En 1961, au hasard de mes sorties nocturnes, j'avais fait la connaissance d'un garçon sympathique, trompettiste de jazz et grand joueur de poker, humoriste à froid et bon vivant. Eddie - c'était son prénom - était d'origine bulgare, mais parlait un français irréprochable, sauf quand un whisky de trop lui rendait, curieusement, un certain accent slave qui m'amusait beaucoup. Un soir de décembre où Vince Taylor, rocker authentique et copain délicieux, était en vedette à l'affiche de l'Olympia, je vais rue Caumartin dès le début du spectacle, entre en coulisses, salue Bruno Coquatrix, et rencontre Eddie. A ce moment, sort de scène une jeune chanteuse, presque une gamine, l'air fragile, le visage bouleversé et incrédule de quelqu'un qui se serait tiré par miracle de la fosse aux lions, un charme enfantin irrésistible comme celui de certains modèles du photographe David Hamilton. Avec l'exquise délicatesse que les hommes affectent entre eux pour parler des jolies filles qui chatouillent agréablement certaines de leurs terminaisons nerveuses, je souffle à Eddie : «Tu vois, mon vieux, eh bien, cette fille, je me la ferai bien ! » Et lui, imperturbable, prenant un air de confident de comédie, me répond en me vouvoyant : « Mon cher ami, il m'est du moins facile, si cela vous agrée, de vous la présenter. Elle est ma soeur. »
Voir aussi : Johnny Hallyday et Sylvie Vartan: l’histoire d’un premier amour
C'est ainsi que j'ai connu Sylvie Vartan. Le coup de foudre, c'est bien l'expression qui convient. Dans les semaines qui suivirent, je multipliai les occasions de lui faire comprendre quelle place elle avait prise dans mes pensées. Elle était très gentille avec moi, amicale même, mais paraissait vouloir garder ses distances. Peut-être aimait-elle quelqu'un ? II passait parfois un peu de tristesse dans son sourire quand je me montrais carrément sentimental... Pour ne rien arranger, ma cour fut interrompue dès le début 1962, puisque je devais donner un gala présidé par Jackie Kennedy à bord du « France », puis enregistrer à Nashville, avec les musiciens et les choeurs d'EIvis Presley, un grand album de rocks américains que les plus grands chanteurs du genre, auxquels c'était un hommage, avaient déjà rendus célèbres avant moi. Ensuite, ce fut une tournée aux Etats-Unis (Washington, Baltimore, Chicago, le Colorado), puis une tournée française. Phénomène bien connu des amoureux : l'image de Sylvie, pendant ce temps-là, pendant ce temps perdu, loin de s'effacer en moi, m'occupait encore plus. Jamais, sans doute, je ne suis rentré à Paris plus heureux qu'à la fin de cette série de voyages.
Lire aussi : Mort de Johnny Hallyday : Sylvie Vartan a le cœur "brisé"
Je ne cessais pas de "tourner autour" de Sylvie
Je retrouvai une Sylvie plus résolument engagée dans le métier de chanteuse, encore plus aimable avec moi, mais comme dominée par la crainte de me faire du mal et, pour ce qui est de l'amour, toujours inabordable. J'en parlai à Johnny Stark qui trembla de me voir peut-être « accroché » sérieusement à une femme. Je sais depuis que le vieux renard interrogea, mine de rien, un ami journaliste bien introduit dans l'entourage de Sylvie pour essayer de savoir si elle «aimait ailleurs», comme on dit, et par conséquent quelles chances restaient de me voir demeurer, au moins pour un temps, le célibataire idéal qu'il souhaitait, jusqu'à ce que ça se passe. Mais ça ne passait pas. Je ne cessais pas de «tourner autour » de Sylvie.
Lire aussi : quand Johnny racontait Léon Smet, son père
L'expression est d'autant plus juste qu'à cette époque, elle habitait avec son père, - aujourd'hui disparu -, sa mère et son frère dans un appartement de l'avenue Michel-Bizot, dans le 12e arrondissement ; et souvent, en pleine nuit, au volant de ma voiture, pour redire encore à Sylvie que je pensais à elle, plongée dans un sommeil d'où son image était sans doute absente, je n'hésitais pas à lui faire des déclarations d'un genre que le préfet de police condamne mais que les amoureux fous comprendront : je parcourais les trois petites rues et le bout d'avenue qui entourent son immeuble en faisant rugir le moteur et en pianotant frénétiquement sur les boutons de mes deux avertisseurs de route (américains et surpuissants). Au bout de dix minutes de ce jeu (interdit), j'étais sûr qu'elle s'était réveillée et qu'elle avait compris le message. Pardonnez-moi, habitants du quartier Bel-Air qui tombez sur ces lignes et découvrez, seize ans après, le responsable de vos insomnies de l'époque... « II n'y a pas de forteresse imprenable, il n'y a que des forteresses mal attaquées »...
Avec Sylvie, fille fière et élevée dans une certaine idée du respect que l'on se doit, toute « attaque », justement, était vouée à l'échec parce qu'elle l'aurait ressentie comme une agression. C'est seulement la durée du temps qui pouvait jouer en ma faveur - mais Sylvie, fine mouche, ne voulait-elle pas précisément mesurer la solidité de mes sentiments, leur «durabilité », comme on dit aujourd'hui pour une machine à laver ? Je le crois. Alors, nous nous sommes revus plus souvent, sous le régime de l'amitié, amoureuse pour moi, tendre pour elle. Cela a duré longtemps, longtemps. Elle, avec cette psychologie et cette intuition si vives qui donnent à la plupart des femmes des «antennes» qui manquent aux hommes, étudiait visiblement mon cas, Elle évaluait mes faiblesses (et j'en ai, à commencer par le refus de considérer que les coucheries d'occasion, les «affaires à saisir», engagent quoi que ce soit et puissent avoir la moindre importance), elle appréciait mes qualités (et j'en ai tant que nous n'allons pas perdre du temps avec ça !), bref, elle jugeait le bonhomme. Un tel examen ne me déplaisait pas. J'étais donc intéressant (et c'est vrai que je suis intéressant ! Rions un peu). Pour ma part, je découvrais une femme à l'intelligence aigüe, capable de penser juste, cultivée, ouverte, forte d'une éducation bien équilibrée, à la grande générosité de coeur, ni mollassonne, ni surexcitée. A part notre sens commun de la fidélité et de la loyauté en amitié, nous ne nous ressemblions guère.
J'étais un troubadour élevé sur le tas, demeuré assez sauvage
En dépit de ce qu'il faut bien appeler « mon succès », j'étais resté exactement le même qu'au temps des vaches maigres : un type très simple, trop peut-être, un troubadour élevé sur le tas, demeuré assez sauvage, « mal dégrossi » et conscient de l'être, assez instable, porté parfois à jouer les durs sans pouvoir honnêtement mesurer lui-même quelles parts cette attitude instinctive recouvrait de force brute et de fragilité inavouée. Je me disais : « Elle ne va pas me trouver à la hauteur ». Je pense que j'avais raison et tort à la fois. Je suis à peu près convaincu que j'ai «eu» Sylvie, très inconsciemment d'ailleurs et sans le moindre cinéma, par mon côté «chien perdu sans collier» qui a éveillé en elle un certain désir de protéger, de rassurer, de consolider. Elles ont presque toutes ce point sensible, cette vocation que les plus fofolles elles-mêmes ne s'avouent pas et qui les portent à construire un homme à partir de ce qu'elles prennent pour un enfant, cette fibre maternelle avant la maternité. Elle était là, tout banalement, la faille de la « forteresse Sylvie». Heureusement pour nous deux, ma future épouse a bien montré qu'elle était, en fait, tout autre chose qu'une mère pour moi, et je la crois persuadée que je ne suis pas un enfant, même si mon comportement avec elle a pu naguère la porter à en douter...
Toute reproduction interdite Read AgainEn 1961, au hasard de mes sorties nocturnes, j'avais fait la connaissance d'un garçon sympathique, trompettiste de jazz et grand joueur de poker, humoriste à froid et bon vivant. Eddie - c'était son prénom - était d'origine bulgare, mais parlait un français irréprochable, sauf quand un whisky de trop lui rendait, curieusement, un certain accent slave qui m'amusait beaucoup. Un soir de décembre où Vince Taylor, rocker authentique et copain délicieux, était en vedette à l'affiche de l'Olympia, je vais rue Caumartin dès le début du spectacle, entre en coulisses, salue Bruno Coquatrix, et rencontre Eddie. A ce moment, sort de scène une jeune chanteuse, presque une gamine, l'air fragile, le visage bouleversé et incrédule de quelqu'un qui se serait tiré par miracle de la fosse aux lions, un charme enfantin irrésistible comme celui de certains modèles du photographe David Hamilton. Avec l'exquise délicatesse que les hommes affectent entre eux pour parler des jolies filles qui chatouillent agréablement certaines de leurs terminaisons nerveuses, je souffle à Eddie : «Tu vois, mon vieux, eh bien, cette fille, je me la ferai bien ! » Et lui, imperturbable, prenant un air de confident de comédie, me répond en me vouvoyant : « Mon cher ami, il m'est du moins facile, si cela vous agrée, de vous la présenter. Elle est ma soeur. »
Voir aussi : Johnny Hallyday et Sylvie Vartan: l’histoire d’un premier amour
C'est ainsi que j'ai connu Sylvie Vartan. Le coup de foudre, c'est bien l'expression qui convient. Dans les semaines qui suivirent, je multipliai les occasions de lui faire comprendre quelle place elle avait prise dans mes pensées. Elle était très gentille avec moi, amicale même, mais paraissait vouloir garder ses distances. Peut-être aimait-elle quelqu'un ? II passait parfois un peu de tristesse dans son sourire quand je me montrais carrément sentimental... Pour ne rien arranger, ma cour fut interrompue dès le début 1962, puisque je devais donner un gala présidé par Jackie Kennedy à bord du « France », puis enregistrer à Nashville, avec les musiciens et les choeurs d'EIvis Presley, un grand album de rocks américains que les plus grands chanteurs du genre, auxquels c'était un hommage, avaient déjà rendus célèbres avant moi. Ensuite, ce fut une tournée aux Etats-Unis (Washington, Baltimore, Chicago, le Colorado), puis une tournée française. Phénomène bien connu des amoureux : l'image de Sylvie, pendant ce temps-là, pendant ce temps perdu, loin de s'effacer en moi, m'occupait encore plus. Jamais, sans doute, je ne suis rentré à Paris plus heureux qu'à la fin de cette série de voyages.
Lire aussi : Mort de Johnny Hallyday : Sylvie Vartan a le cœur "brisé"
Je ne cessais pas de "tourner autour" de Sylvie
Je retrouvai une Sylvie plus résolument engagée dans le métier de chanteuse, encore plus aimable avec moi, mais comme dominée par la crainte de me faire du mal et, pour ce qui est de l'amour, toujours inabordable. J'en parlai à Johnny Stark qui trembla de me voir peut-être « accroché » sérieusement à une femme. Je sais depuis que le vieux renard interrogea, mine de rien, un ami journaliste bien introduit dans l'entourage de Sylvie pour essayer de savoir si elle «aimait ailleurs», comme on dit, et par conséquent quelles chances restaient de me voir demeurer, au moins pour un temps, le célibataire idéal qu'il souhaitait, jusqu'à ce que ça se passe. Mais ça ne passait pas. Je ne cessais pas de «tourner autour » de Sylvie.
Lire aussi : quand Johnny racontait Léon Smet, son père
L'expression est d'autant plus juste qu'à cette époque, elle habitait avec son père, - aujourd'hui disparu -, sa mère et son frère dans un appartement de l'avenue Michel-Bizot, dans le 12e arrondissement ; et souvent, en pleine nuit, au volant de ma voiture, pour redire encore à Sylvie que je pensais à elle, plongée dans un sommeil d'où son image était sans doute absente, je n'hésitais pas à lui faire des déclarations d'un genre que le préfet de police condamne mais que les amoureux fous comprendront : je parcourais les trois petites rues et le bout d'avenue qui entourent son immeuble en faisant rugir le moteur et en pianotant frénétiquement sur les boutons de mes deux avertisseurs de route (américains et surpuissants). Au bout de dix minutes de ce jeu (interdit), j'étais sûr qu'elle s'était réveillée et qu'elle avait compris le message. Pardonnez-moi, habitants du quartier Bel-Air qui tombez sur ces lignes et découvrez, seize ans après, le responsable de vos insomnies de l'époque... « II n'y a pas de forteresse imprenable, il n'y a que des forteresses mal attaquées »...
Avec Sylvie, fille fière et élevée dans une certaine idée du respect que l'on se doit, toute « attaque », justement, était vouée à l'échec parce qu'elle l'aurait ressentie comme une agression. C'est seulement la durée du temps qui pouvait jouer en ma faveur - mais Sylvie, fine mouche, ne voulait-elle pas précisément mesurer la solidité de mes sentiments, leur «durabilité », comme on dit aujourd'hui pour une machine à laver ? Je le crois. Alors, nous nous sommes revus plus souvent, sous le régime de l'amitié, amoureuse pour moi, tendre pour elle. Cela a duré longtemps, longtemps. Elle, avec cette psychologie et cette intuition si vives qui donnent à la plupart des femmes des «antennes» qui manquent aux hommes, étudiait visiblement mon cas, Elle évaluait mes faiblesses (et j'en ai, à commencer par le refus de considérer que les coucheries d'occasion, les «affaires à saisir», engagent quoi que ce soit et puissent avoir la moindre importance), elle appréciait mes qualités (et j'en ai tant que nous n'allons pas perdre du temps avec ça !), bref, elle jugeait le bonhomme. Un tel examen ne me déplaisait pas. J'étais donc intéressant (et c'est vrai que je suis intéressant ! Rions un peu). Pour ma part, je découvrais une femme à l'intelligence aigüe, capable de penser juste, cultivée, ouverte, forte d'une éducation bien équilibrée, à la grande générosité de coeur, ni mollassonne, ni surexcitée. A part notre sens commun de la fidélité et de la loyauté en amitié, nous ne nous ressemblions guère.
J'étais un troubadour élevé sur le tas, demeuré assez sauvage
En dépit de ce qu'il faut bien appeler « mon succès », j'étais resté exactement le même qu'au temps des vaches maigres : un type très simple, trop peut-être, un troubadour élevé sur le tas, demeuré assez sauvage, « mal dégrossi » et conscient de l'être, assez instable, porté parfois à jouer les durs sans pouvoir honnêtement mesurer lui-même quelles parts cette attitude instinctive recouvrait de force brute et de fragilité inavouée. Je me disais : « Elle ne va pas me trouver à la hauteur ». Je pense que j'avais raison et tort à la fois. Je suis à peu près convaincu que j'ai «eu» Sylvie, très inconsciemment d'ailleurs et sans le moindre cinéma, par mon côté «chien perdu sans collier» qui a éveillé en elle un certain désir de protéger, de rassurer, de consolider. Elles ont presque toutes ce point sensible, cette vocation que les plus fofolles elles-mêmes ne s'avouent pas et qui les portent à construire un homme à partir de ce qu'elles prennent pour un enfant, cette fibre maternelle avant la maternité. Elle était là, tout banalement, la faille de la « forteresse Sylvie». Heureusement pour nous deux, ma future épouse a bien montré qu'elle était, en fait, tout autre chose qu'une mère pour moi, et je la crois persuadée que je ne suis pas un enfant, même si mon comportement avec elle a pu naguère la porter à en douter...
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