Le grand patron de presse est mort ce vendredi, à l'âge de 86 ans. Récit d'un homme qui avait décidé de ne pas se taire.
Pierre Bergé avait 86 ans. Il s'est éteint tôt dans la matinée de vendredi, à son domicile de Saint-Rémy-de-Provence. Il y a tant à dire sur ce militant de la cause homosexuelle, le compagnon d'Yves Saint-Laurent, sur l'amateur de littérature et le philanthrope. Il y a aussi beaucoup à dire sur le grand patron de presse, qui détient Le Monde depuis 2010.
Pierre Bergé était un provocateur dans l'âme. Patron du groupe La Vie-Le Monde (lors du rachat, il avait bien été précisé que l'indépendance éditoriale serait totale), il n'en perd pas sa capacité à dire tout haut ce qu'il pense. Surtout lorsque ce qu'il pense ne correspond pas avec ce qu'a publié son journal.
Un "mécontentement coutumier", selon la SDJ du Monde
Ainsi, quand le journaliste du Monde Denis Cosnard écrit une critique sur Patrick Modiano qui lui déplaît, Pierre Bergé l'insulte. "Chevillard ou Cosnard? Ou le connard n'est pas celui qu'on pourrait croire", écrit-il sur Twitter, où il est très actif. Denis Cosnard répond alors sur son blog, surpris par la vindicte de son propriétaire. "Je ne suis pas de ceux qui pensent en effet qu'il devrait s'interdire de donner son avis sur ma chronique du Monde des livres au prétexte qu'il est propriétaire du journal, écrit-il. [...] Puis voilà que j'apprends qu'il me traite maintenant de connard depuis la branche de Twitter où il croasse ses imprécations. Cela confine au harcèlement moral, non?" La SDJ du quotidien s'empresse également de déplorer que le patron du conseil de surveillance du monde aie "ajouté l'insulte à son mécontentement coutumier." Contacté par L'Express, Denis Cosnard ne souhaite plus revenir sur cette anecdote qui en dit long sur le caractère explosif du patron de presse.
LIRE AUSSI >> Pierre Bergé traite de "connard" un journaliste du Monde
Car mécontent, Pierre Bergé l'est souvent. Lorsque Le Monde publie un dossier sur Mitterrand, en 2011, le businessman, qui est aussi président du Bureau de l'Association des amis de l'institut François Mitterrand, adresse au patron de la rédaction Eric Izraelewicz un message explicite. Il juge alors l'article "immonde", le qualifie même de "brûlot." "Je regrette de m'être embarqué dans cette aventure, assène-t-il. Payer sans avoir de pouvoir est une drôle de formule à laquelle j'aurais dû réfléchir! Je considère que contrairement à ce que j'ai VOULU et à ce qu'ils prétendent, les journalistes du Monde ne sont pas libres mais prisonniers de leurs idéologies, de leurs règlements de compte, et de leur mauvaise foi."
Pierre Bergé, très investi dans les parutions de son journal
Le supplément littéraire du journal ne trouve pas plus grâce à ses yeux: Pierre Bergé affirme en 2013 le "désapprouver le plus souvent", provoquant la colère de la Société des rédacteurs du Monde, qui n'apprécie pas cette "intervention" dans sa ligne.
Même réaction à fleur de peau quand Le Monde publie l'enquête des SwissLeaks, deux ans plus tard, afin de dévoiler le système international d'évasion fiscale de la filiale suisse de la banque HSBC. Pierre Bergé accuse alors ni plus ni moins son journal de "populisme". "Est-ce le rôle d'un journal de jeter en pâture le nom des gens?", se demande-t-il, en colère, sur RTL. "Ce n'est pas pour ça que je leur ai permis d'acquérir leur indépendance. Ce sont des méthodes que je réprouve." La Société des rédacteurs du Mondepublie un communiqué pour dénoncer cette ces propos. "Comme il en est coutumier, Pierre Bergé est sorti de sa réserve au mépris du pacte qu'il a cosigné avec les autres actionnaires en 2010. Cela n'a pas empêché et n'empêchera pas les journalistes de travailler sereinement en toute indépendance et responsabilité", répondent les journalistes du quotidien, condamnant cette "intrusion dans le contenu éditorial", et assumant pleinement leurs choix éditoriaux.
On ne peut pas reprocher à Pierre Bergé de ne pas lire le journal qu'il possède. Ou de s'en désintéresser. Dans les pages du Monde, en 2013, on trouve une publicité pourLa Manif pour Tous. Pierre Bergé ne la manque pas, et, en tant que fervent militant des droits pour les homosexuels, il voit rouge, forcément. Il se dit, sur Twitter, profondément "scandalisé".
"Je n'ai pas le bac, mais j'ai acheté Le Monde"
Pierre Bergé ne semble pas avoir de mots assez durs envers ses journalistes. Sa colère vient-elle du fait que lui-même aurait aimé être du métier? Toute sa vie, il fonde des magazines: en 1949, Patrie Mondiale, puis, plusieurs décennies plus tard, le magazine Globe, Courrier International et encore Têtu.
Face à Mouloud Achour, en juillet 2017, on sent chez lui comme une volonté de revanche. "Vous dites que je voulais être journaliste, c'est vrai. Quand j'ai décidé de ne pas passer mon bac parce que je savais que je ne voulais pas être notaire, pas être médecin. Mon prof de latin grec m'a dit: vous savez, la première chose que va vous demander un directeur de journal, c'est si vous avez votre bac. Il est mort le pauvre. Sans ça, je lui aurais écrit: 'Désolé de vous contredire, je n'ai pas le bac, mais j'ai acheté Le Monde."
Le Monde, ce journal qu'il lit assidûment et qui, pourtant, le met profondément en colère, il le défend bec et ongle, lors du rachat de L'Obs par par le trio Niel-Bergé-Pigasse, en 2014. Il est à ses yeux hors de question que Le Monde se retrouve perdant lors de cette acquisition. "À l'époque d'ailleurs, Pierre Bergé s'insurge que L'Obs puisse, un jour, devenir propriétaire du Monde. Si tel était le cas, clame-t-il, il pourrait y avoir 'des synergies qui s'effectueraient au détriment du Monde': on commencerait par siphonner les abonnés de Télérama, plus ceux du Monde. Ce qui serait une bonne affaire pour L'Obs beaucoup moins pour Le Monde!", écrivent Les Echos.
Aude Lancelin, alors journaliste à L'Obs, l'accuse d'ailleurs d'être responsable de son soudain limogeage, elle qui est numéro 2 de l'hebdomadaire. Pierre Bergé dément en être à l'origine, et ne manque pas de dézinguer son livre Le Monde Libre, lorsque celui-ci obtient le prix Renaudot.
"Aude Lancelin obtient le Renaudot catégorie essai. Je l'aurais plutôt vue catégorie roman car ce qu'elle raconte est contraire à la vérité", publie-t-il sur Twitter. Toujours avec la même provocation.
Read AgainLe grand patron de presse est mort ce vendredi, à l'âge de 86 ans. Récit d'un homme qui avait décidé de ne pas se taire.
Pierre Bergé avait 86 ans. Il s'est éteint tôt dans la matinée de vendredi, à son domicile de Saint-Rémy-de-Provence. Il y a tant à dire sur ce militant de la cause homosexuelle, le compagnon d'Yves Saint-Laurent, sur l'amateur de littérature et le philanthrope. Il y a aussi beaucoup à dire sur le grand patron de presse, qui détient Le Monde depuis 2010.
Pierre Bergé était un provocateur dans l'âme. Patron du groupe La Vie-Le Monde (lors du rachat, il avait bien été précisé que l'indépendance éditoriale serait totale), il n'en perd pas sa capacité à dire tout haut ce qu'il pense. Surtout lorsque ce qu'il pense ne correspond pas avec ce qu'a publié son journal.
Un "mécontentement coutumier", selon la SDJ du Monde
Ainsi, quand le journaliste du Monde Denis Cosnard écrit une critique sur Patrick Modiano qui lui déplaît, Pierre Bergé l'insulte. "Chevillard ou Cosnard? Ou le connard n'est pas celui qu'on pourrait croire", écrit-il sur Twitter, où il est très actif. Denis Cosnard répond alors sur son blog, surpris par la vindicte de son propriétaire. "Je ne suis pas de ceux qui pensent en effet qu'il devrait s'interdire de donner son avis sur ma chronique du Monde des livres au prétexte qu'il est propriétaire du journal, écrit-il. [...] Puis voilà que j'apprends qu'il me traite maintenant de connard depuis la branche de Twitter où il croasse ses imprécations. Cela confine au harcèlement moral, non?" La SDJ du quotidien s'empresse également de déplorer que le patron du conseil de surveillance du monde aie "ajouté l'insulte à son mécontentement coutumier." Contacté par L'Express, Denis Cosnard ne souhaite plus revenir sur cette anecdote qui en dit long sur le caractère explosif du patron de presse.
LIRE AUSSI >> Pierre Bergé traite de "connard" un journaliste du Monde
Car mécontent, Pierre Bergé l'est souvent. Lorsque Le Monde publie un dossier sur Mitterrand, en 2011, le businessman, qui est aussi président du Bureau de l'Association des amis de l'institut François Mitterrand, adresse au patron de la rédaction Eric Izraelewicz un message explicite. Il juge alors l'article "immonde", le qualifie même de "brûlot." "Je regrette de m'être embarqué dans cette aventure, assène-t-il. Payer sans avoir de pouvoir est une drôle de formule à laquelle j'aurais dû réfléchir! Je considère que contrairement à ce que j'ai VOULU et à ce qu'ils prétendent, les journalistes du Monde ne sont pas libres mais prisonniers de leurs idéologies, de leurs règlements de compte, et de leur mauvaise foi."
Pierre Bergé, très investi dans les parutions de son journal
Le supplément littéraire du journal ne trouve pas plus grâce à ses yeux: Pierre Bergé affirme en 2013 le "désapprouver le plus souvent", provoquant la colère de la Société des rédacteurs du Monde, qui n'apprécie pas cette "intervention" dans sa ligne.
Même réaction à fleur de peau quand Le Monde publie l'enquête des SwissLeaks, deux ans plus tard, afin de dévoiler le système international d'évasion fiscale de la filiale suisse de la banque HSBC. Pierre Bergé accuse alors ni plus ni moins son journal de "populisme". "Est-ce le rôle d'un journal de jeter en pâture le nom des gens?", se demande-t-il, en colère, sur RTL. "Ce n'est pas pour ça que je leur ai permis d'acquérir leur indépendance. Ce sont des méthodes que je réprouve." La Société des rédacteurs du Mondepublie un communiqué pour dénoncer cette ces propos. "Comme il en est coutumier, Pierre Bergé est sorti de sa réserve au mépris du pacte qu'il a cosigné avec les autres actionnaires en 2010. Cela n'a pas empêché et n'empêchera pas les journalistes de travailler sereinement en toute indépendance et responsabilité", répondent les journalistes du quotidien, condamnant cette "intrusion dans le contenu éditorial", et assumant pleinement leurs choix éditoriaux.
On ne peut pas reprocher à Pierre Bergé de ne pas lire le journal qu'il possède. Ou de s'en désintéresser. Dans les pages du Monde, en 2013, on trouve une publicité pourLa Manif pour Tous. Pierre Bergé ne la manque pas, et, en tant que fervent militant des droits pour les homosexuels, il voit rouge, forcément. Il se dit, sur Twitter, profondément "scandalisé".
"Je n'ai pas le bac, mais j'ai acheté Le Monde"
Pierre Bergé ne semble pas avoir de mots assez durs envers ses journalistes. Sa colère vient-elle du fait que lui-même aurait aimé être du métier? Toute sa vie, il fonde des magazines: en 1949, Patrie Mondiale, puis, plusieurs décennies plus tard, le magazine Globe, Courrier International et encore Têtu.
Face à Mouloud Achour, en juillet 2017, on sent chez lui comme une volonté de revanche. "Vous dites que je voulais être journaliste, c'est vrai. Quand j'ai décidé de ne pas passer mon bac parce que je savais que je ne voulais pas être notaire, pas être médecin. Mon prof de latin grec m'a dit: vous savez, la première chose que va vous demander un directeur de journal, c'est si vous avez votre bac. Il est mort le pauvre. Sans ça, je lui aurais écrit: 'Désolé de vous contredire, je n'ai pas le bac, mais j'ai acheté Le Monde."
Le Monde, ce journal qu'il lit assidûment et qui, pourtant, le met profondément en colère, il le défend bec et ongle, lors du rachat de L'Obs par par le trio Niel-Bergé-Pigasse, en 2014. Il est à ses yeux hors de question que Le Monde se retrouve perdant lors de cette acquisition. "À l'époque d'ailleurs, Pierre Bergé s'insurge que L'Obs puisse, un jour, devenir propriétaire du Monde. Si tel était le cas, clame-t-il, il pourrait y avoir 'des synergies qui s'effectueraient au détriment du Monde': on commencerait par siphonner les abonnés de Télérama, plus ceux du Monde. Ce qui serait une bonne affaire pour L'Obs beaucoup moins pour Le Monde!", écrivent Les Echos.
Aude Lancelin, alors journaliste à L'Obs, l'accuse d'ailleurs d'être responsable de son soudain limogeage, elle qui est numéro 2 de l'hebdomadaire. Pierre Bergé dément en être à l'origine, et ne manque pas de dézinguer son livre Le Monde Libre, lorsque celui-ci obtient le prix Renaudot.
"Aude Lancelin obtient le Renaudot catégorie essai. Je l'aurais plutôt vue catégorie roman car ce qu'elle raconte est contraire à la vérité", publie-t-il sur Twitter. Toujours avec la même provocation.
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