NOUS Y ÉTIONS - Après dix-huit mois de restauration, la maison de Hauteville House, propriété de l’écrivain lors de son exil dans les îles Anglo-Normandes, rouvre aujourd’hui au public. Un écrin aussi chargé que saisissant.
De notre envoyé spécial à Guernesey
Il pleut lorsque l’avion se pose sur le tarmac de l’aéroport de Guernesey. De là, un autocar de la Island Coachways conduit les visiteurs jusqu’à St Peter Port. Longeant les cottages bien rangés, l’imposante délégation de journalistes venue célébrer la réouverture de la maison de Victor Hugo songe qu’ici l’herbe est peut-être plus verte qu’ailleurs. Il fallait bien cela pour que l’exilé du Second Empire se décide à y devenir propriétaire le 16 mai 1856 et à y séjourner pendant 15 ans.
» LIRE AUSSI - Quand Le Figaro visitait la merveilleuse maison de Victor Hugo à Guernesey en 1878
L’autocar gravit une ruelle étroite, Cornet street- sous-titrée rue des cornets- avant de s’arrêter, au 38 rue Hauteville devant une maison de ville, à l’allure sobre et austère. Sur la façade, une plaque rappelle qu’elle fut offerte par les descendants du poète à la ville de Paris.
Derrière une fenêtre on aperçoit les silhouettes de Christophe Girard et de Jean-Jacques Aillagon. Le premier est là au titre d’adjoint à la culture de la mairie de Paris tandis que l’ancien ministre de la culture et ancien président du château de Versailles conseille François Pinault dont le généreux mécénat (3,5 millions d’euros) a permis la miraculeuse réhabilitation des lieux.
» LIRE AUSSI - François Pinault au chevet de la maison de Victor Hugo
La porte franchie, ce n’est pas dans une maison que l’on pénètre mais dans l’antre, la caverne d’une sorte d’Ali Baba. Boiseries, tapisseries, soieries, faïences, céramiques… Des murs aux plafonds, tout n’est qu’accumulation, enchevêtrements de matériaux hétéroclites et incongrus. Rarement demeure aura donné l’impression d’être ainsi hantée par le génie bouillonnant d’un esprit en surchauffe.
Environnement protecteur
Sur un lourd porche d’entrée, son nom sculpté trône près du titre de l’un de ses romans fétiches, Notre-Dame de Paris. Les murs du Salon du Billard sont couverts de tableaux de famille, dont le plus majestueux est celui du poète. «Ego Hugo», proclame une inscription gravée dans le dossier d’un fauteuil. Sur la cheminée de la salle à manger, un H massif se détache en carreaux de faïence.
Hugo se cogne comme un oiseau fou contre tous les murs. Saisis par ce décorum, telles des mouettes conviées à un improbable festin, les journalistes s’éparpillent dans les étages. Des micros se tendent devant Gérard Audinet. Possédant son sujet autant qu’il le possède, le directeur des maisons de Victor Hugo explique la nécessité pour le poète de se forger une «carapace» en recréant un environnement protecteur.
Guillaume Durand, de Radio Classique, croise Adélaïde de Clermont Tonnerre qui dirige Point de vue; Adrien Goetz, de l’Institut, devise avec l’historien Alexandre Gady. C’est Hugo superstar. «Est-ce que tout le monde a un parapluie?» s’inquiète un organisateur en en distribuant des transparents.
» LIRE AUSSI - À Paris, la maison Victor Hugo devient musée le 30 juin 1903
On pousse la porte qui mène au jardin, enclos balayé par le vent et surplombant la mer. Au centre, un bassin. Indifférent à la pluie qui marque son imperméable, avec quelque chose d’Hugolien dans la barbe et la silhouette, le paysagiste Louis Benech — mocassins en daim et pantalon de velours jaune — détaille son travail de replantation: «Le chêne a le collet tout attaqué, j’aimerais qu’on le multiplie», dit-il, s’inquiétant du sort du chêne «des États-Unis d’Europe» planté par Hugo le 14 juillet 1870. Loin de la caméra, Benech allume une cigarette: «Je vous rajoute un peu de brume». Il parle de palmiers rustiques et de camélias dont il a fallu tailler la partie basse pour ne pas qu’ils cachent la vue vers la France; de magnolias, de fuchsias et de bataillons d’hortensias.
Retour à l’intérieur. Un escalier recouvert d’un épais tapis rouge à fleurs de lys mène au premier étage. Quelque temps auparavant, socialiste disert, Christophe Girard a rappelé qu’après des tentations monarchistes, Hugo a fini sa carrière de sénateur sur les bancs de l’extrême gauche républicaine. Nobody’s perfect. Dans son costume trois-pièces, avec sa cravate en laine, Aillagon a l’air un peu «british». Pourtant, rappelle ce féru d’histoire, c’est bien en sa qualité de Duc de Normandie que la Reine d’Angleterre règne sur ce caillou.
Capharnaüm coloré
À l’étage, les salons — bleu, rouge — ploient sous les tentures. Tout n’est que dorures, laque, tissus. Torchères en bois doré, bouddha, des figures exotiques se reflètent dans des miroirs. Les symboles se bousculent. Au centre de ce capharnaüm coloré, fleur fragile devant le jardin d’hiver, une petite femme blonde, Odile Blanchette sourit à la photographe qui cherche la lumière: «je suis une femme de l’ombre», plaide-t-elle doucement. Consul de France à Guernesey, la conservatrice de Hauteville House habite un modeste coin de la maison depuis 15 ans: «la restauration», dit-elle, a mis fin aux infiltrations d’eau et aux courants d’air. Elle a rendu aux objets leur splendeur patinée.
Au deuxième étage, la galerie de chêne est un lourd théâtre gothique dont les murs, couverts d’inscriptions latines comme de graffitis, disent l’exil, la douleur et la grandiloquence. Signes religieux, mythologiques, forces occultes, le cerveau d’Hugo est un labyrinthe encombré. Des centaines de livres jaunissent derrière la vitre d’une bibliothèque. Par un passage dérobé, un escalier étroit mène à la lumière. C’est dans cette verrière posée en hauteur, rebaptisée look-out, qu’Hugo acheva Les Misérables .
» LIRE AUSSI - Le 22 mai 1885, Victor Hugo meurt à Paris
Tempête intérieure nourrie de visions grandioses. Par beau temps, paraît-il, on peut apercevoir les côtes françaises. Ce jour-là, contemplant la magnifique restauration achevée grâce à ses dons, François Pinault ne peut que deviner, derrière la baie vitrée en larmes, sa chère ville de Dinard. À ses côtés, la maire de Paris, Anne Hidalgo, rappelle que l’écrivain fut aussi l’auteur d’un essai sur Paris. Il y réclamait - déjà — l’innovation qu’elle incarne. Le poète n’était pas le seul à aimer faire parler les morts.
NOUS Y ÉTIONS - Après dix-huit mois de restauration, la maison de Hauteville House, propriété de l’écrivain lors de son exil dans les îles Anglo-Normandes, rouvre aujourd’hui au public. Un écrin aussi chargé que saisissant.
De notre envoyé spécial à Guernesey
Il pleut lorsque l’avion se pose sur le tarmac de l’aéroport de Guernesey. De là, un autocar de la Island Coachways conduit les visiteurs jusqu’à St Peter Port. Longeant les cottages bien rangés, l’imposante délégation de journalistes venue célébrer la réouverture de la maison de Victor Hugo songe qu’ici l’herbe est peut-être plus verte qu’ailleurs. Il fallait bien cela pour que l’exilé du Second Empire se décide à y devenir propriétaire le 16 mai 1856 et à y séjourner pendant 15 ans.
» LIRE AUSSI - Quand Le Figaro visitait la merveilleuse maison de Victor Hugo à Guernesey en 1878
L’autocar gravit une ruelle étroite, Cornet street- sous-titrée rue des cornets- avant de s’arrêter, au 38 rue Hauteville devant une maison de ville, à l’allure sobre et austère. Sur la façade, une plaque rappelle qu’elle fut offerte par les descendants du poète à la ville de Paris.
Derrière une fenêtre on aperçoit les silhouettes de Christophe Girard et de Jean-Jacques Aillagon. Le premier est là au titre d’adjoint à la culture de la mairie de Paris tandis que l’ancien ministre de la culture et ancien président du château de Versailles conseille François Pinault dont le généreux mécénat (3,5 millions d’euros) a permis la miraculeuse réhabilitation des lieux.
» LIRE AUSSI - François Pinault au chevet de la maison de Victor Hugo
La porte franchie, ce n’est pas dans une maison que l’on pénètre mais dans l’antre, la caverne d’une sorte d’Ali Baba. Boiseries, tapisseries, soieries, faïences, céramiques… Des murs aux plafonds, tout n’est qu’accumulation, enchevêtrements de matériaux hétéroclites et incongrus. Rarement demeure aura donné l’impression d’être ainsi hantée par le génie bouillonnant d’un esprit en surchauffe.
Environnement protecteur
Sur un lourd porche d’entrée, son nom sculpté trône près du titre de l’un de ses romans fétiches, Notre-Dame de Paris. Les murs du Salon du Billard sont couverts de tableaux de famille, dont le plus majestueux est celui du poète. «Ego Hugo», proclame une inscription gravée dans le dossier d’un fauteuil. Sur la cheminée de la salle à manger, un H massif se détache en carreaux de faïence.
Hugo se cogne comme un oiseau fou contre tous les murs. Saisis par ce décorum, telles des mouettes conviées à un improbable festin, les journalistes s’éparpillent dans les étages. Des micros se tendent devant Gérard Audinet. Possédant son sujet autant qu’il le possède, le directeur des maisons de Victor Hugo explique la nécessité pour le poète de se forger une «carapace» en recréant un environnement protecteur.
Guillaume Durand, de Radio Classique, croise Adélaïde de Clermont Tonnerre qui dirige Point de vue; Adrien Goetz, de l’Institut, devise avec l’historien Alexandre Gady. C’est Hugo superstar. «Est-ce que tout le monde a un parapluie?» s’inquiète un organisateur en en distribuant des transparents.
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On pousse la porte qui mène au jardin, enclos balayé par le vent et surplombant la mer. Au centre, un bassin. Indifférent à la pluie qui marque son imperméable, avec quelque chose d’Hugolien dans la barbe et la silhouette, le paysagiste Louis Benech — mocassins en daim et pantalon de velours jaune — détaille son travail de replantation: «Le chêne a le collet tout attaqué, j’aimerais qu’on le multiplie», dit-il, s’inquiétant du sort du chêne «des États-Unis d’Europe» planté par Hugo le 14 juillet 1870. Loin de la caméra, Benech allume une cigarette: «Je vous rajoute un peu de brume». Il parle de palmiers rustiques et de camélias dont il a fallu tailler la partie basse pour ne pas qu’ils cachent la vue vers la France; de magnolias, de fuchsias et de bataillons d’hortensias.
Retour à l’intérieur. Un escalier recouvert d’un épais tapis rouge à fleurs de lys mène au premier étage. Quelque temps auparavant, socialiste disert, Christophe Girard a rappelé qu’après des tentations monarchistes, Hugo a fini sa carrière de sénateur sur les bancs de l’extrême gauche républicaine. Nobody’s perfect. Dans son costume trois-pièces, avec sa cravate en laine, Aillagon a l’air un peu «british». Pourtant, rappelle ce féru d’histoire, c’est bien en sa qualité de Duc de Normandie que la Reine d’Angleterre règne sur ce caillou.
Capharnaüm coloré
À l’étage, les salons — bleu, rouge — ploient sous les tentures. Tout n’est que dorures, laque, tissus. Torchères en bois doré, bouddha, des figures exotiques se reflètent dans des miroirs. Les symboles se bousculent. Au centre de ce capharnaüm coloré, fleur fragile devant le jardin d’hiver, une petite femme blonde, Odile Blanchette sourit à la photographe qui cherche la lumière: «je suis une femme de l’ombre», plaide-t-elle doucement. Consul de France à Guernesey, la conservatrice de Hauteville House habite un modeste coin de la maison depuis 15 ans: «la restauration», dit-elle, a mis fin aux infiltrations d’eau et aux courants d’air. Elle a rendu aux objets leur splendeur patinée.
Au deuxième étage, la galerie de chêne est un lourd théâtre gothique dont les murs, couverts d’inscriptions latines comme de graffitis, disent l’exil, la douleur et la grandiloquence. Signes religieux, mythologiques, forces occultes, le cerveau d’Hugo est un labyrinthe encombré. Des centaines de livres jaunissent derrière la vitre d’une bibliothèque. Par un passage dérobé, un escalier étroit mène à la lumière. C’est dans cette verrière posée en hauteur, rebaptisée look-out, qu’Hugo acheva Les Misérables .
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Tempête intérieure nourrie de visions grandioses. Par beau temps, paraît-il, on peut apercevoir les côtes françaises. Ce jour-là, contemplant la magnifique restauration achevée grâce à ses dons, François Pinault ne peut que deviner, derrière la baie vitrée en larmes, sa chère ville de Dinard. À ses côtés, la maire de Paris, Anne Hidalgo, rappelle que l’écrivain fut aussi l’auteur d’un essai sur Paris. Il y réclamait - déjà — l’innovation qu’elle incarne. Le poète n’était pas le seul à aimer faire parler les morts.
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