On l’attendait à Cannes, il arrive à Venise en ce jeudi 7 septembre. Il y tombe comme un soleil, illuminant un festival qui allait mollement à sa fin, tel une rasade d’eau glacée, une décharge d’adrénaline, un hymne à la vie. Mektoub, My Love, Canto Uno, d’Abdellatif Kechiche, précédé comme d’ordinaire d’informations fâcheuses – dédoublement soudain du film, procédure avec France Télévisions, vente de la Palme d’or de La Vie d’Adèle –, fait, en trois heures qui passent à la vitesse de la lumière, tout oublier</a> de sa genèse. Le film s’ouvre sur une double citation de Saint-Jean et du Coran qui toutes deux célèbrent en Dieu, justement, la lumière, cette condition sine qua non du cinéma. Puis un long travelling latéral suit un jeune éphèbe roulant avec les reflets du littoral méditerranéen derrière lui, dans le tremblement pâle d’un matin d’été.
Lire le compte-rendu : Kechiche ira à Venise, Beauvois à Toronto
Ode mystique à la beauté du monde, que le cinéaste raccorde brutalement à la scène d’amour torride aperçue par le garçon par la fenêtre d’une maisonnette proche de la mer. Une scène enfiévrée, possédée, tendue par la recherche brutale et palpable du plaisir, entremêle une fille terrienne, radieuse et callipyge, à un amant svelte à la peau mate. La simple succession de ces deux premières scènes, qui mêlent chrétienté et islam, élan mystique et faim charnelle, emportent déjà le spectateur. En cinq minutes de temps, le film dépasse en intensité, en présence et en sensualité tout ce qu’on a pu voir</a> jusqu’à ce jour dans la compétition vénitienne.
On y trouve aussi une constellation d’éléments comme détachés des précédents films du réalisateur. Une fille d’éleveur qui se nomme d’après Shakespeare Ophélie, voici L’Esquive ; une mobylette promouvant un restaurant de couscous, voici La Graine et le Mulet ; une jeune femme déchaînant autour d’elle un désir brutal et tellurique, voici Vénus noire. Une scène d’amour enragée qui cueille le spectateur et voici La Vie d’Adèle.
Mektoub, My Love ne nous entraîne pas moins dans une voie qui n’appartient qu’à lui, d’une belle intrépidité : l’abandon presque total de la narration, la consomption de la chair et des mots dans l’incendie estival du désir, le film comme un long trip sensoriel dédié à la célébration de la vie.
Attrait intense des beautés qui se donnent
Le bel arrivant se nomme Amin. On est en 1994, Supertramp passe sur toutes les radios, et lui revient de Paris, interrompant ses études de médecine pour se consacrer</a> à l’écriture d’un scénario et passer</a> ses vacances à Sète, la ville de son enfance. Le garçon qui fait l’amour est Toni, son tombeur invétéré de cousin. Ophélie est une amie d’enfance, qui trompe son promis, Clément, soldat sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, avec le crâne hâbleur franco-tunisien. Centre brûlant du film, porté de manière encore une fois stupéfiante par deux acteurs non professionnels (Ophélie Bau et Shain Boumedine) : la relation d’Amin et d’Ophélie. Sous couvert de platonisme amical, quelque chose brûle entre eux. Autour d’eux, entre le clan exubérant et chaleureux d’Amin et les amis qui gravitent autour, danse un ballet de personnages secondaires ébouriffants, chacun posé en quelques phrases et quelques gestes, épuisant dans la lumière dionysiaque de l’été et l’effervescence sexuelle des discothèques la jouissance chaque jour et chaque nuit renouvelée d’un monde accordé à nos sens.
Le plus profond mystère du film, Amin, dans le rôle classique du confident, l’incarne avec une langueur qui susciterait presque l’irritation. Beau garçon timide, intello dans un groupe de jouisseurs, le personnage déjoue toutes les tentatives de séduction, pourtant nombreuses, qui s’offrent à lui. En lui, possible portrait d’un Abdellatif Kechiche en jeune homme au seuil de sa vocation artistique, se conjugue l’attrait intense des beautés qui se donnent et le retrait qui lui permet de mieux se les approprier</a>, dialectique et condition mêmes de l’artiste.
Adapté d’un roman de Bégaudeau
A travers ce personnage déplacé, le film se permet des percées qui suspendent et interrogent son déchaînement sensuel. Telle scène d’Arsenal (1929), grand film lyrique et politique à la fois du réalisateur ukrainien Alexandre Dovjenko, surgie de l’ombre d’une pièce et plus encore des gouffres du XXe siècle : celle de ce soldat devenu fou sur le front de la première guerre mondiale. Ou encore telle longue séquence documentaire, jamais vue à ce degré dans un film de fiction, au cours de laquelle Amin photographie des brebis qui mettent bas. Il en surgit une émotion qui émeut inopinément aux larmes et dont on cherche la raison. Elle tient peut-être à l’attente silencieuse de cette épiphanie – la grâce et la fragilité de l’agneau naissant, le miracle même de la vie capté par l’œil du photographe – en laquelle se révèle le plus haut point de spiritualité du cinéma.
Librement adapté d’un roman de François Bégaudeau (La Blessure, la vraie, 2011), ce « chant premier » de l’œuvre, si ouvert aux interprétations, si riche de pistes possibles, fait d’ores et déjà attendre</a> avec impatience sa suite. Y verra-t-on Amin sortir</a> de sa gangue pour devenir</a> acteur de sa propre vie ? L’œuvre intimiste prendra-t-elle un virage politique avec le retour du militaire trompé par son amante ? Questions pour l’instant oiseuses, alors même que le staff de la maison de distribution Pathé découvre le premier épisode en même temps que les festivaliers de Venise et que la date de sa sortie n’est même pas fixée.
Sur le Web : www.labiennale.org/en/cinema/2017/program-cinema-2017/abdellatif-kechiche-mektoub-my-love-canto-uno
Read AgainOn l’attendait à Cannes, il arrive à Venise en ce jeudi 7 septembre. Il y tombe comme un soleil, illuminant un festival qui allait mollement à sa fin, tel une rasade d’eau glacée, une décharge d’adrénaline, un hymne à la vie. Mektoub, My Love, Canto Uno, d’Abdellatif Kechiche, précédé comme d’ordinaire d’informations fâcheuses – dédoublement soudain du film, procédure avec France Télévisions, vente de la Palme d’or de La Vie d’Adèle –, fait, en trois heures qui passent à la vitesse de la lumière, tout oublier</a> de sa genèse. Le film s’ouvre sur une double citation de Saint-Jean et du Coran qui toutes deux célèbrent en Dieu, justement, la lumière, cette condition sine qua non du cinéma. Puis un long travelling latéral suit un jeune éphèbe roulant avec les reflets du littoral méditerranéen derrière lui, dans le tremblement pâle d’un matin d’été.
Lire le compte-rendu : Kechiche ira à Venise, Beauvois à Toronto
Ode mystique à la beauté du monde, que le cinéaste raccorde brutalement à la scène d’amour torride aperçue par le garçon par la fenêtre d’une maisonnette proche de la mer. Une scène enfiévrée, possédée, tendue par la recherche brutale et palpable du plaisir, entremêle une fille terrienne, radieuse et callipyge, à un amant svelte à la peau mate. La simple succession de ces deux premières scènes, qui mêlent chrétienté et islam, élan mystique et faim charnelle, emportent déjà le spectateur. En cinq minutes de temps, le film dépasse en intensité, en présence et en sensualité tout ce qu’on a pu voir</a> jusqu’à ce jour dans la compétition vénitienne.
On y trouve aussi une constellation d’éléments comme détachés des précédents films du réalisateur. Une fille d’éleveur qui se nomme d’après Shakespeare Ophélie, voici L’Esquive ; une mobylette promouvant un restaurant de couscous, voici La Graine et le Mulet ; une jeune femme déchaînant autour d’elle un désir brutal et tellurique, voici Vénus noire. Une scène d’amour enragée qui cueille le spectateur et voici La Vie d’Adèle.
Mektoub, My Love ne nous entraîne pas moins dans une voie qui n’appartient qu’à lui, d’une belle intrépidité : l’abandon presque total de la narration, la consomption de la chair et des mots dans l’incendie estival du désir, le film comme un long trip sensoriel dédié à la célébration de la vie.
Attrait intense des beautés qui se donnent
Le bel arrivant se nomme Amin. On est en 1994, Supertramp passe sur toutes les radios, et lui revient de Paris, interrompant ses études de médecine pour se consacrer</a> à l’écriture d’un scénario et passer</a> ses vacances à Sète, la ville de son enfance. Le garçon qui fait l’amour est Toni, son tombeur invétéré de cousin. Ophélie est une amie d’enfance, qui trompe son promis, Clément, soldat sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, avec le crâne hâbleur franco-tunisien. Centre brûlant du film, porté de manière encore une fois stupéfiante par deux acteurs non professionnels (Ophélie Bau et Shain Boumedine) : la relation d’Amin et d’Ophélie. Sous couvert de platonisme amical, quelque chose brûle entre eux. Autour d’eux, entre le clan exubérant et chaleureux d’Amin et les amis qui gravitent autour, danse un ballet de personnages secondaires ébouriffants, chacun posé en quelques phrases et quelques gestes, épuisant dans la lumière dionysiaque de l’été et l’effervescence sexuelle des discothèques la jouissance chaque jour et chaque nuit renouvelée d’un monde accordé à nos sens.
Le plus profond mystère du film, Amin, dans le rôle classique du confident, l’incarne avec une langueur qui susciterait presque l’irritation. Beau garçon timide, intello dans un groupe de jouisseurs, le personnage déjoue toutes les tentatives de séduction, pourtant nombreuses, qui s’offrent à lui. En lui, possible portrait d’un Abdellatif Kechiche en jeune homme au seuil de sa vocation artistique, se conjugue l’attrait intense des beautés qui se donnent et le retrait qui lui permet de mieux se les approprier</a>, dialectique et condition mêmes de l’artiste.
Adapté d’un roman de Bégaudeau
A travers ce personnage déplacé, le film se permet des percées qui suspendent et interrogent son déchaînement sensuel. Telle scène d’Arsenal (1929), grand film lyrique et politique à la fois du réalisateur ukrainien Alexandre Dovjenko, surgie de l’ombre d’une pièce et plus encore des gouffres du XXe siècle : celle de ce soldat devenu fou sur le front de la première guerre mondiale. Ou encore telle longue séquence documentaire, jamais vue à ce degré dans un film de fiction, au cours de laquelle Amin photographie des brebis qui mettent bas. Il en surgit une émotion qui émeut inopinément aux larmes et dont on cherche la raison. Elle tient peut-être à l’attente silencieuse de cette épiphanie – la grâce et la fragilité de l’agneau naissant, le miracle même de la vie capté par l’œil du photographe – en laquelle se révèle le plus haut point de spiritualité du cinéma.
Librement adapté d’un roman de François Bégaudeau (La Blessure, la vraie, 2011), ce « chant premier » de l’œuvre, si ouvert aux interprétations, si riche de pistes possibles, fait d’ores et déjà attendre</a> avec impatience sa suite. Y verra-t-on Amin sortir</a> de sa gangue pour devenir</a> acteur de sa propre vie ? L’œuvre intimiste prendra-t-elle un virage politique avec le retour du militaire trompé par son amante ? Questions pour l’instant oiseuses, alors même que le staff de la maison de distribution Pathé découvre le premier épisode en même temps que les festivaliers de Venise et que la date de sa sortie n’est même pas fixée.
Sur le Web : www.labiennale.org/en/cinema/2017/program-cinema-2017/abdellatif-kechiche-mektoub-my-love-canto-uno
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