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Vesper Chronicles : critique du bijou apocalyptique de l'été - EcranLarge

L’APOCALYPSE DES ENFANTS PERDUS 

À même un sol boueux, les mains d’une silhouette frêle s’agitent et pressent de curieux tubercules. Difformes et spongieux, ils sont palpés, pressés, puis rejetés au loin, comme s’il n’y avait plus rien à tirer de ces fruits inconnus. Alors que la caméra s’éloigne de cette action qu’on devine fastidieuse, la silhouette se fait celle d’une enfant, le sol détrempé devient une rizière de fortune, tandis que se dessine derrière elle une vaste superstructure à l’abandon. Ce mouvement du particulier vers le général, du détail vers le tableau, c’est précisément ce qui fait, dès son introduction, la valeur de Vesper, et nous permet de retrouver quelques-unes des plus précieuses spécificités de la science-fiction. 

Les récits de science-fiction, sous l’impulsion d'exécutifs gourmands en franchises ambitieuses et au potentiel spectaculaire, auront rarement engendré autant d’attention de la part des studios américains. En apparence, puisque sous les ors des conflits stellaires et autres hochets issus du genre, la plupart des blockbusters contemporains se gardent bien d’explorer les thématiques ou terrains d’élection qui ont fait de la SF une typologie pionnière, confondant souvent densité et pyrotechnie.

Vesper Chronicles : photo, Raffiella ChapmanDes marais pas marrants

Conflits génériques, héros duplicables, enjeux tièdes et spectacle attendu... Ni la science ni la fiction ne se rencontrent plus guère au sein du cinéma américain. Et c’est cette ambition qui semble nourrir le film de Kristina Buozyte et Bruno Samper. Celle de renouer avec un imaginaire sans limites, conjugué à des protagonistes forts, et des inquiétudes viscérales quant à notre devenir commun. D’où la nécessité pour la caméra du long-métrage de nous donner à voir ses vastes concepts ou ses décors délirants, via les pupilles d’une toute jeune femme et de son père, devenu un précepteur biomécanique. L'immensément grand, l'intensément petit, et autant de possibilités en matière de jeux d’échelle. 

On ne saura pas grand-chose de la catastrophe qui a provoqué la quasi-disparition de l’espèce humaine, dont les derniers représentants se divisent entre survivants condamnés à récolter les maigres baies d’une nature mutante et quelques privilégiés reclus dans une cité à la technologie protectrice. Et jamais le scénario n’aura à expliciter ou caractériser trop avant les mécaniques de ce monde, puisque c’est à la narration visuelle d’assumer la charge de nous faire croire à cette vision à la fois naïve et cauchemardesque de notre futur. Et ce récit de nous pousser dessus, à la manière d’une vigne vierge retorse, dont aucun écueil ne parvient à entamer la vigueur. 

Vesper Chronicles : photo, Eddie Marsan

Un oncle qui met les mains dans le cambouis

SCIENCE-FRICTION 

Le cinéma européen, notamment français, ne manque pas d’histoires ambitieuses ni de volonté, fût-elle kamikaze, de mener à bien de grands projets. Le récent Dernier Voyage et son appétence pour la poésie cosmique en constituent un excellent exemple, tant la générosité du projet se heurtait parfois à des moyens plus que chiches. On est donc d’autant plus impressionnés par la réussite plastique de Vesper, que ce long-métrage franco-belgo-lituanien s’avère être une des propositions les plus spectaculaires vues sur grand écran ces dernières années, qui accomplit le tour de force de proposer une totale réinvention de notre monde. 

L’univers du film a vu la nature se métamorphoser suite à une impulsion humaine, jusqu’à devenir un ensemble végétal prédateur pour qui ne parvient pas à décoder ses habitus et appétits. Créations numériques, modèles réduits, incrustations, perspectives forcées, jeux sur la photographie et le son... les cinéastes déploient une inventivité de chaque plan pour nous raconter ce monde en pleine métamorphose. Et leur inventivité n’a d’égale que leur impeccable maîtrise technique. Difficile de trouver une seule image défaillante, un seul décor rabougri ou la moindre faute de goût, de diagnostic quant aux méthodes employées. 

Vesper Chronicles : photo

Un univers agonisant

Certes, on ne pulvérise pas ici de villes, pas plus qu’on ne bombarde de monstre alien baveux aux tentacules disproportionnés. Tout se fera dans la mesure, et dans la recherche de maximisation de chaque effet. Mais force est de constater que Vesper propose un enchantement d’orfèvrerie, de créativité et de cinéma tels que Marvel, Universal ou Warner se sont révélés bien incapables de les proposer ces dernières années.  

En témoigne la malice avec laquelle le film traite son climax. À l’évidence, le métrage ne peut aligner le budget qui autoriserait ses méchants de choc à débarquer fusil laser à la main, desquamant tout ce qui respire à la ronde. Qu’importe, Samper et Buozyte dotent leur trio de salopards d’un atour qui touchera les fans de l’Alien de Ridley Scott au cœur. Un concept simple, qui frappe immédiatement la rétine, et transforme trois figurants en tenue de commando en de redoutables hérauts de la mort, capable de redéfinir jusqu’à notre compréhension de la mythologie globale de l’oeuvre. 

Vesper Chronicles : photo

Jusque dans leurs moindres détails, les costumes interpellent

CLARTÉ VESPÉRALE 

Mais la réussite de Vesper n’est pas limitée à la splendeur de l’univers dépeint. Elle tient également à la rigueur de son écriture. Le projet ne peut pas se permettre d’élargir son intrigue au-delà d’une poignée de personnages, tout comme il doit s’efforcer de nous faire découvrir les codes de son monde par le biais d’un regard jeune, celui de son adolescente d’héroïne, pour être en mesure de tenir ses horizons thématiques et budgétaires. Et c’est logiquement de là que proviennent les rares limites de l’entreprise, condamnée à une narration “introductive”, dont les enjeux, s’ils sont brillamment exposés, demeurent relativement classiques. 

Vesper Chronicles : photo, Eddie Marsan

Les nounours d'hier seront les grizzlys de demain

Mais revenir aux fondamentaux de la quête initiatique, traverser auprès d’un personnage une première aventure, aux airs d’épopée introductive, n’est jamais problématique, tant l’écriture parvient à donner corps aux conflits qui animent les personnages. Et pour ce faire, les deux cinéastes se sont appuyés sur une distribution aussi intelligente qu’inattendue. Spécialiste des petites choses malmenées par leurs semblables, Eddie Marsan campe ici un oncle esclavagiste, abusif, qui a industrialisé la maltraitance à l’encontre de sa glauquissime descendance. Richard Brake pour sa part et en dépit de son curriculum de tueur en série sanguinaire, probablement consanguin, prête ses traits à un paternel rude, mais concerné, alité par un mal cruel. 

Cette opposition à rebrousse-poil de l’orientation traditionnelle de deux “character-actors” – connus pour leur propension à incarner certains stéréotypes – permet à Vesper de toujours trouver un équilibre au sein d'une architecture narrative qui pourrait sembler académique, mais attaque systématiquement le monde dépeint par des biais inattendus. Ne reste plus dès lors aux metteurs en scène qu’à soigner la caractérisation de leur personnage principal, joué avec intensité par la jeune Raffiella Chapman, et au spectateur d’apprécier que s’articule sous ses yeux une des propositions de science-fiction les plus originales et débordantes de savoir-faire découvertes ces dernières années. 

Vesper Chronicles : Affiche française

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L’APOCALYPSE DES ENFANTS PERDUS 

À même un sol boueux, les mains d’une silhouette frêle s’agitent et pressent de curieux tubercules. Difformes et spongieux, ils sont palpés, pressés, puis rejetés au loin, comme s’il n’y avait plus rien à tirer de ces fruits inconnus. Alors que la caméra s’éloigne de cette action qu’on devine fastidieuse, la silhouette se fait celle d’une enfant, le sol détrempé devient une rizière de fortune, tandis que se dessine derrière elle une vaste superstructure à l’abandon. Ce mouvement du particulier vers le général, du détail vers le tableau, c’est précisément ce qui fait, dès son introduction, la valeur de Vesper, et nous permet de retrouver quelques-unes des plus précieuses spécificités de la science-fiction. 

Les récits de science-fiction, sous l’impulsion d'exécutifs gourmands en franchises ambitieuses et au potentiel spectaculaire, auront rarement engendré autant d’attention de la part des studios américains. En apparence, puisque sous les ors des conflits stellaires et autres hochets issus du genre, la plupart des blockbusters contemporains se gardent bien d’explorer les thématiques ou terrains d’élection qui ont fait de la SF une typologie pionnière, confondant souvent densité et pyrotechnie.

Vesper Chronicles : photo, Raffiella ChapmanDes marais pas marrants

Conflits génériques, héros duplicables, enjeux tièdes et spectacle attendu... Ni la science ni la fiction ne se rencontrent plus guère au sein du cinéma américain. Et c’est cette ambition qui semble nourrir le film de Kristina Buozyte et Bruno Samper. Celle de renouer avec un imaginaire sans limites, conjugué à des protagonistes forts, et des inquiétudes viscérales quant à notre devenir commun. D’où la nécessité pour la caméra du long-métrage de nous donner à voir ses vastes concepts ou ses décors délirants, via les pupilles d’une toute jeune femme et de son père, devenu un précepteur biomécanique. L'immensément grand, l'intensément petit, et autant de possibilités en matière de jeux d’échelle. 

On ne saura pas grand-chose de la catastrophe qui a provoqué la quasi-disparition de l’espèce humaine, dont les derniers représentants se divisent entre survivants condamnés à récolter les maigres baies d’une nature mutante et quelques privilégiés reclus dans une cité à la technologie protectrice. Et jamais le scénario n’aura à expliciter ou caractériser trop avant les mécaniques de ce monde, puisque c’est à la narration visuelle d’assumer la charge de nous faire croire à cette vision à la fois naïve et cauchemardesque de notre futur. Et ce récit de nous pousser dessus, à la manière d’une vigne vierge retorse, dont aucun écueil ne parvient à entamer la vigueur. 

Vesper Chronicles : photo, Eddie Marsan

Un oncle qui met les mains dans le cambouis

SCIENCE-FRICTION 

Le cinéma européen, notamment français, ne manque pas d’histoires ambitieuses ni de volonté, fût-elle kamikaze, de mener à bien de grands projets. Le récent Dernier Voyage et son appétence pour la poésie cosmique en constituent un excellent exemple, tant la générosité du projet se heurtait parfois à des moyens plus que chiches. On est donc d’autant plus impressionnés par la réussite plastique de Vesper, que ce long-métrage franco-belgo-lituanien s’avère être une des propositions les plus spectaculaires vues sur grand écran ces dernières années, qui accomplit le tour de force de proposer une totale réinvention de notre monde. 

L’univers du film a vu la nature se métamorphoser suite à une impulsion humaine, jusqu’à devenir un ensemble végétal prédateur pour qui ne parvient pas à décoder ses habitus et appétits. Créations numériques, modèles réduits, incrustations, perspectives forcées, jeux sur la photographie et le son... les cinéastes déploient une inventivité de chaque plan pour nous raconter ce monde en pleine métamorphose. Et leur inventivité n’a d’égale que leur impeccable maîtrise technique. Difficile de trouver une seule image défaillante, un seul décor rabougri ou la moindre faute de goût, de diagnostic quant aux méthodes employées. 

Vesper Chronicles : photo

Un univers agonisant

Certes, on ne pulvérise pas ici de villes, pas plus qu’on ne bombarde de monstre alien baveux aux tentacules disproportionnés. Tout se fera dans la mesure, et dans la recherche de maximisation de chaque effet. Mais force est de constater que Vesper propose un enchantement d’orfèvrerie, de créativité et de cinéma tels que Marvel, Universal ou Warner se sont révélés bien incapables de les proposer ces dernières années.  

En témoigne la malice avec laquelle le film traite son climax. À l’évidence, le métrage ne peut aligner le budget qui autoriserait ses méchants de choc à débarquer fusil laser à la main, desquamant tout ce qui respire à la ronde. Qu’importe, Samper et Buozyte dotent leur trio de salopards d’un atour qui touchera les fans de l’Alien de Ridley Scott au cœur. Un concept simple, qui frappe immédiatement la rétine, et transforme trois figurants en tenue de commando en de redoutables hérauts de la mort, capable de redéfinir jusqu’à notre compréhension de la mythologie globale de l’oeuvre. 

Vesper Chronicles : photo

Jusque dans leurs moindres détails, les costumes interpellent

CLARTÉ VESPÉRALE 

Mais la réussite de Vesper n’est pas limitée à la splendeur de l’univers dépeint. Elle tient également à la rigueur de son écriture. Le projet ne peut pas se permettre d’élargir son intrigue au-delà d’une poignée de personnages, tout comme il doit s’efforcer de nous faire découvrir les codes de son monde par le biais d’un regard jeune, celui de son adolescente d’héroïne, pour être en mesure de tenir ses horizons thématiques et budgétaires. Et c’est logiquement de là que proviennent les rares limites de l’entreprise, condamnée à une narration “introductive”, dont les enjeux, s’ils sont brillamment exposés, demeurent relativement classiques. 

Vesper Chronicles : photo, Eddie Marsan

Les nounours d'hier seront les grizzlys de demain

Mais revenir aux fondamentaux de la quête initiatique, traverser auprès d’un personnage une première aventure, aux airs d’épopée introductive, n’est jamais problématique, tant l’écriture parvient à donner corps aux conflits qui animent les personnages. Et pour ce faire, les deux cinéastes se sont appuyés sur une distribution aussi intelligente qu’inattendue. Spécialiste des petites choses malmenées par leurs semblables, Eddie Marsan campe ici un oncle esclavagiste, abusif, qui a industrialisé la maltraitance à l’encontre de sa glauquissime descendance. Richard Brake pour sa part et en dépit de son curriculum de tueur en série sanguinaire, probablement consanguin, prête ses traits à un paternel rude, mais concerné, alité par un mal cruel. 

Cette opposition à rebrousse-poil de l’orientation traditionnelle de deux “character-actors” – connus pour leur propension à incarner certains stéréotypes – permet à Vesper de toujours trouver un équilibre au sein d'une architecture narrative qui pourrait sembler académique, mais attaque systématiquement le monde dépeint par des biais inattendus. Ne reste plus dès lors aux metteurs en scène qu’à soigner la caractérisation de leur personnage principal, joué avec intensité par la jeune Raffiella Chapman, et au spectateur d’apprécier que s’articule sous ses yeux une des propositions de science-fiction les plus originales et débordantes de savoir-faire découvertes ces dernières années. 

Vesper Chronicles : Affiche française

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