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« Tick, Tick… Boom ! », sur Netflix : l'hommage joyeux et émouvant de Lin-Manuel Miranda à l'auteur de « Rent » - Le Monde

Le réalisateur Lin-Manuel Miranda (deuxième en partant de la droite, avec le bonnet bleu), avec l’acteur Andrew Garfield (au centre) et la directrice de la photographie, Alice Brooks (à droite), sur le tournage de « Tick, Tick… Boom ! ».

La sortie de Tick, Tick Boom !, premier long-métrage réalisé par Lin-Manuel Miranda, sur Netflix, a quelque chose de cruel. Déjà parce que, quitte à filmer une comédie musicale, autant qu’elle soit projetée sur grand écran et mise en son avec un peu plus de moyens qu’un haut-parleur de télévision. Ensuite parce que l’existence même du film de Miranda rappelle sans le vouloir à quel point le tribut payé au Covid-19 par le spectacle vivant et les salles de cinéma est lourd. Vu de notre canapé, Tick, Tick Boom ! a presque des allures de mémorial.

Le film est d’ailleurs une sorte de tombeau, celui de Jonathan Larson, musicien doué et bourré d’idées, grand admirateur du compositeur Stephen Sondheim et auteur de la très populaire comédie musicale Rent, créée à New York en 1996. Rent est le seul projet abouti de Larson, qui mourut subitement, peu avant la première représentation à Broadway de cette œuvre, à l’âge de 35 ans, et ne connut donc qu’un succès posthume. Le biopic que Lin-Manuel Miranda lui consacre est ainsi traversé de bout en bout par le sentiment d’urgence qui anima Larson tout au long de sa courte carrière, comme s’il avait intimement su qu’il ne vivrait pas vieux.

Le titre en forme d’avertissement est celui d’une œuvre achevée mais non produite de Larson – semi-autobiographique, le « musical » Tick, Tick Boom ! fut conçu comme un « seul en scène » avec orchestre racontant les années de galère d’un alter ego vaguement fictionnel de Larson. Le spectacle porte en lui les germes de Rent, qui transpose La Bohème, de Puccini, à New York, au plus fort de la pandémie de sida. Lin-Manuel Miranda, artiste multicasquette très en vue depuis l’immense succès de sa comédie musicale Hamilton (créée en 1995 « off Broadway ») sait évidemment tout ce qu’il doit à Larson. Cette dette fait de Tick, Tick Boom ! un film en forme de matriochka, dans lequel l’autobiographie répond au biopic, où les œuvres se répondent les unes les autres et où l’euphorie le dispute au mélodrame.

Art du découpage

La richesse du matériau ici travaillé rend d’autant plus surprenante la sobriété des moyens déployés par Miranda pour faire revivre l’homme et son époque. Refusant la tentation d’en appeler à la nostalgie des spectateurs, le réalisateur ne fait exister le New York du début des années 1990 que par touches – l’appartement bordélique de Jonathan, l’antique Mac sur lequel il écrit ses chansons, les faux « home movies » réalisés au caméscope… Il en va de même pour les scènes chantées, mises en scène avec une sobriété qui permet d’entendre toute la modernité des textes et musiques de Larson, et sublimées par un montage nerveux qui va et vient entre la scène, la vie, les époques, la réalité et la fiction. Miranda avait déjà brillamment mis à l’épreuve cet art du découpage dans Fosse/Verdon, minisérie sur le couple d’artistes éponymes dont il était le showrunneur.

Célébration du bouillonnement créatif et de l’intégrité artistique, Tick, Tick… Boom ! nécessitait des acteurs généreux, capables d’épargner au film le piège du nombrilisme. Dans la peau de Jonathan, Andrew Garfield en fait des tonnes – front plissé, grands yeux mouillés –, mais pas assez pour agacer. D’autant qu’autour de lui gravitent quelques personnages lumineux : Robin de Jesus dans le rôle de son meilleur ami, qui a délaissé sans regret ses rêves d’acteur pour embrasser une carrière de col blanc, Alexandra Shipp dans le rôle de la petite amie, elle aussi tentée de raccrocher ses chaussons de danse. A leur maturité, Jonathan oppose une fébrilité inquiète, la certitude que lui ne peut pas se permettre de renoncer. A l’aube de ses 30 ans, il continue donc à servir des burgers dans un diner pour payer le loyer (rent) de son studio minable rempli de « livres et de pièces de théâtre [qu’il] n’a pas écrites ».

La personne qui lui soufflera la clé de la réussite ne sera finalement pas Stephen Sondheim, mais son agent Rosa Stevens (Judith Light, dans un caméo à la hauteur de son talent). Après avoir assisté à une présentation de Superbia, projet barré mais prometteur qui ne verra jamais le jour, elle félicite Jonathan mais lui conseille surtout de commencer à plancher sur son autre projet. « Parce que c’est ça, être un auteur. » Et d’ajouter : « Ecris sur ce que tu connais. » Ce sera donc Tick, Tick… Boom !, puis la révolution Rent, production inclusive et virevoltante qui fit entrer la comédie musicale dans le XXIsiècle. Il avait raison d’y croire.

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Le réalisateur Lin-Manuel Miranda (deuxième en partant de la droite, avec le bonnet bleu), avec l’acteur Andrew Garfield (au centre) et la directrice de la photographie, Alice Brooks (à droite), sur le tournage de « Tick, Tick… Boom ! ».

La sortie de Tick, Tick Boom !, premier long-métrage réalisé par Lin-Manuel Miranda, sur Netflix, a quelque chose de cruel. Déjà parce que, quitte à filmer une comédie musicale, autant qu’elle soit projetée sur grand écran et mise en son avec un peu plus de moyens qu’un haut-parleur de télévision. Ensuite parce que l’existence même du film de Miranda rappelle sans le vouloir à quel point le tribut payé au Covid-19 par le spectacle vivant et les salles de cinéma est lourd. Vu de notre canapé, Tick, Tick Boom ! a presque des allures de mémorial.

Le film est d’ailleurs une sorte de tombeau, celui de Jonathan Larson, musicien doué et bourré d’idées, grand admirateur du compositeur Stephen Sondheim et auteur de la très populaire comédie musicale Rent, créée à New York en 1996. Rent est le seul projet abouti de Larson, qui mourut subitement, peu avant la première représentation à Broadway de cette œuvre, à l’âge de 35 ans, et ne connut donc qu’un succès posthume. Le biopic que Lin-Manuel Miranda lui consacre est ainsi traversé de bout en bout par le sentiment d’urgence qui anima Larson tout au long de sa courte carrière, comme s’il avait intimement su qu’il ne vivrait pas vieux.

Le titre en forme d’avertissement est celui d’une œuvre achevée mais non produite de Larson – semi-autobiographique, le « musical » Tick, Tick Boom ! fut conçu comme un « seul en scène » avec orchestre racontant les années de galère d’un alter ego vaguement fictionnel de Larson. Le spectacle porte en lui les germes de Rent, qui transpose La Bohème, de Puccini, à New York, au plus fort de la pandémie de sida. Lin-Manuel Miranda, artiste multicasquette très en vue depuis l’immense succès de sa comédie musicale Hamilton (créée en 1995 « off Broadway ») sait évidemment tout ce qu’il doit à Larson. Cette dette fait de Tick, Tick Boom ! un film en forme de matriochka, dans lequel l’autobiographie répond au biopic, où les œuvres se répondent les unes les autres et où l’euphorie le dispute au mélodrame.

Art du découpage

La richesse du matériau ici travaillé rend d’autant plus surprenante la sobriété des moyens déployés par Miranda pour faire revivre l’homme et son époque. Refusant la tentation d’en appeler à la nostalgie des spectateurs, le réalisateur ne fait exister le New York du début des années 1990 que par touches – l’appartement bordélique de Jonathan, l’antique Mac sur lequel il écrit ses chansons, les faux « home movies » réalisés au caméscope… Il en va de même pour les scènes chantées, mises en scène avec une sobriété qui permet d’entendre toute la modernité des textes et musiques de Larson, et sublimées par un montage nerveux qui va et vient entre la scène, la vie, les époques, la réalité et la fiction. Miranda avait déjà brillamment mis à l’épreuve cet art du découpage dans Fosse/Verdon, minisérie sur le couple d’artistes éponymes dont il était le showrunneur.

Célébration du bouillonnement créatif et de l’intégrité artistique, Tick, Tick… Boom ! nécessitait des acteurs généreux, capables d’épargner au film le piège du nombrilisme. Dans la peau de Jonathan, Andrew Garfield en fait des tonnes – front plissé, grands yeux mouillés –, mais pas assez pour agacer. D’autant qu’autour de lui gravitent quelques personnages lumineux : Robin de Jesus dans le rôle de son meilleur ami, qui a délaissé sans regret ses rêves d’acteur pour embrasser une carrière de col blanc, Alexandra Shipp dans le rôle de la petite amie, elle aussi tentée de raccrocher ses chaussons de danse. A leur maturité, Jonathan oppose une fébrilité inquiète, la certitude que lui ne peut pas se permettre de renoncer. A l’aube de ses 30 ans, il continue donc à servir des burgers dans un diner pour payer le loyer (rent) de son studio minable rempli de « livres et de pièces de théâtre [qu’il] n’a pas écrites ».

La personne qui lui soufflera la clé de la réussite ne sera finalement pas Stephen Sondheim, mais son agent Rosa Stevens (Judith Light, dans un caméo à la hauteur de son talent). Après avoir assisté à une présentation de Superbia, projet barré mais prometteur qui ne verra jamais le jour, elle félicite Jonathan mais lui conseille surtout de commencer à plancher sur son autre projet. « Parce que c’est ça, être un auteur. » Et d’ajouter : « Ecris sur ce que tu connais. » Ce sera donc Tick, Tick… Boom !, puis la révolution Rent, production inclusive et virevoltante qui fit entrer la comédie musicale dans le XXIsiècle. Il avait raison d’y croire.

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