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Dans « L'Eté dernier », Catherine Breillat fait le récit au scalpel d'un amour incestueux - Le Monde

Anne (Léa Drucker) dans « L’Eté dernier », de Catherine Breillat.

Il y a bien des façons d’entendre le titre, faussement simple, du dernier film de Catherine Breillat, qui nous parvient dix ans après Abus de faiblesse (2013), où la réalisatrice évoquait ses démêlés avec l’escroc Christophe Rocancourt. L’Eté dernier indique une saison révolue, comme un sésame propre à faire démarrer la fiction. Mais l’été, c’est aussi une lumière, sans doute l’empreinte la plus forte du film, ce qui reste dans l’œil quand tout est terminé. Celle-ci se déverse sur les personnages, crue, impitoyable. Même quand la nuit vient et que le plan bascule dans l’obscurité, il restera toujours une lueur, un rayon dressé comme un stylet, prêt à percer l’écran, comme la rétine du spectateur.

Au crédit du cinéma de Breillat, il faut donc inscrire cette lucidité qui l’autorise à faire le récit d’une transgression, inspiré du film danois Queen of Hearts (Dronningen, 2019), de May el-Toukhy. Anne (Léa Drucker), avocate pénaliste, spécialisée auprès des mineurs victimes de violences sexuelles, vit bourgeoisement dans un foyer recomposé, aux côtés de son mari, Pierre (Olivier Rabourdin, en homme d’affaires tourmenté par un contrôle fiscal), et de leurs deux filles adoptives (Serena Hu et Angela Chen).

Avec l’arrivée des vacances, Pierre installe dans leur grande maison son fils Théo (Samuel Kircher), garçon de 17 ans issu d’un premier lit, qu’il n’a pas beaucoup connu, mais avec lequel il espère recoller les morceaux. Lâché dans la bergerie, l’ado lambine sans gêne, torse nu et toison bouclée, revêche. Si les relations avec sa belle-mère sont d’abord glaciales, quelque chose entre eux ne tarde pas à glisser : un mépris qui vire au tête-à-tête, un enquiquinement à la toquade, et bientôt, le motif du désir qui surgit, comme un mur dans lequel on fonce tête baissée.

Effarante mécanique du déni

A s’en tenir là, le film pourrait aisément se réduire à une anecdote au parfum de scandale, et gonfler les rangs des récits sur l’inceste – ce qu’il n’est pas exactement. Breillat prête autant d’attention à cette passion égarée qu’à l’effarante mécanique qui se met en place dans son sillage : celle du déni, si fort qu’il semble à même d’absorber toute la réalité. On pense évidemment à Pierre, mari empâté sous le nez duquel la liaison se produit et qui pourtant n’y voit que du feu.

Plus spectaculaire encore, le mensonge délibéré d’Anne, qui occupe le dernier mouvement du film : dénoncée par l’adolescent, elle n’hésite pas à nier leur relation en bloc comme à déchaîner contre lui sa froide éloquence judiciaire. La femme se fait machine de guerre, monstre d’autodéfense. La passion d’hier se renverse alors en lutte rhétorique à couteaux tirés, dont l’enjeu ultime est le maintien du consensus bourgeois. Le carcan familial est l’instance supérieure qui, tout du long, encadre l’escapade amoureuse, la tient en ligne de mire.

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Anne (Léa Drucker) dans « L’Eté dernier », de Catherine Breillat.

Il y a bien des façons d’entendre le titre, faussement simple, du dernier film de Catherine Breillat, qui nous parvient dix ans après Abus de faiblesse (2013), où la réalisatrice évoquait ses démêlés avec l’escroc Christophe Rocancourt. L’Eté dernier indique une saison révolue, comme un sésame propre à faire démarrer la fiction. Mais l’été, c’est aussi une lumière, sans doute l’empreinte la plus forte du film, ce qui reste dans l’œil quand tout est terminé. Celle-ci se déverse sur les personnages, crue, impitoyable. Même quand la nuit vient et que le plan bascule dans l’obscurité, il restera toujours une lueur, un rayon dressé comme un stylet, prêt à percer l’écran, comme la rétine du spectateur.

Au crédit du cinéma de Breillat, il faut donc inscrire cette lucidité qui l’autorise à faire le récit d’une transgression, inspiré du film danois Queen of Hearts (Dronningen, 2019), de May el-Toukhy. Anne (Léa Drucker), avocate pénaliste, spécialisée auprès des mineurs victimes de violences sexuelles, vit bourgeoisement dans un foyer recomposé, aux côtés de son mari, Pierre (Olivier Rabourdin, en homme d’affaires tourmenté par un contrôle fiscal), et de leurs deux filles adoptives (Serena Hu et Angela Chen).

Avec l’arrivée des vacances, Pierre installe dans leur grande maison son fils Théo (Samuel Kircher), garçon de 17 ans issu d’un premier lit, qu’il n’a pas beaucoup connu, mais avec lequel il espère recoller les morceaux. Lâché dans la bergerie, l’ado lambine sans gêne, torse nu et toison bouclée, revêche. Si les relations avec sa belle-mère sont d’abord glaciales, quelque chose entre eux ne tarde pas à glisser : un mépris qui vire au tête-à-tête, un enquiquinement à la toquade, et bientôt, le motif du désir qui surgit, comme un mur dans lequel on fonce tête baissée.

Effarante mécanique du déni

A s’en tenir là, le film pourrait aisément se réduire à une anecdote au parfum de scandale, et gonfler les rangs des récits sur l’inceste – ce qu’il n’est pas exactement. Breillat prête autant d’attention à cette passion égarée qu’à l’effarante mécanique qui se met en place dans son sillage : celle du déni, si fort qu’il semble à même d’absorber toute la réalité. On pense évidemment à Pierre, mari empâté sous le nez duquel la liaison se produit et qui pourtant n’y voit que du feu.

Plus spectaculaire encore, le mensonge délibéré d’Anne, qui occupe le dernier mouvement du film : dénoncée par l’adolescent, elle n’hésite pas à nier leur relation en bloc comme à déchaîner contre lui sa froide éloquence judiciaire. La femme se fait machine de guerre, monstre d’autodéfense. La passion d’hier se renverse alors en lutte rhétorique à couteaux tirés, dont l’enjeu ultime est le maintien du consensus bourgeois. Le carcan familial est l’instance supérieure qui, tout du long, encadre l’escapade amoureuse, la tient en ligne de mire.

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