PenŽlope Cruz et Javier Bardem dans Everybody knows, de Asghar Farhadi.
© Memento Films Production/Morena Films/Lucky Red
Lors d’un mariage, des retrouvailles familiales tournent au drame. Le réalisateur iranien d’“Une séparation” réussit un thriller… espagnol et lance la compétition cannoise.
Un clocher envahi par la poussière, où des colombes volent dans la charpente. Sur les murs, des initiales gravées maladroitement dans la pierre, à la manière des adolescents persuadés d’avoir trouvé l’amour de leur vie. Les premières images du nouveau film d’Asghar Farhadi, qui ouvre ce mercredi la compétition du 71e Festival de Cannes, évoquent un clocher mythique du cinéma : celui de Vertigo, où Madeleine (Kim Novak) trouvait la mort. Comme dans le chef-d’œuvre de Hitchcock, le romantisme est ici indissociable du crime. Ainsi, dans la séquence suivante, une main gantée feuillette-t-elle des coupures de presse consacrées à un fait divers sordide…
Ce prologue magistral, entièrement muet, installe un mystère, une angoisse latente alors même que les héros d’Everybody knows se préparent à faire la fête. Laura (Penélope Cruz) revient dans son village natal en Espagne pour le mariage de sa sœur. Elle a fait le voyage avec ses deux enfants mais sans son mari, Alejandro (Ricardo Darín), resté à Buenos Aires pour le travail. Les retrouvailles avec la famille et Paco (Javier Bardem), l’ami de jeunesse (et peut-être bien davantage), sont chaleureuses. Les scènes d’exposition dans les films de Farhadi sont toujours un modèle d’efficacité narrative : quelques conversations en apparence banales, quelques échanges de regards suffisent au cinéaste iranien pour suggérer les liens entre les nombreux personnages. Même fluidité dans l’impressionnante séquence du mariage, où la caméra, toujours en mouvement, magnifie les corps des danseurs, leurs rires et leurs chants, comme si ce moment de bonheur ne devait jamais cesser. Un drame terrible va toutefois plomber la soirée. Pousser Alejandro à prendre le premier avion pour Madrid. Et contraindre chacun à faire face à ses propres responsabilités…
Everybody knows, d’Asghar Farhadi
© Memento Films Production/Morena Films/Lucky Red
S’il a tourné pour la deuxième fois hors d’Iran (cinq ans après Le Passé, réalisé en France), Farhadi reste fidèle à son univers. Comme dans ses autres contes moraux — et cette fois-ci sans tomber dans l’autocaricature du Client, son précédent film —, le réalisateur d’Une séparation montre comment un événement imprévu peut révéler à chacun ses failles intimes. Et comment, en de telles circonstances, les non-dits, les secrets trop longtemps cachés précipitent la crise au sein de couples déjà désunis. Il y a aussi, comme dans A propos d’Elly, un fort suspense. Il repose sur une importante somme d’argent à réunir en quelques heures. Farhadi prend certes son temps pour développer cet enjeu dramatique, avec des rebondissements un peu forcés, des situations trop démonstratives. Mais il réussit au passage de grands moments de cinéma. Comme cette dispute désespérée entre Paco et sa compagne avec, en arrière-plan, le vignoble pour lequel ils se sont tant battus et qu’ils risquent bientôt de perdre…
Le cinéaste confirme par ailleurs qu’il est aussi un formidable directeur d’acteurs, malgré la barrière de la langue. Le casting réunit le gratin du cinéma espagnol, jusque dans les seconds rôles — d’Eduard Fernández (qui tenait le rôle-titre de L’Homme aux mille visages) à la magnétique Bárbara Lennie (La Niña de fuego). Seule déception, la tête d’affiche Penélope Cruz se révèle moins à l’aise que chez son mentor Almodóvar — à sa décharge, son personnage très chargé de mater dolorosa ne lui facilite pas les choses. Javier Bardem est, lui, impeccable dans son interprétation tout en nuances de Paco. Ce viticulteur au bon sens paysan se retrouve pris au piège d’une situation qu’il pensait, comme toujours, pouvoir contrôler : l’acteur semble alors porter tous les malheurs du monde sur ses larges épaules soudain bien fragiles… Il faut, enfin, saluer la troisième star du film, argentine celle-là. Par sa démarche pesante, comme alourdie par le chagrin, par son regard empli de détresse, Ricardo Darín rend bouleversant Alejandro, ce bigot peu aimable, jalousé mais aussi méprisé de tous : les personnages si humains d’Asghar Farhadi ne sont jamais d’un bloc.
PenŽlope Cruz et Javier Bardem dans Everybody knows, de Asghar Farhadi.
© Memento Films Production/Morena Films/Lucky Red
Lors d’un mariage, des retrouvailles familiales tournent au drame. Le réalisateur iranien d’“Une séparation” réussit un thriller… espagnol et lance la compétition cannoise.
Un clocher envahi par la poussière, où des colombes volent dans la charpente. Sur les murs, des initiales gravées maladroitement dans la pierre, à la manière des adolescents persuadés d’avoir trouvé l’amour de leur vie. Les premières images du nouveau film d’Asghar Farhadi, qui ouvre ce mercredi la compétition du 71e Festival de Cannes, évoquent un clocher mythique du cinéma : celui de Vertigo, où Madeleine (Kim Novak) trouvait la mort. Comme dans le chef-d’œuvre de Hitchcock, le romantisme est ici indissociable du crime. Ainsi, dans la séquence suivante, une main gantée feuillette-t-elle des coupures de presse consacrées à un fait divers sordide…
Ce prologue magistral, entièrement muet, installe un mystère, une angoisse latente alors même que les héros d’Everybody knows se préparent à faire la fête. Laura (Penélope Cruz) revient dans son village natal en Espagne pour le mariage de sa sœur. Elle a fait le voyage avec ses deux enfants mais sans son mari, Alejandro (Ricardo Darín), resté à Buenos Aires pour le travail. Les retrouvailles avec la famille et Paco (Javier Bardem), l’ami de jeunesse (et peut-être bien davantage), sont chaleureuses. Les scènes d’exposition dans les films de Farhadi sont toujours un modèle d’efficacité narrative : quelques conversations en apparence banales, quelques échanges de regards suffisent au cinéaste iranien pour suggérer les liens entre les nombreux personnages. Même fluidité dans l’impressionnante séquence du mariage, où la caméra, toujours en mouvement, magnifie les corps des danseurs, leurs rires et leurs chants, comme si ce moment de bonheur ne devait jamais cesser. Un drame terrible va toutefois plomber la soirée. Pousser Alejandro à prendre le premier avion pour Madrid. Et contraindre chacun à faire face à ses propres responsabilités…
Everybody knows, d’Asghar Farhadi
© Memento Films Production/Morena Films/Lucky Red
S’il a tourné pour la deuxième fois hors d’Iran (cinq ans après Le Passé, réalisé en France), Farhadi reste fidèle à son univers. Comme dans ses autres contes moraux — et cette fois-ci sans tomber dans l’autocaricature du Client, son précédent film —, le réalisateur d’Une séparation montre comment un événement imprévu peut révéler à chacun ses failles intimes. Et comment, en de telles circonstances, les non-dits, les secrets trop longtemps cachés précipitent la crise au sein de couples déjà désunis. Il y a aussi, comme dans A propos d’Elly, un fort suspense. Il repose sur une importante somme d’argent à réunir en quelques heures. Farhadi prend certes son temps pour développer cet enjeu dramatique, avec des rebondissements un peu forcés, des situations trop démonstratives. Mais il réussit au passage de grands moments de cinéma. Comme cette dispute désespérée entre Paco et sa compagne avec, en arrière-plan, le vignoble pour lequel ils se sont tant battus et qu’ils risquent bientôt de perdre…
Le cinéaste confirme par ailleurs qu’il est aussi un formidable directeur d’acteurs, malgré la barrière de la langue. Le casting réunit le gratin du cinéma espagnol, jusque dans les seconds rôles — d’Eduard Fernández (qui tenait le rôle-titre de L’Homme aux mille visages) à la magnétique Bárbara Lennie (La Niña de fuego). Seule déception, la tête d’affiche Penélope Cruz se révèle moins à l’aise que chez son mentor Almodóvar — à sa décharge, son personnage très chargé de mater dolorosa ne lui facilite pas les choses. Javier Bardem est, lui, impeccable dans son interprétation tout en nuances de Paco. Ce viticulteur au bon sens paysan se retrouve pris au piège d’une situation qu’il pensait, comme toujours, pouvoir contrôler : l’acteur semble alors porter tous les malheurs du monde sur ses larges épaules soudain bien fragiles… Il faut, enfin, saluer la troisième star du film, argentine celle-là. Par sa démarche pesante, comme alourdie par le chagrin, par son regard empli de détresse, Ricardo Darín rend bouleversant Alejandro, ce bigot peu aimable, jalousé mais aussi méprisé de tous : les personnages si humains d’Asghar Farhadi ne sont jamais d’un bloc.
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