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Une banane scotchée à un mur vendue 120 000 dollars à la foire d'Art Basel... avant d'être mangée - Le Monde

EVA UZCATEGUI / REUTERS

L’actualité de l’art contemporain procure son lot de nouvelles réjouissantes, ou consternantes selon les points de vue. La dernière en date est survenue à la foire d’Art Basel à Miami, qui s’est achevée dimanche 8 décembre. Sur le stand de la galerie du français Emmanuel Perrotin, qui pourrait vendre un réfrigérateur à des esquimaux ou des chaussettes à un cul-de-jatte, trônait une banane. Une vraie banane, bien jaune, scotchée à la cimaise grâce à un fort ruban adhésif gris-argent, lequel formait une fort belle oblique par rapport au fruit. Il en demandait 120 000 dollars, et les a obtenus.

La première acheteuse est, selon le New York Times, la parisienne Sarah Andelman, fondatrice des magasins Colette. Elle venait en voisine, puisqu’elle inaugurait au même moment un « pop up store » dans le Design District de la ville, qu’elle a nommé « Hello Miami ».

Et en voisine reconnaissante, puisqu’un proche d’Emmanuel Perrotin, le chanteur Pharrel Williams, n’a pas été pour rien dans le succès du lancement de sa boutique. Deux autres collectionneurs ont suivi. Car l’œuvre existe à 5 exemplaires : trois vendus à Miami et deux réservés à des musées. L’œuvre est intitulée Comedian

« Le monde de l’art devient fou »

Une visiteuse devant la banane de Maurizio Cattelan, le 6 décembre à Miami.
Une visiteuse devant la banane de Maurizio Cattelan, le 6 décembre à Miami. Cindy Ord / AFP

« Art world gone mad » titrait en couverture le quotidien The New York Post, en reproduisant l’œuvre à la une, pour la plus grande joie de Perrotin. On ne sait pas si « le monde de l’art devient fou », mais on constate qu’il ne manque toujours pas de liquidités. Une banane pesant environ 200 grammes avec la peau, et l’œuvre étant prévue à cinq exemplaires, Perrotin peut espérer peu ou prou vendre la série à 600 000 dollars le kilo (on peut penser qu’il fera grâce aux acheteurs du prix du ruban adhésif).

L’idée et le montage de la banane sont signés Maurizio Cattelan. L’artiste italien, qui accompagne Perrotin depuis ses débuts, est déjà l’auteur de quelques œuvres retentissantes, la plus célèbre étant sans doute La Nona Ora, une sculpture hyperréaliste représentant le pape Jean-Paul II écrasé sous une météorite.

Est-ce de l’art, demanderont certains ? On se gardera bien d’en juger, d’autres l’ont fait pour nous : La Nona Ora été exposée à la Royal Academy de Londres, à la Biennale de Venise, et son auteur a cosigné un livre d’entretiens (Le Saut dans le vide, Editions du Seuil, 2011) avec Catherine Grenier, à l’époque conservatrice au Centre Pompidou. Il a également bénéficié d’une rétrospective au musée Guggenheim de New York, et en on en oublie.

« Elle est délicieuse »

Mais, direz-vous, une banane murit. Pas de problème, on décolle le scotch, on en met une neuve à la place. Que faire de l’originale ? La manger pardi ! C’est ce qu’a fait un autre artiste, David Datuna : samedi 7 décembre, il est entré sur le stand de Perrotin, a décroché et pelé le fruit avant de le dévorer à belles dents, mais sans payer. Sur son compte instagram, il a commenté son geste ainsi :

« J’aime les œuvres de Maurizio Cattelan et j’aime vraiment cette installation. Elle est délicieuse… »

La galerie n’a pas porté plainte : ses employés se sont contentés de changer la banane, et de commenter gentiment un geste fait « dans un bon esprit ». Et pour cause : relayé par le New York Times, il prolonge le buzz.

Toilettes dorées volées en Angleterre

Toutefois, on peut suggérer aux heureux collectionneurs ayant acquis l’oeuvre de participer eux aussi à un geste artistique complet : rendre à Cattelan ce qui est à Cattelan. L’artiste italien est en effet aussi l’auteur d’une sculpture intitulée America, exposée en 2016 au musée Guggenheim de New York. Il s’agit de la réplique d’un modèle de toilettes fabriquées dans le Wisconsin par les usines Kohler & Co, fort répandu aux Etats-Unis.

L’objet est strictement fonctionnel, à ceci près qu’il est en or à 18 carats... Outre les 100 000 personnes qui l’ont visité, et peut-être utilisé, depuis son installation, l’œuvre a défrayé la chronique à deux reprises : quand le musée a proposé au président Donald Trump, qui voulait leur emprunter pour la Maison blanche un paysage de Van Gogh, de prêter plutôt le Cattelan ; et quand il a été volé en septembre 2019 au château de Blenheim Palace, en Angleterre, où était organisée une rétrospective de l’artiste.

A ce jour, America n’a pas été retrouvée. Lorsque Scotland Yard aura mis la main dessus, les mangeurs de banane pourront donc s’y soulager de leur fardeau. La suprême élégance consisterait alors à s’essuyer avec le certificat d’authenticité, mais comme c’est lui qui donne sa valeur marchande à l’œuvre, là, à 120 000 dollars la feuille de papier toilette, il est permis d’hésiter.

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EVA UZCATEGUI / REUTERS

L’actualité de l’art contemporain procure son lot de nouvelles réjouissantes, ou consternantes selon les points de vue. La dernière en date est survenue à la foire d’Art Basel à Miami, qui s’est achevée dimanche 8 décembre. Sur le stand de la galerie du français Emmanuel Perrotin, qui pourrait vendre un réfrigérateur à des esquimaux ou des chaussettes à un cul-de-jatte, trônait une banane. Une vraie banane, bien jaune, scotchée à la cimaise grâce à un fort ruban adhésif gris-argent, lequel formait une fort belle oblique par rapport au fruit. Il en demandait 120 000 dollars, et les a obtenus.

La première acheteuse est, selon le New York Times, la parisienne Sarah Andelman, fondatrice des magasins Colette. Elle venait en voisine, puisqu’elle inaugurait au même moment un « pop up store » dans le Design District de la ville, qu’elle a nommé « Hello Miami ».

Et en voisine reconnaissante, puisqu’un proche d’Emmanuel Perrotin, le chanteur Pharrel Williams, n’a pas été pour rien dans le succès du lancement de sa boutique. Deux autres collectionneurs ont suivi. Car l’œuvre existe à 5 exemplaires : trois vendus à Miami et deux réservés à des musées. L’œuvre est intitulée Comedian

« Le monde de l’art devient fou »

Une visiteuse devant la banane de Maurizio Cattelan, le 6 décembre à Miami.
Une visiteuse devant la banane de Maurizio Cattelan, le 6 décembre à Miami. Cindy Ord / AFP

« Art world gone mad » titrait en couverture le quotidien The New York Post, en reproduisant l’œuvre à la une, pour la plus grande joie de Perrotin. On ne sait pas si « le monde de l’art devient fou », mais on constate qu’il ne manque toujours pas de liquidités. Une banane pesant environ 200 grammes avec la peau, et l’œuvre étant prévue à cinq exemplaires, Perrotin peut espérer peu ou prou vendre la série à 600 000 dollars le kilo (on peut penser qu’il fera grâce aux acheteurs du prix du ruban adhésif).

L’idée et le montage de la banane sont signés Maurizio Cattelan. L’artiste italien, qui accompagne Perrotin depuis ses débuts, est déjà l’auteur de quelques œuvres retentissantes, la plus célèbre étant sans doute La Nona Ora, une sculpture hyperréaliste représentant le pape Jean-Paul II écrasé sous une météorite.

Est-ce de l’art, demanderont certains ? On se gardera bien d’en juger, d’autres l’ont fait pour nous : La Nona Ora été exposée à la Royal Academy de Londres, à la Biennale de Venise, et son auteur a cosigné un livre d’entretiens (Le Saut dans le vide, Editions du Seuil, 2011) avec Catherine Grenier, à l’époque conservatrice au Centre Pompidou. Il a également bénéficié d’une rétrospective au musée Guggenheim de New York, et en on en oublie.

« Elle est délicieuse »

Mais, direz-vous, une banane murit. Pas de problème, on décolle le scotch, on en met une neuve à la place. Que faire de l’originale ? La manger pardi ! C’est ce qu’a fait un autre artiste, David Datuna : samedi 7 décembre, il est entré sur le stand de Perrotin, a décroché et pelé le fruit avant de le dévorer à belles dents, mais sans payer. Sur son compte instagram, il a commenté son geste ainsi :

« J’aime les œuvres de Maurizio Cattelan et j’aime vraiment cette installation. Elle est délicieuse… »

La galerie n’a pas porté plainte : ses employés se sont contentés de changer la banane, et de commenter gentiment un geste fait « dans un bon esprit ». Et pour cause : relayé par le New York Times, il prolonge le buzz.

Toilettes dorées volées en Angleterre

Toutefois, on peut suggérer aux heureux collectionneurs ayant acquis l’oeuvre de participer eux aussi à un geste artistique complet : rendre à Cattelan ce qui est à Cattelan. L’artiste italien est en effet aussi l’auteur d’une sculpture intitulée America, exposée en 2016 au musée Guggenheim de New York. Il s’agit de la réplique d’un modèle de toilettes fabriquées dans le Wisconsin par les usines Kohler & Co, fort répandu aux Etats-Unis.

L’objet est strictement fonctionnel, à ceci près qu’il est en or à 18 carats... Outre les 100 000 personnes qui l’ont visité, et peut-être utilisé, depuis son installation, l’œuvre a défrayé la chronique à deux reprises : quand le musée a proposé au président Donald Trump, qui voulait leur emprunter pour la Maison blanche un paysage de Van Gogh, de prêter plutôt le Cattelan ; et quand il a été volé en septembre 2019 au château de Blenheim Palace, en Angleterre, où était organisée une rétrospective de l’artiste.

A ce jour, America n’a pas été retrouvée. Lorsque Scotland Yard aura mis la main dessus, les mangeurs de banane pourront donc s’y soulager de leur fardeau. La suprême élégance consisterait alors à s’essuyer avec le certificat d’authenticité, mais comme c’est lui qui donne sa valeur marchande à l’œuvre, là, à 120 000 dollars la feuille de papier toilette, il est permis d’hésiter.

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