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Avignon : record de fréquentation historique au festival Off - Télérama.fr

Il se prolonge encore jusqu’à samedi. Le Off révèle pourtant son bilan dès aujourd’hui : il est exceptionnel ! Signe de l’appétence du public pour le théâtre, de la qualité des spectacles, mais aussi des difficultés de la filière.

Près de 2 millions de billets ont été vendus au festival Off, qui présentait cette année 1 491 spectacles dont « La Saga de Molière », des Estivants et Julien Gatto.

Près de 2 millions de billets ont été vendus au festival Off, qui présentait cette année 1 491 spectacles dont « La Saga de Molière », des Estivants et Julien Gatto. Photo Julien Gatto

Par Fabienne Pascaud

Publié le 26 juillet 2023 à 09h37

Mis à jour le 26 juillet 2023 à 12h36

Jamais encore on n’avait vu ça, connu ça, vécu ça, depuis la création du festival Off d’Avignon en 1966 par André Benedetto, poète dissident et opposé à Maître Vilar. 1 955 000 billets vendus, soit 26 920 350 euros de recettes de billetterie ! Même en 2019, avant que la pandémie ne ferme ou vide les salles, la vente des billets du Off n’avait rapporté que 12 millions. Que s’est-il donc passé pour provoquer si spectaculaire essor, alors que le Off compte cent spectacles de moins qu’en 2022 ? 1 491 quand même… dont 466 créations, le tout joué par 1 395 compagnies dans quelque 141 lieux, dont beaucoup ont plusieurs salles. Le festival In, que dirige Tiago Rodrigues, en dispose quant à lui d’à peine 20, pour ses 44 spectacles dont 32 créations. Comment rivaliser ? Même quand la jauge de la Cour d’honneur est de 1 947 spectateurs, celle de la carrière de Boulbon enfin rouverte de 1 200, et l’Opéra Grand Avignon de 840… Pas étonnant que le In n’ait vendu « que » 114 600 billets. Excellent chiffre pourtant, puisqu’il n’en propose que 121 600… Soit un remplissage des salles à 94 %. Le Off, lui, en offre 3 300 000 et n’obtient donc qu’un remplissage à 61 % ; mais il était de 51 % en 2019… Sacré chiffre ! Même sur une durée un peu plus longue que le In (du 5 au 25 juillet), puisque les spectacles s’y déroulent du 7 au 29 juillet.

On avait bien pressenti ce record à voir dans les rues, devant les salles, ces longues files de spectateurs en short ou robes longues légères multicolores, capables d’attendre sagement plus d’une heure sous des températures de 39 °C. Et toujours frémissants d’impatience et de curiosité derrière leurs éventails et sous leur chapeau de paille. C’est là, dans ces files attentives et étrangement conviviales – tous des « fanas d’art drama » qui font leur pèlerinage estival –, que se joue beaucoup le miracle du Off et de la fervente communauté théâtrale si spéciale du Festival d’Avignon. Car les spectateurs se parlent, échangent leurs coups de cœur, leurs coups de gueule, rient ensemble, débattent, et le bouche-à-oreille fait son travail, remplit les salles. Le tractage des comédiens dans les rues est aussi très efficace ; et jusqu’au bout des représentations cette phrase sacrée quand s’achève le spectacle, même plein : « Si vous avez aimé notre travail, merci de le faire savoir autour de vous. Et de ne rien dire si vous n’avez pas aimé… » Les spectateurs raffolent de cette proximité avec des artistes qui leur parlent si simplement, familièrement, qu’ils comprennent. Ils apprécient aussi les propositions théâtrales plus accessibles qu’on leur fait dans ces salles, plus drôles ou d’un répertoire plus classique qui les rassure et ne les perd pas.

Les moyens des collectivités locales ont terriblement baissé, elles peuvent moins financer les jeunes compagnies qui tentent leur dernière chance en venant ici.

Harold David, coprésident du Off

« Tous les directeurs de lieu ont ressenti un besoin d’émotion et de partage, confirme Harold David, coprésident du festival Off avec Laurent Domingos. Les spectateurs ont envie d’être connectés les uns les autres dans l’instant présent. Peut-être après l’expérience trop solitaire de la pandémie… Avec l’inflation, beaucoup ont aussi choisi de passer leurs vacances en France, et les spectacles du Off restent bon marché : 19,50 euros en moyenne et 13,50 euros dès que vous achetez la carte Off (19 euros). Et puis, le Off a gagné en image. Il n’est plus synonyme d’œuvres divertissantes et commerciales comme autrefois, il est monté en exigence et en qualité. Nombre de directeurs de lieu y veillent, qui programment aussi de jeunes compagnies subventionnées par l’État, telles Le Train bleu, le 11, La Manufacture, le Théâtre des Halles, La Factory. L’arrivée de La Scala, l’an passé, et son formidable succès ont aussi créé parmi nous une belle émulation. Des compagnies, des comédiens, des metteurs en scène qui pour rien au monde, hier, seraient venues dans le Off, s’y précipitent désormais. »

Ainsi a-t-on pu y voir le brillant ex-patron du Théâtre national de Strasbourg et formidable comédien Stanislas Nordey ou l’acteur Jacques Weber, et nombre de jeunes troupes passionnantes dont nous vous avons fait tout au long du Festival la sélection, en en oubliant beaucoup trop, c’est vrai, que nous n’avons pas pu voir ; ou trop tard. Tel le bouleversant, renversant monologue écrit et mis en scène par Céline Delbecq sur une mère alcoolique et handicapée mentale du nord de la France, incarnée par la poignante Ingrid Heiderscheidt, À cheval sur le dos des oiseaux, jusqu’au 26 juillet aux Halles.

Pourquoi ce revirement des jeunes compagnies émergentes et ambitieuses jusqu’alors un peu dédaigneuses ? Parce que le Off est aussi devenu le grand marché des programmateurs de toute la France, là où ils viennent repérer les spectacles qui alimenteront leurs salles durant l’année. Plus besoin pour eux de supputer d’éventuelles et problématiques créations à produire sans même connaître le résultat : ici pas de surprises, ils achètent (entre 1 500 et 15 000 euros la représentation) les spectacles qu’ils voient clé en main, déjà faits, déjà produits vaille que vaille. Pas de soucis. Et finalement moins de frais. Si la formule n’aide sans doute guère les projets ambitieux de créateurs qui ont besoin de temps, de moyens et – dégâts collatéraux – laissent donc plus facilement sur la route nombre d’entre eux, elle arrange considérablement les diffuseurs des collectivités locales, les programmateurs institutionnels de l’Hexagone. Ils ont été 2 507 professionnels à courir le Off cet été ; dont 553 journalistes.

« Le Off est devenu la caisse de résonance de notre métier, poursuit Harold David. Il témoigne des difficultés de notre filière en matière de diffusion. Il existe un tel décalage entre l’offre pléthorique de spectacles et la capacité du marché à les promouvoir ! Les moyens des collectivités locales ont terriblement baissé, elles peuvent moins financer les jeunes compagnies qui tentent leur dernière chance en venant jouer leur création ici. Le Off Avignon leur permet d’avoir une chance de réaliser une tournée… »

Alors l’objectif 2024 est-il de s’agrandir encore, avec plus de salles encore ? « Plutôt de remplir nos salles actuelles à 100 %. Mais je crains que les demandes des compagnies ne cessent d’augmenter. Notre beau succès est hélas le miroir de la crise que traverse le théâtre en France. »

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Il se prolonge encore jusqu’à samedi. Le Off révèle pourtant son bilan dès aujourd’hui : il est exceptionnel ! Signe de l’appétence du public pour le théâtre, de la qualité des spectacles, mais aussi des difficultés de la filière.

Près de 2 millions de billets ont été vendus au festival Off, qui présentait cette année 1 491 spectacles dont « La Saga de Molière », des Estivants et Julien Gatto.

Près de 2 millions de billets ont été vendus au festival Off, qui présentait cette année 1 491 spectacles dont « La Saga de Molière », des Estivants et Julien Gatto. Photo Julien Gatto

Par Fabienne Pascaud

Publié le 26 juillet 2023 à 09h37

Mis à jour le 26 juillet 2023 à 12h36

Jamais encore on n’avait vu ça, connu ça, vécu ça, depuis la création du festival Off d’Avignon en 1966 par André Benedetto, poète dissident et opposé à Maître Vilar. 1 955 000 billets vendus, soit 26 920 350 euros de recettes de billetterie ! Même en 2019, avant que la pandémie ne ferme ou vide les salles, la vente des billets du Off n’avait rapporté que 12 millions. Que s’est-il donc passé pour provoquer si spectaculaire essor, alors que le Off compte cent spectacles de moins qu’en 2022 ? 1 491 quand même… dont 466 créations, le tout joué par 1 395 compagnies dans quelque 141 lieux, dont beaucoup ont plusieurs salles. Le festival In, que dirige Tiago Rodrigues, en dispose quant à lui d’à peine 20, pour ses 44 spectacles dont 32 créations. Comment rivaliser ? Même quand la jauge de la Cour d’honneur est de 1 947 spectateurs, celle de la carrière de Boulbon enfin rouverte de 1 200, et l’Opéra Grand Avignon de 840… Pas étonnant que le In n’ait vendu « que » 114 600 billets. Excellent chiffre pourtant, puisqu’il n’en propose que 121 600… Soit un remplissage des salles à 94 %. Le Off, lui, en offre 3 300 000 et n’obtient donc qu’un remplissage à 61 % ; mais il était de 51 % en 2019… Sacré chiffre ! Même sur une durée un peu plus longue que le In (du 5 au 25 juillet), puisque les spectacles s’y déroulent du 7 au 29 juillet.

On avait bien pressenti ce record à voir dans les rues, devant les salles, ces longues files de spectateurs en short ou robes longues légères multicolores, capables d’attendre sagement plus d’une heure sous des températures de 39 °C. Et toujours frémissants d’impatience et de curiosité derrière leurs éventails et sous leur chapeau de paille. C’est là, dans ces files attentives et étrangement conviviales – tous des « fanas d’art drama » qui font leur pèlerinage estival –, que se joue beaucoup le miracle du Off et de la fervente communauté théâtrale si spéciale du Festival d’Avignon. Car les spectateurs se parlent, échangent leurs coups de cœur, leurs coups de gueule, rient ensemble, débattent, et le bouche-à-oreille fait son travail, remplit les salles. Le tractage des comédiens dans les rues est aussi très efficace ; et jusqu’au bout des représentations cette phrase sacrée quand s’achève le spectacle, même plein : « Si vous avez aimé notre travail, merci de le faire savoir autour de vous. Et de ne rien dire si vous n’avez pas aimé… » Les spectateurs raffolent de cette proximité avec des artistes qui leur parlent si simplement, familièrement, qu’ils comprennent. Ils apprécient aussi les propositions théâtrales plus accessibles qu’on leur fait dans ces salles, plus drôles ou d’un répertoire plus classique qui les rassure et ne les perd pas.

Les moyens des collectivités locales ont terriblement baissé, elles peuvent moins financer les jeunes compagnies qui tentent leur dernière chance en venant ici.

Harold David, coprésident du Off

« Tous les directeurs de lieu ont ressenti un besoin d’émotion et de partage, confirme Harold David, coprésident du festival Off avec Laurent Domingos. Les spectateurs ont envie d’être connectés les uns les autres dans l’instant présent. Peut-être après l’expérience trop solitaire de la pandémie… Avec l’inflation, beaucoup ont aussi choisi de passer leurs vacances en France, et les spectacles du Off restent bon marché : 19,50 euros en moyenne et 13,50 euros dès que vous achetez la carte Off (19 euros). Et puis, le Off a gagné en image. Il n’est plus synonyme d’œuvres divertissantes et commerciales comme autrefois, il est monté en exigence et en qualité. Nombre de directeurs de lieu y veillent, qui programment aussi de jeunes compagnies subventionnées par l’État, telles Le Train bleu, le 11, La Manufacture, le Théâtre des Halles, La Factory. L’arrivée de La Scala, l’an passé, et son formidable succès ont aussi créé parmi nous une belle émulation. Des compagnies, des comédiens, des metteurs en scène qui pour rien au monde, hier, seraient venues dans le Off, s’y précipitent désormais. »

Ainsi a-t-on pu y voir le brillant ex-patron du Théâtre national de Strasbourg et formidable comédien Stanislas Nordey ou l’acteur Jacques Weber, et nombre de jeunes troupes passionnantes dont nous vous avons fait tout au long du Festival la sélection, en en oubliant beaucoup trop, c’est vrai, que nous n’avons pas pu voir ; ou trop tard. Tel le bouleversant, renversant monologue écrit et mis en scène par Céline Delbecq sur une mère alcoolique et handicapée mentale du nord de la France, incarnée par la poignante Ingrid Heiderscheidt, À cheval sur le dos des oiseaux, jusqu’au 26 juillet aux Halles.

Pourquoi ce revirement des jeunes compagnies émergentes et ambitieuses jusqu’alors un peu dédaigneuses ? Parce que le Off est aussi devenu le grand marché des programmateurs de toute la France, là où ils viennent repérer les spectacles qui alimenteront leurs salles durant l’année. Plus besoin pour eux de supputer d’éventuelles et problématiques créations à produire sans même connaître le résultat : ici pas de surprises, ils achètent (entre 1 500 et 15 000 euros la représentation) les spectacles qu’ils voient clé en main, déjà faits, déjà produits vaille que vaille. Pas de soucis. Et finalement moins de frais. Si la formule n’aide sans doute guère les projets ambitieux de créateurs qui ont besoin de temps, de moyens et – dégâts collatéraux – laissent donc plus facilement sur la route nombre d’entre eux, elle arrange considérablement les diffuseurs des collectivités locales, les programmateurs institutionnels de l’Hexagone. Ils ont été 2 507 professionnels à courir le Off cet été ; dont 553 journalistes.

« Le Off est devenu la caisse de résonance de notre métier, poursuit Harold David. Il témoigne des difficultés de notre filière en matière de diffusion. Il existe un tel décalage entre l’offre pléthorique de spectacles et la capacité du marché à les promouvoir ! Les moyens des collectivités locales ont terriblement baissé, elles peuvent moins financer les jeunes compagnies qui tentent leur dernière chance en venant jouer leur création ici. Le Off Avignon leur permet d’avoir une chance de réaliser une tournée… »

Alors l’objectif 2024 est-il de s’agrandir encore, avec plus de salles encore ? « Plutôt de remplir nos salles actuelles à 100 %. Mais je crains que les demandes des compagnies ne cessent d’augmenter. Notre beau succès est hélas le miroir de la crise que traverse le théâtre en France. »

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