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"Bocuse, c'était Saint-Paul, l'apôtre des gentils"

Paul Bocuse s'est éteint ce samedi. Michel Guérard, chef trois étoiles et intime du "pape de la gastronomie française", lui rend hommage pour L'Express.

Michel Guérard, 84 ans, fut l'un des cerveaux de la "Nouvelle Cuisine" dans les années 1970, et l'un des amis les plus proches de Paul Bocuse décédé ce samedi à l'âge de 91 ans.  

LIRE AUSSI >> Légende de la gastronomie française, le chef Paul Bocuse est mort 

Les coups de main de Paul Bocuse, sa place au sein de la Nouvelle Cuisine, leur prétendue rivalité... Le chef trois étoiles (encore en activité) à Eugénie les Bains (dans les Landes) se livre à L'Express. 

Depuis quand connaissiez-vous Paul Bocuse? 

Michel Guérard: J'ai rencontré Paul il y a plus de 50 ans. Au début des années 60, j'étais chef pâtissier au Lido à Paris et il était venu me voir en cuisine, ça a été notre première rencontre. Une amitié s'est nouée tout naturellement. Puis quand j'ai ouvert mon restaurant, le Pot-au-feu à Asnières en 1965, il est tout de suite venu. Il m'a encouragé d'une manière extraordinaire et a organisé un bouche-à-oreille qui est à l'origine de mon succès.  

Paul était un homme de générosité. Certainement qu'il a fait ça autant pour se faire plaisir que pour me faire plaisir. C'était Saint-Paul, c'est l'apôtre des gentils. 

Y'avait-il entre vous, dans l'époque forte de la Nouvelle Cuisine, une complicité culinaire? 

La cuisine que je faisais l'a surpris. Il était bien plus classique, mais il m'encourageait dans mes créations d'avant-garde. Paul avait beaucoup d'amis, et quand il a créé la Société de la Grande cuisine française en 1970, il a fait appel à moi car il pensait que je pouvais l'aider à construire ce courant-là. 

Les médias décrivent souvent Paul Bocuse comme le père de la Nouvelle Cuisine. 

C'est une erreur d'interprétation. Paul n'était pas Nouvelle Cuisine du tout, c'était un grand classique qui faisait une cuisine naturelle et brute de bonté. Mais il a été Nouvelle Cuisine sur son plat signature le plus connu: la soupe VGE. C'était une création très moderne dans sa cuisine classique et généreuse, héritée de ses maîtres d'apprentissage, Fernand Point (chef trois étoiles Michelin de La Pyramide à Vienne) et d'Eugénie Brazier (double trois étoiles à Lyon et au Col de la Luère). 

Vous étiez à la remise de sa Légion d'Honneur par Valéry Giscard d'Estaing en 1975, à l'Elysée. Comment aviez-vous reçu ce plat créé pour l'occasion? 

J'ai beaucoup aimé. Jamais on avait mangé de soupe de truffe, personne n'y avait pensé. Et sa drôle de manière de la présenter dans ce bol soufflé avec son dôme de feuilletage ambré. Ca avait de l'allure. Ce plat a bluffé tout le monde, le président Giscard le premier. 

Quand avez-vous eu des nouvelles de Paul Bocuse pour la dernière fois? 

J'appelais souvent. Mais les dernières nouvelles datent de mardi dernier: Alain Ducasse lui a rendu visite et m'a ensuite informé que la santé de Paul se dégradait. 

Dans les années 70 et vous étiez les deux chefs les plus médiatisés de France, la presse vous décrivaient parfois comme des rivaux. Vous perceviez ainsi votre relation avec Paul Bocuse? 

Pas du tout, il n'y avait que de l'amitié. On se comprenait sans même se parler. Et je devais beaucoup à Paul puisqu'il m'avait pris dans sa bande. C'était un geste de générosité franc et loyal.  

Même quand ma cuisine créative surprenait ou déroutait certains critiques, Paul a toujours été là pour me soutenir. 

Qu'est-ce que la gastronomie doit à Paul Bocuse? 

Un charisme de héros et une immense force de caractère. Tous les cuisiniers français et du monde entier lui doivent ce qu'est devenu le cuisinier aujourd'hui. Paul a sorti le cuisinier de la misère. A l'époque, le grand champion d'un restaurant c'était le maître d'hôtel. Le cuisinier lui, était près de son sceau de charbon et il y restait. C'est grâce à Paul que ce métier "d'artisanat d'art", si l'on peut dire, a été enfin compris et reconnu. Et c'est valable pour l'étranger. Paul a pratiqué la xénophilie avec une spontanéité étonnante. 

Alain Senderens en juillet dernier, Paul Bocuse aujourd'hui. Vos contemporains disparaissent tour à tour. Vous vous sentez seul? 

C'est la vie! Je vois se tourner définitivement une aventure absolument extraordinaire qui fait que la cuisine française continue d'être ce qu'elle est: une cuisine de civilisation. C'est quelque chose de grand, d'immense qu'a construit notre pays. C'est quelque chose dont on doit se souvenir, il ne peut pas y avoir de création sans mémoire. 

Que retiendra l'Histoire de Paul Bocuse? 

Je crois que le nom de Paul Bocuse est une marque indélébile. Elle poursuivra beaucoup de générations. 

LIRE AUSSI >> Mort de Paul Bocuse: qui ne pleure pas n'est pas Lyonnais 

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Paul Bocuse s'est éteint ce samedi. Michel Guérard, chef trois étoiles et intime du "pape de la gastronomie française", lui rend hommage pour L'Express.

Michel Guérard, 84 ans, fut l'un des cerveaux de la "Nouvelle Cuisine" dans les années 1970, et l'un des amis les plus proches de Paul Bocuse décédé ce samedi à l'âge de 91 ans.  

LIRE AUSSI >> Légende de la gastronomie française, le chef Paul Bocuse est mort 

Les coups de main de Paul Bocuse, sa place au sein de la Nouvelle Cuisine, leur prétendue rivalité... Le chef trois étoiles (encore en activité) à Eugénie les Bains (dans les Landes) se livre à L'Express. 

Depuis quand connaissiez-vous Paul Bocuse? 

Michel Guérard: J'ai rencontré Paul il y a plus de 50 ans. Au début des années 60, j'étais chef pâtissier au Lido à Paris et il était venu me voir en cuisine, ça a été notre première rencontre. Une amitié s'est nouée tout naturellement. Puis quand j'ai ouvert mon restaurant, le Pot-au-feu à Asnières en 1965, il est tout de suite venu. Il m'a encouragé d'une manière extraordinaire et a organisé un bouche-à-oreille qui est à l'origine de mon succès.  

Paul était un homme de générosité. Certainement qu'il a fait ça autant pour se faire plaisir que pour me faire plaisir. C'était Saint-Paul, c'est l'apôtre des gentils. 

Y'avait-il entre vous, dans l'époque forte de la Nouvelle Cuisine, une complicité culinaire? 

La cuisine que je faisais l'a surpris. Il était bien plus classique, mais il m'encourageait dans mes créations d'avant-garde. Paul avait beaucoup d'amis, et quand il a créé la Société de la Grande cuisine française en 1970, il a fait appel à moi car il pensait que je pouvais l'aider à construire ce courant-là. 

Les médias décrivent souvent Paul Bocuse comme le père de la Nouvelle Cuisine. 

C'est une erreur d'interprétation. Paul n'était pas Nouvelle Cuisine du tout, c'était un grand classique qui faisait une cuisine naturelle et brute de bonté. Mais il a été Nouvelle Cuisine sur son plat signature le plus connu: la soupe VGE. C'était une création très moderne dans sa cuisine classique et généreuse, héritée de ses maîtres d'apprentissage, Fernand Point (chef trois étoiles Michelin de La Pyramide à Vienne) et d'Eugénie Brazier (double trois étoiles à Lyon et au Col de la Luère). 

Vous étiez à la remise de sa Légion d'Honneur par Valéry Giscard d'Estaing en 1975, à l'Elysée. Comment aviez-vous reçu ce plat créé pour l'occasion? 

J'ai beaucoup aimé. Jamais on avait mangé de soupe de truffe, personne n'y avait pensé. Et sa drôle de manière de la présenter dans ce bol soufflé avec son dôme de feuilletage ambré. Ca avait de l'allure. Ce plat a bluffé tout le monde, le président Giscard le premier. 

Quand avez-vous eu des nouvelles de Paul Bocuse pour la dernière fois? 

J'appelais souvent. Mais les dernières nouvelles datent de mardi dernier: Alain Ducasse lui a rendu visite et m'a ensuite informé que la santé de Paul se dégradait. 

Dans les années 70 et vous étiez les deux chefs les plus médiatisés de France, la presse vous décrivaient parfois comme des rivaux. Vous perceviez ainsi votre relation avec Paul Bocuse? 

Pas du tout, il n'y avait que de l'amitié. On se comprenait sans même se parler. Et je devais beaucoup à Paul puisqu'il m'avait pris dans sa bande. C'était un geste de générosité franc et loyal.  

Même quand ma cuisine créative surprenait ou déroutait certains critiques, Paul a toujours été là pour me soutenir. 

Qu'est-ce que la gastronomie doit à Paul Bocuse? 

Un charisme de héros et une immense force de caractère. Tous les cuisiniers français et du monde entier lui doivent ce qu'est devenu le cuisinier aujourd'hui. Paul a sorti le cuisinier de la misère. A l'époque, le grand champion d'un restaurant c'était le maître d'hôtel. Le cuisinier lui, était près de son sceau de charbon et il y restait. C'est grâce à Paul que ce métier "d'artisanat d'art", si l'on peut dire, a été enfin compris et reconnu. Et c'est valable pour l'étranger. Paul a pratiqué la xénophilie avec une spontanéité étonnante. 

Alain Senderens en juillet dernier, Paul Bocuse aujourd'hui. Vos contemporains disparaissent tour à tour. Vous vous sentez seul? 

C'est la vie! Je vois se tourner définitivement une aventure absolument extraordinaire qui fait que la cuisine française continue d'être ce qu'elle est: une cuisine de civilisation. C'est quelque chose de grand, d'immense qu'a construit notre pays. C'est quelque chose dont on doit se souvenir, il ne peut pas y avoir de création sans mémoire. 

Que retiendra l'Histoire de Paul Bocuse? 

Je crois que le nom de Paul Bocuse est une marque indélébile. Elle poursuivra beaucoup de générations. 

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