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Dernière rencontre avec Robert Hirsch, le phénoménal

Souvenir. Le comédien et sociétaire honoraire de la Comédie-Française, Robert Hirsch, est décédé à l’âge de 92 ans, à Paris, a annoncé son producteur, ce jeudi. Valeurs actuelles avait rencontré cette figure du théâtre français l’année dernière. Portrait d'un phénomène.

À 91 ans, le comédien est toujours sur les planches, créant une pièce de Florian Zeller, avant de s’envoler. Rencontre avec une légende du théâtre.

Il est debout, sur la petite scène du Théâtre de l’OEuvre, face au public qui s’est levé pour l’applaudir, au bout d’une heure et demie de représentation d’Avant de s’envoler, la nouvelle pièce de Florian Zeller, et l’on dirait qu’il est presque étonné de recevoir pareille ovation. Peut-être y a-t-il, en son air songeur, quelque émerveillement à être encore là, 68 ans après ses débuts, tête d’affiche d’un spectacle à un âge où la plupart des comédiens sont à la retraite, ou cantonnés aux rôles de grands-pères que le personnage principal vient visiter à l’hôpital, se demandant comment gérer leur Alzheimer…

C’est un homme qui fait son âge, certes, mais en pleine forme, au contraire, qui nous reçoit dans sa loge du théâtre quelques jours plus tard. Il est 18 heures, il ne joue qu’à 21 heures, mais il est à son poste, avec trois heures d’avance, comme tous les soirs : « J’arrive toujours à ces heures-là, pas pour me recueillir, mais pour être tranquille ; je sais que je n’aurai pas d’accident qui m’empêche d’être à l’heure, je suis à disposition. Je ne dors pas, mais je me repose, et je revois mon texte. » On s’étonne : avant chaque représentation ? « Toujours ! D’autant que Florian Zeller a une écriture qui paraît simple et fluide quand on l’écoute, mais qui est très difficile à retenir : ça se chevauche, ça revient en arrière… C’est terrible ! C’est très écrit. »

La rencontre entre le monstre sacré du théâtre français et le jeune auteur à la mode a eu lieu en 2012. Zeller avait 33 ans, mais il rêvait d’écrire pour l’octogénaire, qui s’en enthousiasme encore : « À cet âge-là, être inspiré par un acteur de 87 piges, je trouve ça quand même formidable ! Pour moi, c’est une rencontre merveilleuse. Il avait dit à Francis Nani, le directeur du Palais-Royal : “J’aimerais rencontrer Robert Hirsch, j’aimerais écrire pour lui.” Alors on s’est vus au restaurant, on a parlé de choses et d’autres et à un moment il m’a demandé : “Qu’est-ce que vous aimeriez jouer ? ” J’ai répondu : “Je ne sais pas” — je n’ai jamais su, c’est toujours arrivé comme ça. C’est peut-être de la chance, je ne sais pas, mais que ce soit Richard III, Tartuffe, Scapin, tout m’a toujours été offert. Alors je lui ai dit : “Ce que vous voulez.” Et au bout d’un mois, j’ai reçu le manuscrit du Père. »

Mis en scène par Ladislas Chollat, que le duo retrouvera pour Avant de s’envoler, le Père, interprété par Robert Hirsch de 2012 à 2015, est venu s’ajouter à la longue liste des succès de l’acteur et lui vaudra son cinquième Molière, la récompense suprême des comédiens de théâtre. Un comédien qui cependant, aurait bien pu ne jamais l’être…

Un acteur qui faillit être danseur

Son enfance fut placée pourtant sous le signe des acteurs, mais des acteurs américains. Dans les années 1930, son père est propriétaire d’une salle de cinéma dans le IXe arrondissement de Paris, l’Apollo. Dans une loge où il a le droit d’inviter ses camarades, le jeune Robert y voit tous les classiques hollywoodiens, connaît par coeur les répliques de ses acteurs fétiches : « Bette Davis, Errol Flynn, Humphrey Bogart, je les ai vus éclore ! J’ai été nourri par ça pendant neuf ans. Mes souvenirs les plus précis, ce sont des films américains. » Robert Hirsch cite volontiers la prestation de Bette Davis dans l’Insoumise (William Wyler, 1938) comme l’une des plus impressionnantes qu’il connaisse. Cette enfance placée sous le signe du grand écran aurait pu être le signe prophétique d’une carrière de vedette de cinéma : au lieu de quoi Robert Hirsch n’y jouera qu’une vingtaine de films, rôles souvent marquants mais toujours secondaires, à l’exception de Pas question le samedi, d’Alex Joffé (1965), où il bat le record d’Alec Guiness dans Noblesse oblige en interprétant pas moins de 13 rôles. « Je pense que je ne suis pas fait pour le cinéma — français en tout cas. Je ne suis jamais sorti d’une salle où on donnait un film français en disant : “J’aurais aimé jouer ça.” Ça m’est arrivé une fois — mais c’était un film américain : Macadam Cowboy, avec Dustin Hoffman. Si on m’avait proposé ça, j’aurais dit oui… » Reste que la carrière de Robert Hirsch au cinéma a tout d’un incompréhensible rendez-vous manqué.

Mais n’anticipons pas. Durant la guerre, sa famille se replie dans la Vienne, à Montmorillon. Il s’y découvre, au contact de jeunes réfugiées qui la pratiquent, une passion pour la danse. Admirateur de Serge Lifar, il rêve d’intégrer le corps de ballet de l’Opéra de Paris, et y parvient la famille une fois rentrée à Paris. Mais Serge Lifar, qui s’était par trop compromis avec la collaboration, est écarté de l’Opéra. Robert Hirsch, dirat-il plus tard, n’a « plus le coeur » de rentrer à l’Opéra, et préfère suivre des amis dans les cours de théâtre.

« Le théâtre m’a happé », dira-t-il, et avec lui la Comédie-Française. Il l’intègre en 1948, à la sortie du Conservatoire où il a obtenu deux premiers prix de comédie. Il la quittera quelque vingt-cinq ans plus tard, en 1974, occasion d’une mémorable soirée d’adieu où il interprète, en un sketch indémodable, une vieille sociétaire gâteuse qui déclame péniblement la Cigale et la Fourmi, et dévisage suspicieusement, comme une intrigante, une jeune Isabelle Adjani venue lui remettre un bouquet de fleurs. Entre-temps, entre Robert Hirsch et la Comédie-Française, ce fut une longue histoire d’amour, les plus belles années de sa vie : « Je suis parti à temps, mais ça a été vingt-cinq ans de bonheur, d’amitié, de complicité, de réussites, de flops aussi. Il y avait une camaraderie merveilleuse, on se voyait tout le temps, on partait en vacances ensemble très souvent, il y avait les grandes tournées, on vivait ensemble, pratiquement. Bien sûr, il y avait des clans, forcément — sur soixante acteurs, vous ne pouvez pas être heureux de jouer avec les soixante. Mais il y avait une atmosphère formidable, y compris avec les techniciens — qui nous emmerdaient souvent avec leurs grèves, mais tous ces gens, les costumières, les plumassières, les habilleuses et les habilleurs, c’étaient des gens formidables. »

C’est d’abord dans le comique qu’il excelle, en Arlequin chez Marivaux, chez Feydeau, et bien sûr chez Molière, où on lui attribue naturellement le rôle du maître à danser dans le Bourgeois gentilhomme. Il faudra le voir, plus tard, dans le rôle de Bouzin, le clerc de notaire du Fil à la patte, de Feydeau (une captation du spectacle est disponible en DVD aux éditions Montparnasse), pour mesurer tout ce que son talent doit à la danse : entre ses mains, le grotesque Bouzin devient un pantin inarticulé, que Hirsch anime de soubresauts dignes de Chaplin, dans une caricature à l’eauforte absolument irrésistible. Tout dans cette interprétation, de la démarche reptilienne du personnage à sa manière frénétique de retirer, doigt après doigt, ses gants d’une main crispée, relève du génie burlesque. « Mon corps, j’en faisais ce que je voulais », dit-il aujourd’hui. À propos de son interprétation de Scapin, le critique redouté du Figaro d’alors, Jean-Jacques Gautier, écrit : « Impossible de résister à ses fureurs bouffonnes, non plus qu’à ses gesticulations frénétiques. Il se dégage des personnages de M. Hirsch une stupéfiante, une énorme drôlerie. » Pourtant, se souvient Robert Hirsch, « c’est un rôle qui m’a toujours fait peur, parce que si on ne se crève pas le cul, pardon de l’expression, ça n’est pas drôle. Sosie, dans Amphitryon de Molière, est irrésistible. Pour Scapin, il faut tout donner. La scène des sacs, ça m’ennuie, je détestais ça. Le soir de la générale, j’avais préparé un speech à prononcer à ce moment-là, pour dire que je ne pouvais pas continuer. Pour finir, ça a été et je n’ai pas fait mon speech, mais j’ai toujours cette appréhension au moment des sacs : est-ce que je vais aller au bout ? »

Un grand enfant, qui joue sans calcul

Mais il excelle aussi dans le tragique, en Néron, en Richard III ou en Raskolnikov dans la mise en scène que donne Michel Vitold de Crime et Châtiment. Et bien sûr dans ce rôle de Tartuff e qu’il joue à plusieurs reprises (on peut l’y voir aussi dans un DVD des éditions Montparnasse). Un Tartuffe diabolique à souhait, délicieusement ignoble de cautèle et de concupiscence sournoise : Hirsch ne cherche pas à renouveler le rôle, à se démarquer de la tradition, il pousse le personnage à ses extrêmes limites pour en donner une vision épurée, tranchante, inoubliable.

Au sommet de sa gloire, Hirsch quitte pourtant le Français en 1974 : « Je suis parti parce que j’avais peur de m’ennuyer. Ça faisait vingt-cinq ans que je jouais avec les mêmes, le même théâtre, j’avais envie de jouer ailleurs ; maintenant, c’est plus facile, mais le raffut que ça avait fait quand j’étais allé jouer Arturo Ui au TNP ! M. Escande, l’administrateur de l’époque, m’avait dit : “Vous tuez la Comédie-française”. »

Sorti du Théâtre-Français, Hirsch joue Guitry, Goldoni, Pinter, Beckett, et maintenant Florian Zeller. Comme à son habitude, il ne fait pas de plan sur la comète, attendant de voir ce que la vie lui apportera encore. La vieillesse, la mort, questions autour desquelles il tourne chaque soir en scène, dans Avant de s’envoler ? Il n’y pense pas plus que ça : « La mort, quand ça va arriver, ça va arriver ; j’ai mal à mes guibolles, mais en scène on oublie tout. Voyez, on n’éternue pas en scène, jamais. Bon, j’ai éternué une fois, mais c’était en plein air… »

Dans une interview, il citait le Christ de saint Jean de la Croix, de Dali, comme son tableau fétiche. Du coup, on s’enhardit à lui poser la question : est-il croyant ? « Oui, très. Pas pratiquant, mais très croyant, c’est quelque chose qui compte énormément pour moi, qui m’aide. J’ai besoin de sentir en moi une dimension surnaturelle. Je crois qu’il y a quelque chose après, je ne sais pas si c’est des angelots ou autre chose, je n’en ai rien à faire, je ne sais pas s’il y a un paradis, mais je ne pense pas que ça s’arrête. On peut tuer le corps, le torturer, mais l’âme… » Lui souhaitera-t-on de mourir en scène ? « Ah non ; quelle horreur ! Mourir dans un coin tranquille, oui, sans personne autour. » Mais puisque son jeu si entier, si éloigné de tout calcul et de toute prudence, semble toujours celui d’un enfant qui n’a pas grandi, pourquoi parler de mourir ? Souhaitons lui, donc, de continuer à jouer, aussi longtemps qu’il le pourra — pour l’éternité même, et d’y ravir les angelots comme il aura ravi, sa vie durant, les humains.

Avant de s’envoler, Théâtre de l’OEuvre, Paris IXe, jusqu’au 15 janvier 2017. Tél. : 01.44.53.88.88.

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Souvenir. Le comédien et sociétaire honoraire de la Comédie-Française, Robert Hirsch, est décédé à l’âge de 92 ans, à Paris, a annoncé son producteur, ce jeudi. Valeurs actuelles avait rencontré cette figure du théâtre français l’année dernière. Portrait d'un phénomène.

À 91 ans, le comédien est toujours sur les planches, créant une pièce de Florian Zeller, avant de s’envoler. Rencontre avec une légende du théâtre.

Il est debout, sur la petite scène du Théâtre de l’OEuvre, face au public qui s’est levé pour l’applaudir, au bout d’une heure et demie de représentation d’Avant de s’envoler, la nouvelle pièce de Florian Zeller, et l’on dirait qu’il est presque étonné de recevoir pareille ovation. Peut-être y a-t-il, en son air songeur, quelque émerveillement à être encore là, 68 ans après ses débuts, tête d’affiche d’un spectacle à un âge où la plupart des comédiens sont à la retraite, ou cantonnés aux rôles de grands-pères que le personnage principal vient visiter à l’hôpital, se demandant comment gérer leur Alzheimer…

C’est un homme qui fait son âge, certes, mais en pleine forme, au contraire, qui nous reçoit dans sa loge du théâtre quelques jours plus tard. Il est 18 heures, il ne joue qu’à 21 heures, mais il est à son poste, avec trois heures d’avance, comme tous les soirs : « J’arrive toujours à ces heures-là, pas pour me recueillir, mais pour être tranquille ; je sais que je n’aurai pas d’accident qui m’empêche d’être à l’heure, je suis à disposition. Je ne dors pas, mais je me repose, et je revois mon texte. » On s’étonne : avant chaque représentation ? « Toujours ! D’autant que Florian Zeller a une écriture qui paraît simple et fluide quand on l’écoute, mais qui est très difficile à retenir : ça se chevauche, ça revient en arrière… C’est terrible ! C’est très écrit. »

La rencontre entre le monstre sacré du théâtre français et le jeune auteur à la mode a eu lieu en 2012. Zeller avait 33 ans, mais il rêvait d’écrire pour l’octogénaire, qui s’en enthousiasme encore : « À cet âge-là, être inspiré par un acteur de 87 piges, je trouve ça quand même formidable ! Pour moi, c’est une rencontre merveilleuse. Il avait dit à Francis Nani, le directeur du Palais-Royal : “J’aimerais rencontrer Robert Hirsch, j’aimerais écrire pour lui.” Alors on s’est vus au restaurant, on a parlé de choses et d’autres et à un moment il m’a demandé : “Qu’est-ce que vous aimeriez jouer ? ” J’ai répondu : “Je ne sais pas” — je n’ai jamais su, c’est toujours arrivé comme ça. C’est peut-être de la chance, je ne sais pas, mais que ce soit Richard III, Tartuffe, Scapin, tout m’a toujours été offert. Alors je lui ai dit : “Ce que vous voulez.” Et au bout d’un mois, j’ai reçu le manuscrit du Père. »

Mis en scène par Ladislas Chollat, que le duo retrouvera pour Avant de s’envoler, le Père, interprété par Robert Hirsch de 2012 à 2015, est venu s’ajouter à la longue liste des succès de l’acteur et lui vaudra son cinquième Molière, la récompense suprême des comédiens de théâtre. Un comédien qui cependant, aurait bien pu ne jamais l’être…

Un acteur qui faillit être danseur

Son enfance fut placée pourtant sous le signe des acteurs, mais des acteurs américains. Dans les années 1930, son père est propriétaire d’une salle de cinéma dans le IXe arrondissement de Paris, l’Apollo. Dans une loge où il a le droit d’inviter ses camarades, le jeune Robert y voit tous les classiques hollywoodiens, connaît par coeur les répliques de ses acteurs fétiches : « Bette Davis, Errol Flynn, Humphrey Bogart, je les ai vus éclore ! J’ai été nourri par ça pendant neuf ans. Mes souvenirs les plus précis, ce sont des films américains. » Robert Hirsch cite volontiers la prestation de Bette Davis dans l’Insoumise (William Wyler, 1938) comme l’une des plus impressionnantes qu’il connaisse. Cette enfance placée sous le signe du grand écran aurait pu être le signe prophétique d’une carrière de vedette de cinéma : au lieu de quoi Robert Hirsch n’y jouera qu’une vingtaine de films, rôles souvent marquants mais toujours secondaires, à l’exception de Pas question le samedi, d’Alex Joffé (1965), où il bat le record d’Alec Guiness dans Noblesse oblige en interprétant pas moins de 13 rôles. « Je pense que je ne suis pas fait pour le cinéma — français en tout cas. Je ne suis jamais sorti d’une salle où on donnait un film français en disant : “J’aurais aimé jouer ça.” Ça m’est arrivé une fois — mais c’était un film américain : Macadam Cowboy, avec Dustin Hoffman. Si on m’avait proposé ça, j’aurais dit oui… » Reste que la carrière de Robert Hirsch au cinéma a tout d’un incompréhensible rendez-vous manqué.

Mais n’anticipons pas. Durant la guerre, sa famille se replie dans la Vienne, à Montmorillon. Il s’y découvre, au contact de jeunes réfugiées qui la pratiquent, une passion pour la danse. Admirateur de Serge Lifar, il rêve d’intégrer le corps de ballet de l’Opéra de Paris, et y parvient la famille une fois rentrée à Paris. Mais Serge Lifar, qui s’était par trop compromis avec la collaboration, est écarté de l’Opéra. Robert Hirsch, dirat-il plus tard, n’a « plus le coeur » de rentrer à l’Opéra, et préfère suivre des amis dans les cours de théâtre.

« Le théâtre m’a happé », dira-t-il, et avec lui la Comédie-Française. Il l’intègre en 1948, à la sortie du Conservatoire où il a obtenu deux premiers prix de comédie. Il la quittera quelque vingt-cinq ans plus tard, en 1974, occasion d’une mémorable soirée d’adieu où il interprète, en un sketch indémodable, une vieille sociétaire gâteuse qui déclame péniblement la Cigale et la Fourmi, et dévisage suspicieusement, comme une intrigante, une jeune Isabelle Adjani venue lui remettre un bouquet de fleurs. Entre-temps, entre Robert Hirsch et la Comédie-Française, ce fut une longue histoire d’amour, les plus belles années de sa vie : « Je suis parti à temps, mais ça a été vingt-cinq ans de bonheur, d’amitié, de complicité, de réussites, de flops aussi. Il y avait une camaraderie merveilleuse, on se voyait tout le temps, on partait en vacances ensemble très souvent, il y avait les grandes tournées, on vivait ensemble, pratiquement. Bien sûr, il y avait des clans, forcément — sur soixante acteurs, vous ne pouvez pas être heureux de jouer avec les soixante. Mais il y avait une atmosphère formidable, y compris avec les techniciens — qui nous emmerdaient souvent avec leurs grèves, mais tous ces gens, les costumières, les plumassières, les habilleuses et les habilleurs, c’étaient des gens formidables. »

C’est d’abord dans le comique qu’il excelle, en Arlequin chez Marivaux, chez Feydeau, et bien sûr chez Molière, où on lui attribue naturellement le rôle du maître à danser dans le Bourgeois gentilhomme. Il faudra le voir, plus tard, dans le rôle de Bouzin, le clerc de notaire du Fil à la patte, de Feydeau (une captation du spectacle est disponible en DVD aux éditions Montparnasse), pour mesurer tout ce que son talent doit à la danse : entre ses mains, le grotesque Bouzin devient un pantin inarticulé, que Hirsch anime de soubresauts dignes de Chaplin, dans une caricature à l’eauforte absolument irrésistible. Tout dans cette interprétation, de la démarche reptilienne du personnage à sa manière frénétique de retirer, doigt après doigt, ses gants d’une main crispée, relève du génie burlesque. « Mon corps, j’en faisais ce que je voulais », dit-il aujourd’hui. À propos de son interprétation de Scapin, le critique redouté du Figaro d’alors, Jean-Jacques Gautier, écrit : « Impossible de résister à ses fureurs bouffonnes, non plus qu’à ses gesticulations frénétiques. Il se dégage des personnages de M. Hirsch une stupéfiante, une énorme drôlerie. » Pourtant, se souvient Robert Hirsch, « c’est un rôle qui m’a toujours fait peur, parce que si on ne se crève pas le cul, pardon de l’expression, ça n’est pas drôle. Sosie, dans Amphitryon de Molière, est irrésistible. Pour Scapin, il faut tout donner. La scène des sacs, ça m’ennuie, je détestais ça. Le soir de la générale, j’avais préparé un speech à prononcer à ce moment-là, pour dire que je ne pouvais pas continuer. Pour finir, ça a été et je n’ai pas fait mon speech, mais j’ai toujours cette appréhension au moment des sacs : est-ce que je vais aller au bout ? »

Un grand enfant, qui joue sans calcul

Mais il excelle aussi dans le tragique, en Néron, en Richard III ou en Raskolnikov dans la mise en scène que donne Michel Vitold de Crime et Châtiment. Et bien sûr dans ce rôle de Tartuff e qu’il joue à plusieurs reprises (on peut l’y voir aussi dans un DVD des éditions Montparnasse). Un Tartuffe diabolique à souhait, délicieusement ignoble de cautèle et de concupiscence sournoise : Hirsch ne cherche pas à renouveler le rôle, à se démarquer de la tradition, il pousse le personnage à ses extrêmes limites pour en donner une vision épurée, tranchante, inoubliable.

Au sommet de sa gloire, Hirsch quitte pourtant le Français en 1974 : « Je suis parti parce que j’avais peur de m’ennuyer. Ça faisait vingt-cinq ans que je jouais avec les mêmes, le même théâtre, j’avais envie de jouer ailleurs ; maintenant, c’est plus facile, mais le raffut que ça avait fait quand j’étais allé jouer Arturo Ui au TNP ! M. Escande, l’administrateur de l’époque, m’avait dit : “Vous tuez la Comédie-française”. »

Sorti du Théâtre-Français, Hirsch joue Guitry, Goldoni, Pinter, Beckett, et maintenant Florian Zeller. Comme à son habitude, il ne fait pas de plan sur la comète, attendant de voir ce que la vie lui apportera encore. La vieillesse, la mort, questions autour desquelles il tourne chaque soir en scène, dans Avant de s’envoler ? Il n’y pense pas plus que ça : « La mort, quand ça va arriver, ça va arriver ; j’ai mal à mes guibolles, mais en scène on oublie tout. Voyez, on n’éternue pas en scène, jamais. Bon, j’ai éternué une fois, mais c’était en plein air… »

Dans une interview, il citait le Christ de saint Jean de la Croix, de Dali, comme son tableau fétiche. Du coup, on s’enhardit à lui poser la question : est-il croyant ? « Oui, très. Pas pratiquant, mais très croyant, c’est quelque chose qui compte énormément pour moi, qui m’aide. J’ai besoin de sentir en moi une dimension surnaturelle. Je crois qu’il y a quelque chose après, je ne sais pas si c’est des angelots ou autre chose, je n’en ai rien à faire, je ne sais pas s’il y a un paradis, mais je ne pense pas que ça s’arrête. On peut tuer le corps, le torturer, mais l’âme… » Lui souhaitera-t-on de mourir en scène ? « Ah non ; quelle horreur ! Mourir dans un coin tranquille, oui, sans personne autour. » Mais puisque son jeu si entier, si éloigné de tout calcul et de toute prudence, semble toujours celui d’un enfant qui n’a pas grandi, pourquoi parler de mourir ? Souhaitons lui, donc, de continuer à jouer, aussi longtemps qu’il le pourra — pour l’éternité même, et d’y ravir les angelots comme il aura ravi, sa vie durant, les humains.

Avant de s’envoler, Théâtre de l’OEuvre, Paris IXe, jusqu’au 15 janvier 2017. Tél. : 01.44.53.88.88.

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