Peu de cinéastes donnent l’impression, comme Mikhaël Hers, d’être en quête de douceur, sans honte ni mièvrerie, sans besoin non plus de s’en justifier. Le monde s’en charge à sa place. En contrepoint de sa brutalité et de sa cruauté, toujours tapies à la porte de ses films, le réalisateur ne cesse de se retourner sur les paradis perdus, tâchant de réparer les blessures, de retisser sans relâche un cocon, de chercher un endroit, une formule, un mode de relation, dans lesquels les gens, pour changer, pourraient arriver enfin à se faire un peu de bien.
La survie – soit l’état constitutif de notre présence toujours blessée au monde – est le modus operandi de ses personnages. Une bande de trentenaires de l’Ouest parisien hésitant à s’arracher à leur jeunesse et à leurs amis (Memory Lane, 2010). Des personnages qui recomposent la carte des amitiés et des amours après la mort subite d’une de leurs proches fauchée en pleine jeunesse (Ce sentiment de l’été, 2015). Un attentat dans le bois de Vincennes laisse des survivants et des familles endeuillés en proie à leurs fantômes, en devoir, aussi bien, de poursuivre la vie sans eux (Amanda, 2018).
Les énervés, les agressifs, les gueulards sont donc ici priés de passer leur chemin. Mikhaël Hers est le cinéaste dans les films duquel le spectateur, harassé par cette guerre constante de tous contre tous que devient le monde contemporain, aime à s’abandonner. C’est au moins une heure et demie de gagnée sur l’adversité. Ce n’est pas rien. Voguer dans l’impressionnisme envoûtant de cette œuvre. Retenir le temps avec elle. Explorer la ville comme on le ferait d’un paysage intérieur. Laisser flotter les morts qui, indécis, nous accompagnent. Se faire à l’idée que quelque chose, toujours, manque, dont on ne connaîtrait jamais le nom. Saudade.
Catastrophe liminaire
Entrons, maintenant, dans ces doux Passagers de la nuit. Ici, comme souvent, une catastrophe liminaire. Sans nom précis. Sans visage. Quelque chose qui casse soudain, un manque abyssal contre lequel il va falloir soudain s’armer. De courage, de patience, de dignité, d’espoir. Une rupture, donc. Elisabeth (Charlotte Gainsbourg, dans un de ses meilleurs rôles), laissée seule avec deux adolescents, paumée, blessée, mais contrainte de devoir vite se relever.
Elisabeth trouve, un peu miraculeusement, un job à la Maison de la radio, dans une émission de nuit animée par Vanda Dorval (Emmanuelle Béart). Elle complète par un emploi de bibliothécaire, le jour. A la maison, les enfants grandissent. Judith, l’aînée, prend son envol, Mathias, le cadet, écrit de la poésie et connaît ses premiers émois amoureux. Une jolie brune, Talulah, fugueuse et intranquille, séduisante et dangereuse, est hébergée par la petite famille. Mathias n’y est pas insensible. Mais Talulah appartient à la nuit. Les trois jeunes vont voir Les Nuits de la pleine lune, d’Eric Rohmer, vibrant au diapason de leur jeunesse.
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Read AgainPeu de cinéastes donnent l’impression, comme Mikhaël Hers, d’être en quête de douceur, sans honte ni mièvrerie, sans besoin non plus de s’en justifier. Le monde s’en charge à sa place. En contrepoint de sa brutalité et de sa cruauté, toujours tapies à la porte de ses films, le réalisateur ne cesse de se retourner sur les paradis perdus, tâchant de réparer les blessures, de retisser sans relâche un cocon, de chercher un endroit, une formule, un mode de relation, dans lesquels les gens, pour changer, pourraient arriver enfin à se faire un peu de bien.
La survie – soit l’état constitutif de notre présence toujours blessée au monde – est le modus operandi de ses personnages. Une bande de trentenaires de l’Ouest parisien hésitant à s’arracher à leur jeunesse et à leurs amis (Memory Lane, 2010). Des personnages qui recomposent la carte des amitiés et des amours après la mort subite d’une de leurs proches fauchée en pleine jeunesse (Ce sentiment de l’été, 2015). Un attentat dans le bois de Vincennes laisse des survivants et des familles endeuillés en proie à leurs fantômes, en devoir, aussi bien, de poursuivre la vie sans eux (Amanda, 2018).
Les énervés, les agressifs, les gueulards sont donc ici priés de passer leur chemin. Mikhaël Hers est le cinéaste dans les films duquel le spectateur, harassé par cette guerre constante de tous contre tous que devient le monde contemporain, aime à s’abandonner. C’est au moins une heure et demie de gagnée sur l’adversité. Ce n’est pas rien. Voguer dans l’impressionnisme envoûtant de cette œuvre. Retenir le temps avec elle. Explorer la ville comme on le ferait d’un paysage intérieur. Laisser flotter les morts qui, indécis, nous accompagnent. Se faire à l’idée que quelque chose, toujours, manque, dont on ne connaîtrait jamais le nom. Saudade.
Catastrophe liminaire
Entrons, maintenant, dans ces doux Passagers de la nuit. Ici, comme souvent, une catastrophe liminaire. Sans nom précis. Sans visage. Quelque chose qui casse soudain, un manque abyssal contre lequel il va falloir soudain s’armer. De courage, de patience, de dignité, d’espoir. Une rupture, donc. Elisabeth (Charlotte Gainsbourg, dans un de ses meilleurs rôles), laissée seule avec deux adolescents, paumée, blessée, mais contrainte de devoir vite se relever.
Elisabeth trouve, un peu miraculeusement, un job à la Maison de la radio, dans une émission de nuit animée par Vanda Dorval (Emmanuelle Béart). Elle complète par un emploi de bibliothécaire, le jour. A la maison, les enfants grandissent. Judith, l’aînée, prend son envol, Mathias, le cadet, écrit de la poésie et connaît ses premiers émois amoureux. Une jolie brune, Talulah, fugueuse et intranquille, séduisante et dangereuse, est hébergée par la petite famille. Mathias n’y est pas insensible. Mais Talulah appartient à la nuit. Les trois jeunes vont voir Les Nuits de la pleine lune, d’Eric Rohmer, vibrant au diapason de leur jeunesse.
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