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RÉCIT. Il y a vingt ans, Marie Trintignant victime d'un féminicide qui ne disait encore pas son nom - Ouest-France

Un triste anniversaire. Dans une France plongée dans la canicule, Marie Trintignant trouve la mort le 1er août 2003, six jours après avoir été frappée par son compagnon de l’époque et chanteur Bertrand Cantat. Tout commence le 26 juillet 2003, il y a plus de vingt ans.

Loin de la France, Marie Trintignant a le premier rôle d’un téléfilm sur la vie de la femme de lettres Colette, un téléfilm réalisé par sa mère, Nadine Trintignant, en Lituanie. Après plusieurs semaines de travail, l’équipe de tournage s’apprête à finir les plans et comme chaque soir, l’actrice retrouve son compagnon de l’époque, le chanteur Bertrand Cantat, avec qui elle est depuis plusieurs mois. Cette nuit-là, du 26 au 27 juillet 2003, le couple passe la soirée avec un technicien du film, avant de rentrer à leur hôtel Domina Plaza, un luxueux établissement de la capitale. Puis, une dispute éclate : des insultes fusent et les deux partenaires s’empoignent.

Lire aussi : ENQUÊTE. Un an de féminicides : neuf graphiques pour comprendre ce fait de société

L’appel aux secours des heures après

Quelques heures plus tard, une ambulance viendra chercher le corps de Marie Trintignant, plongée dans le coma. Qu’a-t-il bien pu se passer dans la chambre ? Le chanteur bordelais de Noir Désir évoque une dispute, des gifles, un accident. Et le récit de la soirée se précise.

Vers 5 h 30, le matin, il demande au frère de l’actrice et assistant réalisateur du téléfilm de venir. « Il m’a dit […] qu’il s’était disputé avec Marie, qu’il l’avait bousculée et qu’il lui avait mis une gifle, qu’elle allait peut-être avoir un œil au beurre noir », résumera Vincent Trintignant au tribunal qui, après une heure de discussion, passe voir sa sœur dans sa chambre.

En soulevant la serviette du visage de l’actrice, il la découvre inconsciente. Du sang coule de sa bouche. « C’était loin d’être un simple cocard », se rappelle-t-il à la barre. À sa demande, la veilleuse de nuit appelle les secours. Il est 7 h 16, des heures après les coups.

L’actrice est opérée pour juguler une hémorragie cérébrale. Elle subira une seconde opération le 29 juillet avant d’être rapatriée en France deux jours plus tard. Elle ne survivra pas à ses blessures et l’actrice meurt le 1er août 2003 d’un œdème cérébral dans une clinique de Neuilly-sur-Seine, à 41 ans. « On est arrivés beaucoup trop tard », déplorera le neurochirurgien Stéphane Delajoux qui tenta de sauver Marie Trintignant. « Il n’y avait plus rien à faire. »

Bertrand Cantat, qui a ingéré des antidépresseurs, est, lui, hospitalisé « quasiment dans le coma ». Devant la police lituanienne qui ouvre une enquête, il évoquera d’une violente dispute.

« Un conflit humain »

Selon sa version, sous l’effet de médicaments et de l’alcool, il aurait frappé et poussé l’actrice qui, se cognant la tête contre un radiateur, est tombée dans le coma. Il l’a couchée sur le lit et a passé divers coups de fil. Son avocat parle d’un « accident des deux côtés, une tragédie, un conflit humain entre deux personnes, deux artistes à fort tempérament » et réclame la libération de son client.

À Paris, la famille Trintignant porte plainte et le parquet ouvre une information judiciaire pour « coups volontaires » et « non assistance à personne en danger ». Au creux de l’été, l’affaire présentée comme un « crime passionnel » connaît un retentissement médiatique énorme.

Pour beaucoup, personne ne veut croire en l’invraisemblable. Le Parisien parle de « la jalousie à l’origine du drame », Paris Match affiche en Une le portrait de l’actrice, « victime de la passion ». Et en dessous : « Ils s’aimaient à la folie ». « On parlait peu d’elle, on minimisait les faits pour développer l’empathie envers lui », regrette Fabienne El Khoury, membre d’Osez le Féminisme, à l’AFP. Mais l’autopsie vient contredire la version du chanteur.

Fin août, le rapport conclut que l’actrice a reçu 19 coups – dont sept au visage -, a le nez fracturé et présente les mêmes symptômes que ceux des bébés secoués. Une seconde autopsie confirmera les coups mortels. La famille comme l’accusé souhaitent un procès en France.

Le 7 août, la justice lituanienne exclut l’extradition de Bertrand Cantat, alors écroué, avant un procès à Vilnius pour « homicide volontaire ». Une semaine plus tard, il est aussi mis en examen par un juge français dans la capitale lituanienne pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « non assistance à personne en danger ».

Lire aussi : RÉCIT. « Il ne voulait pas la laisser partir » : Lætitia a été tuée par son ex-compagnon

La réaction des mouvements féministes

Jugé en Lituanie, le musicien est condamné, le 29 mars 2004, à huit ans de prison pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il est transféré à Muret, dans une prison près de Toulouse (Haute-Garonne) le 28 septembre de la même année et après quatre ans et demi de détention, il obtient sa libération conditionnelle en octobre 2007, assortie d’un contrôle judiciaire qui prend fin en 2010. Le groupe de Noir Désir ne s’en relèvera pas.

Mais Bertrand Cantat a envie d’exercer à nouveau son métier. En 2013, dix ans après la mort de Marie Trintignant, il publie un nouvel album Horizons sous le nom de Détroit. Il remonte sur scène l’année d’après et fait vibrer l’Olympia. Le chanteur pose le 11 octobre 2017 à nouveau en Une des Inrocks qui titre Cantat en son nom, en amont de son premier disque solo à paraître.

Les mouvements féministes, Nadine Trintignant et plusieurs personnalités fulminent et répliquent. « Et au nom de quoi devons-nous supporter la promo de celui qui a assassiné Marie Trintignant à coups de poing ? », tacle notamment sur Twitter Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. « La souffrance qu’a pu engendrer cette couverture nous a profondément touchés », regrettent Les Inrocks plus tard.

Concerts annulés, manifestations, invectives : après une tournée plus polémique que jamais, Bertrand Cantat jette l’éponge et tout projet estampillé de son nom, déclenche des remous. « Le seuil de tolérance envers les violences faites aux femmes a certes baissé mais il faut arriver à une tolérance zéro », ajoute Fabienne El Khoury. Vingt ans plus tard, cette affaire et son traitement médiatique marquent un tournant dans la prise de conscience des violences conjugales en France et de ce que l’on ne nommait pas encore les féminicides.

Lire aussi : « Désir noir », le livre qui qualifie la mort de Marie Trintignant de féminicide

« Une prise de conscience collective »

« La violence conjugale tue. Marie Trintignant, par sa fin tragique, devient un symbole », écrit l’avocate Gisèle Halimi dans le Monde , dès le 4 août 2003. Mais ce n’est qu’en 2006 que les pouvoirs publics lancent l’étude nationale sur les morts au sein du couple. Depuis, le mouvement #Metoo en 2017 a permis une « prise de conscience collective » et « un véritable basculement », selon l’historienne Christelle Taraud à l’AFP. Des associations ont également contribué à médiatiser ce sujet. Dont, en France, le collectif « Féminicides par compagnons ou ex », qui réalise au quotidien depuis 2016 un décompte des femmes tuées par leur conjoint.

Environ 120 femmes sont victimes de féminicides conjugaux chaque année en France, selon les données du ministère de l’Intérieur. En juin, elles sont au moins dix dans ce cas.

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Un triste anniversaire. Dans une France plongée dans la canicule, Marie Trintignant trouve la mort le 1er août 2003, six jours après avoir été frappée par son compagnon de l’époque et chanteur Bertrand Cantat. Tout commence le 26 juillet 2003, il y a plus de vingt ans.

Loin de la France, Marie Trintignant a le premier rôle d’un téléfilm sur la vie de la femme de lettres Colette, un téléfilm réalisé par sa mère, Nadine Trintignant, en Lituanie. Après plusieurs semaines de travail, l’équipe de tournage s’apprête à finir les plans et comme chaque soir, l’actrice retrouve son compagnon de l’époque, le chanteur Bertrand Cantat, avec qui elle est depuis plusieurs mois. Cette nuit-là, du 26 au 27 juillet 2003, le couple passe la soirée avec un technicien du film, avant de rentrer à leur hôtel Domina Plaza, un luxueux établissement de la capitale. Puis, une dispute éclate : des insultes fusent et les deux partenaires s’empoignent.

Lire aussi : ENQUÊTE. Un an de féminicides : neuf graphiques pour comprendre ce fait de société

L’appel aux secours des heures après

Quelques heures plus tard, une ambulance viendra chercher le corps de Marie Trintignant, plongée dans le coma. Qu’a-t-il bien pu se passer dans la chambre ? Le chanteur bordelais de Noir Désir évoque une dispute, des gifles, un accident. Et le récit de la soirée se précise.

Vers 5 h 30, le matin, il demande au frère de l’actrice et assistant réalisateur du téléfilm de venir. « Il m’a dit […] qu’il s’était disputé avec Marie, qu’il l’avait bousculée et qu’il lui avait mis une gifle, qu’elle allait peut-être avoir un œil au beurre noir », résumera Vincent Trintignant au tribunal qui, après une heure de discussion, passe voir sa sœur dans sa chambre.

En soulevant la serviette du visage de l’actrice, il la découvre inconsciente. Du sang coule de sa bouche. « C’était loin d’être un simple cocard », se rappelle-t-il à la barre. À sa demande, la veilleuse de nuit appelle les secours. Il est 7 h 16, des heures après les coups.

L’actrice est opérée pour juguler une hémorragie cérébrale. Elle subira une seconde opération le 29 juillet avant d’être rapatriée en France deux jours plus tard. Elle ne survivra pas à ses blessures et l’actrice meurt le 1er août 2003 d’un œdème cérébral dans une clinique de Neuilly-sur-Seine, à 41 ans. « On est arrivés beaucoup trop tard », déplorera le neurochirurgien Stéphane Delajoux qui tenta de sauver Marie Trintignant. « Il n’y avait plus rien à faire. »

Bertrand Cantat, qui a ingéré des antidépresseurs, est, lui, hospitalisé « quasiment dans le coma ». Devant la police lituanienne qui ouvre une enquête, il évoquera d’une violente dispute.

« Un conflit humain »

Selon sa version, sous l’effet de médicaments et de l’alcool, il aurait frappé et poussé l’actrice qui, se cognant la tête contre un radiateur, est tombée dans le coma. Il l’a couchée sur le lit et a passé divers coups de fil. Son avocat parle d’un « accident des deux côtés, une tragédie, un conflit humain entre deux personnes, deux artistes à fort tempérament » et réclame la libération de son client.

À Paris, la famille Trintignant porte plainte et le parquet ouvre une information judiciaire pour « coups volontaires » et « non assistance à personne en danger ». Au creux de l’été, l’affaire présentée comme un « crime passionnel » connaît un retentissement médiatique énorme.

Pour beaucoup, personne ne veut croire en l’invraisemblable. Le Parisien parle de « la jalousie à l’origine du drame », Paris Match affiche en Une le portrait de l’actrice, « victime de la passion ». Et en dessous : « Ils s’aimaient à la folie ». « On parlait peu d’elle, on minimisait les faits pour développer l’empathie envers lui », regrette Fabienne El Khoury, membre d’Osez le Féminisme, à l’AFP. Mais l’autopsie vient contredire la version du chanteur.

Fin août, le rapport conclut que l’actrice a reçu 19 coups – dont sept au visage -, a le nez fracturé et présente les mêmes symptômes que ceux des bébés secoués. Une seconde autopsie confirmera les coups mortels. La famille comme l’accusé souhaitent un procès en France.

Le 7 août, la justice lituanienne exclut l’extradition de Bertrand Cantat, alors écroué, avant un procès à Vilnius pour « homicide volontaire ». Une semaine plus tard, il est aussi mis en examen par un juge français dans la capitale lituanienne pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « non assistance à personne en danger ».

Lire aussi : RÉCIT. « Il ne voulait pas la laisser partir » : Lætitia a été tuée par son ex-compagnon

La réaction des mouvements féministes

Jugé en Lituanie, le musicien est condamné, le 29 mars 2004, à huit ans de prison pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il est transféré à Muret, dans une prison près de Toulouse (Haute-Garonne) le 28 septembre de la même année et après quatre ans et demi de détention, il obtient sa libération conditionnelle en octobre 2007, assortie d’un contrôle judiciaire qui prend fin en 2010. Le groupe de Noir Désir ne s’en relèvera pas.

Mais Bertrand Cantat a envie d’exercer à nouveau son métier. En 2013, dix ans après la mort de Marie Trintignant, il publie un nouvel album Horizons sous le nom de Détroit. Il remonte sur scène l’année d’après et fait vibrer l’Olympia. Le chanteur pose le 11 octobre 2017 à nouveau en Une des Inrocks qui titre Cantat en son nom, en amont de son premier disque solo à paraître.

Les mouvements féministes, Nadine Trintignant et plusieurs personnalités fulminent et répliquent. « Et au nom de quoi devons-nous supporter la promo de celui qui a assassiné Marie Trintignant à coups de poing ? », tacle notamment sur Twitter Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. « La souffrance qu’a pu engendrer cette couverture nous a profondément touchés », regrettent Les Inrocks plus tard.

Concerts annulés, manifestations, invectives : après une tournée plus polémique que jamais, Bertrand Cantat jette l’éponge et tout projet estampillé de son nom, déclenche des remous. « Le seuil de tolérance envers les violences faites aux femmes a certes baissé mais il faut arriver à une tolérance zéro », ajoute Fabienne El Khoury. Vingt ans plus tard, cette affaire et son traitement médiatique marquent un tournant dans la prise de conscience des violences conjugales en France et de ce que l’on ne nommait pas encore les féminicides.

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« Une prise de conscience collective »

« La violence conjugale tue. Marie Trintignant, par sa fin tragique, devient un symbole », écrit l’avocate Gisèle Halimi dans le Monde , dès le 4 août 2003. Mais ce n’est qu’en 2006 que les pouvoirs publics lancent l’étude nationale sur les morts au sein du couple. Depuis, le mouvement #Metoo en 2017 a permis une « prise de conscience collective » et « un véritable basculement », selon l’historienne Christelle Taraud à l’AFP. Des associations ont également contribué à médiatiser ce sujet. Dont, en France, le collectif « Féminicides par compagnons ou ex », qui réalise au quotidien depuis 2016 un décompte des femmes tuées par leur conjoint.

Environ 120 femmes sont victimes de féminicides conjugaux chaque année en France, selon les données du ministère de l’Intérieur. En juin, elles sont au moins dix dans ce cas.

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