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“Impunité”, le livre coup de poing d'Hélène Devynck sur l'affaire Patrick Poivre d'Arvor - Télérama.fr

La journaliste publie ce 23 septembre un ouvrage sur le combat des femmes victimes des viols et agressions sexuelles qu’aurait commis PPDA. Un récit qui ausculte les mécanismes de libération de la parole et met en question le système judiciaire.

« Nous, les violées, formons un sous-groupe, le petit peuple de la honte. On voudrait bien qu’elle change de camp. » Les mots d’Hélène Devynck claquent en continu, au fil des 272 pages d’un livre coup de poing, lesté de tant de souffrance. Si, de « l’affaire PPDA », on savait déjà beaucoup, au gré des enquêtes journalistiques publiées depuis un an et demi et des instructions judiciaires (toujours en cours), lire Impunité fait l’effet d’une gifle. Une gifle comme celle reçue par la journaliste et la vingtaine d’autres femmes ayant dénoncé des viols, des agressions sexuelles et des harcèlements, quand, en juin 2021, la justice leur annonce le classement sans suite de leurs plaintes, pour prescription. « Nos récits ont compté pour du beurre. Ils ont fini à la poubelle […]. Nous étions sorties du silence pour y être renvoyées », écrit Hélène Devynck.

En prenant la plume, l’ex-femme d’Emmanuel Carrère riposte, pour elle-même et pour ses « sœurs de misère », qui l’ont autorisée à coucher noir sur blanc ce qu’elles auraient subi, tour à tour, de 1981 à 2016, et que PPDA, présumé innocent, conteste fermement – les avocats de l’ex-star de TF1, qui ont toujours évoqué des « dénonciations calomnieuses », les ont attaquées en diffamation. Hélène Devynck livre ainsi, d’une écriture tranchée où la colère et la douleur se mêlent, son récit de l’histoire pour « diriger l’objectif de la caméra vers nous », et non vers celui qui « a toute l’impunité du monde de son côté ». « On veut toutes la même chose : empêcher le système qui nous a coincées de continuer à en coincer d’autres », clame-t-elle, avant de donner à voir, par de courts chapitres percutants – et accablants pour PPDA – et de nombreux portraits, une même mécanique s’esquisser, qu’elle qualifie de « système criminel » : « nous avons toutes été agressées par le même homme et toujours de la même façon ».

“Le viol n’existe que grâce au silence qu’il impose”

Dans ses mots, la sidération, la stupeur, la honte, les traumatismes prennent corps. Rarement, depuis l’affaire Harvey Weinstein aux État-Unis, qui déclencha en 2017 la vague #MeToo, un livre avait si finement détaillé les mécanismes de libération de la parole. Car ces femmes, longtemps, se sont tues. « Le viol n’existe que grâce au silence qu’il impose », glisse Hélène Devynck. À propos de celui qu’elle a subi, en 1993, au domicile du journaliste vedette, l’autrice confie : « J’ai fait comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la dévastation pouvait être enfermée dans un sarcophage bien scellé. » Elle le répète à plusieurs reprises : « Savoir de soi qu’on est capable de cette soumission-là est une douleur persistante. »

Elle raconte les chemins escarpés qu’il a fallu emprunter, d’abord seule, puis collectivement, pour lever la chape de plomb. Le lecteur assiste alors, comme en direct, à la déflagration médiatique de l’affaire, et suit, en coulisses, comment ces femmes, qui ne se connaissaient pas et se sont unies, ont choisi de confier leur parole au Monde, puis à Libération, avant de se confronter ensemble aux projecteurs d’un plateau télé. Ou comment, en mars dernier, l’interview de PPDA à Quotidien, le talk-show de Yann Barthès sur TMC, a provoqué « un afflux de témoignages chez les enquêteurs ».

Récquisitoire puisssant

Dans cet ouvrage dense, où transpirent la soif de justice et le besoin de réparation, les récits de victimes se superposent à des réflexions sur la définition du viol, l’emprise, notre système judiciaire, l’abus de pouvoir, le patriarcat. C’est clinique, ciselé, avec, en toile de fond, une introspection sur les ressorts du silence trop longtemps gardé. « Parler, à l’époque, c’était le suicide professionnel et personnel garanti […]. Parler, c’était la certitude de passer pour une hystérique demi-pute qui veut se faire mousser », soutient-elle, dépeignant le décor : l’imposante tour TF1, siège de cette chaîne si puissante où la directrice d’une école de journalisme a veillé, pendant dix ans, à ne pas envoyer d’étudiantes en stage. « Comme si TF1 n’avait pas armé notre agresseur, lui offrant le cadre, le statut, les moyens qu’il a utilisés pour nous violer, charge Hélène Devynck. Effacer les violences sexuelles du tableau général de l’entreprise a été leur préoccupation majeure. »

« Une grande partie de la rédaction de TF1 a été aveuglée par la présomption de consentement », accuse-t-elle encore. Consentement. Le terme-titre du livre de Vanessa Springora, en 2020, fait également ici l’objet d’une réflexion particulière. « La présomption de consentement est si fortement inscrite dans l’imaginaire collectif qu’elle n’a pas besoin de figurer dans la loi. C’est aux victimes de faire la preuve qu’elles n’étaient pas consentantes », déplore Hélène Devynck. Qui, avec ce réquisitoire puissant, relance l’affaire la plus retentissante en France depuis l’émergence du mouvement #MeToo.


À lire
Impunité, d’Hélène Devynck, éd. Seuil, 272 p., 19 € (en librairie le 23 septembre).

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La journaliste publie ce 23 septembre un ouvrage sur le combat des femmes victimes des viols et agressions sexuelles qu’aurait commis PPDA. Un récit qui ausculte les mécanismes de libération de la parole et met en question le système judiciaire.

« Nous, les violées, formons un sous-groupe, le petit peuple de la honte. On voudrait bien qu’elle change de camp. » Les mots d’Hélène Devynck claquent en continu, au fil des 272 pages d’un livre coup de poing, lesté de tant de souffrance. Si, de « l’affaire PPDA », on savait déjà beaucoup, au gré des enquêtes journalistiques publiées depuis un an et demi et des instructions judiciaires (toujours en cours), lire Impunité fait l’effet d’une gifle. Une gifle comme celle reçue par la journaliste et la vingtaine d’autres femmes ayant dénoncé des viols, des agressions sexuelles et des harcèlements, quand, en juin 2021, la justice leur annonce le classement sans suite de leurs plaintes, pour prescription. « Nos récits ont compté pour du beurre. Ils ont fini à la poubelle […]. Nous étions sorties du silence pour y être renvoyées », écrit Hélène Devynck.

En prenant la plume, l’ex-femme d’Emmanuel Carrère riposte, pour elle-même et pour ses « sœurs de misère », qui l’ont autorisée à coucher noir sur blanc ce qu’elles auraient subi, tour à tour, de 1981 à 2016, et que PPDA, présumé innocent, conteste fermement – les avocats de l’ex-star de TF1, qui ont toujours évoqué des « dénonciations calomnieuses », les ont attaquées en diffamation. Hélène Devynck livre ainsi, d’une écriture tranchée où la colère et la douleur se mêlent, son récit de l’histoire pour « diriger l’objectif de la caméra vers nous », et non vers celui qui « a toute l’impunité du monde de son côté ». « On veut toutes la même chose : empêcher le système qui nous a coincées de continuer à en coincer d’autres », clame-t-elle, avant de donner à voir, par de courts chapitres percutants – et accablants pour PPDA – et de nombreux portraits, une même mécanique s’esquisser, qu’elle qualifie de « système criminel » : « nous avons toutes été agressées par le même homme et toujours de la même façon ».

“Le viol n’existe que grâce au silence qu’il impose”

Dans ses mots, la sidération, la stupeur, la honte, les traumatismes prennent corps. Rarement, depuis l’affaire Harvey Weinstein aux État-Unis, qui déclencha en 2017 la vague #MeToo, un livre avait si finement détaillé les mécanismes de libération de la parole. Car ces femmes, longtemps, se sont tues. « Le viol n’existe que grâce au silence qu’il impose », glisse Hélène Devynck. À propos de celui qu’elle a subi, en 1993, au domicile du journaliste vedette, l’autrice confie : « J’ai fait comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la dévastation pouvait être enfermée dans un sarcophage bien scellé. » Elle le répète à plusieurs reprises : « Savoir de soi qu’on est capable de cette soumission-là est une douleur persistante. »

Elle raconte les chemins escarpés qu’il a fallu emprunter, d’abord seule, puis collectivement, pour lever la chape de plomb. Le lecteur assiste alors, comme en direct, à la déflagration médiatique de l’affaire, et suit, en coulisses, comment ces femmes, qui ne se connaissaient pas et se sont unies, ont choisi de confier leur parole au Monde, puis à Libération, avant de se confronter ensemble aux projecteurs d’un plateau télé. Ou comment, en mars dernier, l’interview de PPDA à Quotidien, le talk-show de Yann Barthès sur TMC, a provoqué « un afflux de témoignages chez les enquêteurs ».

Récquisitoire puisssant

Dans cet ouvrage dense, où transpirent la soif de justice et le besoin de réparation, les récits de victimes se superposent à des réflexions sur la définition du viol, l’emprise, notre système judiciaire, l’abus de pouvoir, le patriarcat. C’est clinique, ciselé, avec, en toile de fond, une introspection sur les ressorts du silence trop longtemps gardé. « Parler, à l’époque, c’était le suicide professionnel et personnel garanti […]. Parler, c’était la certitude de passer pour une hystérique demi-pute qui veut se faire mousser », soutient-elle, dépeignant le décor : l’imposante tour TF1, siège de cette chaîne si puissante où la directrice d’une école de journalisme a veillé, pendant dix ans, à ne pas envoyer d’étudiantes en stage. « Comme si TF1 n’avait pas armé notre agresseur, lui offrant le cadre, le statut, les moyens qu’il a utilisés pour nous violer, charge Hélène Devynck. Effacer les violences sexuelles du tableau général de l’entreprise a été leur préoccupation majeure. »

« Une grande partie de la rédaction de TF1 a été aveuglée par la présomption de consentement », accuse-t-elle encore. Consentement. Le terme-titre du livre de Vanessa Springora, en 2020, fait également ici l’objet d’une réflexion particulière. « La présomption de consentement est si fortement inscrite dans l’imaginaire collectif qu’elle n’a pas besoin de figurer dans la loi. C’est aux victimes de faire la preuve qu’elles n’étaient pas consentantes », déplore Hélène Devynck. Qui, avec ce réquisitoire puissant, relance l’affaire la plus retentissante en France depuis l’émergence du mouvement #MeToo.


À lire
Impunité, d’Hélène Devynck, éd. Seuil, 272 p., 19 € (en librairie le 23 septembre).

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