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“'Une vie violente' raconte ce qui me hante”, Thierry de Peretti

Thierry de Peretti.

Thierry de Peretti.

Photo : Yann Rabanier pour Télérama

Alors que sa fresque criminelle ancrée dans la réalité contemporaine de l’île de Beauté, sort en salles cette semaine, le réalisateur Thierry de Peretti revient sur son rapport à l’histoire de la Corse et de son besoin de la raconter par le cinéma.

Entouré d’une partie de sa jeune et turbulente troupe d’acteurs, l’Ajaccien Thierry de Peretti était au festival de Lama, en Haute-Corse, pour présenter son deuxième long métrage, Une vie violente. A une semaine de la sortie nationale, fixée au 9 août 2017, le cinéaste souhaitait revenir sur les lieux du tournage et offrir au peuple corse la primeur de cette impressionnante fresque criminelle sur un étudiant de Bastia pris au piège entre nationalisme et terrorisme. Quelques minutes avant une inoubliable projection en plein air dans le silence du maquis, devant plus de mille spectateurs venus des quatre coins de l’île de Beauté saisir le miroir qui leur était tendu, Thierry de Peretti a répondu à nos questions sur la spécificité et les enjeux d’un cinéma corse.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir cinéaste, en 2005, après une belle carrière d’acteur et de metteur en scène de théâtre  ?

Je ne fais pas du théâtre de création. J’ai choisi de monter des textes : Koltès, Don DeLillo, Shakespeare. Ici, en Corse, souvent en plein air et en Balagne, avant de tourner sur le continent, et de revenir en Corse, dans des salles cette fois. Des expériences physiques, nerveuses, émotionnelles fortes. Mais je manquais d’un rapport au réel. Je n’ai jamais cru, peut-être à tort, que Richard II pouvait parler du pouvoir aujourd’hui. Il faut être Pasolini pour que les analogies explosent. Je sentais aussi que la Corse était un réservoir à fiction, qui me parlait davantage que les grands auteurs. Je ne me voyais pas écrire une pièce sur l’histoire politique de la Corse. Il fallait que cela passe par le cinéma, un art plus immédiat, plus contemporain.

Vous empruntez le titre de votre film, Une vie violente, à un roman de Pier Paolo Pasolini. Quel rapport entretenez-vous avec lui  ?

Pour tous cinéastes, Pasolini est un phare dans la nuit. J’ai choisi ce titre dès mes premières notes de travail. Et il est resté. Cela permet d’ancrer le film dans une culture plus italienne que directement française. Un rapport à la fois au mythe, au politique, au territoire, à cette tension entre l’extrême ruralité et le monde contemporain. La confrontation entre les époques est toujours particulièrement visible en Corse. Le pastoral n’a pas encore abdiqué face aux zones d’activités.

Ce besoin de raconter la Corse par la fiction vous a poussé à créer le collectif « Stanley White » (1)…

C’est plus une coopérative qu’un collectif. Nous l’avons créé en 2010 avec l’idée de nous emparer de ce territoire et des récits qu’il contient. Est-il nécessaire de raconter l’histoire de la Corse au cinéma ? Nous pensons que oui, et peut-être plus qu’ailleurs, parce que cette histoire nous touche, nous trouble, nous terrifie, nous révolte. Il y a une histoire de la violence en Corse et donc une volonté un peu cathartique de dire les choses. Sinon, on suffoque. Au sein de « Stanley White », nous sommes une demi-douzaine d’amis, entre 30 et 45 ans, réalisateurs, producteurs, commissaire d’exposition, à travailler pas forcément ensemble mais dans la même direction, sur cette idée de territoire. Nous avons aussi en commun un goût pour les cinématographies du grand Sud, le Portugal, Taïwan, les Philippines. En regardant les films de Lav Diaz,Brillante Mendoza, ou d’Edward Yang et Hou Hsiao-hsien, qui racontent des histoires qui se passent en bas de chez eux, nous avons eu envie de faire pareil, peut-être avec moins de génie, mais l’idée est la même. Quand on demande à l’écrivain corse Jérôme Ferrari pourquoi ses romans se passent tous en Corse, il répond qu’il veut faire accéder la Corse à la dignité littéraire. « Stanley White » veut faire accéder la Corse à la dignité cinématographique.

Jean Michelangeli dans Une vie violente.

Jean Michelangeli dans Une vie violente.

© Les Films Velvet

Est-ce aussi une façon de vous réapproprier un territoire maltraité par d’autres cinéastes moins soucieux de la vérité historique ?

Forcément, il y a aussi un rejet d’un cinéma plus commercial, corse ou non corse. Tout le monde peut faire un film sur n’importe quel sujet mais attention au point de vue. Qu’est-ce qu’on représente ? Et qui représente quoi ? Les questions de légitimité peuvent paraître orgueilleuses aux yeux de certains mais c’est pour nous un principe d’honnêteté. On peut pousser ce principe plus loin en disant : a-t-on le droit de raconter une histoire qu’on n’a pas vécue  ?

N’est-ce pas nier le pouvoir de l’imagination et le droit à la fiction ? Si on suit votre raisonnement, Francis Ford Coppola n’aurait pas eu le droit d’écrire Apocalypse Now !

Apocalypse Now parle plus de l’Amérique que du Vietnam. C’est un film de territoire intérieur. Quand Hou Hsia-hsien vient tourner Le Voyage du Ballon rouge à Paris, on voit bien que son acuité baisse. Il est perdu. C’est un grand cinéaste donc il s’en sort, mais c’est moins intéressant que quand il filme chez lui. Je ne dis pas qu’on ne parle bien que de ce qu’on connaît, mais on avait l’impression que les récits qui parlent de la Corse avaient besoin d’une forme de réalisme qui est totalement absent des clichés de L’Enquête corse, pour citer un exemple récent.

En choisissant de raconter, dans Une vie violente, une histoire du terrorisme corse, vous manipulez un thème rebattu par l’actualité. N’est-ce pas non plus une facilité ?

Encore une fois, je raconte ce qui me hante et j’essaie de le faire avec le cinéma auquel je crois. C’est important de raconter des choses qui en valent la peine, qui sont problématiques. Je n’ai pas fait un film moral, ni un film de professeur, ou de journaliste, mais un film qui tente de poser une question : qu’est-ce qui nous est arrivé ? Je n’ai pas de fascination particulière pour la violence. Mais pour que mon film ait du sens, il faut qu’il soit vu, qu’il suscite du désir. J’aurais pu raconter la classe moyenne en Corse, où la violence serait plus périphérique, mais ce n’était pas ma priorité. On n’a pas une tradition de cinéma très ancienne, comme en Israël, où des cinéastes comme Nadav Lapid peuvent aujourd’hui se consacrer à des thèmes déconnectés du conflit. Je ne pense pas faire tous mes films en Corse. Le prochain, sans doute, mais pas davantage. Et je n’ai pas envie que les questions identitaires m’occupent toute ma vie.

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Thierry de Peretti.

Thierry de Peretti.

Photo : Yann Rabanier pour Télérama

Alors que sa fresque criminelle ancrée dans la réalité contemporaine de l’île de Beauté, sort en salles cette semaine, le réalisateur Thierry de Peretti revient sur son rapport à l’histoire de la Corse et de son besoin de la raconter par le cinéma.

Entouré d’une partie de sa jeune et turbulente troupe d’acteurs, l’Ajaccien Thierry de Peretti était au festival de Lama, en Haute-Corse, pour présenter son deuxième long métrage, Une vie violente. A une semaine de la sortie nationale, fixée au 9 août 2017, le cinéaste souhaitait revenir sur les lieux du tournage et offrir au peuple corse la primeur de cette impressionnante fresque criminelle sur un étudiant de Bastia pris au piège entre nationalisme et terrorisme. Quelques minutes avant une inoubliable projection en plein air dans le silence du maquis, devant plus de mille spectateurs venus des quatre coins de l’île de Beauté saisir le miroir qui leur était tendu, Thierry de Peretti a répondu à nos questions sur la spécificité et les enjeux d’un cinéma corse.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir cinéaste, en 2005, après une belle carrière d’acteur et de metteur en scène de théâtre  ?

Je ne fais pas du théâtre de création. J’ai choisi de monter des textes : Koltès, Don DeLillo, Shakespeare. Ici, en Corse, souvent en plein air et en Balagne, avant de tourner sur le continent, et de revenir en Corse, dans des salles cette fois. Des expériences physiques, nerveuses, émotionnelles fortes. Mais je manquais d’un rapport au réel. Je n’ai jamais cru, peut-être à tort, que Richard II pouvait parler du pouvoir aujourd’hui. Il faut être Pasolini pour que les analogies explosent. Je sentais aussi que la Corse était un réservoir à fiction, qui me parlait davantage que les grands auteurs. Je ne me voyais pas écrire une pièce sur l’histoire politique de la Corse. Il fallait que cela passe par le cinéma, un art plus immédiat, plus contemporain.

Vous empruntez le titre de votre film, Une vie violente, à un roman de Pier Paolo Pasolini. Quel rapport entretenez-vous avec lui  ?

Pour tous cinéastes, Pasolini est un phare dans la nuit. J’ai choisi ce titre dès mes premières notes de travail. Et il est resté. Cela permet d’ancrer le film dans une culture plus italienne que directement française. Un rapport à la fois au mythe, au politique, au territoire, à cette tension entre l’extrême ruralité et le monde contemporain. La confrontation entre les époques est toujours particulièrement visible en Corse. Le pastoral n’a pas encore abdiqué face aux zones d’activités.

Ce besoin de raconter la Corse par la fiction vous a poussé à créer le collectif « Stanley White » (1)…

C’est plus une coopérative qu’un collectif. Nous l’avons créé en 2010 avec l’idée de nous emparer de ce territoire et des récits qu’il contient. Est-il nécessaire de raconter l’histoire de la Corse au cinéma ? Nous pensons que oui, et peut-être plus qu’ailleurs, parce que cette histoire nous touche, nous trouble, nous terrifie, nous révolte. Il y a une histoire de la violence en Corse et donc une volonté un peu cathartique de dire les choses. Sinon, on suffoque. Au sein de « Stanley White », nous sommes une demi-douzaine d’amis, entre 30 et 45 ans, réalisateurs, producteurs, commissaire d’exposition, à travailler pas forcément ensemble mais dans la même direction, sur cette idée de territoire. Nous avons aussi en commun un goût pour les cinématographies du grand Sud, le Portugal, Taïwan, les Philippines. En regardant les films de Lav Diaz,Brillante Mendoza, ou d’Edward Yang et Hou Hsiao-hsien, qui racontent des histoires qui se passent en bas de chez eux, nous avons eu envie de faire pareil, peut-être avec moins de génie, mais l’idée est la même. Quand on demande à l’écrivain corse Jérôme Ferrari pourquoi ses romans se passent tous en Corse, il répond qu’il veut faire accéder la Corse à la dignité littéraire. « Stanley White » veut faire accéder la Corse à la dignité cinématographique.

Jean Michelangeli dans Une vie violente.

Jean Michelangeli dans Une vie violente.

© Les Films Velvet

Est-ce aussi une façon de vous réapproprier un territoire maltraité par d’autres cinéastes moins soucieux de la vérité historique ?

Forcément, il y a aussi un rejet d’un cinéma plus commercial, corse ou non corse. Tout le monde peut faire un film sur n’importe quel sujet mais attention au point de vue. Qu’est-ce qu’on représente ? Et qui représente quoi ? Les questions de légitimité peuvent paraître orgueilleuses aux yeux de certains mais c’est pour nous un principe d’honnêteté. On peut pousser ce principe plus loin en disant : a-t-on le droit de raconter une histoire qu’on n’a pas vécue  ?

N’est-ce pas nier le pouvoir de l’imagination et le droit à la fiction ? Si on suit votre raisonnement, Francis Ford Coppola n’aurait pas eu le droit d’écrire Apocalypse Now !

Apocalypse Now parle plus de l’Amérique que du Vietnam. C’est un film de territoire intérieur. Quand Hou Hsia-hsien vient tourner Le Voyage du Ballon rouge à Paris, on voit bien que son acuité baisse. Il est perdu. C’est un grand cinéaste donc il s’en sort, mais c’est moins intéressant que quand il filme chez lui. Je ne dis pas qu’on ne parle bien que de ce qu’on connaît, mais on avait l’impression que les récits qui parlent de la Corse avaient besoin d’une forme de réalisme qui est totalement absent des clichés de L’Enquête corse, pour citer un exemple récent.

En choisissant de raconter, dans Une vie violente, une histoire du terrorisme corse, vous manipulez un thème rebattu par l’actualité. N’est-ce pas non plus une facilité ?

Encore une fois, je raconte ce qui me hante et j’essaie de le faire avec le cinéma auquel je crois. C’est important de raconter des choses qui en valent la peine, qui sont problématiques. Je n’ai pas fait un film moral, ni un film de professeur, ou de journaliste, mais un film qui tente de poser une question : qu’est-ce qui nous est arrivé ? Je n’ai pas de fascination particulière pour la violence. Mais pour que mon film ait du sens, il faut qu’il soit vu, qu’il suscite du désir. J’aurais pu raconter la classe moyenne en Corse, où la violence serait plus périphérique, mais ce n’était pas ma priorité. On n’a pas une tradition de cinéma très ancienne, comme en Israël, où des cinéastes comme Nadav Lapid peuvent aujourd’hui se consacrer à des thèmes déconnectés du conflit. Je ne pense pas faire tous mes films en Corse. Le prochain, sans doute, mais pas davantage. Et je n’ai pas envie que les questions identitaires m’occupent toute ma vie.

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