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Jonathan Millet, réalisateur du film « Les Fantômes » : « Quand on est syrien on ne sait jamais tout à fait dans quel camp est l'autre » - Le Monde

Jonathan Millet lors du Festival de Cannes, le 25 mai 2024.

Brûlant d’actualité, Les Fantômes, de Jonathan Millet, 39 ans, suit la filature d’un jeune Syrien, réfugié à Strabourg et victime de tortures dans la sinistre prison de Saidnaya. Avec d’autres civils, réunis au sein d’une cellule secrète, Hamid (Adam Bessa), diplômé de littérature, cherche à démasquer son ancien tortionnaire qu’il croit avoir reconnu en la personne d’un étudiant en chimie, dans un couloir de l’université strasbourgeoise. Adam Bessa, beauté sombre à la Delon dans Le Samouraï (1967), sculpte un personnage d’espion aussi meurtri que déterminé.

Nous avons rencontré le réalisateur à Cannes (où son film a fait l’ouverture de la Semaine de la critique), le 23 mai, soit deux jours après l’ouverture du premier procès, en France, de trois hauts responsables du système répressif syrien (absents du box) pour la disparition forcée, la torture et la mort d’un père et de son fils, tous deux franco-syriens. Le 24 mai, la cour d’assises de Paris les a condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « complicité de délit de guerre ».

Votre personnage, Hamid, traque son ancien bourreau qui a réussi à s’échapper de Syrie et se réfugie à Strasbourg, avec le statut d’étudiant. Comment êtes-vous passé de cette actualité tragique au film d’espionnage ?

Hamid est solitaire comme peut l’être un espion. Il cache à tout le monde, à ses professeurs, à sa mère, la véritable nature de ses activités. De même, les exilés que j’ai rencontrés sont obligés de s’inventer des identités : quand on est syrien, on ne sait jamais tout à fait dans quel camp est l’autre, y compris au sein de sa communauté, ce qui crée de la méfiance et une solitude extrême.

A côté de ces cellules secrètes, des avocats syriens font un travail de fond considérable pour retrouver les tortionnaires, et les preuves passent toujours par les journalistes avant d’atteindre les autorités. Mais le film ne prétend pas être exhaustif sur l’ensemble des ramifications qui se sont mises en place pour aboutir à des procès, d’abord en Allemagne [en 2021] et aujourd’hui en France. J’ai fait le choix d’une mise en scène sensorielle, sans m’encombrer d’un trop-plein d’informations. Cela m’intéressait de créer un pont avec le film d’espionnage, il y avait un territoire de cinéma passionnant à travailler.

Que d’anciens tortionnaires syriens réussissent à franchir les frontières en se faisant passer pour des réfugiés, c’est assez glaçant…

Un contact au sein de ces cellules me racontait à quel point ils avaient hésité à dénoncer des criminels de guerre syriens : il y a le risque de médiatiser le fait qu’il pourrait y avoir les pires crapules parmi ceux qui entrent dans le pays… On était en 2016, l’Allemagne ouvrait ses frontières et il y avait une montée de la xénophobie. Alors oui, des criminels syriens ont réussi à s’infiltrer, et je vois bien que l’on pourrait tirer le film vers un endroit qui me parle assez peu… Mais l’existence de ces procès montre qu’en Europe, on peut juger ces bourreaux et qu’il n’y a pas d’impunité. J’ajoute que ces tortionnaires, ou même ces petites mains du régime syrien qui se sont échappées, ont souvent volé les histoires et les noms de leurs victimes et détenus pour y parvenir.

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Brûlant d’actualité, Les Fantômes, de Jonathan Millet, 39 ans, suit la filature d’un jeune Syrien, réfugié à Strabourg et victime de tortures dans la sinistre prison de Saidnaya. Avec d’autres civils, réunis au sein d’une cellule secrète, Hamid (Adam Bessa), diplômé de littérature, cherche à démasquer son ancien tortionnaire qu’il croit avoir reconnu en la personne d’un étudiant en chimie, dans un couloir de l’université strasbourgeoise. Adam Bessa, beauté sombre à la Delon dans Le Samouraï (1967), sculpte un personnage d’espion aussi meurtri que déterminé.

Nous avons rencontré le réalisateur à Cannes (où son film a fait l’ouverture de la Semaine de la critique), le 23 mai, soit deux jours après l’ouverture du premier procès, en France, de trois hauts responsables du système répressif syrien (absents du box) pour la disparition forcée, la torture et la mort d’un père et de son fils, tous deux franco-syriens. Le 24 mai, la cour d’assises de Paris les a condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « complicité de délit de guerre ».

Votre personnage, Hamid, traque son ancien bourreau qui a réussi à s’échapper de Syrie et se réfugie à Strasbourg, avec le statut d’étudiant. Comment êtes-vous passé de cette actualité tragique au film d’espionnage ?

Hamid est solitaire comme peut l’être un espion. Il cache à tout le monde, à ses professeurs, à sa mère, la véritable nature de ses activités. De même, les exilés que j’ai rencontrés sont obligés de s’inventer des identités : quand on est syrien, on ne sait jamais tout à fait dans quel camp est l’autre, y compris au sein de sa communauté, ce qui crée de la méfiance et une solitude extrême.

A côté de ces cellules secrètes, des avocats syriens font un travail de fond considérable pour retrouver les tortionnaires, et les preuves passent toujours par les journalistes avant d’atteindre les autorités. Mais le film ne prétend pas être exhaustif sur l’ensemble des ramifications qui se sont mises en place pour aboutir à des procès, d’abord en Allemagne [en 2021] et aujourd’hui en France. J’ai fait le choix d’une mise en scène sensorielle, sans m’encombrer d’un trop-plein d’informations. Cela m’intéressait de créer un pont avec le film d’espionnage, il y avait un territoire de cinéma passionnant à travailler.

Que d’anciens tortionnaires syriens réussissent à franchir les frontières en se faisant passer pour des réfugiés, c’est assez glaçant…

Un contact au sein de ces cellules me racontait à quel point ils avaient hésité à dénoncer des criminels de guerre syriens : il y a le risque de médiatiser le fait qu’il pourrait y avoir les pires crapules parmi ceux qui entrent dans le pays… On était en 2016, l’Allemagne ouvrait ses frontières et il y avait une montée de la xénophobie. Alors oui, des criminels syriens ont réussi à s’infiltrer, et je vois bien que l’on pourrait tirer le film vers un endroit qui me parle assez peu… Mais l’existence de ces procès montre qu’en Europe, on peut juger ces bourreaux et qu’il n’y a pas d’impunité. J’ajoute que ces tortionnaires, ou même ces petites mains du régime syrien qui se sont échappées, ont souvent volé les histoires et les noms de leurs victimes et détenus pour y parvenir.

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