Salvador Dali incarné par cinq acteurs, l’amour comme rêverie entre mélo et science-fiction, la rivalité entre les écuries Audi et Lancia dans les années 1980... La sélection du Figaro.
Daaaaaali ! - À voir
Comédie de Quentin Dupieux, 1h18
Comme ça, on ne s'embête pas. Quentin Dupieux a la voyelle généreuse : il met six « a » à Dali. Pour faire bonne mesure, il embauche cinq acteurs pour jouer le peintre catalan, reprenant un dispositif qu'avait adopté Todd Haynes avec Bob Dylan dans I'm not there. Il va sans dire que le résultat est beaucoup plus ludique et infiniment moins laborieux. L'imagination règne au bord de la Méditerranée. Une jeune journaliste (Anaïs Demoustier) tente d'interviewer le maître. On l'entend avant de le voir, avec sa voix reconnaissable entre toutes, cet accent caricatural, ces montées dans les aigus. Enfin le voici, remontant à l'infini un couloir d'hôtel. Plus vrai que nature, encore plus délirant que dans les fameuses publicités pour le chocolat, Édouard Baer s'en donne à cœur joie et il faut bien avouer qu'il écrase un peu ses concurrents (Jonathan Cohen tient la route, Gilles Lellouche et Pio Marmaï restant à la traîne). Dali est génial. Il est insupportable, quitte le plateau au milieu d'une phrase, raccroche au nez de la pauvre Anaïs Demoustier qui a de la suite dans les idées. La caméra n'est pas assez grosse. Le micro n'est pas à la bonne place. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Dupieux se glisse dans la folie de son modèle, enchaîne les cadavres exquis avec une bonne humeur qui aurait enchanté les surréalistes. Au cours d'un dîner, un prêtre sorti de chez Buñuel raconte ses rêves et s'arrête soudain, expliquant : « C'est là que je me suis réveillé ». Un cow-boy tire sur le curé qui se promène à dos d'âne. Sur sa terrasse, Dali s'exerce au tir aux pigeons. Le jardinier veut absolument l'inviter. On lui sert un brouet infâme. Gala est là, la terrible Gala, vestale aux intonations d'outre-tombe. Des unes de quotidiens ponctuent une intrigue qui n'a ni queue ni tête. Le producteur (Romain Duris, fébrile et roublard) affronte avec un estomac d'autruche toutes ces avanies. Le réalisateur se montre fidèle à la fantaisie de son héros. Il a hérité aussi d'une partie de sa fumisterie. C'est ce qu'on aime chez Dupieux, cette alacrité qui n'appartient qu'à lui, son côté foutraque, blagueur, cette façon unique de retomber sur ses pieds. Les gags se percutent. Une certaine gravité n'est pas absente, Dali croyant souvent apercevoir le vieillard qu'il deviendra en fauteuil roulant. Cet ego en technicolor offre le plus réjouissant des spectacles. Le film se transforme en turbulente cour de récréation. L'ennui prend la poudre d'escampette. Le sérieux reçoit des coups de pied aux fesses. Cela ne traîne pas. Les séquences étourdissent comme une roue de loterie. Ce Dali dans tous ses états souffle sur la poussière des musées, invente son propre personnage, bouscule sa légende. Entre deux éclats de rire, on percevra cette chose si rare, l'amour du cinéma. É.N.
À lire aussiNotre critique du nouveau film de Quentin Dupieux: le Daaaaaalí! d’initiés
La Bête - À voir
Drame de Bertrand Bonello, 2h26
Pourquoi n'aurait-on pas trois vies ? Une seule ne suffit pas. Les sentiments s'y sentent à l'étroit. Il faut différentes temporalités pour évoquer cette histoire d'amour ratée et dont on sait bien qu'elle aurait pu réussir. En 2044, Léa Seydoux, qui semble n'avoir pas grand-chose à faire de ses dix doigts, se prête à une expérience inédite. Dans ce futur déshumanisé, les émotions ne servent plus à rien. Pour nettoyer son ADN, rien de plus simple. On vous plonge dans un liquide noir et visqueux. Un robot vous fait une piqûre dans l'oreille et tous vos souvenirs disparaissent. Telle une mouette mazoutée, l'héroïne joue le jeu. On retrouve Léa Seydoux en 1910. Corsetée dans sa robe du soir, elle hante les salons mondains. Cette Gabrielle Monnier est une pianiste lancée. Paris a les pieds dans l'eau. Les inondations provoquent un incendie dans une fabrique de poupées en porcelaine. Encerclée par les flammes, la musicienne plonge en apnée dans les sous-sols de l'immeuble. Changement de décor en 2014. Léa Seydoux est la gardienne d'une maison d'architecte à Los Angeles. L'alarme se déclenche à quatre heures du matin. Elle n'a pas vraiment peur. Un inconnu l'observe depuis sa voiture. À chaque fois il y a un homme. C'est toujours le même. Ils se frôlent, se manquent, hésitent, espèrent. À chaque fois, il y a une boîte de nuit, seul endroit où l'amour a droit de cité. Sinon, il est tapi dans la jungle.
Bertrand Bonello s'est inspiré de Henry James. L'écrivain lui fait un bien fou. Ce vaste panorama est bourré de trouvailles à craquer. Film dans le film, failles temporelles, séquences d'une beauté tranquille quelle que soit l'époque, le cinéaste a digéré ses influences. On sent celle de David Lynch, ce qui pourrait effrayer. Bonello opte pour le romanesque et la liberté, ne craint pas de basculer dans le fait divers, saute de la science-fiction au mélodrame. Le fil rouge, ici, s'appelle Léa Seydoux. Elle porte toute l'entreprise sur ses épaules. En comparaison, son partenaire paraît fade. Elle incarne les lendemains qui chantent, les aujourd'hui qui pleurent, les hier qui déçoivent, tout cela dans un bruit de feu et d'eau, de musiques d'Adamo ou de Visage. Le film fonctionne comme un juke-box qui aurait mélangé les morceaux. Cela procède par glissements. Les époques se confondent avec une douceur infinie. Sous des plafonds à moulures, au milieu de banlieue désertes, dans des discothèques interchangeables et inquiétantes, les personnages passent à côté de leur destin. Léa Seydoux, souveraine, traverserait les siècles, affronterait des armées, soulèverait des montagnes. Le film est original et beau, malin sans être complaisant. É.N.
À lire aussiNotre critique de La Bête: quelle que soit l’époque, Léa Seydoux l’indomptée
Le Royaume de Kensuké - À voir
Animation de Neil Boyle et Kirk Hendry, 1h24
Par Morpurgo ! Son nom sonne déjà comme un appel à l'imaginaire et aux voyages littéraires. Dans un conte, on le verrait bien en musicien loufoque jouant de village en village ou en prince éclairé, maître d'un royaume lointain de retour de la guerre. Sauf que Michael Morpurgo n'est pas un personnage. Cet octogénaire à la courtoisie so british n'appartient à aucune fiction, il les écrit. Ambassadeur de la littérature jeunesse au Royaume-Uni, il est l'auteur de plus de 150livres et en a vendus près de 35 millions dans le monde entier. Film d'animation magnifiquement adapté de son roman éponyme publié chez Gallimard, Le Royaume de Kensuké nous plonge dans son univers aussi mouvementé qu'émouvant. Il raconte l'équipée de Michael, un adolescent parti en famille faire le tour du monde à la voile. Mais lors d'une tempête, il passe par-dessus bord avec sa chienne Stella et échoue sur une île. Il découvre vite qu'il n'est pas seul. Kensuké, un ancien soldat japonais, y vit en ermite depuis la Seconde Guerre mondiale, après le naufrage du navire sur lequel il servait. D'abord hostile, le vieil homme solitaire accueille le jeune garçon au sein de son royaume, dans une maison construite au milieu des arbres. Il va lui apprendre à vivre en harmonie avec la nature et ses habitants, dont une tribu d'orang-outang qu'il protège de braconniers féroces venus des mers. Fable écologiste pleine de poésie et film d'aventures aux rebondissements multiples, Le Royaume de Kensuké est une merveilleuse ode aux liens humains et à la beauté de la planète. Avec très peu de dialogues, servi par une musique et des images somptueuses, il nous fait passer par toutes les émotions, de l'émerveillement aux larmes. V.B.
À lire aussi22 ans après, l’envoûtant Royaume de Kensuké de Michael Morpurgo enfin adapté au cinéma
Green Border - À voir
Drame de Agnieszka Holland, 2h32
Green Border n'a pas grand-chose à voir avec Moi, capitaine, le périple clandestin de deux jeunes Sénégalais partis de Dakar pour rejoindre l'Europe. Les deux films ont été primés à la Mostra de Venise - prix spécial du jury pour le premier, lion d'argent du meilleur réalisateur pour le second – mais ils portent des regards différents sur le « drame des migrants ».
À la différence de l'Italien Matteo Garrone, la Polonaise Agnieszka Holland (L'Ombre de Staline) ne prend pas de gants. Pas seulement parce qu'elle filme en noir et blanc. Green Border est une œuvre de fiction qui n'invente rien. Elle débute en octobre 2021, au pic de la crise, quand des milliers de migrants d'Afrique et du Moyen-Orient affluent à la frontière polono-biélorusse. Alexandre Loukachenko, dictateur inamovible de la Biélorussie depuis 1994, dans sa « guerre hybride » contre la Pologne, accueille à Minsk ces réfugiés pour mieux les envoyer pénétrer chez son voisin, c'est-à-dire dans l'Union européenne et l'espace Schengen. Ces pions, le gouvernement polonais du PiS les refoule sans ménagement. Ce contexte est rappelé et explicité par petites touches, au détour d'un dialogue. Mais Agnieszka Holland est avant tout dans l'action. Les faits et les gestes. C'est du brutal. On entre dans le récit par une famille syrienne. Elle fuit la guerre pour rejoindre la Suède. Le vol Istanbul-Minsk est une parenthèse idyllique. On les accueille sur le tarmac avec des fleurs et des sourires. La suite est moins réjouissante. On les amène à la frontière avec la Pologne. On les abandonne dans les forêts hostiles et marécageuses de Podlachie, région rurale de l'est du pays. De chaque côté des barbelés, des gardes-frontières ou des militaires surveillent la zone. Les chiens et les coups de matraque refoulent ces damnés de la terre, pris en otages par des enjeux politiques qui les dépassent. Jan, un jeune garde-frontière polonais, ne rechigne pas à la tâche. Des réfugiés squattent la nuit la maison qu'il rénove avant l'arrivée de son premier enfant. Sa femme a des états d'âme, lui non.
Un autre personnage polonais donne encore une autre perspective à la situation : Julia. La psychologue quinquagénaire se mue en activiste au sein d'un groupe de bénévoles. Agnieszka Holland filme une catastrophe humanitaire à trois heures de Varsovie avec une rage froide. Mais avec Julia, le récit se fait plus démonstratif. L'épilogue enfonce le clou. En février 2022, au moment de l'invasion russe, des centaines de milliers d'Ukrainiens sont accueillis à bras ouverts par les Polonais. Deux poids, deux mesures. É.S.
À lire aussiNotre critique de Green Border: enfer sur Terre
Race for Glory - On peut voir
Comédie de Stefano Mordini, 1h47
Quelle est la différence entre un vin allemand et un vinaigre ? L'étiquette ! » L'équipe de l'écurie Lancia peut fanfaronner avec cette blague potache qu'elle se raconte pendant les rallyes. Elle n'est qu'une tentative de bonne guerre pour les Italiens de garder la face et de cacher une autre réalité face à la suprématie germaine. Car si les Allemands ne sont sûrement pas les meilleurs en matière de vins, en ce début des années 1980, ils battent leurs concurrents à plates coutures sur les routes lors des compétitions automobiles en Suède ou au Portugal grâce aux performances de leur Audi Quattro avec ses quatre roues motrices. Mais les Italiens n'ont pas dit leur dernier mot. Race for Glory raconte cette bataille mémorable et bien réelle à laquelle vont se livrer les deux équipes, Lancia contre Audi, pour décrocher le titre au championnat du monde des rallyes de 1983. Les intérêts dépassent la compétition sportive : il s'agit avant tout de tester de nouvelles technologies et de vendre des véhicules. Mais on n'achète pas la voiture d'un vaincu. Pour Lancia, dont la Rally 037 ne bénéficie que de deux roues motrices, la confrontation s'annonce perdue d'avance, à la David contre Goliath. C'est sans compter sur la roublardise et la détermination de Cesare Fiorio, figure centrale du film qui a inspiré le scénario. Le directeur sportif de l'écurie Lancia est prêt à tout pour détrôner Audit. Vrombissante, la comédie démarre joyeusement sur les petits arrangements de ce sale gosse un peu filou qui s'accommode du règlement avec quelques entorses. Comme cette scène très drôle où il balade deux inspecteurs venus homologuer le nombre de prototypes obligatoires pour participer. Sauf qu'il en manque quatre-vingt-dix-sept… Mais au bout d'un moment, le film traîne en longueur et tourne un peu en rond, faute de véritable enjeu dramatique. Mieux vaut s'y connaître aussi dans ce sport mécanique pour bien saisir tous les enjeux des courses qui se succèdent. On s'attache par contre au comédien Riccardo Scamarcio. Celui qui incarnera Modigliani dans le prochain film de Johnny Depp effectue un tour de piste sans faute, épatant dans le rôle du patron de l'écurie Lancia. V.B.
À lire aussiNotre critique de Race for Glory: sans excès de vitesse
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Daaaaaali ! - À voir
Comédie de Quentin Dupieux, 1h18
Comme ça, on ne s'embête pas. Quentin Dupieux a la voyelle généreuse : il met six « a » à Dali. Pour faire bonne mesure, il embauche cinq acteurs pour jouer le peintre catalan, reprenant un dispositif qu'avait adopté Todd Haynes avec Bob Dylan dans I'm not there. Il va sans dire que le résultat est beaucoup plus ludique et infiniment moins laborieux. L'imagination règne au bord de la Méditerranée. Une jeune journaliste (Anaïs Demoustier) tente d'interviewer le maître. On l'entend avant de le voir, avec sa voix reconnaissable entre toutes, cet accent caricatural, ces montées dans les aigus. Enfin le voici, remontant à l'infini un couloir d'hôtel. Plus vrai que nature, encore plus délirant que dans les fameuses publicités pour le chocolat, Édouard Baer s'en donne à cœur joie et il faut bien avouer qu'il écrase un peu ses concurrents (Jonathan Cohen tient la route, Gilles Lellouche et Pio Marmaï restant à la traîne). Dali est génial. Il est insupportable, quitte le plateau au milieu d'une phrase, raccroche au nez de la pauvre Anaïs Demoustier qui a de la suite dans les idées. La caméra n'est pas assez grosse. Le micro n'est pas à la bonne place. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Dupieux se glisse dans la folie de son modèle, enchaîne les cadavres exquis avec une bonne humeur qui aurait enchanté les surréalistes. Au cours d'un dîner, un prêtre sorti de chez Buñuel raconte ses rêves et s'arrête soudain, expliquant : « C'est là que je me suis réveillé ». Un cow-boy tire sur le curé qui se promène à dos d'âne. Sur sa terrasse, Dali s'exerce au tir aux pigeons. Le jardinier veut absolument l'inviter. On lui sert un brouet infâme. Gala est là, la terrible Gala, vestale aux intonations d'outre-tombe. Des unes de quotidiens ponctuent une intrigue qui n'a ni queue ni tête. Le producteur (Romain Duris, fébrile et roublard) affronte avec un estomac d'autruche toutes ces avanies. Le réalisateur se montre fidèle à la fantaisie de son héros. Il a hérité aussi d'une partie de sa fumisterie. C'est ce qu'on aime chez Dupieux, cette alacrité qui n'appartient qu'à lui, son côté foutraque, blagueur, cette façon unique de retomber sur ses pieds. Les gags se percutent. Une certaine gravité n'est pas absente, Dali croyant souvent apercevoir le vieillard qu'il deviendra en fauteuil roulant. Cet ego en technicolor offre le plus réjouissant des spectacles. Le film se transforme en turbulente cour de récréation. L'ennui prend la poudre d'escampette. Le sérieux reçoit des coups de pied aux fesses. Cela ne traîne pas. Les séquences étourdissent comme une roue de loterie. Ce Dali dans tous ses états souffle sur la poussière des musées, invente son propre personnage, bouscule sa légende. Entre deux éclats de rire, on percevra cette chose si rare, l'amour du cinéma. É.N.
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Drame de Bertrand Bonello, 2h26
Pourquoi n'aurait-on pas trois vies ? Une seule ne suffit pas. Les sentiments s'y sentent à l'étroit. Il faut différentes temporalités pour évoquer cette histoire d'amour ratée et dont on sait bien qu'elle aurait pu réussir. En 2044, Léa Seydoux, qui semble n'avoir pas grand-chose à faire de ses dix doigts, se prête à une expérience inédite. Dans ce futur déshumanisé, les émotions ne servent plus à rien. Pour nettoyer son ADN, rien de plus simple. On vous plonge dans un liquide noir et visqueux. Un robot vous fait une piqûre dans l'oreille et tous vos souvenirs disparaissent. Telle une mouette mazoutée, l'héroïne joue le jeu. On retrouve Léa Seydoux en 1910. Corsetée dans sa robe du soir, elle hante les salons mondains. Cette Gabrielle Monnier est une pianiste lancée. Paris a les pieds dans l'eau. Les inondations provoquent un incendie dans une fabrique de poupées en porcelaine. Encerclée par les flammes, la musicienne plonge en apnée dans les sous-sols de l'immeuble. Changement de décor en 2014. Léa Seydoux est la gardienne d'une maison d'architecte à Los Angeles. L'alarme se déclenche à quatre heures du matin. Elle n'a pas vraiment peur. Un inconnu l'observe depuis sa voiture. À chaque fois il y a un homme. C'est toujours le même. Ils se frôlent, se manquent, hésitent, espèrent. À chaque fois, il y a une boîte de nuit, seul endroit où l'amour a droit de cité. Sinon, il est tapi dans la jungle.
Bertrand Bonello s'est inspiré de Henry James. L'écrivain lui fait un bien fou. Ce vaste panorama est bourré de trouvailles à craquer. Film dans le film, failles temporelles, séquences d'une beauté tranquille quelle que soit l'époque, le cinéaste a digéré ses influences. On sent celle de David Lynch, ce qui pourrait effrayer. Bonello opte pour le romanesque et la liberté, ne craint pas de basculer dans le fait divers, saute de la science-fiction au mélodrame. Le fil rouge, ici, s'appelle Léa Seydoux. Elle porte toute l'entreprise sur ses épaules. En comparaison, son partenaire paraît fade. Elle incarne les lendemains qui chantent, les aujourd'hui qui pleurent, les hier qui déçoivent, tout cela dans un bruit de feu et d'eau, de musiques d'Adamo ou de Visage. Le film fonctionne comme un juke-box qui aurait mélangé les morceaux. Cela procède par glissements. Les époques se confondent avec une douceur infinie. Sous des plafonds à moulures, au milieu de banlieue désertes, dans des discothèques interchangeables et inquiétantes, les personnages passent à côté de leur destin. Léa Seydoux, souveraine, traverserait les siècles, affronterait des armées, soulèverait des montagnes. Le film est original et beau, malin sans être complaisant. É.N.
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Le Royaume de Kensuké - À voir
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Green Border - À voir
Drame de Agnieszka Holland, 2h32
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À la différence de l'Italien Matteo Garrone, la Polonaise Agnieszka Holland (L'Ombre de Staline) ne prend pas de gants. Pas seulement parce qu'elle filme en noir et blanc. Green Border est une œuvre de fiction qui n'invente rien. Elle débute en octobre 2021, au pic de la crise, quand des milliers de migrants d'Afrique et du Moyen-Orient affluent à la frontière polono-biélorusse. Alexandre Loukachenko, dictateur inamovible de la Biélorussie depuis 1994, dans sa « guerre hybride » contre la Pologne, accueille à Minsk ces réfugiés pour mieux les envoyer pénétrer chez son voisin, c'est-à-dire dans l'Union européenne et l'espace Schengen. Ces pions, le gouvernement polonais du PiS les refoule sans ménagement. Ce contexte est rappelé et explicité par petites touches, au détour d'un dialogue. Mais Agnieszka Holland est avant tout dans l'action. Les faits et les gestes. C'est du brutal. On entre dans le récit par une famille syrienne. Elle fuit la guerre pour rejoindre la Suède. Le vol Istanbul-Minsk est une parenthèse idyllique. On les accueille sur le tarmac avec des fleurs et des sourires. La suite est moins réjouissante. On les amène à la frontière avec la Pologne. On les abandonne dans les forêts hostiles et marécageuses de Podlachie, région rurale de l'est du pays. De chaque côté des barbelés, des gardes-frontières ou des militaires surveillent la zone. Les chiens et les coups de matraque refoulent ces damnés de la terre, pris en otages par des enjeux politiques qui les dépassent. Jan, un jeune garde-frontière polonais, ne rechigne pas à la tâche. Des réfugiés squattent la nuit la maison qu'il rénove avant l'arrivée de son premier enfant. Sa femme a des états d'âme, lui non.
Un autre personnage polonais donne encore une autre perspective à la situation : Julia. La psychologue quinquagénaire se mue en activiste au sein d'un groupe de bénévoles. Agnieszka Holland filme une catastrophe humanitaire à trois heures de Varsovie avec une rage froide. Mais avec Julia, le récit se fait plus démonstratif. L'épilogue enfonce le clou. En février 2022, au moment de l'invasion russe, des centaines de milliers d'Ukrainiens sont accueillis à bras ouverts par les Polonais. Deux poids, deux mesures. É.S.
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