
Insolent et absurdement joyeux, le Tartiufas du Lituanien Oskaras Koršunovas se jouait dans un labyrinthe végétal.
Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas
150 000 spectateurs dans le In, ouverts à tous les défis scéniques : le Festival d’Avignon 2018 est un succès pour son directeur, Olivier Py, heureux de l’engagement social et politique des œuvres présentées cette année. Il souhaite reconduire l’an prochain, le principe d’une thématique comme fil rouge de la manifestation.
Dernières images, toutes subjectives, toutes personnelles d’un festival qui aura résolument tenté de nous faire penser (panser ?) les violences – collectives et privées – de nos sociétés d’hier et d’aujourd’hui, prenant pour fil rouge la problématique du genre, si discutée actuellement. L’insolence chaotique, rageuse et absurdement joyeuse d’un Tartuffe revu et corrigé dans des jardins à la française labyrinthiques par le Lituanien Oskaras Koršunovas, 49 ans… L’hypocrite de Molière y devient un dangereux meneur d’extrême droite – qui fera le salut nazi – et qui déloge de chez elle une famille trop passive et bourgeoise. Clin d’œil courageux – et toujours drôle et sexy – à une génération actuelle de dangereux gouvernants en Europe de l’Est ? Ici la comédie se termine mal. Pas de happy end arrangé et de circonstances comme chez Molière. Les nouveaux politiques vont nous faire mal…
Comme fait du mal au héros-frère de Jean-Luc Lagarce sa propre famille, à travers un subtil arrangement de textes tout autour de sa pièce Le Pays lointain, admirablement dirigé et transmis par le patron du Théâtre national de Lille, Christophe Rauck, 55 ans, et ses élèves de fin d’études de l’Ecole du Nord. Malade d’un sida qu’il n’avouera pas, le fils prodigue revient retrouver les siens. Et ressurgissent alors jusqu’à l’étouffement toutes les jalousies et les tourments, les manques et les complexes, les ressassements et les rancunes de l’enfance et de l’adolescence…
Apaisement, tolérance et ouverture
La surprise de cette 72e édition, virulente et engagée dans les combats publics et intimes – et dont on n’aura pas vu, hélas, tous les spectacles –, est qu’elle s’est déroulée dans l’apaisement, sans susciter jamais les polémiques que pourtant on attendait. Le metteur en scène et directeur du Centre dramatique national de Normandie-Rouen, David Bobée, 40 ans, a pu ainsi dérouler tranquillement chaque midi, du 7 au 21 juillet, au jardin Ceccano, Mesdames, Messieurs et le reste du monde, son feuilleton didactique mais culotté autour du genre, de la diversité aussi, envisagées de la plus large des façons. Madeleine Louarn et Jean-François Auguste nous ont fait admirer les comédiens handicapés du magnifique et exigeant atelier Catalyse dans Le Grand Théâtre d’Oklahoma, d’après Franz Kafka. Et le Suisse Milo Rau, dans La Reprise, Histoire(s) du théâtre (1) – notre coup de cœur – nous a fait affronter avec science, conscience mais violence le martyr d’un jeune homosexuel à Liège…
Même l’audacieux geste scénique de quelques onze heures ( !), imaginé par Julien Gosselin, 31 ans, d’après trois romans revisités par lui de Don Delillo – Mao II, Joueurs, Les Noms – n’a pas déclenché les habituels questionnements sur l’usage obsessionnel et excessif de la vidéo, sur ce qui reste, ainsi, de réputé « théâtral » dans la représentation ; et sur ce que devient, enfin, et en un mot le « théâtre » pareillement incarné…
Le public a-t-il tant évolué en intelligence, tolérance, ouverture ? Il a fait un triomphe au spectacle dansé chanté du transformiste François Chaignaud (Romances Inciertos, un autre Orlando), comme à Trans (Més Enllà) de Didier Ruiz où sept transsexuels venaient très (trop ?) simplement, basiquement témoigner à tour de rôle de ce qu’ils avaient enduré et vécu… Tant mieux. Même si pareil accueil, pareil enthousiasme du public, prêt à tout applaudir avec générosité forcément interroge. Est-on dans l’entre-soi pour être si fort ensemble du même avis ? Le public de théâtre est-il plus bienveillant que les autres, parce que plus ouvert aux autres dans l’intimité d’un espace où des vivants rencontrent toujours des vivants ? Prennent du plaisir et réfléchissent ensemble ? De la formidable nécessité démocratique et citoyenne de l’art et des vertus essentielles de la culture…
Il faut dire que le Thyeste de Sénèque monté dans la cour d’honneur du Palais des papes par Thomas Jolly dans une éblouissante traduction de Florence Dupont avait admirablement ouvert le festival et efficacement entraîné le public, puisqu’il fut un des plus grands succès de fréquentation de 2018. Etait-ce par sa volonté folle et démesurée, quasi rock, de partager nos monstruosités et nos tragédies ? De montrer avec un goût éclatant du spectacle populaire, combien la violence se niche au cœur de chacun et peut conduire au pire pour tous. De la névrose à la tyrannie et à l’abjection publique…
Le patron du festival Olivier Py semble serein. Le budget du festival pour 2019 devrait être amélioré côté Etat, agglomération et ville. La fréquentation est encore meilleure qu’en 2017 : les salles ont été remplies à 95,5% (contre 92% en 2017) 108 000 billets ont été vendus et les manifestations gratuites ont rassemblé 42 800 spectateurs. Soit 150 800 en tout ! Les deux spectacles qu’Olivier Py a mis en scène à la Scierie (un nouveau lieu) ont été enfin plutôt bien accueillis. Antigone de Sophocle monté avec le centre pénitentiaire Avignon – Le Pontet, et Pur Présent sa dernière fiévreuse trilogie pour trois acteurs sur les tragédies économico-politico-morales que nous traversons….
« Le festival est non seulement un lieu d’art et de création mais il devient de plus en plus un forum où s’exprime la pensée, dit-il. Il est un abri, un refuge pour la pensée. Artistes, intellectuels et chercheurs y trouvent des tribunes qu’ils n’ont plus forcément ailleurs ; Alain Badiou et Christiane Taubira souhaitent par exemple y revenir… Beaucoup de médias hors culture sont venus cet été au festival pour des articles traitant de la société et de la justice. C’est bien… Il faut reconnaître que depuis plus de 70 ans qu’il existe, le festival crée en 1947 par Jean Vilar est devenu une véritable autorité morale où il ne s’agit plus de susciter des polémiques à la petite semaine mais de travailler aux vrais enjeux de la cité. Nous faisons désormais peur aux petits fachos, qui ne se sont pas du tout manifesté lors de cette 72e édition. C’est une victoire. Le festival est un vrai bastion qui défend la culture et la démocratie… »
Le In se porte bien
Interviewé plus de 75 fois par la presse cet été (un record !) Olivier Py, content d’avoir choisi un fil rouge pour 2018 – le genre – imagine reprendre ce dispositif pour 2019. Autour de l’écologie, des migrants ? Difficile de trouver un thème aussi riche et propice au théâtre que le genre…
Si le Festival Off Avignon avec 44 500 billets vendus au 24 juillet 2018 — alors qu’il dure jusqu’au 29 inclus et n’avait réalisé qu’une vente de 33 000 en 2017— aura cet été particulièrement cartonné via ses 1538 spectacles dans 133 lieux et avec ses 4667 artistes ; s’il est devenu un marché du théâtre où viennent s’approvisionner à peu de frais programmateurs et directeurs de salles (les spectacles sont déjà produits, amortis….), le festival In se porte encore bien. Merci.
Au gré de 47 spectacles dans 40 lieux, on y aura fait bien des découvertes et le niveau général du jeu, de l’interprétation des comédiens s’y est étonnamment, superbement amélioré dans la plupart des créations proposées. Un festival n’est-ce pas surtout des hommes et des femmes qui jouent ?

Insolent et absurdement joyeux, le Tartiufas du Lituanien Oskaras Koršunovas se jouait dans un labyrinthe végétal.
Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas
150 000 spectateurs dans le In, ouverts à tous les défis scéniques : le Festival d’Avignon 2018 est un succès pour son directeur, Olivier Py, heureux de l’engagement social et politique des œuvres présentées cette année. Il souhaite reconduire l’an prochain, le principe d’une thématique comme fil rouge de la manifestation.
Dernières images, toutes subjectives, toutes personnelles d’un festival qui aura résolument tenté de nous faire penser (panser ?) les violences – collectives et privées – de nos sociétés d’hier et d’aujourd’hui, prenant pour fil rouge la problématique du genre, si discutée actuellement. L’insolence chaotique, rageuse et absurdement joyeuse d’un Tartuffe revu et corrigé dans des jardins à la française labyrinthiques par le Lituanien Oskaras Koršunovas, 49 ans… L’hypocrite de Molière y devient un dangereux meneur d’extrême droite – qui fera le salut nazi – et qui déloge de chez elle une famille trop passive et bourgeoise. Clin d’œil courageux – et toujours drôle et sexy – à une génération actuelle de dangereux gouvernants en Europe de l’Est ? Ici la comédie se termine mal. Pas de happy end arrangé et de circonstances comme chez Molière. Les nouveaux politiques vont nous faire mal…
Comme fait du mal au héros-frère de Jean-Luc Lagarce sa propre famille, à travers un subtil arrangement de textes tout autour de sa pièce Le Pays lointain, admirablement dirigé et transmis par le patron du Théâtre national de Lille, Christophe Rauck, 55 ans, et ses élèves de fin d’études de l’Ecole du Nord. Malade d’un sida qu’il n’avouera pas, le fils prodigue revient retrouver les siens. Et ressurgissent alors jusqu’à l’étouffement toutes les jalousies et les tourments, les manques et les complexes, les ressassements et les rancunes de l’enfance et de l’adolescence…
Apaisement, tolérance et ouverture
La surprise de cette 72e édition, virulente et engagée dans les combats publics et intimes – et dont on n’aura pas vu, hélas, tous les spectacles –, est qu’elle s’est déroulée dans l’apaisement, sans susciter jamais les polémiques que pourtant on attendait. Le metteur en scène et directeur du Centre dramatique national de Normandie-Rouen, David Bobée, 40 ans, a pu ainsi dérouler tranquillement chaque midi, du 7 au 21 juillet, au jardin Ceccano, Mesdames, Messieurs et le reste du monde, son feuilleton didactique mais culotté autour du genre, de la diversité aussi, envisagées de la plus large des façons. Madeleine Louarn et Jean-François Auguste nous ont fait admirer les comédiens handicapés du magnifique et exigeant atelier Catalyse dans Le Grand Théâtre d’Oklahoma, d’après Franz Kafka. Et le Suisse Milo Rau, dans La Reprise, Histoire(s) du théâtre (1) – notre coup de cœur – nous a fait affronter avec science, conscience mais violence le martyr d’un jeune homosexuel à Liège…
Même l’audacieux geste scénique de quelques onze heures ( !), imaginé par Julien Gosselin, 31 ans, d’après trois romans revisités par lui de Don Delillo – Mao II, Joueurs, Les Noms – n’a pas déclenché les habituels questionnements sur l’usage obsessionnel et excessif de la vidéo, sur ce qui reste, ainsi, de réputé « théâtral » dans la représentation ; et sur ce que devient, enfin, et en un mot le « théâtre » pareillement incarné…
Le public a-t-il tant évolué en intelligence, tolérance, ouverture ? Il a fait un triomphe au spectacle dansé chanté du transformiste François Chaignaud (Romances Inciertos, un autre Orlando), comme à Trans (Més Enllà) de Didier Ruiz où sept transsexuels venaient très (trop ?) simplement, basiquement témoigner à tour de rôle de ce qu’ils avaient enduré et vécu… Tant mieux. Même si pareil accueil, pareil enthousiasme du public, prêt à tout applaudir avec générosité forcément interroge. Est-on dans l’entre-soi pour être si fort ensemble du même avis ? Le public de théâtre est-il plus bienveillant que les autres, parce que plus ouvert aux autres dans l’intimité d’un espace où des vivants rencontrent toujours des vivants ? Prennent du plaisir et réfléchissent ensemble ? De la formidable nécessité démocratique et citoyenne de l’art et des vertus essentielles de la culture…
Il faut dire que le Thyeste de Sénèque monté dans la cour d’honneur du Palais des papes par Thomas Jolly dans une éblouissante traduction de Florence Dupont avait admirablement ouvert le festival et efficacement entraîné le public, puisqu’il fut un des plus grands succès de fréquentation de 2018. Etait-ce par sa volonté folle et démesurée, quasi rock, de partager nos monstruosités et nos tragédies ? De montrer avec un goût éclatant du spectacle populaire, combien la violence se niche au cœur de chacun et peut conduire au pire pour tous. De la névrose à la tyrannie et à l’abjection publique…
Le patron du festival Olivier Py semble serein. Le budget du festival pour 2019 devrait être amélioré côté Etat, agglomération et ville. La fréquentation est encore meilleure qu’en 2017 : les salles ont été remplies à 95,5% (contre 92% en 2017) 108 000 billets ont été vendus et les manifestations gratuites ont rassemblé 42 800 spectateurs. Soit 150 800 en tout ! Les deux spectacles qu’Olivier Py a mis en scène à la Scierie (un nouveau lieu) ont été enfin plutôt bien accueillis. Antigone de Sophocle monté avec le centre pénitentiaire Avignon – Le Pontet, et Pur Présent sa dernière fiévreuse trilogie pour trois acteurs sur les tragédies économico-politico-morales que nous traversons….
« Le festival est non seulement un lieu d’art et de création mais il devient de plus en plus un forum où s’exprime la pensée, dit-il. Il est un abri, un refuge pour la pensée. Artistes, intellectuels et chercheurs y trouvent des tribunes qu’ils n’ont plus forcément ailleurs ; Alain Badiou et Christiane Taubira souhaitent par exemple y revenir… Beaucoup de médias hors culture sont venus cet été au festival pour des articles traitant de la société et de la justice. C’est bien… Il faut reconnaître que depuis plus de 70 ans qu’il existe, le festival crée en 1947 par Jean Vilar est devenu une véritable autorité morale où il ne s’agit plus de susciter des polémiques à la petite semaine mais de travailler aux vrais enjeux de la cité. Nous faisons désormais peur aux petits fachos, qui ne se sont pas du tout manifesté lors de cette 72e édition. C’est une victoire. Le festival est un vrai bastion qui défend la culture et la démocratie… »
Le In se porte bien
Interviewé plus de 75 fois par la presse cet été (un record !) Olivier Py, content d’avoir choisi un fil rouge pour 2018 – le genre – imagine reprendre ce dispositif pour 2019. Autour de l’écologie, des migrants ? Difficile de trouver un thème aussi riche et propice au théâtre que le genre…
Si le Festival Off Avignon avec 44 500 billets vendus au 24 juillet 2018 — alors qu’il dure jusqu’au 29 inclus et n’avait réalisé qu’une vente de 33 000 en 2017— aura cet été particulièrement cartonné via ses 1538 spectacles dans 133 lieux et avec ses 4667 artistes ; s’il est devenu un marché du théâtre où viennent s’approvisionner à peu de frais programmateurs et directeurs de salles (les spectacles sont déjà produits, amortis….), le festival In se porte encore bien. Merci.
Au gré de 47 spectacles dans 40 lieux, on y aura fait bien des découvertes et le niveau général du jeu, de l’interprétation des comédiens s’y est étonnamment, superbement amélioré dans la plupart des créations proposées. Un festival n’est-ce pas surtout des hommes et des femmes qui jouent ?
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