Le 6 septembre, L'Express posait cette question en Une, autour du livre débat d'Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut: êtes-vous conservateur ou progressiste? D'autres personnalités ont répondu.
Le 6 septembre, L'Express publiait un dossier autour des bonnes feuilles du nouveau livre d'Alain Finkielkraut et d'Elisabeth de Fontenay, En terrain miné (Stock). Le lendemain, L'Obs nous apprenait, par la voix du chroniqueur et romancier Philippe Besson, que, selon Emmanuel Macron, de nombreux intellectuels français, de Régis Debray à Emmanuel Todd, d'Alain Badiou à Alain Finkielkraut, appartiennent au vieux monde et développent de vieux schémas. Qu'en est-il? La dichotomie, chère au président, entre conservateurs et progressistes, est-elle valable? Correspond-elle aux urgences de notre temps?
LIRE AUSSI >> Elisabeth de Fontenay/Alain Finkielkraut: "Ce qui nous oppose
Voici quelques premières analyses, signées Laurent Binet, Morgan Navarro, Jean-François Kahn, Alain-Gérard Slama et... Alain Finkielkraut.
Ne pas être du côté du plus fort
... par Laurent Binet, écrivain, auteur de La septième fonction du langage (Grasset)
Laurent Binet.
DR
"Les conservateurs veulent conserver, mais quoi? Deux choses, jadis indissociables: l'ordre social et l'ordre moral.
Quelle que soit la diversité politique dans laquelle, contre toute attente, s'épanouit encore l'idéologie de l'ordre moral, celle-ci relève d'un fantasme fasciste ou théocratique qu'il ne me paraît pas utile de même discuter, tant ses points de fixation actuels sur l'assignation des femmes à des rôles subalternes et le refus des droits élémentaires à une sexualité non normée relèvent d'un combat d'arrière-garde à la fois honteux et, intellectuellement, sans intérêt.
Reste l'ordre social: il est remarquable que ses défenseurs oeuvrent à sa perpétuation avec une opiniâtreté d'autant plus spectaculaire qu'ils en sont les premiers bénéficiaires. Pourquoi, alors, moi qui, depuis que je vends des livres, bénéficie aussi du système, ne me sens-je pas tenu de le défendre? Parce que je n'ai pas toujours été du bon côté de la barrière? Peut-être. Mais peut-être aussi, tout simplement, parce que j'éprouve ce sentiment de décence ordinaire dont parlait Orwell. Tweetant sur mes vacances à Venise, je ne me verrais pas pontifier benoîtement sur le sacrifice nécessaire d'une cinquième semaine de congés payés pour les autres, dont un peu d'imagination devrait suffire à deviner que la vie quotidienne n'est pas toujours facile.
LIRE AUSSI >> Etes-vous conservateur ou progresssiste?
Je me méfie du mot progressiste parce qu'il permet à ceux qui sont seulement contre la peine de mort et pour l'avortement de se sentir de gauche à bon compte. Celui qui n'a pas un tant soit peu un fond marxiste, c'est-à-dire qui ne comprends pas que les intérêts du capital et du travail sont antagonistes et que notre ordre social arbitre toujours en faveur du capital, comme nos trois derniers quinquennats le démontrent jusqu'à la caricature, ne devrait pas pouvoir se prévaloir de ce titre.
Mais soit. Faute de mieux, va pour progressiste. Je me sens progressiste parce que je n'aime pas être du côté du plus fort." Propos recueillis par EL.
Les progressistes, caricatures d'eux-mêmes
... par Morgan Navarro, dessinateur, auteur de Ma vie de réac (Dargaud)
Ma vie de Réac de Morgan Navarro.
Dargaud
"Réac moi? Je me sens toujours un peu embarrassé lorsqu'on me demande si je suis vraiment le personnage que je dessine. C'est vrai qu'il porte mon nom et me ressemble avec ses lunettes, son nez pointu et son crâne dégarni... Alors je réponds oui, pour ne pas laisser penser que je refuse d'assumer mes planches. Disons que lorsque je l'ai inventé, je ne savais pas vraiment où j'allais. Je souhaitais simplement jouer avec les clichés qu'on pouvait me coller. Mon univers professionnel est au coeur de la "bien-pensance" et mes amis me charrient de longue date... Il se trouve en effet que lorsque je lis dans la presse des dossiers sur les nouveaux conservateurs, j'ai plutôt tendance à me reconnaître en eux. Comme ça, il faudrait admettre sans réagir la théorie du genre, les femmes en voile intégral, le concept de "charge mentale" et autres avatars de la modernité? J'ai voulu montrer qu'on pouvait avoir une opinion différente sans nécessairement être un affreux facho. Finalement, je me demande si ce ne sont pas les progressistes qui sont devenus des caricatures d'eux-mêmes. Brétecher disait dans les années 70 qu'on ne pouvait pas faire de l'humour avec les gens de droite. Aujourd'hui la situation s'est inversée. Comme Philippe Muray, je pense que cette époque exagère et que l'exagération comique est la meilleure réponse à apporter. D'ailleurs BD en anglais se traduit par "comics". Oui mon personnage va parfois plus loin que là où j'irais moi-même, mais c'est pour la bonne cause: c'est un lanceur d'alerte. Je redoute cette catastrophe civilisationnelle qu'évoquent les protagonistes de votre dossier. A quoi va aboutir le progrès finalement? Au remplacement de l'humain par la technologie... mais il semble impossible de l'arrêter. Même les gouvernements sont impuissants à le réguler. Les signes montrant qu'on s'enfonce dans un processus irréversible sont tellement nombreux que j'ai du mal à cacher un certain pessimisme. Il nous reste, pour nous défendre, le langage, outil indispensable à la fixation de limites, et le travail. Pour chacun de mes gags, que je parle de transhumanisme ou de méthode de lecture, je me documente à fond sur le thème abordé. Ce serait moins drôle si ce n'était pas enquêté. Je veille ensuite à ne pas brocarder des individus en particulier mais des traits de personnalités, des comportements. Et à toujours me moquer de moi-même en premier. Oui, mon avatar est comme moi: pas méchant, mais déboussolé par son époque." Propos recueillis par MS.
LIRE AUSSI >> Conservateurs/progressistes: les questions qui fâchent
Il est impossible d'être progressiste ou conservateur
... par Jean-François Kahn, écrivain, cofondateur du magazine Marianne
Jean-François Kahn.
AFP
"Il est impossible d'être progressiste ou conservateur de façon univoque. Quelqu'un qui ne serait que progressiste, ou que conservateur, ou que réactionnaire, serait tout simplement fou. Certains sont d'avis que, sur les littoraux, lorsqu'il y a des murs de béton qui vous cachent le paysage, eh bien, il faut les abattre. Cela peut être considéré comme une attitude réactionnaire. Si je souhaite ardemment défendre le génie de la langue française, je risque fort d'être tenu pour un conservateur. Mais, dans le même temps, on me trouvera aussi du côté de ceux qui prônent un salaire minimum ou un revenu universel, marqueur indéniable du progressisme. Moralité: il est, selon moi, difficilement envisageable de ne pas être un peu des trois à la fois." Propos recueillis par AL.
La faute aux conservateurs
... par Alain-Gérard Slama, essayiste, journaliste et historien
Il est devenu de plus en plus difficile de se dire conservateur. Et pourtant - pour répondre à la question soulevée par l'Express - je ne vois pas à quelle autre sensibilité je pourrais me rattacher. Si j'y répugne parfois, ce n'est pas en raison des préjugés défavorables à cette notion, c'est à cause des conservateurs eux-mêmes. Ceux-ci sont passés, en peu de temps, d'un pragmatisme inspiré par les leçons de l'expérience, à l'ambition d'étayer leur programme sur un corps de doctrine.
Or, autant la recherche d'un fondement doctrinal est inhérente au socialisme, actuellement en grand besoin d'un sérieux recyclage, autant la volonté symétrique, affichée par le candidat actuellement dominant de la droite, Laurent Wauquiez, de rassembler les factions du parti LR sur un socle idéologique me paraît, d'avance, vouée à l'échec. Et cela pour une raison évidente: le Macron de la droite oublie - ou sans doute feint d'oublier - que, dans la patrie de la grande Révolution, l'opposition conservatrice à la gauche s'est constamment posée, par définition, comme l'adversaire de l'idéologie. Pour le dire grossièrement, il a rempli dans notre histoire la fonction du bon gestionnaire qui oppose au progressiste plaquant ses rêves sur le "réel" le rappel à l'ordre contraignant mais rassurant dicté par "la nature des choses".
Par vocation, le conservateur répugne au conflit, ce qui n'est pas antinomique du courage. Il ne conteste pas la nécessité d'une évolution des moeurs et de l'égalité, mais il ressent l'intervention de la loi dans ces domaines comme une injustice. Attaché à l'ordre, il renonce à résister au changement si cette résistance doit entraîner un coût social plus grand. C'est ainsi que les catholiques se sont ralliés, progressivement, à la laïcité dans la mesure où la loi de 1905 s'est justifiée à leurs yeux comme la meilleure garantie de la préservation de l'ordre public.
La seule question fondamentale qui divise les conservateurs entre eux est de savoir jusqu'à quel point de la durée ils peuvent se réclamer de l'expérience. A partir de quel seuil peut-on dire: "Jusqu'ici, mais pas plus loin"? Jusqu'à une date récente, les conservateurs s'étaient gardés d'inverser la proposition: "Jusqu'ici, mais pas plus loin" en: "Jusqu'à quel point du passé revenir?"
Sous le choc de la crise de l'Union européenne et de la mondialisation, cette dernière question s'est mise à hanter nos débats. Face au radicalisme islamique, que le réactionnaire ne juge plus réductible par la seule application des lois laïques, voici que se développe, à droite, un contre-modèle, une idéologie aussi identitariste que les communautarismes qu'elle combat, et qui, à l'opposé du comportement conservateur, va jusqu'à remettre en cause le projet émancipateur des Lumières et les principes des droits de l'homme. Il implique une rupture avec le présent, serait-ce au prix d'une révolution. Le primat ainsi accordé par le réactionnaire aux valeurs traditionnelles, ethniques et religieuses s'inspire d'un Ancien régime idéalisé et domine toute autre vision du monde et de la société. Si, par exemple, celui-ci récuse la PMA pour tous, ce n'est pas principalement en considération des raisons scientifiques (empruntées à la psychanalyse) ou juridiques (la problématique du droit à l'enfant) débattues dans les comités d'éthique. C'est d'abord et avant tout au nom d'arguments d'autorité et de pieuses certitudes morales.
Jusqu'à une date récente, le réactionnaire était une rareté. Sur ce terrain miné, Laurent Wauquiez est loin d'être seul. Il a été en partie précédé par Nicolas Sarkozy, François Fillon et bien d'autres. Sûr de lui , il voit monter la vague, et compte sur elle pour le porter au sommet, avec l'espoir, ensuite, de la maîtriser. Au début du XXe siècle, l'Action française de Charles Maurras a introduit entre ces deux termes, Conservation et Réaction, une confusion comparable, qui a débouché, à la faveur d'une crise majeure, sur le désastre de la Révolution nationale de Vichy. Et je ne vois pas sans inquiétude un nombre croissant d'excellents esprits, à droite et même à gauche, se flatter d'être réactionnaires avec une tranquille candeur.
L'audace de ralentir
... par Alain Finkielkraut, philosophe et académicien, auteur d'En terrain miné, avec Elisabeth de Fontenay (Stock)
Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut.
J.-L. BERTINI POUR L'EXPRESS
Le progrès promettait aux hommes toujours plus de maîtrise et toujours plus de liberté. Peut-être cette dualité était-elle fatale ; en tout cas, aujourd'hui, le progrès, ce n'est plus que le mouvement pour le mouvement.
Comme l'a écrit le penseur colombien Nicolàs Gomez Davila, "faute de pouvoir réaliser ses aspirations, le "progrès" baptise aspirations ce qu'il réalise". Pour le dire en termes heideggeriens, nous nous rengorgeons de la puissance de l'homme sur la nature alors qu'il est livré irrésistiblement à la puissance, c'est-à-dire à l'exigence absolue de produire et de consommer.
Dès lors, l'opposition entre progressistes et conservateurs n'a plus de sens, parce que ceux qui la font impliquent que le conservatisme, c'est l'immobilisme. En réalité, il faut une grande audace, une grande capacité d'initiative pour interrompre le mouvement, pour ralentir les processus. C'est cette audace que j'attendrais personnellement de la politique. Mais, pour cela, il faudrait que la politique se mette au service de la civilisation. Ce n'est pas le cas: à gauche, à droite et au centre, incarné par Emmanuel Macron, la politique est au service quasi exclusif de l'économie, c'est-à-dire du cycle perpétuel de la production et de la consommation.
Read AgainLe 6 septembre, L'Express posait cette question en Une, autour du livre débat d'Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut: êtes-vous conservateur ou progressiste? D'autres personnalités ont répondu.
Le 6 septembre, L'Express publiait un dossier autour des bonnes feuilles du nouveau livre d'Alain Finkielkraut et d'Elisabeth de Fontenay, En terrain miné (Stock). Le lendemain, L'Obs nous apprenait, par la voix du chroniqueur et romancier Philippe Besson, que, selon Emmanuel Macron, de nombreux intellectuels français, de Régis Debray à Emmanuel Todd, d'Alain Badiou à Alain Finkielkraut, appartiennent au vieux monde et développent de vieux schémas. Qu'en est-il? La dichotomie, chère au président, entre conservateurs et progressistes, est-elle valable? Correspond-elle aux urgences de notre temps?
LIRE AUSSI >> Elisabeth de Fontenay/Alain Finkielkraut: "Ce qui nous oppose
Voici quelques premières analyses, signées Laurent Binet, Morgan Navarro, Jean-François Kahn, Alain-Gérard Slama et... Alain Finkielkraut.
Ne pas être du côté du plus fort
... par Laurent Binet, écrivain, auteur de La septième fonction du langage (Grasset)
Laurent Binet.
DR
"Les conservateurs veulent conserver, mais quoi? Deux choses, jadis indissociables: l'ordre social et l'ordre moral.
Quelle que soit la diversité politique dans laquelle, contre toute attente, s'épanouit encore l'idéologie de l'ordre moral, celle-ci relève d'un fantasme fasciste ou théocratique qu'il ne me paraît pas utile de même discuter, tant ses points de fixation actuels sur l'assignation des femmes à des rôles subalternes et le refus des droits élémentaires à une sexualité non normée relèvent d'un combat d'arrière-garde à la fois honteux et, intellectuellement, sans intérêt.
Reste l'ordre social: il est remarquable que ses défenseurs oeuvrent à sa perpétuation avec une opiniâtreté d'autant plus spectaculaire qu'ils en sont les premiers bénéficiaires. Pourquoi, alors, moi qui, depuis que je vends des livres, bénéficie aussi du système, ne me sens-je pas tenu de le défendre? Parce que je n'ai pas toujours été du bon côté de la barrière? Peut-être. Mais peut-être aussi, tout simplement, parce que j'éprouve ce sentiment de décence ordinaire dont parlait Orwell. Tweetant sur mes vacances à Venise, je ne me verrais pas pontifier benoîtement sur le sacrifice nécessaire d'une cinquième semaine de congés payés pour les autres, dont un peu d'imagination devrait suffire à deviner que la vie quotidienne n'est pas toujours facile.
LIRE AUSSI >> Etes-vous conservateur ou progresssiste?
Je me méfie du mot progressiste parce qu'il permet à ceux qui sont seulement contre la peine de mort et pour l'avortement de se sentir de gauche à bon compte. Celui qui n'a pas un tant soit peu un fond marxiste, c'est-à-dire qui ne comprends pas que les intérêts du capital et du travail sont antagonistes et que notre ordre social arbitre toujours en faveur du capital, comme nos trois derniers quinquennats le démontrent jusqu'à la caricature, ne devrait pas pouvoir se prévaloir de ce titre.
Mais soit. Faute de mieux, va pour progressiste. Je me sens progressiste parce que je n'aime pas être du côté du plus fort." Propos recueillis par EL.
Les progressistes, caricatures d'eux-mêmes
... par Morgan Navarro, dessinateur, auteur de Ma vie de réac (Dargaud)
Ma vie de Réac de Morgan Navarro.
Dargaud
"Réac moi? Je me sens toujours un peu embarrassé lorsqu'on me demande si je suis vraiment le personnage que je dessine. C'est vrai qu'il porte mon nom et me ressemble avec ses lunettes, son nez pointu et son crâne dégarni... Alors je réponds oui, pour ne pas laisser penser que je refuse d'assumer mes planches. Disons que lorsque je l'ai inventé, je ne savais pas vraiment où j'allais. Je souhaitais simplement jouer avec les clichés qu'on pouvait me coller. Mon univers professionnel est au coeur de la "bien-pensance" et mes amis me charrient de longue date... Il se trouve en effet que lorsque je lis dans la presse des dossiers sur les nouveaux conservateurs, j'ai plutôt tendance à me reconnaître en eux. Comme ça, il faudrait admettre sans réagir la théorie du genre, les femmes en voile intégral, le concept de "charge mentale" et autres avatars de la modernité? J'ai voulu montrer qu'on pouvait avoir une opinion différente sans nécessairement être un affreux facho. Finalement, je me demande si ce ne sont pas les progressistes qui sont devenus des caricatures d'eux-mêmes. Brétecher disait dans les années 70 qu'on ne pouvait pas faire de l'humour avec les gens de droite. Aujourd'hui la situation s'est inversée. Comme Philippe Muray, je pense que cette époque exagère et que l'exagération comique est la meilleure réponse à apporter. D'ailleurs BD en anglais se traduit par "comics". Oui mon personnage va parfois plus loin que là où j'irais moi-même, mais c'est pour la bonne cause: c'est un lanceur d'alerte. Je redoute cette catastrophe civilisationnelle qu'évoquent les protagonistes de votre dossier. A quoi va aboutir le progrès finalement? Au remplacement de l'humain par la technologie... mais il semble impossible de l'arrêter. Même les gouvernements sont impuissants à le réguler. Les signes montrant qu'on s'enfonce dans un processus irréversible sont tellement nombreux que j'ai du mal à cacher un certain pessimisme. Il nous reste, pour nous défendre, le langage, outil indispensable à la fixation de limites, et le travail. Pour chacun de mes gags, que je parle de transhumanisme ou de méthode de lecture, je me documente à fond sur le thème abordé. Ce serait moins drôle si ce n'était pas enquêté. Je veille ensuite à ne pas brocarder des individus en particulier mais des traits de personnalités, des comportements. Et à toujours me moquer de moi-même en premier. Oui, mon avatar est comme moi: pas méchant, mais déboussolé par son époque." Propos recueillis par MS.
LIRE AUSSI >> Conservateurs/progressistes: les questions qui fâchent
Il est impossible d'être progressiste ou conservateur
... par Jean-François Kahn, écrivain, cofondateur du magazine Marianne
Jean-François Kahn.
AFP
"Il est impossible d'être progressiste ou conservateur de façon univoque. Quelqu'un qui ne serait que progressiste, ou que conservateur, ou que réactionnaire, serait tout simplement fou. Certains sont d'avis que, sur les littoraux, lorsqu'il y a des murs de béton qui vous cachent le paysage, eh bien, il faut les abattre. Cela peut être considéré comme une attitude réactionnaire. Si je souhaite ardemment défendre le génie de la langue française, je risque fort d'être tenu pour un conservateur. Mais, dans le même temps, on me trouvera aussi du côté de ceux qui prônent un salaire minimum ou un revenu universel, marqueur indéniable du progressisme. Moralité: il est, selon moi, difficilement envisageable de ne pas être un peu des trois à la fois." Propos recueillis par AL.
La faute aux conservateurs
... par Alain-Gérard Slama, essayiste, journaliste et historien
Il est devenu de plus en plus difficile de se dire conservateur. Et pourtant - pour répondre à la question soulevée par l'Express - je ne vois pas à quelle autre sensibilité je pourrais me rattacher. Si j'y répugne parfois, ce n'est pas en raison des préjugés défavorables à cette notion, c'est à cause des conservateurs eux-mêmes. Ceux-ci sont passés, en peu de temps, d'un pragmatisme inspiré par les leçons de l'expérience, à l'ambition d'étayer leur programme sur un corps de doctrine.
Or, autant la recherche d'un fondement doctrinal est inhérente au socialisme, actuellement en grand besoin d'un sérieux recyclage, autant la volonté symétrique, affichée par le candidat actuellement dominant de la droite, Laurent Wauquiez, de rassembler les factions du parti LR sur un socle idéologique me paraît, d'avance, vouée à l'échec. Et cela pour une raison évidente: le Macron de la droite oublie - ou sans doute feint d'oublier - que, dans la patrie de la grande Révolution, l'opposition conservatrice à la gauche s'est constamment posée, par définition, comme l'adversaire de l'idéologie. Pour le dire grossièrement, il a rempli dans notre histoire la fonction du bon gestionnaire qui oppose au progressiste plaquant ses rêves sur le "réel" le rappel à l'ordre contraignant mais rassurant dicté par "la nature des choses".
Par vocation, le conservateur répugne au conflit, ce qui n'est pas antinomique du courage. Il ne conteste pas la nécessité d'une évolution des moeurs et de l'égalité, mais il ressent l'intervention de la loi dans ces domaines comme une injustice. Attaché à l'ordre, il renonce à résister au changement si cette résistance doit entraîner un coût social plus grand. C'est ainsi que les catholiques se sont ralliés, progressivement, à la laïcité dans la mesure où la loi de 1905 s'est justifiée à leurs yeux comme la meilleure garantie de la préservation de l'ordre public.
La seule question fondamentale qui divise les conservateurs entre eux est de savoir jusqu'à quel point de la durée ils peuvent se réclamer de l'expérience. A partir de quel seuil peut-on dire: "Jusqu'ici, mais pas plus loin"? Jusqu'à une date récente, les conservateurs s'étaient gardés d'inverser la proposition: "Jusqu'ici, mais pas plus loin" en: "Jusqu'à quel point du passé revenir?"
Sous le choc de la crise de l'Union européenne et de la mondialisation, cette dernière question s'est mise à hanter nos débats. Face au radicalisme islamique, que le réactionnaire ne juge plus réductible par la seule application des lois laïques, voici que se développe, à droite, un contre-modèle, une idéologie aussi identitariste que les communautarismes qu'elle combat, et qui, à l'opposé du comportement conservateur, va jusqu'à remettre en cause le projet émancipateur des Lumières et les principes des droits de l'homme. Il implique une rupture avec le présent, serait-ce au prix d'une révolution. Le primat ainsi accordé par le réactionnaire aux valeurs traditionnelles, ethniques et religieuses s'inspire d'un Ancien régime idéalisé et domine toute autre vision du monde et de la société. Si, par exemple, celui-ci récuse la PMA pour tous, ce n'est pas principalement en considération des raisons scientifiques (empruntées à la psychanalyse) ou juridiques (la problématique du droit à l'enfant) débattues dans les comités d'éthique. C'est d'abord et avant tout au nom d'arguments d'autorité et de pieuses certitudes morales.
Jusqu'à une date récente, le réactionnaire était une rareté. Sur ce terrain miné, Laurent Wauquiez est loin d'être seul. Il a été en partie précédé par Nicolas Sarkozy, François Fillon et bien d'autres. Sûr de lui , il voit monter la vague, et compte sur elle pour le porter au sommet, avec l'espoir, ensuite, de la maîtriser. Au début du XXe siècle, l'Action française de Charles Maurras a introduit entre ces deux termes, Conservation et Réaction, une confusion comparable, qui a débouché, à la faveur d'une crise majeure, sur le désastre de la Révolution nationale de Vichy. Et je ne vois pas sans inquiétude un nombre croissant d'excellents esprits, à droite et même à gauche, se flatter d'être réactionnaires avec une tranquille candeur.
L'audace de ralentir
... par Alain Finkielkraut, philosophe et académicien, auteur d'En terrain miné, avec Elisabeth de Fontenay (Stock)
Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut.
J.-L. BERTINI POUR L'EXPRESS
Le progrès promettait aux hommes toujours plus de maîtrise et toujours plus de liberté. Peut-être cette dualité était-elle fatale ; en tout cas, aujourd'hui, le progrès, ce n'est plus que le mouvement pour le mouvement.
Comme l'a écrit le penseur colombien Nicolàs Gomez Davila, "faute de pouvoir réaliser ses aspirations, le "progrès" baptise aspirations ce qu'il réalise". Pour le dire en termes heideggeriens, nous nous rengorgeons de la puissance de l'homme sur la nature alors qu'il est livré irrésistiblement à la puissance, c'est-à-dire à l'exigence absolue de produire et de consommer.
Dès lors, l'opposition entre progressistes et conservateurs n'a plus de sens, parce que ceux qui la font impliquent que le conservatisme, c'est l'immobilisme. En réalité, il faut une grande audace, une grande capacité d'initiative pour interrompre le mouvement, pour ralentir les processus. C'est cette audace que j'attendrais personnellement de la politique. Mais, pour cela, il faudrait que la politique se mette au service de la civilisation. Ce n'est pas le cas: à gauche, à droite et au centre, incarné par Emmanuel Macron, la politique est au service quasi exclusif de l'économie, c'est-à-dire du cycle perpétuel de la production et de la consommation.
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