L'œuvre d'Albert Camus fait l'objet d'une série en quatre épisodes, portée par Frédéric Pierrot dans le rôle du Docteur Rieux. Lancement 4 mars à 21 h 10 sur France 2.
« De l'avis général, les curieux événements qui se sont produits dans ma ville en cet été 2030 sortaient de l'ordinaire. À première vue, ce n'est qu'une petite cité balnéaire de la côte méditerranéenne. Ici comme ailleurs, les hommes et les femmes ou bien se dévorent rapidement dans ce que l'on appelle l'acte d'amour ou bien s'engagent dans une longue habitude à deux. Ce qui est plus original dans notre ville, c'est la difficulté que l'on peut trouver à y mourir… »
À découvrir
Beaucoup reconnaîtront le début de La Peste . À quelques nuances près. Il n'est pas fait mystère ici de la personne du narrateur : c'est le Dr Rieux. Et la date, bien sûr, près d'un siècle après l'action du roman d'Albert Camus . Deux des partis pris choisis par Georges-Marc Benamou lorsqu'il a voulu adapter en série l'œuvre du prix Nobel, un des cinq livres les plus lus au monde.
Presqu’une histoire d’amour
« La Peste fait partie de ces ouvrages que l'on découvre à l'adolescence, et dont les personnages continuent de vous accompagner, se souvient l'auteur et producteur. C'est presque une histoire d'amour. Elle a été réactivée en 2020 quand j'ai réalisé le documentaire Les Vies d'Albert Camus. J'ai décidé d'en acquérir les droits.» La Covid arrive. Les ventes du livre repartent en flèche. Les plateformes s'en mêlent. Gallimard est harcelé. Et les enchères flambent ! « Je ne voulais pas lâcher, France télévisions m'a soutenu et je l'ai emporté pour des raisons de confiance éditoriale, la manière commune que nous avions, avec Catherine Camus – fille de l'écrivain – de concevoir cette série », poursuit-il.
« Une bonne adaptation est entre trahison et respect, on ne tremble pas devant un monument, on bosse ! »
Georges-Marc Benamou
L'œuvre se révèle complexe à adapter - Camus lui-même admettait volontiers que l'épidémie est l'ennemie de la dramaturgie ! Avec l'aide du scénariste Gilles Taurand (tous deux ont collaboré sur Le Promeneur du Champs de mars, pour lequel ils ont obtenu un César), ils s'imposent des changements drastiques. « Une bonne adaptation est entre trahison et respect, on ne tremble pas devant un monument, on bosse ! », s'amuse Georges-Marc Benamou.
Le choix d'une fiction d'anticipation – une dystopie, car le prisme des années Covid offre une double lecture –, celui de créer des personnages féminins, rares voire absents… « Alors que c'est un livre d'hommes, un livre philosophique, il a fallu initier des arches différentes, des complots politiques, des histoires d'amour, de l'action… », dit-il. « Nous vivons dans un monde où la paranoïa, l'obsession sécuritaire peuvent s'installer. Nous avons amplifié ces thèmes », complète Gilles Taurand. Quant à la voix off, elle s'est imposée selon lui dans la mesure où Rieux est le personnage principal, à la fois témoin – c'est par son intermédiaire que Camus s'exprime –, et dans l'action en tant que médecin. Ces passages sont pour la plupart des phrases extraites du livre, notamment la dernière. « J'avais envie, comme dans certains films de Truffaut, de cette voix qui colore, reste dans l'oreille, même si elle n'est pas si présente », note Georges-Marc Benamou.
« La difficulté du projet est de garder l'intime de Camus, son esprit, au cœur du spectaculaire qui s'impose pour une mini-série de quatre heures. Dans le livre, l'histoire s'étire sur un an, nous l'avons resserrée sur trois mois, rappelle Antoine Garceau, le réalisateur (Dix pour cent, Les Particules élémentaires , Salade grecque ). Quant à Oran, elle s'est transformée en une ville imaginaire du sud de la France, une cité hybride, où l'on reconnaît Marseille, Aix-en-Provence et Nice.
Je me sens une fraternité avec Camus, il a contribué à me former. J'ai le sentiment d'être en conversation avec lui
Frédéric Pierrot
Dans le rôle du Docteur Rieux, quel meilleur choix queFrédéric Pierrot, le formidable psy, empli d'humanité, d'En thérapie ? Le comédien est investi, il a noué un lien intime avec Camus depuis sa jeunesse. « J'ai adoré ses premiers livres, que lui n'aimait pas, confie-t-il. L'Envers et l'endroit, Le Mythe de Sisyphe. Je me sens une fraternité avec Camus, il a contribué à me former. J'ai le sentiment d'être en conversation avec lui. Je ressens une responsabilité et un plaisir à le jouer. » Comment s'est-il préparé ? « J'ai beaucoup lu, tout le temps. En boucle. C'est extrêmement nourrissant ». En se questionnant aussi. Et tout autant ! Rencontré sur le tournage à Marseille l'an passé, l'acteur semblait nerveux, fatigué. « J'ai très mal dormi, depuis plusieurs jours, je trouvais que la scène que nous devions jouer ce matin n'était pas assez «camusienne». Elle était écrite initialement comme une sorte de règlement de compte un peu trivial entre deux personnages radicalement opposés. Mais, parce que ce sont deux médecins, il y a réconciliation sur l'essentiel : vous allez peut-être mourir, je dois m'occuper de vous. L'humain prend le dessus. J'en ai parlé à Antoine (Garceau). Nous y avons réfléchi chacun de notre côté et nous l'avons fait évoluer en ce sens.»
Une autre scène complexe, une des plus poignantes, terrifiantes même est celle de la mort du petit garçon, le fils du juge. C'est aussi le premier rôle du jeune acteur. Pendant que l'équipe installe les caméras, Frédéric prend l'initiative de réunir les comédiens et de leur lire les huit pages du roman qui décrivent ce moment. « Dans une adaptation, il faut absolument revenir à l'œuvre. La beauté, la précision du langage de Camus, son empathie, sa pudeur, tout y était. Il était important de jouer avec cette conscience-là. Je savais que la littérature nous mettrait dans la gravité de ce moment », insiste-t-il.
Nous avons pu composer, amener quelque chose de moderne, d'actuel. Et mon rôle est intéressant car il permet de parler d'amour
Sofia Essaïdi
Autour du docteur gravitent des femmes. Son épouse Juliette (Pascale Arbillot). Une voisine, Lucie, professeur de piano. « Il nous a paru important de faire exister ce personnage qui n'est pas dans le roman. Son rapprochement avec Rieux, cette tentation, raconte quelque chose de sa fragilité. C'est un être humain partagé entre ses convictions, son devoir, la vie », souligne Gilles Taurand. Judith Chemla (D'argent et de sang ) qui l'interprète raconte l'avoir abordée simplement : « Lucie amène de la vie en effet, de la fantaisie, la dimension artistique avec la musique, et échappe aux clichés de l'amoureuse. J'étais vierge la concernant, il est plus difficile de s'emparer d'un personnage de la littérature qui existe dans l'imaginaire commun. »Sofia Essaidi (Les Combattantes ) incarne, elle, la compagne de Rambert, une chercheuse qui participe de la découverte de l'épidémie. Elle se réjouit également de cette liberté : « Nous avons pu composer, amener quelque chose de moderne, d'actuel. Et mon rôle est intéressant car il permet de parler d'amour. Comme c'est important dans ces moments-là, comment on peut s'y accrocher pour survivre. » Des sentiments qui créent néanmoins un véritable dilemme chez son compagnon : « Mon personnage est tiraillé, souligneHugo Becker (Je te promets). Dois-je utiliser mon existence pour faire le bien, dans le sens de l'intérêt général, ou penser d'abord à moi, à mes proches. J'avais surtout joué des idéalistes jusque-là, j'ai pu m'interroger, comme chacun le ferait. »
« Le plus beau moment, le plus touchant de ce projet, c'est lorsque nous avons présenté les quatre épisodes à Catherine Camus, à Lourmarin, dans le bureau de son père et qu'elle a dit : « Tout ce que vous avez changé aurait plu à papa », conclut Antoine Garceau. On ne peut en effet rêver plus belle caution !
L'œuvre d'Albert Camus fait l'objet d'une série en quatre épisodes, portée par Frédéric Pierrot dans le rôle du Docteur Rieux. Lancement 4 mars à 21 h 10 sur France 2.
« De l'avis général, les curieux événements qui se sont produits dans ma ville en cet été 2030 sortaient de l'ordinaire. À première vue, ce n'est qu'une petite cité balnéaire de la côte méditerranéenne. Ici comme ailleurs, les hommes et les femmes ou bien se dévorent rapidement dans ce que l'on appelle l'acte d'amour ou bien s'engagent dans une longue habitude à deux. Ce qui est plus original dans notre ville, c'est la difficulté que l'on peut trouver à y mourir… »
À découvrir
Beaucoup reconnaîtront le début de La Peste . À quelques nuances près. Il n'est pas fait mystère ici de la personne du narrateur : c'est le Dr Rieux. Et la date, bien sûr, près d'un siècle après l'action du roman d'Albert Camus . Deux des partis pris choisis par Georges-Marc Benamou lorsqu'il a voulu adapter en série l'œuvre du prix Nobel, un des cinq livres les plus lus au monde.
Presqu’une histoire d’amour
« La Peste fait partie de ces ouvrages que l'on découvre à l'adolescence, et dont les personnages continuent de vous accompagner, se souvient l'auteur et producteur. C'est presque une histoire d'amour. Elle a été réactivée en 2020 quand j'ai réalisé le documentaire Les Vies d'Albert Camus. J'ai décidé d'en acquérir les droits.» La Covid arrive. Les ventes du livre repartent en flèche. Les plateformes s'en mêlent. Gallimard est harcelé. Et les enchères flambent ! « Je ne voulais pas lâcher, France télévisions m'a soutenu et je l'ai emporté pour des raisons de confiance éditoriale, la manière commune que nous avions, avec Catherine Camus – fille de l'écrivain – de concevoir cette série », poursuit-il.
« Une bonne adaptation est entre trahison et respect, on ne tremble pas devant un monument, on bosse ! »
Georges-Marc Benamou
L'œuvre se révèle complexe à adapter - Camus lui-même admettait volontiers que l'épidémie est l'ennemie de la dramaturgie ! Avec l'aide du scénariste Gilles Taurand (tous deux ont collaboré sur Le Promeneur du Champs de mars, pour lequel ils ont obtenu un César), ils s'imposent des changements drastiques. « Une bonne adaptation est entre trahison et respect, on ne tremble pas devant un monument, on bosse ! », s'amuse Georges-Marc Benamou.
Le choix d'une fiction d'anticipation – une dystopie, car le prisme des années Covid offre une double lecture –, celui de créer des personnages féminins, rares voire absents… « Alors que c'est un livre d'hommes, un livre philosophique, il a fallu initier des arches différentes, des complots politiques, des histoires d'amour, de l'action… », dit-il. « Nous vivons dans un monde où la paranoïa, l'obsession sécuritaire peuvent s'installer. Nous avons amplifié ces thèmes », complète Gilles Taurand. Quant à la voix off, elle s'est imposée selon lui dans la mesure où Rieux est le personnage principal, à la fois témoin – c'est par son intermédiaire que Camus s'exprime –, et dans l'action en tant que médecin. Ces passages sont pour la plupart des phrases extraites du livre, notamment la dernière. « J'avais envie, comme dans certains films de Truffaut, de cette voix qui colore, reste dans l'oreille, même si elle n'est pas si présente », note Georges-Marc Benamou.
« La difficulté du projet est de garder l'intime de Camus, son esprit, au cœur du spectaculaire qui s'impose pour une mini-série de quatre heures. Dans le livre, l'histoire s'étire sur un an, nous l'avons resserrée sur trois mois, rappelle Antoine Garceau, le réalisateur (Dix pour cent, Les Particules élémentaires , Salade grecque ). Quant à Oran, elle s'est transformée en une ville imaginaire du sud de la France, une cité hybride, où l'on reconnaît Marseille, Aix-en-Provence et Nice.
Je me sens une fraternité avec Camus, il a contribué à me former. J'ai le sentiment d'être en conversation avec lui
Frédéric Pierrot
Dans le rôle du Docteur Rieux, quel meilleur choix queFrédéric Pierrot, le formidable psy, empli d'humanité, d'En thérapie ? Le comédien est investi, il a noué un lien intime avec Camus depuis sa jeunesse. « J'ai adoré ses premiers livres, que lui n'aimait pas, confie-t-il. L'Envers et l'endroit, Le Mythe de Sisyphe. Je me sens une fraternité avec Camus, il a contribué à me former. J'ai le sentiment d'être en conversation avec lui. Je ressens une responsabilité et un plaisir à le jouer. » Comment s'est-il préparé ? « J'ai beaucoup lu, tout le temps. En boucle. C'est extrêmement nourrissant ». En se questionnant aussi. Et tout autant ! Rencontré sur le tournage à Marseille l'an passé, l'acteur semblait nerveux, fatigué. « J'ai très mal dormi, depuis plusieurs jours, je trouvais que la scène que nous devions jouer ce matin n'était pas assez «camusienne». Elle était écrite initialement comme une sorte de règlement de compte un peu trivial entre deux personnages radicalement opposés. Mais, parce que ce sont deux médecins, il y a réconciliation sur l'essentiel : vous allez peut-être mourir, je dois m'occuper de vous. L'humain prend le dessus. J'en ai parlé à Antoine (Garceau). Nous y avons réfléchi chacun de notre côté et nous l'avons fait évoluer en ce sens.»
Une autre scène complexe, une des plus poignantes, terrifiantes même est celle de la mort du petit garçon, le fils du juge. C'est aussi le premier rôle du jeune acteur. Pendant que l'équipe installe les caméras, Frédéric prend l'initiative de réunir les comédiens et de leur lire les huit pages du roman qui décrivent ce moment. « Dans une adaptation, il faut absolument revenir à l'œuvre. La beauté, la précision du langage de Camus, son empathie, sa pudeur, tout y était. Il était important de jouer avec cette conscience-là. Je savais que la littérature nous mettrait dans la gravité de ce moment », insiste-t-il.
Nous avons pu composer, amener quelque chose de moderne, d'actuel. Et mon rôle est intéressant car il permet de parler d'amour
Sofia Essaïdi
Autour du docteur gravitent des femmes. Son épouse Juliette (Pascale Arbillot). Une voisine, Lucie, professeur de piano. « Il nous a paru important de faire exister ce personnage qui n'est pas dans le roman. Son rapprochement avec Rieux, cette tentation, raconte quelque chose de sa fragilité. C'est un être humain partagé entre ses convictions, son devoir, la vie », souligne Gilles Taurand. Judith Chemla (D'argent et de sang ) qui l'interprète raconte l'avoir abordée simplement : « Lucie amène de la vie en effet, de la fantaisie, la dimension artistique avec la musique, et échappe aux clichés de l'amoureuse. J'étais vierge la concernant, il est plus difficile de s'emparer d'un personnage de la littérature qui existe dans l'imaginaire commun. »Sofia Essaidi (Les Combattantes ) incarne, elle, la compagne de Rambert, une chercheuse qui participe de la découverte de l'épidémie. Elle se réjouit également de cette liberté : « Nous avons pu composer, amener quelque chose de moderne, d'actuel. Et mon rôle est intéressant car il permet de parler d'amour. Comme c'est important dans ces moments-là, comment on peut s'y accrocher pour survivre. » Des sentiments qui créent néanmoins un véritable dilemme chez son compagnon : « Mon personnage est tiraillé, souligneHugo Becker (Je te promets). Dois-je utiliser mon existence pour faire le bien, dans le sens de l'intérêt général, ou penser d'abord à moi, à mes proches. J'avais surtout joué des idéalistes jusque-là, j'ai pu m'interroger, comme chacun le ferait. »
« Le plus beau moment, le plus touchant de ce projet, c'est lorsque nous avons présenté les quatre épisodes à Catherine Camus, à Lourmarin, dans le bureau de son père et qu'elle a dit : « Tout ce que vous avez changé aurait plu à papa », conclut Antoine Garceau. On ne peut en effet rêver plus belle caution !
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