire croire que cela marche vous auriez mieux fait de prendre de la pub!”, nous dit-il. Même topo aux séances suivantes. Le film est resté plus d’un an en exclusivité, affichant sans cesse complet. A partir de là, le téléphone de Jean-Paul n’a plus cessé de sonner, il a même été obligé de changer de numéro.

"On fait ce qu'on peut"

Entre 1958 et 1967 vous avez été réalisateur. Pourquoi Jean-Paul n’a-t-il jamais tourné dans un de vos films ?
Mes films étaient tellement mal accueillis par la critique que je n’ai pas voulu l’exposer, mais j’ai fait un documentaire sur lui, “La bande à Bébel”. Je le suivais partout avec ma caméra sur les tournages, quand il jouait au théâtre, quand il faisait du sport… Jean-Paul a vécu la galère avant de réussir. Pierre Dux, son prof au Conservatoire, est même allé voir Paul, son père, pour qu’il le dissuade de devenir comédien. Lors d’un cours, Dux avait dit à Jean-Paul: “Avec la gueule que tu as, jamais tu ne pourras tenir une jolie fille dans tes bras au cinéma.” Quelques années plus tard, Jean-Paul, au bras d’Ursula Andress, à l’époque une star mondiale, croise Pierre Dux sur les Champs. Jean-Paul, dit, en présentant sa compagne à son ancien professeur: “On fait ce qu’on peut.” Pierre Dux s’est excusé avec beaucoup d’humilité, lui proposant même de jouer “Les fourberies de Scapin” à la Comédie-Française. Il a refusé.

Vous avez joué de nombreuses fois avec lui. Comment est-il avec ses partenaires ?
Il vous met en confiance, vous êtes obligé d’être bon. Il est gentil, agréable sur le plateau… Avant “L’animal”, il avait proposé que je joue son agent ringard, mais le producteur, Christian Fechner, ne voulait pas de moi. “Bouge pas”, m’ordonne Jean-Paul, en garant la voiture. Il monte dans les bureaux de la production, où il reste cinq minutes. En redescendant, il me dit: “Vas-y, s’est arrangé!” Moi, vexé, je monte les voir, et pour leur faire payer leur premier refus je demande le double de mon cachet. Ils me virent. Je redescends, Jean-Paul me demande: “Alors, t’as signé? – Négatif, je réponds, ils m’ont jeté.” Jean-Paul remonte. Je ne sais pas ce qu’il leur a dit, mais quand j’y suis retourné mon contrat était prêt et j’avais obtenu le double des conditions proposées au départ. A la fin du film, ils ont reconnu que notre duo fonctionnait parfaitement.

Quel est votre plus beau souvenir ?
Un grand dîner à l’Elysée donné par le général de Gaulle qui réunissait parfois des acteurs. Il y avait Bardot, Bourvil, Romain Gary... C’était un dîner vraiment privé et, à la fin, il est venu près de Jean-Paul, l’a pris par le bras et l’a conduit sur le perron. J’ai suivi. Là, il lui a dit: “J’ai une très grande admiration pour monsieur votre père et vous, cela commence.”

"J'ai été là quand sa fille Patricia est morte"

Est-ce qu’on peut dire que vous avez été là dans les meilleurs et dans les pires moments de sa vie ?
Oui, j’ai été là quand sa fille Patricia est morte. J’aimais beaucoup cette enfant, nous étions très liés. On partait en vacances ensemble à Pâques, à Noël, en été. Sa disparition a été une grande douleur. Tous les ans, on va sur la tombe de son père et sur celle de Patricia. Et puis celle de Madeleine, bien sûr, sa mère qu’il aimait tant. Madeleine était une femme admirable pour qui ses enfants étaient sacrés. Je me souviens qu’elle voulait toujours connaître à l’avance l’histoire du prochain film de Jean-Paul. “Il va continuer à faire ses pitreries ?” me demandait-elle souvent, un peu inquiète. Je répondais: “Non, non, le prochain film est une comédie sans cascades.” Sauf que le soir même, à la télé, on voyait un reportage où Jean-Paul pour son prochain film se suspendait à un hélicoptère. Alors Madeleine me disait: “Bravo Charlot pour vos mensonges!”

Au moment de son accident vasculaire cérébral, comment avez-vous réagi ?
Moi qui ai connu un véritable athlète, j’étais effondré. Mais la promptitude de son rétablissement m’a estomaquée. Juste après son accident, il était incapable de parler. A force de volonté et d’acharnement, il a fini par se faire comprendre et par parler de mieux en mieux. Nous sommes même allés au Festival de Cannes où il a été récompensé. Quand on pense aux critiques qu’il avait subies là-bas par le passé, notamment pour “Stavisky”... Et, finalement, on lui a remis une Palme d’or pour l’ensemble de son œuvre. Après Cannes, nous avons été invités aux Etats-Unis, par la critique américaine. Dans une salle où 4 500 personnes avaient payé pour voir “A bout de souffle”, Jean-Paul a été ovationné pendant vingt-cinq minutes sans interruption.

"Jean-Paul me considère comme son deuxième frère"

Déjeunez-vous tous les jours ensemble ?
Oui et on change tous les jours d’endroit pour déjeuner. C’est lui qui décide, toujours au dernier moment : porte Maillot, Saint-Cloud, Montreuil… Après le déjeuner, nous allons au moins trois fois par semaine au cinéma. Si vous pouviez voir comment il est accueilli dans les salles! Les gens viennent le voir et lui disent: “Merci, vous nous avez fait rire, vous nous avez fait rêver.” Avec lui, j’ai fait un grand nombre de tours du monde et, partout, les gens viennent et demandent à se faire photographier avec lui ou un autographe. Il est toujours bienveillant, gentil, patient, il ne refuse jamais. Dernièrement, dans la cour de son immeuble, je vois un groupe de Japonaises en kimono. Je demande ce qu’elles viennent faire. On me répond : “Elles attendent monsieur Belmondo pour une photo.” Comment ont-elles su qu’il habitait là ? Eh bien, elles avaient fait une enquête!

Avez-vous l’impression de faire partie de la famille Belmondo ?
Anniversaires, fêtes de fin d’année, je suis toujours là. Jean-Paul me considère comme son deuxième frère. Il m’emmène partout.

Pour vous quel est son meilleur film ?
“Léon Morin, prêtre”. Peut-être parce que je suis croyant et parce que, quand le film est sorti, le public a trouvé M. Belmondo aussi crédible qu’un vrai curé.

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