L’auteur de Tombeau pour cinq cent mille soldats (Gallimard, 1967) et d’Idiotie (Grasset, 2018) est mort dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février, à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), a appris Le Monde auprès de sa famille. Né le 9 janvier 1940 à Bourg-Argental (Loire), il était âgé de 80 ans.
C’est tout un univers fictif d’une splendeur cruelle et d’une cohérence extrême qui se referme sur lui-même. Hanté par la chair autant qu’il l’était par la mort, cet univers parallèle au nôtre avait ses règles propres mais irradiait au cœur de la langue française pour éclairer avec une indéniable puissance de vérité le dessous des cartes de la comédie humaine. Il réclamait de l’auteur qu’il torde le français au point de le maltraiter, ou de le profaner, dans son œuvre « en langue », ainsi qu’il nommait ses grands cycles de fiction afin de les différencier de récits autobiographiques écrits dans une langue plus « normative », comme il disait aussi, à l’instar de Coma (Mercure de France, 2006) ou d’Idiotie (Grasset, 2019, prix Médicis), qui lui ont valu de toucher un public plus vaste ces dernières années.
Les derniers grands cycles de fiction « en langue » resteront donc inachevés, tel Histoires de Samora Mâchel, sur lequel il travaillait depuis plus de deux décennies. Ce sont des milliers de « figures » ne cessant de copuler pour en engendrer de nouvelles, comme le signalait le titre de Progénitures (Gallimard, 2000), figures qui habitaient plus sereinement Joyeux animaux de la misère (Gallimard, 2014) et Par la main dans les enfers (Gallimard 2016). Les vastes fictions, en réalité, formaient une arche splendide pour accueillir toute la misère des hommes.
Pierre Guyotat, dont la puissance d’observation dans la rue était aussi grande que sa capacité à matérialiser les visions sur la page, disait volontiers que chaque naissance d’un petit d’homme faisait entrer un nouveau « putain » (le mot est ici le plus souvent d’usage masculin) dans cette œuvre depuis toujours hantée par le commerce des corps : un commerce sans fin, puisqu’il est dépourvu d’aucune finalité, sinon la reconduction de son impossible assouvissement.
La misère des corps humains, sans doute en avait-il déjà eu la prescience lorsque enfant il accompagnait son père, médecin de campagne, dans ses tournées, après-guerre. Il l’a affrontée d’une tout autre manière lors d’une longue fugue à Paris, à 19 ans (encore mineur, à l’époque), peu après la mort de sa mère, décès qui l’avait littéralement déboussolé. Mais c’est sans doute en Algérie qu’il en fait l’expérience la plus violente : incorporé en 1960, il est emprisonné en 1962 par la sécurité militaire, accusé d’atteinte au moral de l’armée et de complicité de désertion. Il pense avoir agi par humanité, mais la plupart de ses camarades l’accusent de les avoir exposés à la mort et l’expérience est déterminante. La guerre hantera toute son œuvre, et dès Tombeau pour cinq cent mille soldats, son troisième livre, qui renouvelle le genre de l’épopée à sa parution, alors qu’il n’a que 24 ans, en faisant sonner d’une manière tout à fait nouvelle la langue française.
Read AgainL’auteur de Tombeau pour cinq cent mille soldats (Gallimard, 1967) et d’Idiotie (Grasset, 2018) est mort dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février, à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), a appris Le Monde auprès de sa famille. Né le 9 janvier 1940 à Bourg-Argental (Loire), il était âgé de 80 ans.
C’est tout un univers fictif d’une splendeur cruelle et d’une cohérence extrême qui se referme sur lui-même. Hanté par la chair autant qu’il l’était par la mort, cet univers parallèle au nôtre avait ses règles propres mais irradiait au cœur de la langue française pour éclairer avec une indéniable puissance de vérité le dessous des cartes de la comédie humaine. Il réclamait de l’auteur qu’il torde le français au point de le maltraiter, ou de le profaner, dans son œuvre « en langue », ainsi qu’il nommait ses grands cycles de fiction afin de les différencier de récits autobiographiques écrits dans une langue plus « normative », comme il disait aussi, à l’instar de Coma (Mercure de France, 2006) ou d’Idiotie (Grasset, 2019, prix Médicis), qui lui ont valu de toucher un public plus vaste ces dernières années.
Les derniers grands cycles de fiction « en langue » resteront donc inachevés, tel Histoires de Samora Mâchel, sur lequel il travaillait depuis plus de deux décennies. Ce sont des milliers de « figures » ne cessant de copuler pour en engendrer de nouvelles, comme le signalait le titre de Progénitures (Gallimard, 2000), figures qui habitaient plus sereinement Joyeux animaux de la misère (Gallimard, 2014) et Par la main dans les enfers (Gallimard 2016). Les vastes fictions, en réalité, formaient une arche splendide pour accueillir toute la misère des hommes.
Pierre Guyotat, dont la puissance d’observation dans la rue était aussi grande que sa capacité à matérialiser les visions sur la page, disait volontiers que chaque naissance d’un petit d’homme faisait entrer un nouveau « putain » (le mot est ici le plus souvent d’usage masculin) dans cette œuvre depuis toujours hantée par le commerce des corps : un commerce sans fin, puisqu’il est dépourvu d’aucune finalité, sinon la reconduction de son impossible assouvissement.
La misère des corps humains, sans doute en avait-il déjà eu la prescience lorsque enfant il accompagnait son père, médecin de campagne, dans ses tournées, après-guerre. Il l’a affrontée d’une tout autre manière lors d’une longue fugue à Paris, à 19 ans (encore mineur, à l’époque), peu après la mort de sa mère, décès qui l’avait littéralement déboussolé. Mais c’est sans doute en Algérie qu’il en fait l’expérience la plus violente : incorporé en 1960, il est emprisonné en 1962 par la sécurité militaire, accusé d’atteinte au moral de l’armée et de complicité de désertion. Il pense avoir agi par humanité, mais la plupart de ses camarades l’accusent de les avoir exposés à la mort et l’expérience est déterminante. La guerre hantera toute son œuvre, et dès Tombeau pour cinq cent mille soldats, son troisième livre, qui renouvelle le genre de l’épopée à sa parution, alors qu’il n’a que 24 ans, en faisant sonner d’une manière tout à fait nouvelle la langue française.
Bagikan Berita Ini
0 Response to "L'œuvre de Pierre Guyotat, un univers d'une splendeur cruelle et hanté par la chair - Le Monde"
Post a Comment