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Vingt livres de poche à dévorer pendant l'été - Télérama.fr

La justesse de Virginie Despentes, l’acuité de Joan Didion, la densité de Jonathan Franzen. Voici vingt romans ou essais pour vous accompagner à la belle saison.

illustration Lidziya Mitskun/Getty Images

Par Marine Landrot, Nathalie Crom, Yasmine Youssi, Christine Ferniot, Stéphane Ehles, Fabienne Pascaud

Publié le 05 juillet 2024 à 06h30

Mis à jour le 05 juillet 2024 à 10h45

“Quand tu écouteras cette chanson”, de Lola Lafon

Ce livre est une commande, extérieure et intérieure. Une expérience personnelle, extrême, ambivalente, relatée avec honnêteté. Un acte nécessaire, sous contrainte consentie. Pour sa contribution à la collection Ma nuit au musée, l’écrivaine a choisi de séjourner dans la Maison d’Anne Frank, où l’adolescente se terra de longs mois, dans l’espoir vain d’échapper à la Shoah. Un récit parfaitement maîtrisé. — M.L.

Éd. Le Livre de poche, 7,90 €.

“Cher Connard”, de Virginie Despentes

De quelle tour de guet Virginie Despentes observe-t-elle notre monde, notre temps, pour s’en saisir avec une telle netteté ? L’écrivaine s’empare ici brillamment du genre prisé par les moralistes du XVIIIe siècle pour évoquer questions saillantes du monde contemporain et thématiques plus intimes, avec justesse et empathie. Un roman indigné, doublé d’un essai pénétrant sur notre temps. — Na.C.

Éd. Le Livre de poche, 8,70 €.

“L’amour la mer”, de Pascal Quignard

« Ce qui fut vrai protège mieux le faux et les désirs auxquels le faux cède le passage qu’une simple intrigue anachronique qu’on rapièce et qu’on tire par les cheveux », avertissait Pascal Quignard au moment de rêver la vie du rhéteur latin Caius Albucius Silus (Albucius, 1990). Le mensonge quignardesque est vertigineux, follement recevable et persuasif, magnétique, ensorcelant, phénoménal. Il prend mille formes pour tisser la merveilleuse matière romanesque de L’Amour la mer.  — Na.C.

Éd. Folio, 9,20 €.

“Comme nous existons”, de Kaoutar Harchi

Sitôt les 144 pages de ce livre terminées, surgit un besoin impérieux de visiter une nouvelle fois les souvenirs évoqués, d’admirer encore le subtil tracé de leur restitution, gorgée d’authenticité et ciselée par le recul, d’en fixer les scintillements et les zones d’ombre, à l’affût d’une énième révélation, comme Kaoutar Harchi, petite fille, se passait en boucle la VHS du mariage de ses parents, selon un rituel apaisant et hypnotique, sur le canapé de leur appartement du quartier de l’Elsau, à Strasbourg, dans les années 1990. — M.L.

Éd. Babel, 7,40 €.

“Pour tout vous dire”, de Joan Didion

Parmi la somme des hommages rendus à la mort de Joan Didion celui-ci est sans aucun doute le plus précieux : un volume de textes, à ce jour inédits en français, dans lesquels saute aux yeux, à chaque ligne, ce qu’on pourrait appeler « la méthode Didion », mélange d’extrême acuité du regard et de netteté absolue de la phrase. Elle y fait le récit de son apprentissage de journaliste et d’écrivain — « Je veux dire [...] une personne qui passe ses heures de passion et de concentration à disposer des mots sur des bouts de papier. » — Na.C.

Éd. Le Livre de poche, 7,70 €.

“Canoës”, de Maylis de Kerangal

Il y a un toujours un tel souffle dans l’écriture de Maylis de Kerangal, un tel élan propulseur, un tel spectre de ­vibrations et de tonalités que le format du roman semble bien l’espace minimum pour qu’elle puisse s’y déployer. Pourtant, jamais les courts textes qui constituent ce livre ne semblent à l’étroit dans leur cadre. À peine esquissée la sensation désagréable de promesse non tenue, voilà qu’ils la désamorcent, ouverts sur l’infini. Sans doute cet effet vient-il de l’agencement cosmique du recueil, ­alliage de textes inédits et d’autres déjà publiés.  — M.L.

Éd. Folio, 7,50 €.

“Lily et Braine”, de Christian Gailly

« C’est tuant, les souvenirs », soupirait Beckett, en exergue aux Oubliés, le précédent roman de Christian Gailly. Tuants, exténuants, l’oubli, l’amour le sont tout autant. Comme le sont aussi - différemment, mais le résultat est le même - la culpabilité et l’innocence. Et que dire de la guerre. Et que dire de la vie elle-même... « La vie est comme ça, on n’arrête pas de recommencer et un jour on en meurt », remarque d’ailleurs un personnage de Lily et Braine. — Na.C.

Éd. Minuit « Double », 8,50 €.

“Crossroads”, de Jonathan Franzen

Dans la famille Hildebrandt, demandez le père, la mère, ou n’importe lequel des quatre enfants – quel qu’il soit, c’est un personnage d’une formidable densité et complexité qui se lève, et bientôt se tient sur le devant de la scène, livrant ses pensées les plus vivantes et profondes avant de céder sa place à un autre. Ainsi Crossroads est-il construit, succession virtuose de points de vue, de voix, au fil de laquelle s’élabore, s’étoffe et épaissit un tissu romanesque merveilleusement humain, expressif et remuant. — Na.C.

Éd. Points, 12,50 €.

“La fille parfaite”, de Nathalie Azoulai

Adèle Prinker et Rachel Deville sont amies pour la vie, mais chez les Prinker les mathématiques dominent tout, tandis que les Deville s’extasient devant Turner, Shakespeare ou Proust. Qu’à cela ne tienne, rétorque Adèle à Rachel, « considère qu’on est deux filles d’une seule et même famille : l’une sera mathématicienne et l’autre grammairienne. Nos parents auront le sentiment d’avoir accompli une sorte de progéniture parfaite… ». Mais la perfection n’existe ni du côté des sciences ni de celui des lettres, et quand Adèle se pend dans son appartement, à quarante-six ans, Rachel perd la moitié d’elle-même puisqu’elle n’a plus à « conquérir le territoire d’en face ». — C.F.

Éd. Folio, 8,70 €.

“La septième croix”, d’Anna Seghers

Des sept prisonniers politiques évadés du camp de concentration de Westhofen, en Rhénanie, quelques années avant la guerre, Georg Heisler est le seul que les autorités n’ont pas réussi à rattraper. Pourtant, tout l’appareil policier du IIIe Reich s’est mis en branle, car « un évadé qui a réussi à s’échapper, c’est toujours quelque chose. Ça chamboule tout. C’est toujours un doute jeté sur leur pouvoir absolu. Une brèche ». Cette brèche, Anna Seghers s’y est engouffrée pour livrer le récit choral de cette traque. Et réussir une œuvre dense dont suinte un sentiment d’étouffement semblable à celui généré par la société qu’elle raconte, dont chaque individu est surveillé. — Y.Y.

“Chevreuse”, de Patrick Modiano

Frontières, lignes de démarcation et lignes de fuite organisent l’espace romanesque de Chevreuse. Plus précisément que jamais auparavant, la géographie rêveuse de l’écrivain s’y superpose à celle des cartes d’état-major et des plans bien réels, pour dessiner les contours et les atmo­sphères de territoires qui relèvent autant de la réalité tangible que de la mémoire ou du songe. Auteuil, Saint-Lazare, le quai de la Tournelle, la rive droite et la rive gauche de la Seine, la vallée de Chevreuse et la rue du Docteur-Kurzenne, Nice, Saint-Raphaël… — Na.C.

Éd. Folio,7,50 €.

“Le roitelet”, Jean-François Beauchemin

Trouver la force de s’élever, quoi qu’il arrive, où qu’on soit. Fendre le ciel de ses pensées, et se sentir léger malgré l’adversité. Voilà toute l’entreprise du narrateur, enveloppé dans le tissu des jours qui déclinent, la soixantaine venue. De temps à autre, son frère cadet schizophrène passe une tête dans le jardin, sur sa bicyclette. Ils s’échangent des paroles effilées, surgies du hasard, toujours justes. Le premier est écrivain, le second pépiniériste. Ils se nourrissent l’un de l’autre, lancés dans une entreprise de sauvetage respectif, portés par le mystère de leurs divergences fusionnelles. — M.L.

Éd. Folio, 7,80 €.

“Le rire des déesses”, d’Ananda Devi

Dans une ville indienne au nord du pays, La Ruelle semble un monde à part, avec ses relents d’eau croupie et d’ordures accumulées. Des femmes échouées dans ce cloaque vendent leur corps, pour survivre un jour de plus. Leur beauté ne dure jamais longtemps, leurs vêtements bariolés cachent des traces de boue. Quant aux parfums dont elles s’aspergent, ils ne masquent pas les relents de sperme mal nettoyé. Parmi ces prostituées, Veena est encore belle, et elle dissimule soigneusement, comme une tare, sa fille Chinti, âgée d’une dizaine d’années. — C.F.

Éd. Le Livre de poche, 8,40 €.

“Matrix”, de Lauren Groff

Au XIIe siècle, une bâtarde de sang royal prend la tête d’un couvent. Une épopée sororale flamboyante sur l’émancipation d’une femme. Lauren Groff célèbre la sagesse d’accepter ce qui advient et de s’en servir comme marche-pied pour mener à bien ce qui doit être. Captivant et singulier, Matrix est un livre sur un pouvoir inutile à conquérir, puisqu’il est toujours là : le pouvoir d’être soi, dans le flot des événements. — M.L.

Éd. Points, 8,30 €.

“Le journaliste et l’assassin”, de Janet Malcolm

La phrase inaugurale de cet essai a frappé les esprits, lors de sa parution, en 1990 : « Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face le sait bien : ce qu’il fait est moralement indéfendable. Il est tel l’escroc qui se nourrit de la vanité des autres, de leur ignorance ou de leur solitude ; il gagne leur confiance et les trahit sans remords », écrit la journaliste américaine Janet Malcolm, au seuil du livre dans lequel elle s’apprête à retracer la relation qu’ont entretenue Joe McGinniss (le journaliste) et Jeffrey R. MacDonald (l’assassin). — Na.C.

Éd. Sous-sol - Collection Souterrains, 10,50 €.

“La vie clandestine”, de Monica Sabolo

Est qualifié de clandestin ce « qui se fait en secret, en cachette », écrit le Larousse. « Et qui a un caractère illicite », précise et renchérit Le Robert. La vie cachée de la narratrice du roman de Monica Sabolo se déroule de l’autre côté du miroir, au-delà des apparences. Dans un lieu mental dont l’accès est interdit à tout autre qu’elle-même – et d’où, peut-être, elle écrit. Sa vie, « en marge du monde » du fait de son traumatisme d’enfant abusée, trouve de troublants échos dans l’histoire d’Action directe, le mouvement terroriste d’extrême gauche des années 1980. Un roman saisissant. — Na.C.

Éd. Folio, 9,40 €.

“L’autre nom”, de Jon Fosse

Est-ce encore un roman ? Ou une incantation, un exorcisme ? On ne sort pas indemne des étincelantes ténèbres que fait traverser le Norvégien Jon Fosse. Hypnotisant voyage spirituel où, plus de quatre cents pages durant, on reste scotché. Comme à un hallucinant thriller de l’âme. Une seule et même phrase, pourtant, juste ponctuée de virgules et points d’interrogation, traduit le flux ininterrompu, une journée durant, des pensées d’Asle, artiste peintre et veuf inconsolable d’Ales — presque le même nom que lui —, peintre elle aussi, son amante, sa sœur. — F.P.

Éd. Christian Bourgois - Collection Satellites, 12,00 €.

“Les éclats”, de Bret Easton Ellis

Il était une fois, à Los Angeles, à l’aube des années 1980, un adolescent livré à lui-même. S’il semblait ne jamais s’éloigner de sa bande d’amis des beaux quartiers, affalé à leurs côtés au bord des somptueuses piscines des villas parentales, tous usant et abusant d’alcool, de coke et d’antidépresseurs, en réalité le jeune homme était seul. Seul la nuit durant, dans la villa parentale de Mulholland, au milieu des collines infestées de coyotes ; seul tout autant en compagnie des autres, semblant jouer le jeu mais secrètement se tenant en retrait. Après treize ans de silence, Bret Easton Ellis revisite ses obsessions dans une fausse autobiographie virtuose. — Na.C.

Éd. 10/18, 10,70 €.

“Les nageurs de la nuit”, de Tomasz Jedrowski

Pologne 1980. Les files d’attente s’allongent devant les magasins d’alimentation, les manifestations se multiplient, la répression s’amplifie, le régime communiste vacille. C’est dans ce décor de fin d’un monde que Tomasz Jedrowski installe son premier roman. L’histoire de Ludwik et Janusz, étudiants qui participent au même camp d’été consistant à récolter des betteraves pour contribuer à la lutte socialiste, service essentiel à la patrie. Mais après le travail, au bord de la rivière, leur rencontre se fera plus intime et c’est un livre de James Baldwin, La Chambre de Giovanni, interdit en Pologne à l’époque, qui scellera leur amour. — S.E.

Éd.Pocket, 7,70 €.

“La position de la cuillère”, de Deborah Levy

Voilà quatre ans que Deborah Levy est entrée dans nos vies. Quatre ans que l’écrivaine britannique a repeint nos murs intérieurs aux couleurs chaudes, vives, réconfortantes de sa trilogie autobiographique : bleu (Ce que je ne veux pas savoir), jaune (Le Coût de la vie), rouge (État des lieux). En attendant le quatrième tome, voici un livre vert (La Position de la cuillère), recueil d’une mirifique intelligence, aux allures d’autofiction de contrebande, regroupant des textes, des articles, des nouvelles déjà publiés par le passé.  — M.L.

Éd. Sous-Sol - Collection Souterrains, 9,50 €.

► Retrouvez aussi nos 36 livres coup de cœur de l’été et notre quiz littéraire.

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La justesse de Virginie Despentes, l’acuité de Joan Didion, la densité de Jonathan Franzen. Voici vingt romans ou essais pour vous accompagner à la belle saison.

illustration Lidziya Mitskun/Getty Images

Par Marine Landrot, Nathalie Crom, Yasmine Youssi, Christine Ferniot, Stéphane Ehles, Fabienne Pascaud

Publié le 05 juillet 2024 à 06h30

Mis à jour le 05 juillet 2024 à 10h45

“Quand tu écouteras cette chanson”, de Lola Lafon

Ce livre est une commande, extérieure et intérieure. Une expérience personnelle, extrême, ambivalente, relatée avec honnêteté. Un acte nécessaire, sous contrainte consentie. Pour sa contribution à la collection Ma nuit au musée, l’écrivaine a choisi de séjourner dans la Maison d’Anne Frank, où l’adolescente se terra de longs mois, dans l’espoir vain d’échapper à la Shoah. Un récit parfaitement maîtrisé. — M.L.

Éd. Le Livre de poche, 7,90 €.

“Cher Connard”, de Virginie Despentes

De quelle tour de guet Virginie Despentes observe-t-elle notre monde, notre temps, pour s’en saisir avec une telle netteté ? L’écrivaine s’empare ici brillamment du genre prisé par les moralistes du XVIIIe siècle pour évoquer questions saillantes du monde contemporain et thématiques plus intimes, avec justesse et empathie. Un roman indigné, doublé d’un essai pénétrant sur notre temps. — Na.C.

Éd. Le Livre de poche, 8,70 €.

“L’amour la mer”, de Pascal Quignard

« Ce qui fut vrai protège mieux le faux et les désirs auxquels le faux cède le passage qu’une simple intrigue anachronique qu’on rapièce et qu’on tire par les cheveux », avertissait Pascal Quignard au moment de rêver la vie du rhéteur latin Caius Albucius Silus (Albucius, 1990). Le mensonge quignardesque est vertigineux, follement recevable et persuasif, magnétique, ensorcelant, phénoménal. Il prend mille formes pour tisser la merveilleuse matière romanesque de L’Amour la mer.  — Na.C.

Éd. Folio, 9,20 €.

“Comme nous existons”, de Kaoutar Harchi

Sitôt les 144 pages de ce livre terminées, surgit un besoin impérieux de visiter une nouvelle fois les souvenirs évoqués, d’admirer encore le subtil tracé de leur restitution, gorgée d’authenticité et ciselée par le recul, d’en fixer les scintillements et les zones d’ombre, à l’affût d’une énième révélation, comme Kaoutar Harchi, petite fille, se passait en boucle la VHS du mariage de ses parents, selon un rituel apaisant et hypnotique, sur le canapé de leur appartement du quartier de l’Elsau, à Strasbourg, dans les années 1990. — M.L.

Éd. Babel, 7,40 €.

“Pour tout vous dire”, de Joan Didion

Parmi la somme des hommages rendus à la mort de Joan Didion celui-ci est sans aucun doute le plus précieux : un volume de textes, à ce jour inédits en français, dans lesquels saute aux yeux, à chaque ligne, ce qu’on pourrait appeler « la méthode Didion », mélange d’extrême acuité du regard et de netteté absolue de la phrase. Elle y fait le récit de son apprentissage de journaliste et d’écrivain — « Je veux dire [...] une personne qui passe ses heures de passion et de concentration à disposer des mots sur des bouts de papier. » — Na.C.

Éd. Le Livre de poche, 7,70 €.

“Canoës”, de Maylis de Kerangal

Il y a un toujours un tel souffle dans l’écriture de Maylis de Kerangal, un tel élan propulseur, un tel spectre de ­vibrations et de tonalités que le format du roman semble bien l’espace minimum pour qu’elle puisse s’y déployer. Pourtant, jamais les courts textes qui constituent ce livre ne semblent à l’étroit dans leur cadre. À peine esquissée la sensation désagréable de promesse non tenue, voilà qu’ils la désamorcent, ouverts sur l’infini. Sans doute cet effet vient-il de l’agencement cosmique du recueil, ­alliage de textes inédits et d’autres déjà publiés.  — M.L.

Éd. Folio, 7,50 €.

“Lily et Braine”, de Christian Gailly

« C’est tuant, les souvenirs », soupirait Beckett, en exergue aux Oubliés, le précédent roman de Christian Gailly. Tuants, exténuants, l’oubli, l’amour le sont tout autant. Comme le sont aussi - différemment, mais le résultat est le même - la culpabilité et l’innocence. Et que dire de la guerre. Et que dire de la vie elle-même... « La vie est comme ça, on n’arrête pas de recommencer et un jour on en meurt », remarque d’ailleurs un personnage de Lily et Braine. — Na.C.

Éd. Minuit « Double », 8,50 €.

“Crossroads”, de Jonathan Franzen

Dans la famille Hildebrandt, demandez le père, la mère, ou n’importe lequel des quatre enfants – quel qu’il soit, c’est un personnage d’une formidable densité et complexité qui se lève, et bientôt se tient sur le devant de la scène, livrant ses pensées les plus vivantes et profondes avant de céder sa place à un autre. Ainsi Crossroads est-il construit, succession virtuose de points de vue, de voix, au fil de laquelle s’élabore, s’étoffe et épaissit un tissu romanesque merveilleusement humain, expressif et remuant. — Na.C.

Éd. Points, 12,50 €.

“La fille parfaite”, de Nathalie Azoulai

Adèle Prinker et Rachel Deville sont amies pour la vie, mais chez les Prinker les mathématiques dominent tout, tandis que les Deville s’extasient devant Turner, Shakespeare ou Proust. Qu’à cela ne tienne, rétorque Adèle à Rachel, « considère qu’on est deux filles d’une seule et même famille : l’une sera mathématicienne et l’autre grammairienne. Nos parents auront le sentiment d’avoir accompli une sorte de progéniture parfaite… ». Mais la perfection n’existe ni du côté des sciences ni de celui des lettres, et quand Adèle se pend dans son appartement, à quarante-six ans, Rachel perd la moitié d’elle-même puisqu’elle n’a plus à « conquérir le territoire d’en face ». — C.F.

Éd. Folio, 8,70 €.

“La septième croix”, d’Anna Seghers

Des sept prisonniers politiques évadés du camp de concentration de Westhofen, en Rhénanie, quelques années avant la guerre, Georg Heisler est le seul que les autorités n’ont pas réussi à rattraper. Pourtant, tout l’appareil policier du IIIe Reich s’est mis en branle, car « un évadé qui a réussi à s’échapper, c’est toujours quelque chose. Ça chamboule tout. C’est toujours un doute jeté sur leur pouvoir absolu. Une brèche ». Cette brèche, Anna Seghers s’y est engouffrée pour livrer le récit choral de cette traque. Et réussir une œuvre dense dont suinte un sentiment d’étouffement semblable à celui généré par la société qu’elle raconte, dont chaque individu est surveillé. — Y.Y.

“Chevreuse”, de Patrick Modiano

Frontières, lignes de démarcation et lignes de fuite organisent l’espace romanesque de Chevreuse. Plus précisément que jamais auparavant, la géographie rêveuse de l’écrivain s’y superpose à celle des cartes d’état-major et des plans bien réels, pour dessiner les contours et les atmo­sphères de territoires qui relèvent autant de la réalité tangible que de la mémoire ou du songe. Auteuil, Saint-Lazare, le quai de la Tournelle, la rive droite et la rive gauche de la Seine, la vallée de Chevreuse et la rue du Docteur-Kurzenne, Nice, Saint-Raphaël… — Na.C.

Éd. Folio,7,50 €.

“Le roitelet”, Jean-François Beauchemin

Trouver la force de s’élever, quoi qu’il arrive, où qu’on soit. Fendre le ciel de ses pensées, et se sentir léger malgré l’adversité. Voilà toute l’entreprise du narrateur, enveloppé dans le tissu des jours qui déclinent, la soixantaine venue. De temps à autre, son frère cadet schizophrène passe une tête dans le jardin, sur sa bicyclette. Ils s’échangent des paroles effilées, surgies du hasard, toujours justes. Le premier est écrivain, le second pépiniériste. Ils se nourrissent l’un de l’autre, lancés dans une entreprise de sauvetage respectif, portés par le mystère de leurs divergences fusionnelles. — M.L.

Éd. Folio, 7,80 €.

“Le rire des déesses”, d’Ananda Devi

Dans une ville indienne au nord du pays, La Ruelle semble un monde à part, avec ses relents d’eau croupie et d’ordures accumulées. Des femmes échouées dans ce cloaque vendent leur corps, pour survivre un jour de plus. Leur beauté ne dure jamais longtemps, leurs vêtements bariolés cachent des traces de boue. Quant aux parfums dont elles s’aspergent, ils ne masquent pas les relents de sperme mal nettoyé. Parmi ces prostituées, Veena est encore belle, et elle dissimule soigneusement, comme une tare, sa fille Chinti, âgée d’une dizaine d’années. — C.F.

Éd. Le Livre de poche, 8,40 €.

“Matrix”, de Lauren Groff

Au XIIe siècle, une bâtarde de sang royal prend la tête d’un couvent. Une épopée sororale flamboyante sur l’émancipation d’une femme. Lauren Groff célèbre la sagesse d’accepter ce qui advient et de s’en servir comme marche-pied pour mener à bien ce qui doit être. Captivant et singulier, Matrix est un livre sur un pouvoir inutile à conquérir, puisqu’il est toujours là : le pouvoir d’être soi, dans le flot des événements. — M.L.

Éd. Points, 8,30 €.

“Le journaliste et l’assassin”, de Janet Malcolm

La phrase inaugurale de cet essai a frappé les esprits, lors de sa parution, en 1990 : « Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face le sait bien : ce qu’il fait est moralement indéfendable. Il est tel l’escroc qui se nourrit de la vanité des autres, de leur ignorance ou de leur solitude ; il gagne leur confiance et les trahit sans remords », écrit la journaliste américaine Janet Malcolm, au seuil du livre dans lequel elle s’apprête à retracer la relation qu’ont entretenue Joe McGinniss (le journaliste) et Jeffrey R. MacDonald (l’assassin). — Na.C.

Éd. Sous-sol - Collection Souterrains, 10,50 €.

“La vie clandestine”, de Monica Sabolo

Est qualifié de clandestin ce « qui se fait en secret, en cachette », écrit le Larousse. « Et qui a un caractère illicite », précise et renchérit Le Robert. La vie cachée de la narratrice du roman de Monica Sabolo se déroule de l’autre côté du miroir, au-delà des apparences. Dans un lieu mental dont l’accès est interdit à tout autre qu’elle-même – et d’où, peut-être, elle écrit. Sa vie, « en marge du monde » du fait de son traumatisme d’enfant abusée, trouve de troublants échos dans l’histoire d’Action directe, le mouvement terroriste d’extrême gauche des années 1980. Un roman saisissant. — Na.C.

Éd. Folio, 9,40 €.

“L’autre nom”, de Jon Fosse

Est-ce encore un roman ? Ou une incantation, un exorcisme ? On ne sort pas indemne des étincelantes ténèbres que fait traverser le Norvégien Jon Fosse. Hypnotisant voyage spirituel où, plus de quatre cents pages durant, on reste scotché. Comme à un hallucinant thriller de l’âme. Une seule et même phrase, pourtant, juste ponctuée de virgules et points d’interrogation, traduit le flux ininterrompu, une journée durant, des pensées d’Asle, artiste peintre et veuf inconsolable d’Ales — presque le même nom que lui —, peintre elle aussi, son amante, sa sœur. — F.P.

Éd. Christian Bourgois - Collection Satellites, 12,00 €.

“Les éclats”, de Bret Easton Ellis

Il était une fois, à Los Angeles, à l’aube des années 1980, un adolescent livré à lui-même. S’il semblait ne jamais s’éloigner de sa bande d’amis des beaux quartiers, affalé à leurs côtés au bord des somptueuses piscines des villas parentales, tous usant et abusant d’alcool, de coke et d’antidépresseurs, en réalité le jeune homme était seul. Seul la nuit durant, dans la villa parentale de Mulholland, au milieu des collines infestées de coyotes ; seul tout autant en compagnie des autres, semblant jouer le jeu mais secrètement se tenant en retrait. Après treize ans de silence, Bret Easton Ellis revisite ses obsessions dans une fausse autobiographie virtuose. — Na.C.

Éd. 10/18, 10,70 €.

“Les nageurs de la nuit”, de Tomasz Jedrowski

Pologne 1980. Les files d’attente s’allongent devant les magasins d’alimentation, les manifestations se multiplient, la répression s’amplifie, le régime communiste vacille. C’est dans ce décor de fin d’un monde que Tomasz Jedrowski installe son premier roman. L’histoire de Ludwik et Janusz, étudiants qui participent au même camp d’été consistant à récolter des betteraves pour contribuer à la lutte socialiste, service essentiel à la patrie. Mais après le travail, au bord de la rivière, leur rencontre se fera plus intime et c’est un livre de James Baldwin, La Chambre de Giovanni, interdit en Pologne à l’époque, qui scellera leur amour. — S.E.

Éd.Pocket, 7,70 €.

“La position de la cuillère”, de Deborah Levy

Voilà quatre ans que Deborah Levy est entrée dans nos vies. Quatre ans que l’écrivaine britannique a repeint nos murs intérieurs aux couleurs chaudes, vives, réconfortantes de sa trilogie autobiographique : bleu (Ce que je ne veux pas savoir), jaune (Le Coût de la vie), rouge (État des lieux). En attendant le quatrième tome, voici un livre vert (La Position de la cuillère), recueil d’une mirifique intelligence, aux allures d’autofiction de contrebande, regroupant des textes, des articles, des nouvelles déjà publiés par le passé.  — M.L.

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