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Festival d’Avignon : l’arabe sera la langue invitée en 2025 - Télérama.fr

INFO “TÉLÉRAMA” – Après l’anglais en 2023 et l’espagnol cette année, le directeur du festival Tiago Rodrigues a choisi l’arabe. Il souhaite ainsi en célébrer l’importance, la richesse. Dans la littérature, la musique et la poésie.

Tiago Rodrigues : « Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l’espagnol ; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. »

Tiago Rodrigues : « Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l’espagnol ; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. » Photo Olivier Metzger pour Télérama

Par Fabienne Pascaud

Publié le 15 juillet 2024 à 12h00

Mis à jour le 15 juillet 2024 à 17h08

Quelle langue étrangère invitera donc à l’été 2025, dans sa Cité des papes, Tiago Rodrigues, patron du Festival d’Avignon ? Initiateur de cette belle idée – l’auteur-metteur en scène portugais est du genre polyglotte – il a choisi, depuis près d’un an déjà, de faire rayonner… l’arabe au royaume de Jean Vilar. Après l’anglais et l’espagnol. Beau signal d’ouverture au monde, aux autres que de faire ainsi voyager sans passeport les amoureux de spectacles vivants. Plus à travers une langue qu’en traversant des frontières. Tiago Rodrigues a imposé encore le sur-titrage en anglais de tous les spectacles du festival ; bientôt, on espère même de légitimes sous-titrages dans la langue invitée ; mais ils coûtent cher et peuvent gêner la scénographie.

Le patron du Festival d’Avignon a pensé à l’arabe – cinquième langue parlée dans le monde par quelque 274 millions de locuteurs et deuxième langue parlée en France par 6 millions de Français – bien avant le terrible attentat terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023, et l’impitoyable riposte d’Israël. La langue figurait dès 2022 sur la liste de Tiago Rodrigues, comme porteuse non seulement d’une grande richesse patrimoniale mais d’une étonnante diversité dans la création contemporaine. Une langue globalement présente en Europe, après deux langues, elles, spécifiquement européennes. Travailler avec des créateurs souvent binationaux promettait un lien artistique passionnant, proche et différent à la fois.

Cette langue-là est une des plus riches du monde : 100 mots rien que pour dire l’amour, du plus charnel au plus platonique !

Jack Lang, directeur de l’Institut du Monde arabe

Les tragiques événements actuels ont évidemment fait réfléchir Tiago Rodrigues. Hésiter. Inviter aujourd’hui la langue arabe pourrait-il passer pour un acte politique ? « Le choix d’une langue au festival ne se fait pas au mépris d’une autre langue, explique-t-il. Il dépend beaucoup du dialogue avec les artistes de cette langue, d’une vraie volonté de partage des connaissances et des arts. Et il ne faut pas oublier que, bien avant l’islam, la langue arabe a permis de préserver et de transmettre la langue grecque, ses philosophes, ses savants et a ainsi aidé à préserver une certaine idée de l’Europe. Le festival ne doit pas être pris en otage des événements politiques. C’est comme si on disait aujourd’hui que le russe est une langue d’oppression à cause de la guerre en Ukraine… Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l’espagnol ; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. C’est un héritage devenu souvent invisible, mais qu’on ne peut nier. Comme on ne peut négliger l’importance de la littérature arabe, de la poésie et de la musique arabes du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord. Et la langue n’a pas tant bougé, ce qui n’est pas le cas de nos langues européennes : à la bibliothèque d’Avignon, des jeunes issus de l’immigration ont aidé sans peine à traduire un manuscrit très ancien. Il y a un an, j’ai donc entamé un dialogue avec l’ancien ministre de la Culture Jack Lang et l’Institut du monde arabe qu’il préside depuis 2013. Il a tout de suite été d’accord pour collaborer avec nous. »

Bien avant d’être le ministre éclairé que l’on sait, Jack Lang fonda en 1963 et dirigea un brillant et novateur festival de théâtre, aujourd’hui défunt, celui de Nancy. Il aime les festivals, leur urgence, leur fièvre. Il a immédiatement accepté la proposition de Tiago Rodrigues. « L’arabe est un “trésor de France”, comme je l’ai écrit dans un livre. Il a été officiellement enseigné au Collège royal, futur Collège de France dès François 1er, parce que langue de savoir, de sciences, de poésie. C’est par l’arabe en effet que nous est parvenue non seulement la philosophie grecque, mais hindoue, perse. Du VIII au XIIIe siècle, il est langue de transmission, de création où rayonnent la philosophie comme les sciences : les Arabes ont inventé les chiffres, l’algèbre, l’alchimie, la chimie, préfiguré les algorithmes. Cette langue-là est, outre, une des plus riches du monde : 100 mots rien que pour dire l’amour, du plus charnel au plus platonique ! C’est aussi une langue plurielle, multiple dans sa diversité selon les régions géographiques. Je suis ravi du choix de Tiago Rodrigues. D’autant que l’arabe pour les Français de mon âge – 85 ans bientôt – marque parfois l’entrée en politique, au moment de la guerre d’Algérie. Et quand j’ai été ministre de la Culture, mon premier visiteur fut le cinéaste égyptien Youssef Chahine qui m’a demandé de créer un fonds pour les films de langue arabe, ce que j’ai fait. Comme la construction de l’Institut du monde arabe par un architecte alors inconnu, Jean Nouvel. Quand Tiago Rodrigues m’a demandé de réfléchir à des idées pour 2025, j’ai immédiatement rêvé à une nuit de la poésie dans la Cour d’honneur du palais des Papes et souhaité entraîner avec moi, une philosophe comme Barbara Cassin, passionnée de langues, et le diplomate François Gouyette, grand connaisseur de cette culture. Mais je me mets surtout à la disposition du festival, tout doit s’harmoniser. Mettre l’arabe en fête montrera combien la France est un pays de métissage depuis des siècles. Elle est pour moi arc-en-ciel, et c’est ce que j’aime. »

Et à la question d’éventuels mécénats demandés aux Émirats du Golfe – certains trop peu soucieux de nos idéaux démocratiques –, Jack Lang répond que de toute façon ils ne donnent plus rien et Tiago Rodrigues, qu’il n’est pas question de trahir pour de l’argent nos valeurs humanistes.

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INFO “TÉLÉRAMA” – Après l’anglais en 2023 et l’espagnol cette année, le directeur du festival Tiago Rodrigues a choisi l’arabe. Il souhaite ainsi en célébrer l’importance, la richesse. Dans la littérature, la musique et la poésie.

Tiago Rodrigues : « Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l’espagnol ; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. »

Tiago Rodrigues : « Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l’espagnol ; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. » Photo Olivier Metzger pour Télérama

Par Fabienne Pascaud

Publié le 15 juillet 2024 à 12h00

Mis à jour le 15 juillet 2024 à 17h08

Quelle langue étrangère invitera donc à l’été 2025, dans sa Cité des papes, Tiago Rodrigues, patron du Festival d’Avignon ? Initiateur de cette belle idée – l’auteur-metteur en scène portugais est du genre polyglotte – il a choisi, depuis près d’un an déjà, de faire rayonner… l’arabe au royaume de Jean Vilar. Après l’anglais et l’espagnol. Beau signal d’ouverture au monde, aux autres que de faire ainsi voyager sans passeport les amoureux de spectacles vivants. Plus à travers une langue qu’en traversant des frontières. Tiago Rodrigues a imposé encore le sur-titrage en anglais de tous les spectacles du festival ; bientôt, on espère même de légitimes sous-titrages dans la langue invitée ; mais ils coûtent cher et peuvent gêner la scénographie.

Le patron du Festival d’Avignon a pensé à l’arabe – cinquième langue parlée dans le monde par quelque 274 millions de locuteurs et deuxième langue parlée en France par 6 millions de Français – bien avant le terrible attentat terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023, et l’impitoyable riposte d’Israël. La langue figurait dès 2022 sur la liste de Tiago Rodrigues, comme porteuse non seulement d’une grande richesse patrimoniale mais d’une étonnante diversité dans la création contemporaine. Une langue globalement présente en Europe, après deux langues, elles, spécifiquement européennes. Travailler avec des créateurs souvent binationaux promettait un lien artistique passionnant, proche et différent à la fois.

Cette langue-là est une des plus riches du monde : 100 mots rien que pour dire l’amour, du plus charnel au plus platonique !

Jack Lang, directeur de l’Institut du Monde arabe

Les tragiques événements actuels ont évidemment fait réfléchir Tiago Rodrigues. Hésiter. Inviter aujourd’hui la langue arabe pourrait-il passer pour un acte politique ? « Le choix d’une langue au festival ne se fait pas au mépris d’une autre langue, explique-t-il. Il dépend beaucoup du dialogue avec les artistes de cette langue, d’une vraie volonté de partage des connaissances et des arts. Et il ne faut pas oublier que, bien avant l’islam, la langue arabe a permis de préserver et de transmettre la langue grecque, ses philosophes, ses savants et a ainsi aidé à préserver une certaine idée de l’Europe. Le festival ne doit pas être pris en otage des événements politiques. C’est comme si on disait aujourd’hui que le russe est une langue d’oppression à cause de la guerre en Ukraine… Le portugais, par exemple, est nourri par la langue arabe, comme l’espagnol ; et en français, plus de 800 mots en sont directement issus. C’est un héritage devenu souvent invisible, mais qu’on ne peut nier. Comme on ne peut négliger l’importance de la littérature arabe, de la poésie et de la musique arabes du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord. Et la langue n’a pas tant bougé, ce qui n’est pas le cas de nos langues européennes : à la bibliothèque d’Avignon, des jeunes issus de l’immigration ont aidé sans peine à traduire un manuscrit très ancien. Il y a un an, j’ai donc entamé un dialogue avec l’ancien ministre de la Culture Jack Lang et l’Institut du monde arabe qu’il préside depuis 2013. Il a tout de suite été d’accord pour collaborer avec nous. »

Bien avant d’être le ministre éclairé que l’on sait, Jack Lang fonda en 1963 et dirigea un brillant et novateur festival de théâtre, aujourd’hui défunt, celui de Nancy. Il aime les festivals, leur urgence, leur fièvre. Il a immédiatement accepté la proposition de Tiago Rodrigues. « L’arabe est un “trésor de France”, comme je l’ai écrit dans un livre. Il a été officiellement enseigné au Collège royal, futur Collège de France dès François 1er, parce que langue de savoir, de sciences, de poésie. C’est par l’arabe en effet que nous est parvenue non seulement la philosophie grecque, mais hindoue, perse. Du VIII au XIIIe siècle, il est langue de transmission, de création où rayonnent la philosophie comme les sciences : les Arabes ont inventé les chiffres, l’algèbre, l’alchimie, la chimie, préfiguré les algorithmes. Cette langue-là est, outre, une des plus riches du monde : 100 mots rien que pour dire l’amour, du plus charnel au plus platonique ! C’est aussi une langue plurielle, multiple dans sa diversité selon les régions géographiques. Je suis ravi du choix de Tiago Rodrigues. D’autant que l’arabe pour les Français de mon âge – 85 ans bientôt – marque parfois l’entrée en politique, au moment de la guerre d’Algérie. Et quand j’ai été ministre de la Culture, mon premier visiteur fut le cinéaste égyptien Youssef Chahine qui m’a demandé de créer un fonds pour les films de langue arabe, ce que j’ai fait. Comme la construction de l’Institut du monde arabe par un architecte alors inconnu, Jean Nouvel. Quand Tiago Rodrigues m’a demandé de réfléchir à des idées pour 2025, j’ai immédiatement rêvé à une nuit de la poésie dans la Cour d’honneur du palais des Papes et souhaité entraîner avec moi, une philosophe comme Barbara Cassin, passionnée de langues, et le diplomate François Gouyette, grand connaisseur de cette culture. Mais je me mets surtout à la disposition du festival, tout doit s’harmoniser. Mettre l’arabe en fête montrera combien la France est un pays de métissage depuis des siècles. Elle est pour moi arc-en-ciel, et c’est ce que j’aime. »

Et à la question d’éventuels mécénats demandés aux Émirats du Golfe – certains trop peu soucieux de nos idéaux démocratiques –, Jack Lang répond que de toute façon ils ne donnent plus rien et Tiago Rodrigues, qu’il n’est pas question de trahir pour de l’argent nos valeurs humanistes.

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