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Avec « Deux Frères », PNL se livre encore plus - Le Monde

Vendredi 5 avril au petit matin, ils étaient nombreux les collégiens ou étudiants à venir en cours encore moins en forme que d’habitude. La faute au groupe de rap PNL, dont le troisième album, Deux frères, sorti à minuit sur les plateformes de streaming, les a tenus éveillés tard dans la nuit.

Leur précédent disque, Dans la légende (2016), avait été certifié disque de diamant, avec plus de 500 000 exemplaires vendus. Champions du streaming et des vidéos clips qui battent des records de vues sur YouTube, Ademo et N.O.S, le duo originaire de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes est aujourd’hui plus qu’un phénomène national.

Leur dernier single, Au DD, extrait de ce nouvel opus que leurs fans attendaient depuis trois ans, s’est hissé à la 27e place du Top 30 mondial de la plateforme Spotify. Le clip diffusé le 22 mars à 20 heures, et tourné en partie sur le sommet de la tour Eiffel à Paris, a été vu 38 millions de fois à ce jour. On les compare alors à la star internationale Drake, qui, lui, s’était juste contenté de s’asseoir sur le sommet de la tour de Toronto, pour la pochette de Views (2016). Depuis, les parodies et les détournements du clip pleuvent, les médias internationaux les félicitent… bref de quoi faire à tourner la tête à n’importe quel artiste de rap français mais pas à ces deux frangins.

Indépendants, ils refusent toujours l’exposition médiatique, communiquent avec leurs fans uniquement sur leurs réseaux sociaux, gèrent eux-mêmes leur marketing, restent entourés des mêmes proches, les copains du quartier et le fameux Lionel Amador, qui fait office d’interface avec le monde extérieur (tourneur, médias, partenaires).

Ils se sont juste adjoint une chef de projet au sein de leur distributeur, Believe, pour s’occuper de l’international, car leur rap français peut, en effet, franchir les frontières. Leur rap mélodique proche du tempo d’un MC Solaar dans les années 1990 passe mieux à l’étranger que les râles incessants d’un Fianso ou les bravades rocailleuses d’un Booba. Et même s’ils s’en défendent dans A l’Ammoniaque (« Nous, on est tout l’contraire de Piaf »), la noirceur de leurs textes, leur mélancolie apparente rappellent le spleen des chanteuses réalistes qui ont toujours fait fantasmer les Anglo-Saxons.

Toujours plus planant que dansant

Malgré cette gestion resserrée, leur disque de seize titres, dont ils avaient si bien orchestré la sortie depuis deux semaines, a tout de même fuité mercredi matin. Ce sont leurs fans, « leurs soldats » comme certains aiment s’appeler, qui sont venus à leur rescousse sur les réseaux : « On a attendu trois ans, on peut attendre deux jours de plus pour l’écouter correctement. »

D’autres dénonçaient les sites qui ont chroniqué Deux Frères à partir de cette simple fuite. Comme sur leurs trois précédents disques (avec l’EP QLF), la qualité sonore et le mixe sont en effet des éléments essentiels de la musique de PNL, qui mettent en valeur chaque aspérité des productions, et leurs voix subtilement auto-tunées. L’ingénieur du son Nk.F, aujourd’hui émigré à Montréal, est toujours derrière la console. Ademo et N.O.S ont sélectionné les musiques de six beatmaker, toutes plus planantes que dansantes, détonnant avec le reste de la production rap française.

Leurs trois singles, essaimés depuis l’été 2018 annonçaient le ton d’un disque hétérogène. Sur A l’Ammoniaque, ballade douce-amère à la guitare, complainte amoureuse torturée, le duo chantait : « Centimes a remplacé sentiments/Je t’aime à la folie, passionnément, à l’ammoniaque » ; sur 91’S, un « funk » west coast, ils rappelaient leur pudeur de voyou (« Rien ne sert de faire les thugs, je suis cool ») et enfin Au DD, une boucle d’arpège arabo-andalou où les deux frères « de sang corse mélangé bougnoule » rappellent leur profession de foi : « Je ne désire nullement vous connaître. »

La première partie de Deux Frères s’écoule sur ce même tempo lancinant. Ademo et N.O.S vident leurs âmes, déçus par l’humanité, nostalgiques, incapables de se détacher de la vie de leur cité malgré leurs voyages, malgré le succès. Sur Autre monde, produit par BBP, Ademo de son vrai nom, Tarik, avoue : « J’ai envie de rentrer à la maison/Le chemin n’est plus l’même maintenant qu’on a le monde », en référence à leur morceau Le Monde ou rien, qui avait servi de slogan au mouvement Nuit Debout, en 2016. Sur le morceau suivant, Chang, son frère Nabil écrit ce couplet tout aussi touchant :

« Une chance qu’il n’ait pas détruit mon bâtiment. Peut-être qu’un jour j’pourrai l’montrer à mes enfants/Où avec Tarik, papa, Sarah, j’ai di-gran/Là où j’étais qu’un fils de di-ban/Là où j’avais la confiance même avec les grands/Parce que mon papa c’était le plus méchant. »

Leur père, René Andrieu, qui les a élevés seul après le départ de leur mère algérienne, est un ancien braqueur, incarcéré huit ans à la prison de Poissy (Yvelines). Dans ce disque, qui aurait gagné à être moins long, les deux frères se livrent encore plus, font toujours référence, mais avec parcimonie, à leur iconographie d’enfance : les mangas, Mowgli du Livre de la Jungle ou les jeux vidéos. Shenmue, titre d’un célèbre jeu japonais, se révèle être le morceau le plus dispensable de l’album, avec l’ego trip Kuta Ubud.

A partir de leur autoportrait, Deux Frères, le rythme s’accélère. Notamment avec le reggaeton, pulsé aux sons de la darbouka, Hasta la Vista, produit par les talentueux TrackBastardz. Ces derniers leur proposent aussi un titre trap, Menace, digne des Migos, trio d’Atlanta. Efficace aussi, l’électro rock Déconnecté, dont le synthé rappelle le morceau de Kavinsky pour la bande originale du film Drive, où un Ademo en colère finit par admettre :

« Je pense trop aux autres, c’est peut-être ce qui me tue. »

L’album, à la fois déroutant dans son rythme et courageux dans sa sincérité, se termine avec La misère est si belle, une ode à leur incapacité à se réjouir de leur succès.

Stéphanie Binet

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Vendredi 5 avril au petit matin, ils étaient nombreux les collégiens ou étudiants à venir en cours encore moins en forme que d’habitude. La faute au groupe de rap PNL, dont le troisième album, Deux frères, sorti à minuit sur les plateformes de streaming, les a tenus éveillés tard dans la nuit.

Leur précédent disque, Dans la légende (2016), avait été certifié disque de diamant, avec plus de 500 000 exemplaires vendus. Champions du streaming et des vidéos clips qui battent des records de vues sur YouTube, Ademo et N.O.S, le duo originaire de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes est aujourd’hui plus qu’un phénomène national.

Leur dernier single, Au DD, extrait de ce nouvel opus que leurs fans attendaient depuis trois ans, s’est hissé à la 27e place du Top 30 mondial de la plateforme Spotify. Le clip diffusé le 22 mars à 20 heures, et tourné en partie sur le sommet de la tour Eiffel à Paris, a été vu 38 millions de fois à ce jour. On les compare alors à la star internationale Drake, qui, lui, s’était juste contenté de s’asseoir sur le sommet de la tour de Toronto, pour la pochette de Views (2016). Depuis, les parodies et les détournements du clip pleuvent, les médias internationaux les félicitent… bref de quoi faire à tourner la tête à n’importe quel artiste de rap français mais pas à ces deux frangins.

Indépendants, ils refusent toujours l’exposition médiatique, communiquent avec leurs fans uniquement sur leurs réseaux sociaux, gèrent eux-mêmes leur marketing, restent entourés des mêmes proches, les copains du quartier et le fameux Lionel Amador, qui fait office d’interface avec le monde extérieur (tourneur, médias, partenaires).

Ils se sont juste adjoint une chef de projet au sein de leur distributeur, Believe, pour s’occuper de l’international, car leur rap français peut, en effet, franchir les frontières. Leur rap mélodique proche du tempo d’un MC Solaar dans les années 1990 passe mieux à l’étranger que les râles incessants d’un Fianso ou les bravades rocailleuses d’un Booba. Et même s’ils s’en défendent dans A l’Ammoniaque (« Nous, on est tout l’contraire de Piaf »), la noirceur de leurs textes, leur mélancolie apparente rappellent le spleen des chanteuses réalistes qui ont toujours fait fantasmer les Anglo-Saxons.

Toujours plus planant que dansant

Malgré cette gestion resserrée, leur disque de seize titres, dont ils avaient si bien orchestré la sortie depuis deux semaines, a tout de même fuité mercredi matin. Ce sont leurs fans, « leurs soldats » comme certains aiment s’appeler, qui sont venus à leur rescousse sur les réseaux : « On a attendu trois ans, on peut attendre deux jours de plus pour l’écouter correctement. »

D’autres dénonçaient les sites qui ont chroniqué Deux Frères à partir de cette simple fuite. Comme sur leurs trois précédents disques (avec l’EP QLF), la qualité sonore et le mixe sont en effet des éléments essentiels de la musique de PNL, qui mettent en valeur chaque aspérité des productions, et leurs voix subtilement auto-tunées. L’ingénieur du son Nk.F, aujourd’hui émigré à Montréal, est toujours derrière la console. Ademo et N.O.S ont sélectionné les musiques de six beatmaker, toutes plus planantes que dansantes, détonnant avec le reste de la production rap française.

Leurs trois singles, essaimés depuis l’été 2018 annonçaient le ton d’un disque hétérogène. Sur A l’Ammoniaque, ballade douce-amère à la guitare, complainte amoureuse torturée, le duo chantait : « Centimes a remplacé sentiments/Je t’aime à la folie, passionnément, à l’ammoniaque » ; sur 91’S, un « funk » west coast, ils rappelaient leur pudeur de voyou (« Rien ne sert de faire les thugs, je suis cool ») et enfin Au DD, une boucle d’arpège arabo-andalou où les deux frères « de sang corse mélangé bougnoule » rappellent leur profession de foi : « Je ne désire nullement vous connaître. »

La première partie de Deux Frères s’écoule sur ce même tempo lancinant. Ademo et N.O.S vident leurs âmes, déçus par l’humanité, nostalgiques, incapables de se détacher de la vie de leur cité malgré leurs voyages, malgré le succès. Sur Autre monde, produit par BBP, Ademo de son vrai nom, Tarik, avoue : « J’ai envie de rentrer à la maison/Le chemin n’est plus l’même maintenant qu’on a le monde », en référence à leur morceau Le Monde ou rien, qui avait servi de slogan au mouvement Nuit Debout, en 2016. Sur le morceau suivant, Chang, son frère Nabil écrit ce couplet tout aussi touchant :

« Une chance qu’il n’ait pas détruit mon bâtiment. Peut-être qu’un jour j’pourrai l’montrer à mes enfants/Où avec Tarik, papa, Sarah, j’ai di-gran/Là où j’étais qu’un fils de di-ban/Là où j’avais la confiance même avec les grands/Parce que mon papa c’était le plus méchant. »

Leur père, René Andrieu, qui les a élevés seul après le départ de leur mère algérienne, est un ancien braqueur, incarcéré huit ans à la prison de Poissy (Yvelines). Dans ce disque, qui aurait gagné à être moins long, les deux frères se livrent encore plus, font toujours référence, mais avec parcimonie, à leur iconographie d’enfance : les mangas, Mowgli du Livre de la Jungle ou les jeux vidéos. Shenmue, titre d’un célèbre jeu japonais, se révèle être le morceau le plus dispensable de l’album, avec l’ego trip Kuta Ubud.

A partir de leur autoportrait, Deux Frères, le rythme s’accélère. Notamment avec le reggaeton, pulsé aux sons de la darbouka, Hasta la Vista, produit par les talentueux TrackBastardz. Ces derniers leur proposent aussi un titre trap, Menace, digne des Migos, trio d’Atlanta. Efficace aussi, l’électro rock Déconnecté, dont le synthé rappelle le morceau de Kavinsky pour la bande originale du film Drive, où un Ademo en colère finit par admettre :

« Je pense trop aux autres, c’est peut-être ce qui me tue. »

L’album, à la fois déroutant dans son rythme et courageux dans sa sincérité, se termine avec La misère est si belle, une ode à leur incapacité à se réjouir de leur succès.

Stéphanie Binet

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