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Charles Bradley, le soulman abîmé s'est éteint [PORTRAIT]

Le chanteur Charles Bradley est décédé, samedi, à l'âge de 68 ans. Il laisse derrière lui trois albums, une carrière démarrée sur le tard, une vie de galère et de musique, et surtout des concerts mémorables.

Sur la scène des Vieilles Charrues en 2013, Charles Bradley était torse nu. La chaleur qui sévissait n'entamait ni sa hargne ni sa voix époustouflante. Alors que son âge frôlait le triple de celui de la moyenne des festivaliers, le chanteur décédé hier à 68 ans des suites d'une maladie interprétait la playlist de son nouvel et second album, Victim Of Love, avec passion et groove hystérique. Oui, un second album à son âge. Car la vie de Charles Bradley n'a pas été de tout repos, loin de là.

La carrière du soulman n'a connu le succès que tard, très tard. Au début des années 2000, il a fait la rencontre des boss du label américain Daptone Records. Ces derniers prennent un malin plaisir partagé à réparer des injustices : celles qui ont laissé des talents vocaux dans l'oubli pendant des années. Ainsi la maison de disques a-t-elle, depuis sa création en 2001, fait émerger Sharon Jones (décédé le 18 novembre 2016) à l'âge de 46 ans, Naomi Shelton à l'âge de 68 ans... Et donc Charles Bradley. La rencontre se fait alors qu'il assure un concert sous le nom de Black Velvet, un alias qu'il utilise lors de ses prestations d'imitation de James Brown. Car oui, Bradley a de nombreux points communs avec le Godfather Of Soul, surtout lorsqu'il s'agit d'interpréter des morceaux énergiques. Pourtant, sa voix de base, celle qu'il convoque sur ses albums, est certainement plus proche de celle d'Otis Redding. Difficile de faire mieux comme comparaisons en matière de soul.

« Je suis revenu de l'enfer »

La vie de Charles Bradley n'a pourtant pas été rythmée par les tournées, les sorties d'album et les journées promo qui vont avec. A 14 ans, il découvre James Brown sur la scène de l'Apollo Theatre de New York. Mais parallèlement à ce déclic musical qui marquera durablement sa vie et sa future carrière, le jeune garçon vie dans la rue après avoir fuit le domicile familial et ses conditions de vie difficiles. « Je suis revenu de l'enfer, confiait-il au site Internet Noisey en 2014. J'ai été seul depuis mes 14 ans, et j'en ai vu, des choses. Pourtant, dès que j'allume la télé, je vois toutes ces horreurs aujourd'hui. Je ne veux pas être impliqué là-dedans. Je reste juste loin de tout cela. Je ne vaux pas mieux que tous ces gens dehors qui luttent. J'essaie juste de prendre soin de ce que j'ai. Car on te dit que tu n'auras pas ce que tu veux dans la vie, alors prends soin du peu que tu as. Je vois des gens qui m'envient, et je me demande pourquoi. Parce que j'en ai vraiment bavé, et pour être honnête, j'ai léché pas mal de culs pour sortir la tête de l'eau. Et quand je regarde en arrière vers ma vie, je ne vois rien d'autre que le ghetto et un monde de corruption. Alors je lèche des culs pour continuer à avancer, mais au moins, je le fais honnêtement. »

Pendant une énorme partie de sa vie, parce qu'il faut bien remplir le frigo, Charles Bradley a été cuistot dans de nombreux restaurants de New York et de Californie, dans des résidences de retraités, dans un hôpital psychiatrique... A côté de cela, il parvenait à chanter dans des clubs avec ses groupes successifs. Il parcourait les Etats-Unis dès qu'il le pouvait, capable de reprendre une soixantaine de chansons de James Brown. A Libération, il déclarait en 2011, au moment de la sortie de son premier album No Time For Dreaming : « Je me sens d’ailleurs tiraillé entre les deux. On m’a toujours appelé Black Velvet, ça me fait bizarre maintenant d’entendre les gens m’appeler par mon véritable prénom. Il faut que je m’habitue. Même mes fans, qui me connaissaient en James Brown Jr, ont été choqués quand je me suis mis à chanter mes propres trucs, parler de choses vécues qui m’ont réellement fait souffrir. »

Une bête de scène

Mais deux événements, qu'il abordait régulièrement, l'ont particulièrement marqué : le meurtre de son frère en 1996, dont il voit une dernière fois le corps encore chaud sur les lieux du crime, et le décès de sa mère, partie alors qu'il dormait à l'étage juste en dessous. Le soir de la mort de celle-ci, il se produisait d'ailleurs sur scène. « J'ai fait ce concert, rappelait-il à Noisey. Je ne sais pas comment, mais je l'ai fait. Je suis descendu au sous-sol, je suis devenu fou. Je pleurais si fort, mon dieu. Ma sœur Andrea m'a rejoint et est devenu folle elle aussi. Elle disait : « Je veux tout voir. » Et je disais : « Je ne peux pas les voir la mettre dans le sac mortuaire. » Alors je suis allé au concert et j'ai chanté de tout mon cœur. »

Certes, la discographie de Charles Bradley est de bonne facture. Mais difficile de prétendre que ces disques valent ceux des grands noms de la soul des années 1960-1970. Même si l'idée de Daptone Records est de faire revivre un son parfois oublié, celui du label Stax ou des studio Muscle Shoals, difficile de rivaliser avec le savoir-faire de l'époque. Cependant, sur scène, il y avait match. C'est aussi cela que l'on retiendra de Charles Bradley : en plus d'un homme abîmé, ayant connu la renaissance, ayant une voix splendide, c'était un homme de concert, une bête de scène. Malade depuis plusieurs mois, il avait d'ailleurs du annuler sa dernière tournée. On aurait aimé le voir une dernière fois.

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Le chanteur Charles Bradley est décédé, samedi, à l'âge de 68 ans. Il laisse derrière lui trois albums, une carrière démarrée sur le tard, une vie de galère et de musique, et surtout des concerts mémorables.

Sur la scène des Vieilles Charrues en 2013, Charles Bradley était torse nu. La chaleur qui sévissait n'entamait ni sa hargne ni sa voix époustouflante. Alors que son âge frôlait le triple de celui de la moyenne des festivaliers, le chanteur décédé hier à 68 ans des suites d'une maladie interprétait la playlist de son nouvel et second album, Victim Of Love, avec passion et groove hystérique. Oui, un second album à son âge. Car la vie de Charles Bradley n'a pas été de tout repos, loin de là.

La carrière du soulman n'a connu le succès que tard, très tard. Au début des années 2000, il a fait la rencontre des boss du label américain Daptone Records. Ces derniers prennent un malin plaisir partagé à réparer des injustices : celles qui ont laissé des talents vocaux dans l'oubli pendant des années. Ainsi la maison de disques a-t-elle, depuis sa création en 2001, fait émerger Sharon Jones (décédé le 18 novembre 2016) à l'âge de 46 ans, Naomi Shelton à l'âge de 68 ans... Et donc Charles Bradley. La rencontre se fait alors qu'il assure un concert sous le nom de Black Velvet, un alias qu'il utilise lors de ses prestations d'imitation de James Brown. Car oui, Bradley a de nombreux points communs avec le Godfather Of Soul, surtout lorsqu'il s'agit d'interpréter des morceaux énergiques. Pourtant, sa voix de base, celle qu'il convoque sur ses albums, est certainement plus proche de celle d'Otis Redding. Difficile de faire mieux comme comparaisons en matière de soul.

« Je suis revenu de l'enfer »

La vie de Charles Bradley n'a pourtant pas été rythmée par les tournées, les sorties d'album et les journées promo qui vont avec. A 14 ans, il découvre James Brown sur la scène de l'Apollo Theatre de New York. Mais parallèlement à ce déclic musical qui marquera durablement sa vie et sa future carrière, le jeune garçon vie dans la rue après avoir fuit le domicile familial et ses conditions de vie difficiles. « Je suis revenu de l'enfer, confiait-il au site Internet Noisey en 2014. J'ai été seul depuis mes 14 ans, et j'en ai vu, des choses. Pourtant, dès que j'allume la télé, je vois toutes ces horreurs aujourd'hui. Je ne veux pas être impliqué là-dedans. Je reste juste loin de tout cela. Je ne vaux pas mieux que tous ces gens dehors qui luttent. J'essaie juste de prendre soin de ce que j'ai. Car on te dit que tu n'auras pas ce que tu veux dans la vie, alors prends soin du peu que tu as. Je vois des gens qui m'envient, et je me demande pourquoi. Parce que j'en ai vraiment bavé, et pour être honnête, j'ai léché pas mal de culs pour sortir la tête de l'eau. Et quand je regarde en arrière vers ma vie, je ne vois rien d'autre que le ghetto et un monde de corruption. Alors je lèche des culs pour continuer à avancer, mais au moins, je le fais honnêtement. »

Pendant une énorme partie de sa vie, parce qu'il faut bien remplir le frigo, Charles Bradley a été cuistot dans de nombreux restaurants de New York et de Californie, dans des résidences de retraités, dans un hôpital psychiatrique... A côté de cela, il parvenait à chanter dans des clubs avec ses groupes successifs. Il parcourait les Etats-Unis dès qu'il le pouvait, capable de reprendre une soixantaine de chansons de James Brown. A Libération, il déclarait en 2011, au moment de la sortie de son premier album No Time For Dreaming : « Je me sens d’ailleurs tiraillé entre les deux. On m’a toujours appelé Black Velvet, ça me fait bizarre maintenant d’entendre les gens m’appeler par mon véritable prénom. Il faut que je m’habitue. Même mes fans, qui me connaissaient en James Brown Jr, ont été choqués quand je me suis mis à chanter mes propres trucs, parler de choses vécues qui m’ont réellement fait souffrir. »

Une bête de scène

Mais deux événements, qu'il abordait régulièrement, l'ont particulièrement marqué : le meurtre de son frère en 1996, dont il voit une dernière fois le corps encore chaud sur les lieux du crime, et le décès de sa mère, partie alors qu'il dormait à l'étage juste en dessous. Le soir de la mort de celle-ci, il se produisait d'ailleurs sur scène. « J'ai fait ce concert, rappelait-il à Noisey. Je ne sais pas comment, mais je l'ai fait. Je suis descendu au sous-sol, je suis devenu fou. Je pleurais si fort, mon dieu. Ma sœur Andrea m'a rejoint et est devenu folle elle aussi. Elle disait : « Je veux tout voir. » Et je disais : « Je ne peux pas les voir la mettre dans le sac mortuaire. » Alors je suis allé au concert et j'ai chanté de tout mon cœur. »

Certes, la discographie de Charles Bradley est de bonne facture. Mais difficile de prétendre que ces disques valent ceux des grands noms de la soul des années 1960-1970. Même si l'idée de Daptone Records est de faire revivre un son parfois oublié, celui du label Stax ou des studio Muscle Shoals, difficile de rivaliser avec le savoir-faire de l'époque. Cependant, sur scène, il y avait match. C'est aussi cela que l'on retiendra de Charles Bradley : en plus d'un homme abîmé, ayant connu la renaissance, ayant une voix splendide, c'était un homme de concert, une bête de scène. Malade depuis plusieurs mois, il avait d'ailleurs du annuler sa dernière tournée. On aurait aimé le voir une dernière fois.

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