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Game of Thrones Saison 8 : Une conclusion mitigée - Syfantasy.fr

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5 /10

On a aimé

• Ghost a enfin le droit à sa caresse
• L'opposition symbolique entre amour et devoir, représentation du feu et de la glace
• Une conclusion shakespearienne qui respecte la thématique de l'individu brisé

On a moins aimé

• Une fin qui souffre du caractère précipité de la saison
• Des décisions qui n'ont pas beaucoup de sens
• Ver Gris qui laisse partir l'assassin de sa reine un peu facilement

Après huit ans d’intrigues, de complots et de guerre, Game of Thrones touche à sa fin. Le Trône de Fer aura vu se succéder de nombreux séants, mais lequel y siègera pour de bon ? La réponse nous est donnée par cet ultime épisode qui apporte une conclusion mitigée.

Attention, cette critique est sombre et pleine de spoilers.

Le sol jonché de cadavres et de débris, le ciel constellé de cendres, les rues de Port-Réal, autrefois grouillantes, se sont changées en véritable décor cataclysmique. Dans les ruines de la ville déambulent quelques rares survivants ainsi que les instigateurs (volontaires ou non) de ce massacre, parmi lesquels se trouvent Tyrion et Jon, désemparés face à ce cauchemar. Une nouvelle reine se dresse pour remplacer la précédente, un nouveau tyran acclamé par ses troupes comme une véritable figure despotique.

Un dilemme cornélien, une fin shakespearienne

La première partie de l’épisode, centrée autour des conséquences des actions de Daenerys et de la décision que Jon doit prendre, se déroule lentement, agrémentée encore une fois de plans somptueux. Peter Dinklage livre comme à son habitude une prestation poignante, en particulier lorsque Tyrion tombe sur les cadavres de son frère et de sa sœur mais également durant sa conversation avec un Jon déchiré entre son amour flamboyant et la froideur de son devoir. De prime abord, Jon semble ne pas vouloir transiger sur son devoir de loyauté envers sa reine, qu’il aime profondément, au point d’en devenir agaçant dans son opiniâtreté. Ce n’est que lorsque Tyrion lui rappelle qu’il est le « bouclier qui protège les royaumes des hommes » que Jon se souvient de la véritable nature de son devoir : protéger les vivants coûte que coûte contre ce qui en menace la prospérité. Un serment qu’il a prêté lorsqu’il a rejoint la Garde de la Nuit et dont la portée dépasse aujourd’hui tout ce qu’il pouvait imaginer alors.

 

Les deux derniers Targaryen se retrouvent dans la salle ruinée du trône où Daenerys découvre enfin l’objet de sa convoitise, le siège qu’on lui a fait miroiter depuis sa plus tendre enfance et qui est bien plus petit que ce qu’elle avait imaginé. Elle a obtenu ce pour quoi elle a tant lutté et pourtant cela ne suffit plus : elle veut désormais libérer le monde entier du joug des tyrans comme elle a « libéré » le peuple de Port-Réal. Après avoir vérifié dans un dictionnaire si le verbe « libérer » est un synonyme de « massacrer », Jon est contraint de prendre la décision qu’il redoutait car Daenerys demeure sourde à ses suppliques. Il lui accorde un dernier baiser, lui répétant une ultime fois qu’il est sa reine, puis lui fend le cœur d’un coup de poignard. Ce faisant, Jon Snow accomplit symboliquement l’une des prophéties préférées des fans : il devient Azor Ahai, le Prince qui Fut Promis, et délivre le monde d’une lourde menace en plantant sa lame dans le cœur de son aimée. Cette prophétie présageait qu’il ferait cela pour forger l’épée Illumination et lutter contre les Marcheurs Blancs et la Longue Nuit, mais il s’avère que cette prédiction avait plutôt une dimension symbolique. Voilà donc que se réalise la chanson de la glace et du feu, qui dansent et s’opposent dans le sang de Jon (à la fois Stark et Targaryen) de la même manière que la dichotomie du devoir et de l’amour secoue sa conscience.

Si cette scène est particulièrement déchirante, c’est tout d’abord parce que Daenerys, un personnage qui a été suivi et aimé par les spectateurs pendant des années, y trouve une fin tragique. C’est également parce que Jon Snow, cet homme loyal et honorable, à l’image de son père adoptif, est contraint d’aller à l’encontre de ses principes et de ce qui le définit : il doit trahir sa reine et lui ôter la vie pour préserver celles de millions d’innocents. Face à la mort de sa mère, dont il découvre le corps aux pieds de Jon, Drogon décide de faire fondre le Trône de Fer qui a causé tant de souffrance. Pourquoi ne tue-t-il pas Jon pour venger Daenerys ? Peut-être qu’il ne peut s’y résoudre à cause de son sang de Targaryen, mais cette hypothèse demeure relativement tirée par les cheveux. Du reste, si l’acte de la destruction du trône par le feu de dragon, celui-là même qui aura servi à le forger, jouit d’une dimension symbolique pertinente, on peut être amené à se demander comment le dragon peut comprendre que c’est à cause de ce même siège que sa mère a trouvé la mort…

Cripples, Bastards and Broken Things

La seconde moitié de l’épisode s’attèle à faire l’impossible : résoudre en moins de quarante-cinq minutes le sort et les arcs narratifs de tous les personnages qui ont survécu. Et c’est à ce moment-là que rien ne va plus. Les lords et ladies de Westeros se retrouvent à Port-Réal pour décider du sort de Jon Snow, qui a été fait prisonnier par un Ver Gris qui a tout perdu. Tandis que, lors des premières saisons, chaque seigneur, si mineur soit-il, avait une personnalité propre et un rôle à jouer, ils ne sont désormais plus que de simples personnages-fonctions secondaires, ce qui contribue à conférer à l’horizon politique de Westeros, autrefois dépeint tentaculaire et complexe, un aspect vide et irréel.

 

Tyrion est amené devant ce conseil où siègent des personnages comme Edmure Tully, Yara Greyjoy, Samwell Tarly ou encore Robert Arryn, et il propose de nommer Bran Stark comme nouveau roi de Westeros, prétextant qu’il ne peut exister un meilleur candidat que l’homme qui représente la mémoire de l’humanité. Ce dernier acquiesce comme si tel était son plan depuis le départ et il est élu à l’unanimité comme Roi des Six Couronnes, puisque Sansa Stark déclare l’indépendance du Nord. Tyrion est donc libéré et devra servir comme Main du Roi tandis que Jon Snow est condamné à servir dans la Garde de Nuit pour le restant de ses jours… ce qui satisfait (étrangement) Ver Gris

Enfin, les seigneurs s’accordent pour instaurer un nouveau système politique : le pouvoir ne sera plus transmis par hérédité et les futurs rois et reines seront désormais élus par l’ensemble des lords du royaume. Huit saisons de querelles et d’intrigues auront donc conduit Westeros, qui traversait un âge d’or de prospérité au début de la série, dans un état de ruines où s’instaure un système oligarchique. Avec l’abolition de la monarchie héréditaire, l’avenir du royaume est plus que jamais incertain, le nouveau modèle gouvernemental se prêtant particulièrement aux manigances puisque n’importe quel individu de sang noble peut désormais prétendre au trône. Mais là ne s’arrêtent pas les problèmes qui découlent de cet épisode.

Pourquoi y a-t-il encore une Garde de Nuit alors que les Marcheurs Blancs sont vaincus et que les Sauvageons sont en paix avec le royaume ? De quel droit le roi des Six Couronnes peut-il condamner un prisonnier à servir au mur alors que le Nord n’est plus de son ressort ? L’envoi de Jon au mur est présenté comme une solution permettant d’éviter la guerre entre le Nord d'un côté et les Immaculés et le reste de Westeros de l'autre. Mais le premier est dirigé par la nouvelle Queen-in-the-North, Sansa et le second par son frère : Bran. Difficile de les imaginer se quereller à propos du sort de leur « frère », d’autant que, avec le départ des Immaculés pour l’île de Naath, personne n’a plus rien à reprocher à Jon, à part peut-être Yara Greyjoy, mais celle-ci finira bien par réaliser que Daenerys n’était qu’un tyran de plus.

Ces questions mettent en exergue l’incohérence de cet épisode de conclusion et, par extension, de cette saison finale qui bâcle malheureusement la série. Game of Thrones, c’est une histoire complexe tissée par de nombreux personnages aux arcs narratifs sinueux. Si certains d’entre eux trouvent une conclusion relativement satisfaisante, comme Brienne qui devient membre de la Garde royale ou encore Sansa Stark qui devient reine du Nord, d’autres atteignent la fin de leur arc narratif de manière précipitée voire surprenante, mais dans le mauvais sens du terme. On en viendra presque à trouver que c’est Jaime Lannister, dont la régression durant les épisodes 4 et 5 était révoltante, qui obtient la meilleure fin à titre posthume, grâce à la consignation de sa vie dans le Livre Blanc par Brienne. Page après page, la vie de Jaime (ainsi que le déroulement de la série) est résumée par la plume de la chevalière, qui dépeint un portrait résolument gris et plus que jamais humain du Kingslayer. Il n’était pas l’homme profondément détestable qu’il pensait être mais n’a pas non plus trouvé le chemin d’une rédemption pérenne. Il était, comme la plupart des personnages de A Song of Ice and Fire, un homme brisé et complexe : A broken man.

 

Et c’est bel et bien là l’essence de l’œuvre de George R. R. Martin : raconter l’histoire d’individus dont le cœur est en conflit avec lui-même : des infirmes, des bâtards et d’autres individus brisés. Tyrion, le nain détesté par son propre père, conspué par la société, trahi par celle qu’il aimait. Jaime, le chevalier à l’honneur questionné, contraint de trahir son roi pour sauver des innocents par milliers et jugé à jamais pour cet acte. Cersei, la femme qui n’a jamais été aimée par l’homme qu’elle a épousé et qui a perdu tous ses enfants. Bran, dont le rêve de devenir chevalier s’est brisé en même temps que son corps, après sa chute. Sansa, abusée par le prince charmant qu’elle rêvait d’épouser. Jon, bâtard en quête d'identité qui s’efforce de vivre avec honneur et loyauté, contraint de trahir celle qu’il aimait, de la pourfendre comme le pire des assassins, pour le salut d’autrui. Et bien d’autres.

Love is the death of Duty

Cet ultime épisode de Game of Thrones se conclut sur le destin d’Arya, de Sansa et de Jon. La première devenue une aventurière en quête des mystères de l’ouest, la seconde devenue reine du Nord, le troisième retournant au seul endroit où il a un jour connu le bonheur : par-delà le mur. Symboliquement et même scénaristiquement parlant, ces conclusions font toutes sens, c’est le chemin qui nous y emmène qui déborde de défauts. La saison 8, à l’instar de la saison 7, souffre d’un traitement trop rapide, d’une quantité insuffisante d’épisodes et d’une écriture qui emprunte de trop nombreux raccourcis. Fondamentalement, le sort de la plupart des personnages s’inscrit dans une logique globale fidèle à l’identité de Game of Thrones, la folie de Daenerys, le départ de Jon pour le Nord, la prise de pouvoir de Bran ; tous ces éléments auraient pu être amenés de manière plus progressive, plus soignée, plus cohérente. Ce problème est d’autant plus surprenant que la chaîne HBO a récemment déclaré qu’elle avait proposé aux showrunners un budget suffisant pour réaliser dix épisodes. La décision de raccourcir les deux dernières saisons leur revient donc à eux, et à eux uniquement, comme s’ils étaient pressés d’en finir avec Westeros.

 

Une autre lourde problématique de ces dernières saisons réside dans le désir de David Benioff et David Weiss de surprendre leur audience. Lorsqu’ils adressent la question du choix du personnage portant le coup fatal au Roi de la Nuit, les showrunners expliquent que Jon était un choix trop évident et qu’ils ont choisi Arya pour surprendre les spectateurs. Certes, Game of Thrones doit en partie son succès au caractère inconventionnel de sa construction narrative, ce qui s’est démontré la première fois lors de la saison 1, lorsque Eddard Stark, qui semblait être le héros principal, trouve la mort. Mais c’est cet amour de la surprise, ce désir de reproduire ce choc, que les spectateurs ont aussi vécu lors du Red Wedding ou de la mort de Jon Snow, qui a poussé les showrunners a manqué à leur devoir de conteur. On ne peut sacrifier la cohérence d'un récit, l'aboutissement de la progression de plusieurs arcs narratifs, dans le simple but de surprendre son audience.

La mort de Ned est surprenante, mais elle repose sur un socle narratif qui se construit au fil des épisodes et n’est que le résultat logique, in fine, d’une succession de mauvais choix pris par le personnage, qui doit donc en payer les conséquences. Avec un peu de recul, cette mort, comme celles de Robb Stark et plus tard de Jon Snow ne sont pas si surprenantes scénaristiquement parlant mais elles le sont émotionnellement. Cela, les showrunners semblent ne pas l’avoir compris et, sans l’œuvre de l’auteur pour les guider, ils ne sont pas parvenus à maintenir la complexité et la profondeur de A Song of Ice and Fire. David Benioff et David Weiss savent où leur histoire doit aller et ils dirigent leurs personnages pour y parvenir. À l’inverse, George R. R. Martin plante les graines de son intrigue et laisse ses personnages se développer pour la guider, c’est cette approche qui confère une dimension humaine et organique à son histoire et c’est cette différence qui conduit la saison 8 de Game of Thrones à sonner creux.

Duty is the death of Love

Difficile de juger et de noter cet épisode final d’une série-événement qui aura fait vibrer avec passion des millions de spectateurs. Une chose est certaine, les saisons 7 et 8 se détachent du reste de la série par leur caractère précipité empreint, diraient certains, d’une dose fatale de fan-service. Au regard de cette saison 8, et d’elle uniquement, mais aussi de la passion, de l’amour qu’inspirent les personnages et l’histoire de Game of Thrones, cet épisode parait cohérent tant dans son déroulement scénaristique que dans sa réalisation et semble mériter une note proche du 7/10. Toutefois, le devoir impose d’inscrire cette conclusion dans la globalité de l’œuvre. Or, ce faisant, elle souffre alors sévèrement de la comparaison et n’écoperait dans ce cas que d’un petit 3/10. Peut-être que, contrairement au monde brutal et implacable de Westeros, le feu et la glace, l’amour et le devoir peuvent ici trouver un juste milieu et coexister. Peut-être que, en brisant quelque chose chez ses spectateurs, la saison 8 réalise cette symbolique qui fait l’essence de la série. C’est pour cette raison que cette critique lui accorde la note de 5/10.

 

Le rideau tombe et après près de 10 ans, Game of Thrones touche à sa fin. Que sa conclusion plaise ou déplaise, une chose est sûre, la série aura déchaîné les passions de ses spectateurs en les poussant tantôt au rire, tantôt aux larmes. Elle laissera dans les mémoires une trace indélébile qui aura changé à jamais le paysage de la fantasy au sein de la culture populaire. Reste à savoir comment fleuriront les graines que son héritage aura planté dans le sol plus que jamais fertile des séries télévisées.

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• Ghost a enfin le droit à sa caresse
• L'opposition symbolique entre amour et devoir, représentation du feu et de la glace
• Une conclusion shakespearienne qui respecte la thématique de l'individu brisé

On a moins aimé

• Une fin qui souffre du caractère précipité de la saison
• Des décisions qui n'ont pas beaucoup de sens
• Ver Gris qui laisse partir l'assassin de sa reine un peu facilement

Après huit ans d’intrigues, de complots et de guerre, Game of Thrones touche à sa fin. Le Trône de Fer aura vu se succéder de nombreux séants, mais lequel y siègera pour de bon ? La réponse nous est donnée par cet ultime épisode qui apporte une conclusion mitigée.

Attention, cette critique est sombre et pleine de spoilers.

Le sol jonché de cadavres et de débris, le ciel constellé de cendres, les rues de Port-Réal, autrefois grouillantes, se sont changées en véritable décor cataclysmique. Dans les ruines de la ville déambulent quelques rares survivants ainsi que les instigateurs (volontaires ou non) de ce massacre, parmi lesquels se trouvent Tyrion et Jon, désemparés face à ce cauchemar. Une nouvelle reine se dresse pour remplacer la précédente, un nouveau tyran acclamé par ses troupes comme une véritable figure despotique.

Un dilemme cornélien, une fin shakespearienne

La première partie de l’épisode, centrée autour des conséquences des actions de Daenerys et de la décision que Jon doit prendre, se déroule lentement, agrémentée encore une fois de plans somptueux. Peter Dinklage livre comme à son habitude une prestation poignante, en particulier lorsque Tyrion tombe sur les cadavres de son frère et de sa sœur mais également durant sa conversation avec un Jon déchiré entre son amour flamboyant et la froideur de son devoir. De prime abord, Jon semble ne pas vouloir transiger sur son devoir de loyauté envers sa reine, qu’il aime profondément, au point d’en devenir agaçant dans son opiniâtreté. Ce n’est que lorsque Tyrion lui rappelle qu’il est le « bouclier qui protège les royaumes des hommes » que Jon se souvient de la véritable nature de son devoir : protéger les vivants coûte que coûte contre ce qui en menace la prospérité. Un serment qu’il a prêté lorsqu’il a rejoint la Garde de la Nuit et dont la portée dépasse aujourd’hui tout ce qu’il pouvait imaginer alors.

 

Les deux derniers Targaryen se retrouvent dans la salle ruinée du trône où Daenerys découvre enfin l’objet de sa convoitise, le siège qu’on lui a fait miroiter depuis sa plus tendre enfance et qui est bien plus petit que ce qu’elle avait imaginé. Elle a obtenu ce pour quoi elle a tant lutté et pourtant cela ne suffit plus : elle veut désormais libérer le monde entier du joug des tyrans comme elle a « libéré » le peuple de Port-Réal. Après avoir vérifié dans un dictionnaire si le verbe « libérer » est un synonyme de « massacrer », Jon est contraint de prendre la décision qu’il redoutait car Daenerys demeure sourde à ses suppliques. Il lui accorde un dernier baiser, lui répétant une ultime fois qu’il est sa reine, puis lui fend le cœur d’un coup de poignard. Ce faisant, Jon Snow accomplit symboliquement l’une des prophéties préférées des fans : il devient Azor Ahai, le Prince qui Fut Promis, et délivre le monde d’une lourde menace en plantant sa lame dans le cœur de son aimée. Cette prophétie présageait qu’il ferait cela pour forger l’épée Illumination et lutter contre les Marcheurs Blancs et la Longue Nuit, mais il s’avère que cette prédiction avait plutôt une dimension symbolique. Voilà donc que se réalise la chanson de la glace et du feu, qui dansent et s’opposent dans le sang de Jon (à la fois Stark et Targaryen) de la même manière que la dichotomie du devoir et de l’amour secoue sa conscience.

Si cette scène est particulièrement déchirante, c’est tout d’abord parce que Daenerys, un personnage qui a été suivi et aimé par les spectateurs pendant des années, y trouve une fin tragique. C’est également parce que Jon Snow, cet homme loyal et honorable, à l’image de son père adoptif, est contraint d’aller à l’encontre de ses principes et de ce qui le définit : il doit trahir sa reine et lui ôter la vie pour préserver celles de millions d’innocents. Face à la mort de sa mère, dont il découvre le corps aux pieds de Jon, Drogon décide de faire fondre le Trône de Fer qui a causé tant de souffrance. Pourquoi ne tue-t-il pas Jon pour venger Daenerys ? Peut-être qu’il ne peut s’y résoudre à cause de son sang de Targaryen, mais cette hypothèse demeure relativement tirée par les cheveux. Du reste, si l’acte de la destruction du trône par le feu de dragon, celui-là même qui aura servi à le forger, jouit d’une dimension symbolique pertinente, on peut être amené à se demander comment le dragon peut comprendre que c’est à cause de ce même siège que sa mère a trouvé la mort…

Cripples, Bastards and Broken Things

La seconde moitié de l’épisode s’attèle à faire l’impossible : résoudre en moins de quarante-cinq minutes le sort et les arcs narratifs de tous les personnages qui ont survécu. Et c’est à ce moment-là que rien ne va plus. Les lords et ladies de Westeros se retrouvent à Port-Réal pour décider du sort de Jon Snow, qui a été fait prisonnier par un Ver Gris qui a tout perdu. Tandis que, lors des premières saisons, chaque seigneur, si mineur soit-il, avait une personnalité propre et un rôle à jouer, ils ne sont désormais plus que de simples personnages-fonctions secondaires, ce qui contribue à conférer à l’horizon politique de Westeros, autrefois dépeint tentaculaire et complexe, un aspect vide et irréel.

 

Tyrion est amené devant ce conseil où siègent des personnages comme Edmure Tully, Yara Greyjoy, Samwell Tarly ou encore Robert Arryn, et il propose de nommer Bran Stark comme nouveau roi de Westeros, prétextant qu’il ne peut exister un meilleur candidat que l’homme qui représente la mémoire de l’humanité. Ce dernier acquiesce comme si tel était son plan depuis le départ et il est élu à l’unanimité comme Roi des Six Couronnes, puisque Sansa Stark déclare l’indépendance du Nord. Tyrion est donc libéré et devra servir comme Main du Roi tandis que Jon Snow est condamné à servir dans la Garde de Nuit pour le restant de ses jours… ce qui satisfait (étrangement) Ver Gris

Enfin, les seigneurs s’accordent pour instaurer un nouveau système politique : le pouvoir ne sera plus transmis par hérédité et les futurs rois et reines seront désormais élus par l’ensemble des lords du royaume. Huit saisons de querelles et d’intrigues auront donc conduit Westeros, qui traversait un âge d’or de prospérité au début de la série, dans un état de ruines où s’instaure un système oligarchique. Avec l’abolition de la monarchie héréditaire, l’avenir du royaume est plus que jamais incertain, le nouveau modèle gouvernemental se prêtant particulièrement aux manigances puisque n’importe quel individu de sang noble peut désormais prétendre au trône. Mais là ne s’arrêtent pas les problèmes qui découlent de cet épisode.

Pourquoi y a-t-il encore une Garde de Nuit alors que les Marcheurs Blancs sont vaincus et que les Sauvageons sont en paix avec le royaume ? De quel droit le roi des Six Couronnes peut-il condamner un prisonnier à servir au mur alors que le Nord n’est plus de son ressort ? L’envoi de Jon au mur est présenté comme une solution permettant d’éviter la guerre entre le Nord d'un côté et les Immaculés et le reste de Westeros de l'autre. Mais le premier est dirigé par la nouvelle Queen-in-the-North, Sansa et le second par son frère : Bran. Difficile de les imaginer se quereller à propos du sort de leur « frère », d’autant que, avec le départ des Immaculés pour l’île de Naath, personne n’a plus rien à reprocher à Jon, à part peut-être Yara Greyjoy, mais celle-ci finira bien par réaliser que Daenerys n’était qu’un tyran de plus.

Ces questions mettent en exergue l’incohérence de cet épisode de conclusion et, par extension, de cette saison finale qui bâcle malheureusement la série. Game of Thrones, c’est une histoire complexe tissée par de nombreux personnages aux arcs narratifs sinueux. Si certains d’entre eux trouvent une conclusion relativement satisfaisante, comme Brienne qui devient membre de la Garde royale ou encore Sansa Stark qui devient reine du Nord, d’autres atteignent la fin de leur arc narratif de manière précipitée voire surprenante, mais dans le mauvais sens du terme. On en viendra presque à trouver que c’est Jaime Lannister, dont la régression durant les épisodes 4 et 5 était révoltante, qui obtient la meilleure fin à titre posthume, grâce à la consignation de sa vie dans le Livre Blanc par Brienne. Page après page, la vie de Jaime (ainsi que le déroulement de la série) est résumée par la plume de la chevalière, qui dépeint un portrait résolument gris et plus que jamais humain du Kingslayer. Il n’était pas l’homme profondément détestable qu’il pensait être mais n’a pas non plus trouvé le chemin d’une rédemption pérenne. Il était, comme la plupart des personnages de A Song of Ice and Fire, un homme brisé et complexe : A broken man.

 

Et c’est bel et bien là l’essence de l’œuvre de George R. R. Martin : raconter l’histoire d’individus dont le cœur est en conflit avec lui-même : des infirmes, des bâtards et d’autres individus brisés. Tyrion, le nain détesté par son propre père, conspué par la société, trahi par celle qu’il aimait. Jaime, le chevalier à l’honneur questionné, contraint de trahir son roi pour sauver des innocents par milliers et jugé à jamais pour cet acte. Cersei, la femme qui n’a jamais été aimée par l’homme qu’elle a épousé et qui a perdu tous ses enfants. Bran, dont le rêve de devenir chevalier s’est brisé en même temps que son corps, après sa chute. Sansa, abusée par le prince charmant qu’elle rêvait d’épouser. Jon, bâtard en quête d'identité qui s’efforce de vivre avec honneur et loyauté, contraint de trahir celle qu’il aimait, de la pourfendre comme le pire des assassins, pour le salut d’autrui. Et bien d’autres.

Love is the death of Duty

Cet ultime épisode de Game of Thrones se conclut sur le destin d’Arya, de Sansa et de Jon. La première devenue une aventurière en quête des mystères de l’ouest, la seconde devenue reine du Nord, le troisième retournant au seul endroit où il a un jour connu le bonheur : par-delà le mur. Symboliquement et même scénaristiquement parlant, ces conclusions font toutes sens, c’est le chemin qui nous y emmène qui déborde de défauts. La saison 8, à l’instar de la saison 7, souffre d’un traitement trop rapide, d’une quantité insuffisante d’épisodes et d’une écriture qui emprunte de trop nombreux raccourcis. Fondamentalement, le sort de la plupart des personnages s’inscrit dans une logique globale fidèle à l’identité de Game of Thrones, la folie de Daenerys, le départ de Jon pour le Nord, la prise de pouvoir de Bran ; tous ces éléments auraient pu être amenés de manière plus progressive, plus soignée, plus cohérente. Ce problème est d’autant plus surprenant que la chaîne HBO a récemment déclaré qu’elle avait proposé aux showrunners un budget suffisant pour réaliser dix épisodes. La décision de raccourcir les deux dernières saisons leur revient donc à eux, et à eux uniquement, comme s’ils étaient pressés d’en finir avec Westeros.

 

Une autre lourde problématique de ces dernières saisons réside dans le désir de David Benioff et David Weiss de surprendre leur audience. Lorsqu’ils adressent la question du choix du personnage portant le coup fatal au Roi de la Nuit, les showrunners expliquent que Jon était un choix trop évident et qu’ils ont choisi Arya pour surprendre les spectateurs. Certes, Game of Thrones doit en partie son succès au caractère inconventionnel de sa construction narrative, ce qui s’est démontré la première fois lors de la saison 1, lorsque Eddard Stark, qui semblait être le héros principal, trouve la mort. Mais c’est cet amour de la surprise, ce désir de reproduire ce choc, que les spectateurs ont aussi vécu lors du Red Wedding ou de la mort de Jon Snow, qui a poussé les showrunners a manqué à leur devoir de conteur. On ne peut sacrifier la cohérence d'un récit, l'aboutissement de la progression de plusieurs arcs narratifs, dans le simple but de surprendre son audience.

La mort de Ned est surprenante, mais elle repose sur un socle narratif qui se construit au fil des épisodes et n’est que le résultat logique, in fine, d’une succession de mauvais choix pris par le personnage, qui doit donc en payer les conséquences. Avec un peu de recul, cette mort, comme celles de Robb Stark et plus tard de Jon Snow ne sont pas si surprenantes scénaristiquement parlant mais elles le sont émotionnellement. Cela, les showrunners semblent ne pas l’avoir compris et, sans l’œuvre de l’auteur pour les guider, ils ne sont pas parvenus à maintenir la complexité et la profondeur de A Song of Ice and Fire. David Benioff et David Weiss savent où leur histoire doit aller et ils dirigent leurs personnages pour y parvenir. À l’inverse, George R. R. Martin plante les graines de son intrigue et laisse ses personnages se développer pour la guider, c’est cette approche qui confère une dimension humaine et organique à son histoire et c’est cette différence qui conduit la saison 8 de Game of Thrones à sonner creux.

Duty is the death of Love

Difficile de juger et de noter cet épisode final d’une série-événement qui aura fait vibrer avec passion des millions de spectateurs. Une chose est certaine, les saisons 7 et 8 se détachent du reste de la série par leur caractère précipité empreint, diraient certains, d’une dose fatale de fan-service. Au regard de cette saison 8, et d’elle uniquement, mais aussi de la passion, de l’amour qu’inspirent les personnages et l’histoire de Game of Thrones, cet épisode parait cohérent tant dans son déroulement scénaristique que dans sa réalisation et semble mériter une note proche du 7/10. Toutefois, le devoir impose d’inscrire cette conclusion dans la globalité de l’œuvre. Or, ce faisant, elle souffre alors sévèrement de la comparaison et n’écoperait dans ce cas que d’un petit 3/10. Peut-être que, contrairement au monde brutal et implacable de Westeros, le feu et la glace, l’amour et le devoir peuvent ici trouver un juste milieu et coexister. Peut-être que, en brisant quelque chose chez ses spectateurs, la saison 8 réalise cette symbolique qui fait l’essence de la série. C’est pour cette raison que cette critique lui accorde la note de 5/10.

 

Le rideau tombe et après près de 10 ans, Game of Thrones touche à sa fin. Que sa conclusion plaise ou déplaise, une chose est sûre, la série aura déchaîné les passions de ses spectateurs en les poussant tantôt au rire, tantôt aux larmes. Elle laissera dans les mémoires une trace indélébile qui aura changé à jamais le paysage de la fantasy au sein de la culture populaire. Reste à savoir comment fleuriront les graines que son héritage aura planté dans le sol plus que jamais fertile des séries télévisées.

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