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Prix Femina : le lauréat Serge Joncour décrit une joie "blessée et insavourable" en raison de la fermeture des - franceinfo

Pas de rendez-vous au Cercle de l'Union Interalliée ni de proclamation devant un parterre de journalistes cette année. Le prix Femina a rendu son verdict, ce lundi 2 novembre à 10h30, sans réunion ni cérémonie à cause de la pandémie de coronavirus. Le prix du roman français a été attribué à Serge Joncour pour Nature humaine. Son récit retrace les mutations des trente années avant l’avènement de l’an 2000 du point de vue d’une famille d'éleveurs du Lot. Nous avons rencontré l’auteur après l'annonce du prix dans les locaux de son éditeur, Flammarion. 

Franceinfo Culture : Pour vous, que représente ce prix Femina ?

Serge Joncour : C’est l’un des grands prix d’automne, il fait partie de ces récompenses dont on rêve même si on n’écrit pas en se disant qu’on va l'avoir. Cela devient un peu concret le jour où l’on figure dans la première sélection et c’est déjà une reconnaissance et une visibilité. Mais là encore, le prix est de l’ordre de l’hypothétique, de l’improbable. Il ne faut pas trop y penser car cela rend fou. J’ai de la chance, car, quand je sors un livre, je fais une cinquantaine de rencontres dans des librairies partout en France. Et je suis tellement concentré sur ce planning que cela me met à distance. Je m’interdis aussi d’y penser, par superstition.

Cette année, les circonstances sont assez particulières…

Je me suis couché hier soir en me disant qu’ils allaient le reporter, comme d'autres prix. Je comprends un peu qu'ils l'aient maintenu, car on ne sait pas où on en sera dans quinze jours ou un mois. Aussi, je reçois un prix prestigieux alors qu’on ne peut plus vendre de livres. J’ai beaucoup d’imagination mais ça, je ne pouvais pas le concevoir. Ce n’est pas possible de ne pas lire justement quand on a le temps de lire, pour ceux qui sont en confinement ! Surtout qu’on peut avoir un rapport addictif à la lecture… quelqu’un qui fume, on ne lui demande pas du jour au lendemain d’arrêter.

J’ai envie que les librairies rouvrent mais c’est aux autorités sanitaires et aux libraires de décider. Il faut qu’on aménage, qu’on achète des livres quand même. Je l’ai fait hier, chez un libraire qui a mis une table devant sa porte. On est dans une période où il faut trouver nos marques, sans colère, sans s’invectiver, parce qu’on est tous dans cette galère. Ma joie est un peu neutralisée par cet environnement-là. Je ne m’en abstrais pas, ce n’est pas possible. Ce prix, c’est donc une joie blessée, insavourable.

Quelle est la genèse de votre roman, "Nature humaine"?

Je voulais faire le portrait de cette montée vers l’an 2000 et de ce divorce entre la nature et l’homme. La mise en place de structures d’hyperdistribution va dérégler la vie de mon personnage principal. Alexandre est éleveur et va voir ses sœurs partir courir le monde alors que lui ne veut pas bouger. C’est aussi un conflit entre le local et le mondial. J’avais envie de faire le point là-dessus car je ne suis moi-même pas à l’aise, cela va trop vite et dans tous les sens.

Comme moi, mon personnage ne prend pas l’avion. Car je considère que ce n’est pas naturel de passer de Paris à la forêt tropicale en 10 heures. Changer à ce point d'écosystème, on ne le ferait pas pour des animaux. Mon Alexandre, quand il ramène une vache d’un autre troupeau, il la met en quarantaine. Et nous sommes aussi des mammifères, pas si éloignés que ça d'une vache ou d’un chat. Mon livre s’appelle Nature humaine parce qu’il n’y a pas la nature d’un côté et l’homme de l’autre, c’est un tout.

Le Lot sert de décor à plusieurs de vos romans, en quoi est-ce un décor romanesque ?

On ne le connaît pas à moins d’y aller et on en a une image un peu idéalisée. Il n’y a pas de TGV, c’est un territoire un peu préservé. Et dans certains villages, je retrouve les sons intacts des années 1970, avec la cloche, les troupeaux au loin, un vieux tracteur… Le Lot rassemble ce monde d’avant et ce monde d’après. Et puis, il y a de beaux décors, ce qui est essentiel.

Votre livre s’ouvre sur une catastrophe naturelle, la sécheresse, et se ferme sur une autre, la tempête de 1999…

Je voulais faire un panorama de cette montée vers l’an 2000 avec une apothéose de tout ce dérèglement et de cette mondialisation. Le livre se termine sur la tempête qui a frappé l’Europe à quelques jours de l’an 2000 et il fallait peut-être y entendre quelque chose. J’étais dans le Lot à ce moment-là et je ne m’en suis toujours pas remis. Et je voulais partir de 1976, cette sécheresse dont je me suis souvenu physiquement. On disait avant qu’il y aurait une sécheresse tous les cent ans et maintenant il y en a une tous les ans. On s’y habitue, mais ce n’est pas normal.

Mon personnage, Alexandre, voit cette nature se dénaturer. Ce sont des choses que l’on observe à l’œil nu, pas la peine d’attendre des rapports sur le réchauffement climatique. L’année 1976, avec cette canicule, correspond également au moment où s’installe le premier Mammouth (une chaîne d'hypermarchés) en périphérie de Cahors. Et son nom voulait bien dire qu’il était là pour tout écraser. Écrire, c’est faire vivre des personnages, des intrigues mais aussi dire des choses du monde.

Couverture du livre "Nature humaine" de Serge Joncour. (FLAMMARION)

"Nature humaine", de Serge Joncour, publié le 19 août 2020 aux éditions Flammarion, 398 pages, 21€

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Pas de rendez-vous au Cercle de l'Union Interalliée ni de proclamation devant un parterre de journalistes cette année. Le prix Femina a rendu son verdict, ce lundi 2 novembre à 10h30, sans réunion ni cérémonie à cause de la pandémie de coronavirus. Le prix du roman français a été attribué à Serge Joncour pour Nature humaine. Son récit retrace les mutations des trente années avant l’avènement de l’an 2000 du point de vue d’une famille d'éleveurs du Lot. Nous avons rencontré l’auteur après l'annonce du prix dans les locaux de son éditeur, Flammarion. 

Franceinfo Culture : Pour vous, que représente ce prix Femina ?

Serge Joncour : C’est l’un des grands prix d’automne, il fait partie de ces récompenses dont on rêve même si on n’écrit pas en se disant qu’on va l'avoir. Cela devient un peu concret le jour où l’on figure dans la première sélection et c’est déjà une reconnaissance et une visibilité. Mais là encore, le prix est de l’ordre de l’hypothétique, de l’improbable. Il ne faut pas trop y penser car cela rend fou. J’ai de la chance, car, quand je sors un livre, je fais une cinquantaine de rencontres dans des librairies partout en France. Et je suis tellement concentré sur ce planning que cela me met à distance. Je m’interdis aussi d’y penser, par superstition.

Cette année, les circonstances sont assez particulières…

Je me suis couché hier soir en me disant qu’ils allaient le reporter, comme d'autres prix. Je comprends un peu qu'ils l'aient maintenu, car on ne sait pas où on en sera dans quinze jours ou un mois. Aussi, je reçois un prix prestigieux alors qu’on ne peut plus vendre de livres. J’ai beaucoup d’imagination mais ça, je ne pouvais pas le concevoir. Ce n’est pas possible de ne pas lire justement quand on a le temps de lire, pour ceux qui sont en confinement ! Surtout qu’on peut avoir un rapport addictif à la lecture… quelqu’un qui fume, on ne lui demande pas du jour au lendemain d’arrêter.

J’ai envie que les librairies rouvrent mais c’est aux autorités sanitaires et aux libraires de décider. Il faut qu’on aménage, qu’on achète des livres quand même. Je l’ai fait hier, chez un libraire qui a mis une table devant sa porte. On est dans une période où il faut trouver nos marques, sans colère, sans s’invectiver, parce qu’on est tous dans cette galère. Ma joie est un peu neutralisée par cet environnement-là. Je ne m’en abstrais pas, ce n’est pas possible. Ce prix, c’est donc une joie blessée, insavourable.

Quelle est la genèse de votre roman, "Nature humaine"?

Je voulais faire le portrait de cette montée vers l’an 2000 et de ce divorce entre la nature et l’homme. La mise en place de structures d’hyperdistribution va dérégler la vie de mon personnage principal. Alexandre est éleveur et va voir ses sœurs partir courir le monde alors que lui ne veut pas bouger. C’est aussi un conflit entre le local et le mondial. J’avais envie de faire le point là-dessus car je ne suis moi-même pas à l’aise, cela va trop vite et dans tous les sens.

Comme moi, mon personnage ne prend pas l’avion. Car je considère que ce n’est pas naturel de passer de Paris à la forêt tropicale en 10 heures. Changer à ce point d'écosystème, on ne le ferait pas pour des animaux. Mon Alexandre, quand il ramène une vache d’un autre troupeau, il la met en quarantaine. Et nous sommes aussi des mammifères, pas si éloignés que ça d'une vache ou d’un chat. Mon livre s’appelle Nature humaine parce qu’il n’y a pas la nature d’un côté et l’homme de l’autre, c’est un tout.

Le Lot sert de décor à plusieurs de vos romans, en quoi est-ce un décor romanesque ?

On ne le connaît pas à moins d’y aller et on en a une image un peu idéalisée. Il n’y a pas de TGV, c’est un territoire un peu préservé. Et dans certains villages, je retrouve les sons intacts des années 1970, avec la cloche, les troupeaux au loin, un vieux tracteur… Le Lot rassemble ce monde d’avant et ce monde d’après. Et puis, il y a de beaux décors, ce qui est essentiel.

Votre livre s’ouvre sur une catastrophe naturelle, la sécheresse, et se ferme sur une autre, la tempête de 1999…

Je voulais faire un panorama de cette montée vers l’an 2000 avec une apothéose de tout ce dérèglement et de cette mondialisation. Le livre se termine sur la tempête qui a frappé l’Europe à quelques jours de l’an 2000 et il fallait peut-être y entendre quelque chose. J’étais dans le Lot à ce moment-là et je ne m’en suis toujours pas remis. Et je voulais partir de 1976, cette sécheresse dont je me suis souvenu physiquement. On disait avant qu’il y aurait une sécheresse tous les cent ans et maintenant il y en a une tous les ans. On s’y habitue, mais ce n’est pas normal.

Mon personnage, Alexandre, voit cette nature se dénaturer. Ce sont des choses que l’on observe à l’œil nu, pas la peine d’attendre des rapports sur le réchauffement climatique. L’année 1976, avec cette canicule, correspond également au moment où s’installe le premier Mammouth (une chaîne d'hypermarchés) en périphérie de Cahors. Et son nom voulait bien dire qu’il était là pour tout écraser. Écrire, c’est faire vivre des personnages, des intrigues mais aussi dire des choses du monde.

Couverture du livre "Nature humaine" de Serge Joncour. (FLAMMARION)

"Nature humaine", de Serge Joncour, publié le 19 août 2020 aux éditions Flammarion, 398 pages, 21€

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