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« Le patrimoine renvoie les Français à une certaine image de grandeur et de prestige »

Le château de Sigalas-Rabaud et son vignoble à Bommes, près de Sauternes.

C’est devenu un incontournable de la rentrée. Comme chaque année depuis 1984, se tiendront samedi 15 et dimanche 16 septembre les Journées européennes du patrimoine. Un événement qui coïncide cette année avec le lancement par Stéphane Bern du « Loto du patrimoine », dont le tirage a lieu vendredi, et qui doit permettre</a> une levée de fonds populaire pour financer</a> la réfection d’édifices menacés.

Des célébrations populaires particulièrement prégnantes en France, où « la vision du patrimoine renvoie les Français à une certaine image vernaculaire de grandeur et de prestige » selon Thibaut Le Hégarat. Chercheur associé au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, il rappelle que « la notion de patrimoine est une invention occidentale ».

Notre interview de Stéphane Bern :   « J’ai le rôle de poil à gratter »

Que désigne-t-on aujourd’hui sous le terme de patrimoine ?

Au niveau sociétal, le patrimoine a d’abord été défini par des objets, des bâtis, des artefacts, qui témoignaient de mouvements historiques ou de valeurs, souvent en lien avec la religion ou la culture. Mais il n’y avait pas initialement le même souci de conservation. On n’hésitait pas à détruire</a> des constructions jugées trop vieilles, pour reconstruire</a> aux goûts de l’époque.

Pendant les guerres mondiales en Europe, beaucoup de monuments historiques ont été endommagés, ce qui a provoqué de vives réactions dans la population et obligé les autorités à lancer</a> des campagnes de sauvegarde. Cet intérêt du grand public pour le patrimoine va conduire</a> à un élargissement progressif de sa définition.

Depuis les années 1950, le patrimoine est devenu une des formes de notre rapport au passé. En tant que société, c’est désigner</a> des personnes, des lieux et choses qui incarnent l’histoire, et sont jugés dignes d’être conservés, célébrés, et transmis aux générations suivantes comme repères. De vieux immeubles ou de vieilles fermes sont ainsi entrés dans la définition du patrimoine.

Toutes les cultures partagent-elles cette vision du patrimoine ?

La notion de patrimoine est une invention occidentale. Mais ce concept purement européen s’est exporté et est aujourd’hui universellement partagé. Tous les pays candidatent auprès de l’Unesco pour obtenir</a> une reconnaissance de leur patrimoine national et une protection internationale. Cela n’avait aucun sens il y a cent ans.

Au Japon par exemple, conserver</a> les temples trop vieux était une aberration. La tradition voulait qu’on les démolisse et qu’on les reconstruise à l’identique, flambant neufs. Il n’y avait pas de fétichisme des vieilles pierres. La preuve de ce changement culturel, ce sont les touristes asiatiques qui viennent de plus en plus nombreux visiter</a> le patrimoine occidental, bien qu’ils viennent d’aires culturelles complètement différentes. Il y a une adhésion progressive, comme prise de conscience que cela constitue une richesse.

Une procession sur l’île sacrée d’Okinoshima lors du festival Miare. L’île a été ajoutée le 9 juillet à la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Les sites archéologiques qui ont été préservés sont pratiquement intacts et offrent une représentation chronologique de la manière dont les rituels pratiqués sur l’île ont évolué du IVe au IXe siècle.
Des primates gelada en 2011 dans le parc national du Simien en Ethiopie, qui a été retiré de la liste du patrimoine en péril. Inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 1978, le site avait été ajouté à la liste du patrimoine en péril en 1996 en raison notamment de l’impact lié à la construction d’une route traversant le parc, du surpâturage, d’empiètements agricoles aux abords du site et du déclin des populations de bouquetins d’Abyssinie, de primates gelada et d’autres grands mammifères.
Taputapuatea, sur l’île de Raiatea, se trouve au cœur du « triangle polynésien ». Dans ce paysage culturel et marin se trouve le marae Taputapuatea, un espace politique, cérémoniel et funéraire. Il se caractérise notamment par une cour pavée et une grande pierre dressée en son centre. Répandus en Polynésie, les marae étaient des points d’intersection entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Taputapuatea apporte un témoignage exceptionnel de 1 000 ans de civilisation maohi.
Le quartier « Neustadt » à Strasbourg, le 8 septembre 2016. La Grande Ile de Strasbourg est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité depuis 1988 ; la zone a été étendue au quartier d’influence allemande « Neustadt ».
Vue d’ensemble de la ville d’Hébron en Cisjordanie, le 7 juillet. Al-Khalil, le site de la vieille ville d’Hébron, a été inscrit simultanément sur la liste du patrimoine mondial et sur celle du patrimoine en péril, laquelle compte désormais 54 sites.
Des moutons à Kujataa, un paysage agricole subarctique situé dans la région sud du Groenland. Ce site est témoin des histoires culturelles paléo-esquimaudes – celles des peuples de chasseurs-cueilleurs venus d’Islande à partir du Xe siècle –, et des migrations de fermiers nordiques, de chasseurs inuits et des communautés inuits qui se sont développées à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ce paysage témoigne de la plus ancienne introduction de l’agriculture dans l’Arctique et de l’installation d’un établissement nordique hors d’Europe.
Le garage Fiat, de style art déco, à Asmara, en 1999. La capitale de l’Erythrée s’est développée à partir des années 1890 comme un avant-poste militaire pour la puissance coloniale italienne. A partir de 1935, la ville connut un programme de construction de grande échelle appliquant le style rationaliste italien de l’époque aux édifices gouvernementaux, aux bâtiments résidentiels et commerciaux, aux églises, mosquées, synagogues, cinémas, hôtels, etc.
Temple d’Aphrodite à Aphrodisias en Turquie. La cité d’Aphrodisias a été construite au IIe siècle avant notre ère, à la faveur de l’expansion de la culture hellénistique dans le sud-est de l’Anatolie.
La cathédrale de l’Assomption sur l’île-village de Sviajsk, fondée par Ivan le Terrible en 1551. C’est de cet avant-poste qu’il lança la conquête de Kazan. Le monastère de l’Assomption illustre par sa situation et sa composition architecturale, le programme politique et missionnaire développé par le tsar Ivan IV pour étendre l’Etat de Moscou.
Vue d’ensemble de la ville historique de Yazd en République islamique d’Iran.  C’est un témoignage vivant de l’utilisation des ressources limitées pour assurer la survie dans le désert. L’eau est amenée en ville par un système de qanats – ouvrage destiné à la captation d’une nappe d’eau souterraine. Les édifices sont construits en terre. La ville a échappé aux tendances à la modernisation qui ont détruit de nombreuses villes traditionnelles en terre.
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Une procession sur l’île sacrée d’Okinoshima lors du festival Miare. L’île a été ajoutée le 9 juillet à la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Les sites archéologiques qui ont été préservés sont pratiquement intacts et offrent une représentation chronologique de la manière dont les rituels pratiqués sur l’île ont évolué du IVe au IXe siècle.

IMAKI Hidekazu / UNESCO

› Accéder au portfolio

La France se distingue-t-elle dans son rapport au patrimoine ?

Les Français sont très préoccupés par eux-mêmes. Leur vision du patrimoine leur renvoie une certaine image vernaculaire de grandeur et de prestige. C’est l’image du pays des châteaux et des clochers qu’on continue savamment d’entretenir à grand renfort d’émissions populaires. Le passé a un pouvoir</a> réconfortant, par rapport à l’angoisse provoquée par l’inconnu de l’avenir. Il y a donc un lien fort entre les Français et leur patrimoine.

Pourtant, on entend de plus en plus parler</a> d’un patrimoine qui tomberait en désuétude. La mission confiée par le gouvernement à Stéphane Bern va en ce sens. Ce lien entre les Français et leur patrimoine est-il en train de se distendre ?

Je ne crois pas. Les visites restent très populaires. Les Journées du patrimoine, créées en 1984 sous un autre nom, sont un succès, avec des chiffres de fréquentation stables depuis dix ans, autour de 12 millions de visites.

Concernant l’état du patrimoine, la France est loin d’être dans une situation catastrophique, malgré des désengagements financiers progressifs, notamment au niveau des régions. Le gros du travail a été fait, et il y a une dramatisation entretenue par les médias.

Car depuis la Révolution française, la polémique est indissociable du patrimoine, souvent relayée par les médias. C’est quand on dit un bâtiment menacé que se lèvent les boucliers, même si esthétiquement la valeur n’est pas toujours reconnue unanimement. Il fait partie de l’identité du territoire.

C’est d’ailleurs toujours sous le registre de l’émotion qu’on parle du patrimoine. On le voit dans tous les programmes télévisés actuels : leurs auteurs recherchent l’émotion des téléspectateurs pour mieux les toucher</a>, comme s’il fallait forcément émouvoir</a>, indigner</a> ou apitoyer</a> les citoyens pour les intéresser</a> au patrimoine.

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Le château de Sigalas-Rabaud et son vignoble à Bommes, près de Sauternes.

C’est devenu un incontournable de la rentrée. Comme chaque année depuis 1984, se tiendront samedi 15 et dimanche 16 septembre les Journées européennes du patrimoine. Un événement qui coïncide cette année avec le lancement par Stéphane Bern du « Loto du patrimoine », dont le tirage a lieu vendredi, et qui doit permettre</a> une levée de fonds populaire pour financer</a> la réfection d’édifices menacés.

Des célébrations populaires particulièrement prégnantes en France, où « la vision du patrimoine renvoie les Français à une certaine image vernaculaire de grandeur et de prestige » selon Thibaut Le Hégarat. Chercheur associé au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, il rappelle que « la notion de patrimoine est une invention occidentale ».

Notre interview de Stéphane Bern :   « J’ai le rôle de poil à gratter »

Que désigne-t-on aujourd’hui sous le terme de patrimoine ?

Au niveau sociétal, le patrimoine a d’abord été défini par des objets, des bâtis, des artefacts, qui témoignaient de mouvements historiques ou de valeurs, souvent en lien avec la religion ou la culture. Mais il n’y avait pas initialement le même souci de conservation. On n’hésitait pas à détruire</a> des constructions jugées trop vieilles, pour reconstruire</a> aux goûts de l’époque.

Pendant les guerres mondiales en Europe, beaucoup de monuments historiques ont été endommagés, ce qui a provoqué de vives réactions dans la population et obligé les autorités à lancer</a> des campagnes de sauvegarde. Cet intérêt du grand public pour le patrimoine va conduire</a> à un élargissement progressif de sa définition.

Depuis les années 1950, le patrimoine est devenu une des formes de notre rapport au passé. En tant que société, c’est désigner</a> des personnes, des lieux et choses qui incarnent l’histoire, et sont jugés dignes d’être conservés, célébrés, et transmis aux générations suivantes comme repères. De vieux immeubles ou de vieilles fermes sont ainsi entrés dans la définition du patrimoine.

Toutes les cultures partagent-elles cette vision du patrimoine ?

La notion de patrimoine est une invention occidentale. Mais ce concept purement européen s’est exporté et est aujourd’hui universellement partagé. Tous les pays candidatent auprès de l’Unesco pour obtenir</a> une reconnaissance de leur patrimoine national et une protection internationale. Cela n’avait aucun sens il y a cent ans.

Au Japon par exemple, conserver</a> les temples trop vieux était une aberration. La tradition voulait qu’on les démolisse et qu’on les reconstruise à l’identique, flambant neufs. Il n’y avait pas de fétichisme des vieilles pierres. La preuve de ce changement culturel, ce sont les touristes asiatiques qui viennent de plus en plus nombreux visiter</a> le patrimoine occidental, bien qu’ils viennent d’aires culturelles complètement différentes. Il y a une adhésion progressive, comme prise de conscience que cela constitue une richesse.

Une procession sur l’île sacrée d’Okinoshima lors du festival Miare. L’île a été ajoutée le 9 juillet à la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Les sites archéologiques qui ont été préservés sont pratiquement intacts et offrent une représentation chronologique de la manière dont les rituels pratiqués sur l’île ont évolué du IVe au IXe siècle.
Des primates gelada en 2011 dans le parc national du Simien en Ethiopie, qui a été retiré de la liste du patrimoine en péril. Inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 1978, le site avait été ajouté à la liste du patrimoine en péril en 1996 en raison notamment de l’impact lié à la construction d’une route traversant le parc, du surpâturage, d’empiètements agricoles aux abords du site et du déclin des populations de bouquetins d’Abyssinie, de primates gelada et d’autres grands mammifères.
Taputapuatea, sur l’île de Raiatea, se trouve au cœur du « triangle polynésien ». Dans ce paysage culturel et marin se trouve le marae Taputapuatea, un espace politique, cérémoniel et funéraire. Il se caractérise notamment par une cour pavée et une grande pierre dressée en son centre. Répandus en Polynésie, les marae étaient des points d’intersection entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Taputapuatea apporte un témoignage exceptionnel de 1 000 ans de civilisation maohi.
Le quartier « Neustadt » à Strasbourg, le 8 septembre 2016. La Grande Ile de Strasbourg est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité depuis 1988 ; la zone a été étendue au quartier d’influence allemande « Neustadt ».
Vue d’ensemble de la ville d’Hébron en Cisjordanie, le 7 juillet. Al-Khalil, le site de la vieille ville d’Hébron, a été inscrit simultanément sur la liste du patrimoine mondial et sur celle du patrimoine en péril, laquelle compte désormais 54 sites.
Des moutons à Kujataa, un paysage agricole subarctique situé dans la région sud du Groenland. Ce site est témoin des histoires culturelles paléo-esquimaudes – celles des peuples de chasseurs-cueilleurs venus d’Islande à partir du Xe siècle –, et des migrations de fermiers nordiques, de chasseurs inuits et des communautés inuits qui se sont développées à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ce paysage témoigne de la plus ancienne introduction de l’agriculture dans l’Arctique et de l’installation d’un établissement nordique hors d’Europe.
Le garage Fiat, de style art déco, à Asmara, en 1999. La capitale de l’Erythrée s’est développée à partir des années 1890 comme un avant-poste militaire pour la puissance coloniale italienne. A partir de 1935, la ville connut un programme de construction de grande échelle appliquant le style rationaliste italien de l’époque aux édifices gouvernementaux, aux bâtiments résidentiels et commerciaux, aux églises, mosquées, synagogues, cinémas, hôtels, etc.
Temple d’Aphrodite à Aphrodisias en Turquie. La cité d’Aphrodisias a été construite au IIe siècle avant notre ère, à la faveur de l’expansion de la culture hellénistique dans le sud-est de l’Anatolie.
La cathédrale de l’Assomption sur l’île-village de Sviajsk, fondée par Ivan le Terrible en 1551. C’est de cet avant-poste qu’il lança la conquête de Kazan. Le monastère de l’Assomption illustre par sa situation et sa composition architecturale, le programme politique et missionnaire développé par le tsar Ivan IV pour étendre l’Etat de Moscou.
Vue d’ensemble de la ville historique de Yazd en République islamique d’Iran.  C’est un témoignage vivant de l’utilisation des ressources limitées pour assurer la survie dans le désert. L’eau est amenée en ville par un système de qanats – ouvrage destiné à la captation d’une nappe d’eau souterraine. Les édifices sont construits en terre. La ville a échappé aux tendances à la modernisation qui ont détruit de nombreuses villes traditionnelles en terre.
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Une procession sur l’île sacrée d’Okinoshima lors du festival Miare. L’île a été ajoutée le 9 juillet à la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Les sites archéologiques qui ont été préservés sont pratiquement intacts et offrent une représentation chronologique de la manière dont les rituels pratiqués sur l’île ont évolué du IVe au IXe siècle.

IMAKI Hidekazu / UNESCO

› Accéder au portfolio

La France se distingue-t-elle dans son rapport au patrimoine ?

Les Français sont très préoccupés par eux-mêmes. Leur vision du patrimoine leur renvoie une certaine image vernaculaire de grandeur et de prestige. C’est l’image du pays des châteaux et des clochers qu’on continue savamment d’entretenir à grand renfort d’émissions populaires. Le passé a un pouvoir</a> réconfortant, par rapport à l’angoisse provoquée par l’inconnu de l’avenir. Il y a donc un lien fort entre les Français et leur patrimoine.

Pourtant, on entend de plus en plus parler</a> d’un patrimoine qui tomberait en désuétude. La mission confiée par le gouvernement à Stéphane Bern va en ce sens. Ce lien entre les Français et leur patrimoine est-il en train de se distendre ?

Je ne crois pas. Les visites restent très populaires. Les Journées du patrimoine, créées en 1984 sous un autre nom, sont un succès, avec des chiffres de fréquentation stables depuis dix ans, autour de 12 millions de visites.

Concernant l’état du patrimoine, la France est loin d’être dans une situation catastrophique, malgré des désengagements financiers progressifs, notamment au niveau des régions. Le gros du travail a été fait, et il y a une dramatisation entretenue par les médias.

Car depuis la Révolution française, la polémique est indissociable du patrimoine, souvent relayée par les médias. C’est quand on dit un bâtiment menacé que se lèvent les boucliers, même si esthétiquement la valeur n’est pas toujours reconnue unanimement. Il fait partie de l’identité du territoire.

C’est d’ailleurs toujours sous le registre de l’émotion qu’on parle du patrimoine. On le voit dans tous les programmes télévisés actuels : leurs auteurs recherchent l’émotion des téléspectateurs pour mieux les toucher</a>, comme s’il fallait forcément émouvoir</a>, indigner</a> ou apitoyer</a> les citoyens pour les intéresser</a> au patrimoine.

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