Rewind and Play, d’Alain Gomis, est un documentaire qui n’était pas prévu au programme, et c’est parfois dans ces moments de hasard que s’inventent les récits les plus inattendus. Le réalisateur franco-sénégalais (Félicité, 2017) prépare depuis un certain temps une fiction sur le grand pianiste de jazz américain Thelonious Monk (1917-1982). Pour étayer leur recherche, lui et son documentariste, Olivier Rignault, sollicitent des documents d’archives auprès de l’Institut national de l’audiovisuel.
Parmi les images envoyées, figure l’émission télévisée « Jazz portrait », réalisée en 1969. Mais, surprise, sont ajoutés des rushs d’une durée de deux heures, sorte de bout à bout de l’émission. Celle-ci est animée par le pianiste de jazz Henri Renaud (1925-2002) : admirateur sincère de Monk, pianiste noir qui a été longtemps minoré avant de connaître le succès à la fin des années 1950, il se montre pourtant maladroit avec son invité. Des clichés s’accumulent qui finissent par mettre mal à l’aise.
En remaniant ces rushs dans un long-métrage resserré et nerveux (1 h 05), installant une certaine tension, Alain Gomis redonne un espace à Thelonious Monk en montrant comment celui-ci tente de résister à son interlocuteur. Le film s’ouvre sur l’arrivée du pianiste et de sa femme, Nellie, à Paris, le 15 décembre 1969, en vue d’un concert à la Salle Pleyel. Cela fait une dizaine d’années que Monk enchaîne les tournées. Il est plutôt réservé, tire sur sa cigarette…
« Je ne comprends pas votre question »
Le montage montre la fabrique de l’entretien, dans un studio d’enregistrement de Montmartre : alors que Monk joue Crepuscule with Nellie (1957), Henri Renaud, qui a côtoyé le couple en 1954, à New York, demande à Monk de dire quelque chose sur Nellie. « Elle est ma femme et la mère de mes enfants », se contente de répondre le pianiste, un peu surpris. Vient ensuite la grande affaire : à l’époque où les Monk vivaient dans un appartement exigu à New York, seule la cuisine était spacieuse, et c’est à cet endroit que fut installé le piano ! Monk confirme, sans en rajouter. Sa force est dans cette retenue, mais sous les lampes du studio, la sueur commence à perler sur son front.
Puis Henri Renaud évoque le premier concert que Monk donna à Paris, en 1954, Salle Pleyel. Sans doute sa musique était-elle trop avant-gardiste pour le public français, suggère-t-il. « Je ne comprends pas votre question », rétorque Monk, rappelant qu’il faisait la « une » d’un magazine de jazz annonçant le concert. En revanche, il n’avait pas de musiciens pour l’accompagner sur scène, déplore-t-il. « Finalement, j’ai eu des gars pour jouer avec moi et j’ai été le moins bien payé de tous. Voilà ce qui s’est passé. »
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Read AgainRewind and Play, d’Alain Gomis, est un documentaire qui n’était pas prévu au programme, et c’est parfois dans ces moments de hasard que s’inventent les récits les plus inattendus. Le réalisateur franco-sénégalais (Félicité, 2017) prépare depuis un certain temps une fiction sur le grand pianiste de jazz américain Thelonious Monk (1917-1982). Pour étayer leur recherche, lui et son documentariste, Olivier Rignault, sollicitent des documents d’archives auprès de l’Institut national de l’audiovisuel.
Parmi les images envoyées, figure l’émission télévisée « Jazz portrait », réalisée en 1969. Mais, surprise, sont ajoutés des rushs d’une durée de deux heures, sorte de bout à bout de l’émission. Celle-ci est animée par le pianiste de jazz Henri Renaud (1925-2002) : admirateur sincère de Monk, pianiste noir qui a été longtemps minoré avant de connaître le succès à la fin des années 1950, il se montre pourtant maladroit avec son invité. Des clichés s’accumulent qui finissent par mettre mal à l’aise.
En remaniant ces rushs dans un long-métrage resserré et nerveux (1 h 05), installant une certaine tension, Alain Gomis redonne un espace à Thelonious Monk en montrant comment celui-ci tente de résister à son interlocuteur. Le film s’ouvre sur l’arrivée du pianiste et de sa femme, Nellie, à Paris, le 15 décembre 1969, en vue d’un concert à la Salle Pleyel. Cela fait une dizaine d’années que Monk enchaîne les tournées. Il est plutôt réservé, tire sur sa cigarette…
« Je ne comprends pas votre question »
Le montage montre la fabrique de l’entretien, dans un studio d’enregistrement de Montmartre : alors que Monk joue Crepuscule with Nellie (1957), Henri Renaud, qui a côtoyé le couple en 1954, à New York, demande à Monk de dire quelque chose sur Nellie. « Elle est ma femme et la mère de mes enfants », se contente de répondre le pianiste, un peu surpris. Vient ensuite la grande affaire : à l’époque où les Monk vivaient dans un appartement exigu à New York, seule la cuisine était spacieuse, et c’est à cet endroit que fut installé le piano ! Monk confirme, sans en rajouter. Sa force est dans cette retenue, mais sous les lampes du studio, la sueur commence à perler sur son front.
Puis Henri Renaud évoque le premier concert que Monk donna à Paris, en 1954, Salle Pleyel. Sans doute sa musique était-elle trop avant-gardiste pour le public français, suggère-t-il. « Je ne comprends pas votre question », rétorque Monk, rappelant qu’il faisait la « une » d’un magazine de jazz annonçant le concert. En revanche, il n’avait pas de musiciens pour l’accompagner sur scène, déplore-t-il. « Finalement, j’ai eu des gars pour jouer avec moi et j’ai été le moins bien payé de tous. Voilà ce qui s’est passé. »
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