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Albert Uderzo, père d'Astérix et Obélix mort à 92 ans, raconté en huit planches cultes - Le Monde

Mort mardi 24 mars à l’âge de 92 ans, Albert Uderzo était un géant de la bande dessinée, et du dessin tout court. En témoignent une œuvre extraordinairement prolifique et des planches inoubliables, comme en témoigne cette petite sélection d’extraits tirés de sa série fétiche, Astérix (anciennement Astérix le Gaulois), créée en 1959 avec René Goscinny.

Des héros encore perfectibles

Extrait d’« Astérix le Gaulois ».
Extrait d’« Astérix le Gaulois ». LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Tirée de l’album Astérix le Gaulois (1961), cette demi-planche figure au bas de la toute première page de la série. Après un bref préambule sur la situation géopolitique de la Gaule de l’époque (Vercingétorix qui dépose les armes aux pieds de César…), Goscinny et Uderzo introduisent leurs personnages principaux. La main du dessinateur ne les « possède » pas encore parfaitement : Astérix apparaît plus grand qu’il ne le sera par la suite, Obélix est moins rond du bas du corps et César pâtit d’un manque de finition (au point de revenir sous des traits plus anguleux à la fin de ce même album).

Le recours à la caricature

Extrait de « La Serpe d’or » (1962).
Extrait de « La Serpe d’or » (1962). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Dès le deuxième album, La Serpe d’Or (1962), Uderzo a recours à la caricature pour camper certains personnages secondaires. Quelques pages auparavant, il a dessiné le préfet Gracchus Pleindastus sous les traits de l’acteur et réalisateur Charles Laughton. Il fait ici de Raimu un aubergiste marseillais installé à la capitale. Le comédien apparaîtra à nouveau comme patron de bar dans Le Tour de Gaule d’Astérix (1965), sous le nom de César Labeldecadix, mais à Massilia (Marseille) cette fois.

L’art du lettrage

Extrait d’« Astérix chez les Goths » (1963).
Extrait d’« Astérix chez les Goths » (1963). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Si les anachronismes ont beaucoup participé à la réputation des aventures d’Astérix, celui-ci, tiré d’Astérix chez les Goths (1963), n’est pas des moindres : l’usage de l’alphabet gothique dans les bulles des populations germaniques de l’époque des invasions barbares (IVe -Ve siècles), alors qu’il n’est apparu qu’à la fin du Moyen Age. Peu importe : le but est de faire rire. Uderzo fait la démonstration, au passage, de son talent de lettreur – qualité dont il usera également dans la réalisation d’onomatopées innombrables et variées.

Le cinéma comme langage

Extrait d’« Astérix et Cléopâtre » (1965).
Extrait d’« Astérix et Cléopâtre » (1965). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

La réécriture de l’Histoire est un autre ressort humoristique propre à la série. La recette est hissée à un sommet de drôlerie inégalable avec cette scène d’Astérix et Cléopâtre (1965) dévoilant le mystère du nez mutilé du Sphinx de Gizeh. Conçu en écho au Cléopâtre (1963) de Joseph L. Mankiewicz, cet album annonce la relation très étroite qu’Astérix va entretenir avec le cinéma (une dizaine de films en prise réelle, dessin animé et images de synthèse). Uderzo montre qu’il a parfaitement intégré le langage cinématographique avec ce plan fixe, pris de loin, idéal pour immortaliser la bévue d’Obélix.

Le chef-d’œuvre d’Uderzo

Extrait du « Bouclier arverne » (1968).
Extrait du « Bouclier arverne » (1968). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

S’il fallait une preuve que la bande dessinée est un art, la planche 31 du Bouclier arverne (1968) pourrait la constituer. Cette scène de bouderie et de réconciliation entre Astérix et Obélix à la composition étudiée – champ et contrechamp, point de vue extérieur du chien Idéfix, décor au fort symbolisme naturaliste, etc. – est un des chefs-d’œuvre d’Albert Uderzo, et un hymne à l’amitié. L’original a été offert par le dessinateur au musée de la bande dessinée d’Angoulême.

Des ramponneaux à la pelle

Extrait d’« Astérix en Hispanie » (1969).
Extrait d’« Astérix en Hispanie » (1969). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Les bagarres sont congénitales aux aventures d’Astérix, comme on le voit ici dans Astérix en Hispanie (1969). Qu’ils connaissent ou non les raisons du litige, les mâles à moustache du village viennent y prendre part sans exception, comme dans les saloons du Far West. Tout, dans la dernière vignette, vole : les poings, le poisson (pas frais) objet du délit, les casques ailés… Des petits nuages et des étoiles rouges en suspension matérialisent l’échauffement des esprits et des corps, un cumulus de poussière symbolise la confusion générale. La grammaire graphique développée par Uderzo – grand lecteur de Popeye quand il était enfant – fait merveille.

Vert de colère

Extrait de « La Zizanie  » (1970).
Extrait de « La Zizanie  » (1970). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

A court d’idée pour faire ployer le petit village d’irréductibles Gaulois qui lui résiste encore, César, dans La Zizanie (1970), envoie sur place un spécialiste en « guerre psychologique », Tullius Detritus, afin de semer la discorde entre les habitants (mais aussi les pirates, comme on le voit ici). Une tension continue traverse cet album tiré à un million d’exemplaires à sa sortie, remarquable en raison du vert qui inonde sa couverture, mais aussi l’intérieur de nombreux phylactères. L’utilisation d’une couleur à des fins narratives – afin, ici, d’intensifier l’irritation des personnages – souligne la grande liberté dont est capable la bande dessinée, médium aux potentialités infinies.

« Je n’aime pas qu’on parle à ma sœur »

Extrait d’« Astérix en Corse » (1973).
Extrait d’« Astérix en Corse » (1973). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Au registre des clichés, Astérix en Corse (1973) est un des albums qui tapent le plus fort. Goscinny et Uderzo s’en donnent à cœur joie pour brocarder le tempérament des habitants de l’île de Beauté, comme ici à propos de leur irascibilité supposée. La posture inflexible de Carferrix, son regard menaçant qui foudroie d’un éclair le Romain venu perquisitionner sa maison, la façon dont ce dernier se liquéfie, case après case, et le « tchac tchac » du couteau à cran d’arrêt qui s’éjecte du poing de l’insulaire indépendantiste confèrent à cette séquence un statut de « planche culte ».

(Textes tirés du hors-série du Monde : « Astérix, l’irréductible », de décembre 2015.)

(Les visuels sont publiés avec l’aimable autorisation des Editions Albert René.)

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Mort mardi 24 mars à l’âge de 92 ans, Albert Uderzo était un géant de la bande dessinée, et du dessin tout court. En témoignent une œuvre extraordinairement prolifique et des planches inoubliables, comme en témoigne cette petite sélection d’extraits tirés de sa série fétiche, Astérix (anciennement Astérix le Gaulois), créée en 1959 avec René Goscinny.

Des héros encore perfectibles

Extrait d’« Astérix le Gaulois ».
Extrait d’« Astérix le Gaulois ». LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Tirée de l’album Astérix le Gaulois (1961), cette demi-planche figure au bas de la toute première page de la série. Après un bref préambule sur la situation géopolitique de la Gaule de l’époque (Vercingétorix qui dépose les armes aux pieds de César…), Goscinny et Uderzo introduisent leurs personnages principaux. La main du dessinateur ne les « possède » pas encore parfaitement : Astérix apparaît plus grand qu’il ne le sera par la suite, Obélix est moins rond du bas du corps et César pâtit d’un manque de finition (au point de revenir sous des traits plus anguleux à la fin de ce même album).

Le recours à la caricature

Extrait de « La Serpe d’or » (1962).
Extrait de « La Serpe d’or » (1962). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Dès le deuxième album, La Serpe d’Or (1962), Uderzo a recours à la caricature pour camper certains personnages secondaires. Quelques pages auparavant, il a dessiné le préfet Gracchus Pleindastus sous les traits de l’acteur et réalisateur Charles Laughton. Il fait ici de Raimu un aubergiste marseillais installé à la capitale. Le comédien apparaîtra à nouveau comme patron de bar dans Le Tour de Gaule d’Astérix (1965), sous le nom de César Labeldecadix, mais à Massilia (Marseille) cette fois.

L’art du lettrage

Extrait d’« Astérix chez les Goths » (1963).
Extrait d’« Astérix chez les Goths » (1963). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Si les anachronismes ont beaucoup participé à la réputation des aventures d’Astérix, celui-ci, tiré d’Astérix chez les Goths (1963), n’est pas des moindres : l’usage de l’alphabet gothique dans les bulles des populations germaniques de l’époque des invasions barbares (IVe -Ve siècles), alors qu’il n’est apparu qu’à la fin du Moyen Age. Peu importe : le but est de faire rire. Uderzo fait la démonstration, au passage, de son talent de lettreur – qualité dont il usera également dans la réalisation d’onomatopées innombrables et variées.

Le cinéma comme langage

Extrait d’« Astérix et Cléopâtre » (1965).
Extrait d’« Astérix et Cléopâtre » (1965). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

La réécriture de l’Histoire est un autre ressort humoristique propre à la série. La recette est hissée à un sommet de drôlerie inégalable avec cette scène d’Astérix et Cléopâtre (1965) dévoilant le mystère du nez mutilé du Sphinx de Gizeh. Conçu en écho au Cléopâtre (1963) de Joseph L. Mankiewicz, cet album annonce la relation très étroite qu’Astérix va entretenir avec le cinéma (une dizaine de films en prise réelle, dessin animé et images de synthèse). Uderzo montre qu’il a parfaitement intégré le langage cinématographique avec ce plan fixe, pris de loin, idéal pour immortaliser la bévue d’Obélix.

Le chef-d’œuvre d’Uderzo

Extrait du « Bouclier arverne » (1968).
Extrait du « Bouclier arverne » (1968). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

S’il fallait une preuve que la bande dessinée est un art, la planche 31 du Bouclier arverne (1968) pourrait la constituer. Cette scène de bouderie et de réconciliation entre Astérix et Obélix à la composition étudiée – champ et contrechamp, point de vue extérieur du chien Idéfix, décor au fort symbolisme naturaliste, etc. – est un des chefs-d’œuvre d’Albert Uderzo, et un hymne à l’amitié. L’original a été offert par le dessinateur au musée de la bande dessinée d’Angoulême.

Des ramponneaux à la pelle

Extrait d’« Astérix en Hispanie » (1969).
Extrait d’« Astérix en Hispanie » (1969). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Les bagarres sont congénitales aux aventures d’Astérix, comme on le voit ici dans Astérix en Hispanie (1969). Qu’ils connaissent ou non les raisons du litige, les mâles à moustache du village viennent y prendre part sans exception, comme dans les saloons du Far West. Tout, dans la dernière vignette, vole : les poings, le poisson (pas frais) objet du délit, les casques ailés… Des petits nuages et des étoiles rouges en suspension matérialisent l’échauffement des esprits et des corps, un cumulus de poussière symbolise la confusion générale. La grammaire graphique développée par Uderzo – grand lecteur de Popeye quand il était enfant – fait merveille.

Vert de colère

Extrait de « La Zizanie  » (1970).
Extrait de « La Zizanie  » (1970). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

A court d’idée pour faire ployer le petit village d’irréductibles Gaulois qui lui résiste encore, César, dans La Zizanie (1970), envoie sur place un spécialiste en « guerre psychologique », Tullius Detritus, afin de semer la discorde entre les habitants (mais aussi les pirates, comme on le voit ici). Une tension continue traverse cet album tiré à un million d’exemplaires à sa sortie, remarquable en raison du vert qui inonde sa couverture, mais aussi l’intérieur de nombreux phylactères. L’utilisation d’une couleur à des fins narratives – afin, ici, d’intensifier l’irritation des personnages – souligne la grande liberté dont est capable la bande dessinée, médium aux potentialités infinies.

« Je n’aime pas qu’on parle à ma sœur »

Extrait d’« Astérix en Corse » (1973).
Extrait d’« Astérix en Corse » (1973). LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Au registre des clichés, Astérix en Corse (1973) est un des albums qui tapent le plus fort. Goscinny et Uderzo s’en donnent à cœur joie pour brocarder le tempérament des habitants de l’île de Beauté, comme ici à propos de leur irascibilité supposée. La posture inflexible de Carferrix, son regard menaçant qui foudroie d’un éclair le Romain venu perquisitionner sa maison, la façon dont ce dernier se liquéfie, case après case, et le « tchac tchac » du couteau à cran d’arrêt qui s’éjecte du poing de l’insulaire indépendantiste confèrent à cette séquence un statut de « planche culte ».

(Textes tirés du hors-série du Monde : « Astérix, l’irréductible », de décembre 2015.)

(Les visuels sont publiés avec l’aimable autorisation des Editions Albert René.)

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