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Isao Takahata, réalisateur du “Tombeau des lucioles”, est mort

Le réalisateur japonais Isao Takahata, ici en 2003, décédé à l’âge de 82 ans

Le réalisateur japonais Isao Takahata, ici en 2003, décédé à l’âge de 82 ans

Kanshiro Sonoda/AP/SIPA

Mort ce jeudi 5 avril à l’âge de 82 ans, le cinéaste complice de Miyazaki était un amoureux de la nature. Nous l’avions rencontré pour ce portrait paru en 2006, au moment de la sortie en France de “Pompoko".

« Je n’aime pas les héros et n’ai aucun goût pour Napoléon, ni pour les grandes fresques. » On jurerait qu’il s’était promis de dire ça, Isao Takahata. A 70 ans, sous son air placide, le cinéaste japonais est un homme de convictions profondes. Un entomologiste discret qui ne s’intéresse qu’aux groupes, aux familles, aux microsociétés, dont il aime, plus que tout, détailler le quotidien. Un type si peu passionné par son nombril que « ça ne [lui] viendrait pas à l’idée de faire un film s’inspirant de [sa] vie ».

A l’arbre, Takahata préfère définitivement la forêt. Sorti en 1994 au Japon, où il fit les meilleures entrées de l’année, Pompoko s’inscrit dans cette vision du monde. Fable débridée où le spectateur occidental subit sans le savoir une averse de références, cette chronique des tanuki (des chiens sauvages qui ne vivent qu’en Extrême-Orient) explore mine de rien les ressorts d’une communauté, sa façon de s’organiser, de réagir, de survivre ou de s’anéantir. Mi-ratons laveurs, mi-ours en peluche, ces petits animaux, auxquels le folklore nippon prête de généreux attributs sexuels ainsi que la faculté de changer d’apparence, permettent moult pochades et digressions. Takahata ne s’en prive pas, mais tout au fond sa petite musique reste la même.

Grand amateur de Prévert, ce diplômé de littérature française, pour lequel Le Roi et l’Oiseau, de Paul Grimault, fut une révélation, n’en démord pas : le bonheur est dans le pré ! « J’ai toujours vécu au contact de la nature. Même aujourd’hui j’habite un arrondissement de Tokyo où il y a des arbres, des fleurs, de la terre. Je pense qu’il n’y a pas de meilleure façon de vivre. Les soixante dernières années ont été très bizarres au Japon. On a beaucoup détruit, on a construit des villes étouffantes, inhumaines. Pourtant rien n’est encore irrémédiable. Si les hommes sont intelligents et savent ce qu’ils veulent, on arrivera à vivre dans un monde plus conforme à nos souhaits. C’est pour cela que je fais des films : pour aider les gens à savoir ce dont ils ont envie. »

Cinéma utile

Un idéal qu’il partage avec son ami Hayao Miyazaki, avec lequel il a fondé, en 1985, les fameux studios Ghibli (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro,Le Château ambulant). Profondément marqués par la guerre et les bombardements (Takahata a réalisé le magnifique et lacrymal Tombeau des lucioles, en 1988), un temps sympathisants communistes, les deux hommes se sont rencontrés au début des années 60 dans les instances syndicales de la Toei, le plus grand studio d’animation de l’époque. Miyazaki dessine, Takahata met en scène, tous deux réalisent ensemble Horus, prince du soleil, long métrage d’animation qui ne rencontre guère d’échos à sa sortie, en 1968, ainsi que plusieurs séries pour la télé.

Le succès de Heidi, la fillette des Alpes vaut à Takahata de devenir le spécialiste des séries se déroulant à l’étranger. Il les enchaîne jusqu’à plus soif et décide dès 1981, avec Kié, la petite peste, de se consacrer désormais au Japon, de ne « parler que de ce qui est proche de moi, de ce que je connais le mieux ». Une constante dans son éclectique filmographie, qui brasse adaptation de manga (Mes voisins les Yamada), film intimiste (Souvenirs goutte à goutte, toujours inédit en France) ou documentaire éducatif (Yanagawa horiwari monogatari), l’histoire des habitants de Yanagawa en lutte pour la sauvegarde de leurs canaux... On ne se refait pas. Même divertissant, le cinéma se doit d’être utile. Heureusement, l’ancien militant est également un amateur de haïkus qui sait la valeur de l’épure et de la concision. Un drôle de mélange, dont Pompoko est sans doute l’une des meilleures illustrations.

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Le réalisateur japonais Isao Takahata, ici en 2003, décédé à l’âge de 82 ans

Le réalisateur japonais Isao Takahata, ici en 2003, décédé à l’âge de 82 ans

Kanshiro Sonoda/AP/SIPA

Mort ce jeudi 5 avril à l’âge de 82 ans, le cinéaste complice de Miyazaki était un amoureux de la nature. Nous l’avions rencontré pour ce portrait paru en 2006, au moment de la sortie en France de “Pompoko".

« Je n’aime pas les héros et n’ai aucun goût pour Napoléon, ni pour les grandes fresques. » On jurerait qu’il s’était promis de dire ça, Isao Takahata. A 70 ans, sous son air placide, le cinéaste japonais est un homme de convictions profondes. Un entomologiste discret qui ne s’intéresse qu’aux groupes, aux familles, aux microsociétés, dont il aime, plus que tout, détailler le quotidien. Un type si peu passionné par son nombril que « ça ne [lui] viendrait pas à l’idée de faire un film s’inspirant de [sa] vie ».

A l’arbre, Takahata préfère définitivement la forêt. Sorti en 1994 au Japon, où il fit les meilleures entrées de l’année, Pompoko s’inscrit dans cette vision du monde. Fable débridée où le spectateur occidental subit sans le savoir une averse de références, cette chronique des tanuki (des chiens sauvages qui ne vivent qu’en Extrême-Orient) explore mine de rien les ressorts d’une communauté, sa façon de s’organiser, de réagir, de survivre ou de s’anéantir. Mi-ratons laveurs, mi-ours en peluche, ces petits animaux, auxquels le folklore nippon prête de généreux attributs sexuels ainsi que la faculté de changer d’apparence, permettent moult pochades et digressions. Takahata ne s’en prive pas, mais tout au fond sa petite musique reste la même.

Grand amateur de Prévert, ce diplômé de littérature française, pour lequel Le Roi et l’Oiseau, de Paul Grimault, fut une révélation, n’en démord pas : le bonheur est dans le pré ! « J’ai toujours vécu au contact de la nature. Même aujourd’hui j’habite un arrondissement de Tokyo où il y a des arbres, des fleurs, de la terre. Je pense qu’il n’y a pas de meilleure façon de vivre. Les soixante dernières années ont été très bizarres au Japon. On a beaucoup détruit, on a construit des villes étouffantes, inhumaines. Pourtant rien n’est encore irrémédiable. Si les hommes sont intelligents et savent ce qu’ils veulent, on arrivera à vivre dans un monde plus conforme à nos souhaits. C’est pour cela que je fais des films : pour aider les gens à savoir ce dont ils ont envie. »

Cinéma utile

Un idéal qu’il partage avec son ami Hayao Miyazaki, avec lequel il a fondé, en 1985, les fameux studios Ghibli (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro,Le Château ambulant). Profondément marqués par la guerre et les bombardements (Takahata a réalisé le magnifique et lacrymal Tombeau des lucioles, en 1988), un temps sympathisants communistes, les deux hommes se sont rencontrés au début des années 60 dans les instances syndicales de la Toei, le plus grand studio d’animation de l’époque. Miyazaki dessine, Takahata met en scène, tous deux réalisent ensemble Horus, prince du soleil, long métrage d’animation qui ne rencontre guère d’échos à sa sortie, en 1968, ainsi que plusieurs séries pour la télé.

Le succès de Heidi, la fillette des Alpes vaut à Takahata de devenir le spécialiste des séries se déroulant à l’étranger. Il les enchaîne jusqu’à plus soif et décide dès 1981, avec Kié, la petite peste, de se consacrer désormais au Japon, de ne « parler que de ce qui est proche de moi, de ce que je connais le mieux ». Une constante dans son éclectique filmographie, qui brasse adaptation de manga (Mes voisins les Yamada), film intimiste (Souvenirs goutte à goutte, toujours inédit en France) ou documentaire éducatif (Yanagawa horiwari monogatari), l’histoire des habitants de Yanagawa en lutte pour la sauvegarde de leurs canaux... On ne se refait pas. Même divertissant, le cinéma se doit d’être utile. Heureusement, l’ancien militant est également un amateur de haïkus qui sait la valeur de l’épure et de la concision. Un drôle de mélange, dont Pompoko est sans doute l’une des meilleures illustrations.

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