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« Shttl », un film happé par l'histoire - Le Monde

A droite, Moshe Lobel, qui, dans « Shttl », incarne Mendele, le jeune homme de retour dans son village, où se querellent laïcs et religieux.

Il suffit de lire le carton d’introduction de Shttl pour comprendre que le ­premier film d’Ady Walter, en salle le 13 décembre, nous projette sur la trace d’une page douloureuse du passé : nous sommes le 21 juin 1941, veille de l’invasion de la République socialiste soviétique d’Ukraine par les nazis. Fait plus tragique, la caméra se pose dans un shtetl, ces bourgades juives déjà en voie de ­disparition dans cette partie d’Europe centrale, en raison de la politique de collectivisation soviétique, alors qu’un jeune homme retourne dans le village de son enfance, quittant Moscou où il étudie le cinéma. A travers ce personnage, le film montre les tensions entre les juifs religieux et les laïcs, séduits par la promesse du communisme.

Shttl est tourné en yiddish, langue que parlaient encore deux tiers des juifs au début de la seconde guerre mondiale, soit onze millions de locuteurs, majoritairement engloutis par la Shoah. C’est donc ce monde ­disparu corps et biens, y compris sa langue assassinée, que parvient à reconstituer Shttl de manière saisissante. Ici, ce n’est pas la langue des disparus qu’entend le spectateur, mais une langue vivante, enregistrée dans ses derniers soubresauts, sans la conscience de cette fatalité.

Le titre du film a une valeur programmatique. Ady Walter a volontairement omis le « e », en hommage au roman de Georges Perec La Disparition (Gallimard, 1969), où l’auteur, dont la mère a été déportée à Auschwitz, s’était volontairement privé dans son texte de la lettre la plus utilisée de la langue ­française pour symboliser le handicap d’une écriture à tout jamais amputée. Shttl avance donc sur une jambe.

Un tournage sous la menace de l’invasion russe

Ce rapport intime à la question de transmission est au cœur même du principe narratif du film. Comme l’explique Ady Walter, « tout tourne autour du personnage principal, qui rentre chez lui et se trouve rattrapé par l’histoire. Jusqu’à quel point s’en affranchir ? Jusqu’où lui reste-t-il fidèle ? »

Au-delà de cette fiction, le tournage de Shttl aurait pu faire l’objet d’un film à part entière. Le réalisateur, auteur de plusieurs ­documentaires, avait terminé son scénario début 2019, pour un tournage prévu en Ukraine, seul pays où il lui semblait possible de filmer son histoire. Si le judaïsme rural a disparu du pays, il ­reste une vie juive encore intense à Kiev. Le début du tournage, programmé en 2020, a d’abord été retardé d’un an en raison du Covid-19.

A l’été 2021, il peut enfin commencer. Une trentaine de maisons en bois sont reconstruites, une synagogue entièrement peinte à la main, décorée ­pendant plusieurs semaines, afin de recréer le shtetl du film, sachant que presque toutes les communautés villageoises juives qui existaient en Ukraine ont été détruites pendant la seconde guerre mondiale. Le village est bâti au bord de la « mer kiévienne », un lac artificiel géant, à une heure de Kiev.

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Shttl est tourné en yiddish, langue que parlaient encore deux tiers des juifs au début de la seconde guerre mondiale, soit onze millions de locuteurs, majoritairement engloutis par la Shoah. C’est donc ce monde ­disparu corps et biens, y compris sa langue assassinée, que parvient à reconstituer Shttl de manière saisissante. Ici, ce n’est pas la langue des disparus qu’entend le spectateur, mais une langue vivante, enregistrée dans ses derniers soubresauts, sans la conscience de cette fatalité.

Le titre du film a une valeur programmatique. Ady Walter a volontairement omis le « e », en hommage au roman de Georges Perec La Disparition (Gallimard, 1969), où l’auteur, dont la mère a été déportée à Auschwitz, s’était volontairement privé dans son texte de la lettre la plus utilisée de la langue ­française pour symboliser le handicap d’une écriture à tout jamais amputée. Shttl avance donc sur une jambe.

Un tournage sous la menace de l’invasion russe

Ce rapport intime à la question de transmission est au cœur même du principe narratif du film. Comme l’explique Ady Walter, « tout tourne autour du personnage principal, qui rentre chez lui et se trouve rattrapé par l’histoire. Jusqu’à quel point s’en affranchir ? Jusqu’où lui reste-t-il fidèle ? »

Au-delà de cette fiction, le tournage de Shttl aurait pu faire l’objet d’un film à part entière. Le réalisateur, auteur de plusieurs ­documentaires, avait terminé son scénario début 2019, pour un tournage prévu en Ukraine, seul pays où il lui semblait possible de filmer son histoire. Si le judaïsme rural a disparu du pays, il ­reste une vie juive encore intense à Kiev. Le début du tournage, programmé en 2020, a d’abord été retardé d’un an en raison du Covid-19.

A l’été 2021, il peut enfin commencer. Une trentaine de maisons en bois sont reconstruites, une synagogue entièrement peinte à la main, décorée ­pendant plusieurs semaines, afin de recréer le shtetl du film, sachant que presque toutes les communautés villageoises juives qui existaient en Ukraine ont été détruites pendant la seconde guerre mondiale. Le village est bâti au bord de la « mer kiévienne », un lac artificiel géant, à une heure de Kiev.

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