A l’occasion de la sortie en salles, mercredi 4 octobre, de Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve, Pixels a interrogé David Peyron, auteur de Culture geek (FYP éd., 192 p., 2013). Le maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Aix-Marseille revient sur la place que tient dans l’imaginaire moderne le Blade Runner réalisé par Ridley Scott en 1982.
« Star Wars », « Star Trek » ou encore « Le Seigneur des anneaux » sont souvent cités parmi les grandes œuvres fédératrices de la culture geek. Qu’en est-il de « Blade Runner » ?
Pour appréhender</a> la culture geek, il faut réfléchir</a> en termes de « subculture ». Dans les années 1980, il y a des œuvres qui touchent le grand public et permettent de se définirgeek de manière visible, des œuvres à grand succès, comme Star Wars ou Star Trek aux Etats-Unis. Mais si on veut se distinguer</a>, on parle de Blade Runner, un film à l’accès plus restreint. C’est une œuvre plus élitiste, les geeks en connaissent bien sûr la meilleure version[la Director’s Cut, qui n’est qu’une des huit versions différentes], on est dans du « les vrais savent », un peu comme un jeu de rôle japonais qui n’aurait pas été traduit. Cela cimente le sentiment d’appartenance. Il faut les deux catégories, et Blade Runner appartient à la seconde.
Quelle est l’influence de « Blade Runner » sur la production geek dans son ensemble, comics, jeu vidéo, etc. ?
Une des nombreuses définitions que l’on peut donner</a> de la culture geek, c’est qu’elle aborde la fiction non pas comme une histoire mais comme un territoire. Cela a déjà été dit, mais Blade Runner est un film très spatial, que ce soit dans la construction de la ville ou son architecture. Il met en espace l’imaginaire du cyberpunk. Enormément d’œuvres s’en inspirent, notamment dans le jeu vidéo, où l’on retrouve son imaginaire futuriste dystopique et l’exploration de villes. Pour ce qui concerne son esthétique dystopique, elle très influente, jusqu’à [la série] Black Mirror aujourd hui. Il serait impossible de compter</a> toutes les œuvres que Blade Runner a influencées.
Dans « Blade Runner », on retrouve des influences d’auteurs et de revues des années 1970 très influentes, comme la revue française de bédé « Métal Hurlant » et le dessinateur Moebius, qui ne sont pas étiquettés « geek ». Peut-on parler</a> d’une œuvre de transition entre deux générations de consommateurs d’univers imaginaires ?
Oui, on peut. Il faut aussi replacer</a> ce film dans la carrière de Ridley Scott. L’anecdote est aujourd’hui connue : un projet d’adaptation en long-métrage de Dune a été confié à Alejandro Jodorowsky [de 1973 à 1977] puis à Ridley Scott [en 1979], avec Moebius et H. R. Giger. Il devait opérer</a> la synthèse de la science-fiction européenne, avec une dimension new age. Le projet ne s’est pas fait et les talents se sont dispersés. On a ainsi retrouvé H. R. Giger sur Alien et Moebius sur Blade Runner. Mais on peut dire</a> qu’à sa manière, Blade Runner fait office de synthèse, d’autant qu’il reprend également une nouvelle de Philip K. Dick. On oublie souvent l’importance de la SF française des années 1970, liée à une contre-culture.
Pourquoi cet héritage de la bande dessinée fantastique française des années 1970 dans « Blade Runner » est-il si peu reconnue dans la culture geek grand public ?
On a un éternel problème de diffusion en France. On a inventé la science-fiction avec Jules Verne, mais il n’y a jamais eu de politique permettant de pérenniser</a> la production des auteurs de science-fiction. Il n’y a jamais eu de suite à Métal Hurlant alors qu’aux Etats-Unis, la culture comics a su se prolonger</a>, elle.
« Blade Runner » a eu très peu d’adaptations en jeu vidéo ou en comics, comparé à « Indiana Jones » ou à « Star Wars ». Il n’a pas d’univers étendu, pas de suite, peu de merchandising. Est-ce une anomalie dans le patrimoine geek ?
C’est déjà lié au fait que le film a été un échec, et qu’il n’a pas été rentable. Il y a bien eu une série télé diffusée sur deux saisons dans les années 2000, mais elle n’était pas très bonne. L’autre raison, c’est que Le Seigneur des anneaux et Star Wars ont des univers très vastes, alors que celui de Blade Runner est plus confiné. Une partie du film sur Mars devait se dérouler</a> mais a été abandonné. Par ailleurs, il y a dans Star Wars quelque chose de plus enfantin, là où Blade Runner restait très adulte ; or l’idée de faire</a> du merchandising sur un produit adulte n’était pas développée à l’époque comme elle l’est aujourd’hui.
Les conditions de réception de « Blade Runner 2049 » en 2017 sont-elles similaires à celles de « Indiana Jones 5 » et « Star Wars VII », autres retours de sagas cultes des années 1980 ?
C’est une bonne question. La grande différence est qu’il s’agit d’un film qui est devenu culte, et qui est reconnu comme un film d’auteur, là où Star Wars ou Indiana Jones sont avant tout perçus comme des blockbusters. D’où l’appel à Denis Villeneuve, un réalisateur réputé faire de la science-fiction d’auteur. Il y a un positionnement plus cinéphile, qu’on retrouve d’ailleurs dans les premières critiques. Il y a moins la peur qu’il puisse s’agir d’un mauvais film, comme cela a été le cas pour Star Wars VII. C’est aussi là où le positionnement adulte réussit bien à Blade Runner.
Read AgainA l’occasion de la sortie en salles, mercredi 4 octobre, de Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve, Pixels a interrogé David Peyron, auteur de Culture geek (FYP éd., 192 p., 2013). Le maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Aix-Marseille revient sur la place que tient dans l’imaginaire moderne le Blade Runner réalisé par Ridley Scott en 1982.
« Star Wars », « Star Trek » ou encore « Le Seigneur des anneaux » sont souvent cités parmi les grandes œuvres fédératrices de la culture geek. Qu’en est-il de « Blade Runner » ?
Pour appréhender</a> la culture geek, il faut réfléchir</a> en termes de « subculture ». Dans les années 1980, il y a des œuvres qui touchent le grand public et permettent de se définirgeek de manière visible, des œuvres à grand succès, comme Star Wars ou Star Trek aux Etats-Unis. Mais si on veut se distinguer</a>, on parle de Blade Runner, un film à l’accès plus restreint. C’est une œuvre plus élitiste, les geeks en connaissent bien sûr la meilleure version[la Director’s Cut, qui n’est qu’une des huit versions différentes], on est dans du « les vrais savent », un peu comme un jeu de rôle japonais qui n’aurait pas été traduit. Cela cimente le sentiment d’appartenance. Il faut les deux catégories, et Blade Runner appartient à la seconde.
Quelle est l’influence de « Blade Runner » sur la production geek dans son ensemble, comics, jeu vidéo, etc. ?
Une des nombreuses définitions que l’on peut donner</a> de la culture geek, c’est qu’elle aborde la fiction non pas comme une histoire mais comme un territoire. Cela a déjà été dit, mais Blade Runner est un film très spatial, que ce soit dans la construction de la ville ou son architecture. Il met en espace l’imaginaire du cyberpunk. Enormément d’œuvres s’en inspirent, notamment dans le jeu vidéo, où l’on retrouve son imaginaire futuriste dystopique et l’exploration de villes. Pour ce qui concerne son esthétique dystopique, elle très influente, jusqu’à [la série] Black Mirror aujourd hui. Il serait impossible de compter</a> toutes les œuvres que Blade Runner a influencées.
Dans « Blade Runner », on retrouve des influences d’auteurs et de revues des années 1970 très influentes, comme la revue française de bédé « Métal Hurlant » et le dessinateur Moebius, qui ne sont pas étiquettés « geek ». Peut-on parler</a> d’une œuvre de transition entre deux générations de consommateurs d’univers imaginaires ?
Oui, on peut. Il faut aussi replacer</a> ce film dans la carrière de Ridley Scott. L’anecdote est aujourd’hui connue : un projet d’adaptation en long-métrage de Dune a été confié à Alejandro Jodorowsky [de 1973 à 1977] puis à Ridley Scott [en 1979], avec Moebius et H. R. Giger. Il devait opérer</a> la synthèse de la science-fiction européenne, avec une dimension new age. Le projet ne s’est pas fait et les talents se sont dispersés. On a ainsi retrouvé H. R. Giger sur Alien et Moebius sur Blade Runner. Mais on peut dire</a> qu’à sa manière, Blade Runner fait office de synthèse, d’autant qu’il reprend également une nouvelle de Philip K. Dick. On oublie souvent l’importance de la SF française des années 1970, liée à une contre-culture.
Pourquoi cet héritage de la bande dessinée fantastique française des années 1970 dans « Blade Runner » est-il si peu reconnue dans la culture geek grand public ?
On a un éternel problème de diffusion en France. On a inventé la science-fiction avec Jules Verne, mais il n’y a jamais eu de politique permettant de pérenniser</a> la production des auteurs de science-fiction. Il n’y a jamais eu de suite à Métal Hurlant alors qu’aux Etats-Unis, la culture comics a su se prolonger</a>, elle.
« Blade Runner » a eu très peu d’adaptations en jeu vidéo ou en comics, comparé à « Indiana Jones » ou à « Star Wars ». Il n’a pas d’univers étendu, pas de suite, peu de merchandising. Est-ce une anomalie dans le patrimoine geek ?
C’est déjà lié au fait que le film a été un échec, et qu’il n’a pas été rentable. Il y a bien eu une série télé diffusée sur deux saisons dans les années 2000, mais elle n’était pas très bonne. L’autre raison, c’est que Le Seigneur des anneaux et Star Wars ont des univers très vastes, alors que celui de Blade Runner est plus confiné. Une partie du film sur Mars devait se dérouler</a> mais a été abandonné. Par ailleurs, il y a dans Star Wars quelque chose de plus enfantin, là où Blade Runner restait très adulte ; or l’idée de faire</a> du merchandising sur un produit adulte n’était pas développée à l’époque comme elle l’est aujourd’hui.
Les conditions de réception de « Blade Runner 2049 » en 2017 sont-elles similaires à celles de « Indiana Jones 5 » et « Star Wars VII », autres retours de sagas cultes des années 1980 ?
C’est une bonne question. La grande différence est qu’il s’agit d’un film qui est devenu culte, et qui est reconnu comme un film d’auteur, là où Star Wars ou Indiana Jones sont avant tout perçus comme des blockbusters. D’où l’appel à Denis Villeneuve, un réalisateur réputé faire de la science-fiction d’auteur. Il y a un positionnement plus cinéphile, qu’on retrouve d’ailleurs dans les premières critiques. Il y a moins la peur qu’il puisse s’agir d’un mauvais film, comme cela a été le cas pour Star Wars VII. C’est aussi là où le positionnement adulte réussit bien à Blade Runner.
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