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«Seul un miracle pousserait la gauche à s’unir et je n’y crois pas», estime Robert Guédiguian - 20 Minutes

Robert Guédiguian est sur tous les fronts (de gauche). Son film Twist à Bamako , en salle depuis ce mercredi, revient sur la tentative de mise en place d’un régime socialiste au Mali en 1962. Le réalisateur à l’accent chaleureux signe aussi  Les Lendemains chanteront-ils encore?, livre d’échanges passionnants sur la politique avec le journaliste Christophe Kantcheff , paru aux éditions Les Liens qui libèrent.

Une bonne occasion pour demander au cinéaste de commenter l’actualité et de livrer son pronostic quant aux chances de la gauche pour la future présidentielle.

« Twist à Bamako » est sorti en salle, mais imaginez-vous qu’il puisse être produit par une plateforme comme Prime Vidéo ou Netflix ?

Sur le principe, je suis contre. Je défends l’idée qu’un film sorte d’abord en salle pour un public qui choisit d’aller le voir de manière attentive, puis qu’il passe à la télévision où il sera sans doute regardé de manière moins respectueuse. Maintenant, si je ne peux pas produire un film ailleurs que sur une plateforme et qu’on me garantit que j’aurai une totale liberté sur le contenu, je dirai oui. Ce qui compte, c’est de pouvoir exprimer ses idées.

Pensez-vous que le cinéma puisse encore être une arme politique ?

C’est une façon d’émouvoir, de « mettre en mouvement » si on reprend l’étymologie de ce verbe. On y appelle plus souvent aux émotions qu’aux arguments directement politiques, même si on parvient parfois à glisser un peu d’analyse, histoire de questionner le réel et de faire s’interroger le spectateur. Un film peut servir d’étendard. Dans tous les mouvements, on a besoin de chansons, de signes qui racontent la mouvance dans laquelle on se situe. C’est comme une musique qui accompagne une marche. J’ai vu les titres de certains de mes films sur des banderoles dans des manifs. J’en suis fier même si cela implique des responsabilités dont je suis bien conscient quand je prends la parole.

N’avez-vous pas l’impression, par votre engagement, de ne prêcher que des convertis ?

Ce n’est pas mal de prêcher des convertis car il faut qu’ils le restent ! Comme on est d’accord sur le fond entre personnes qui veulent aller au même endroit, on peut parler des détails, essayer d’améliorer les choses. Je ne convaincrai pas quelqu’un qui a envie de voter Zemmour. Cette personne n’ira pas voir mes films et n’achètera pas mon livre de toute façon. J’essaie de réunir des gens qui sont déjà acquis pour les confronter dans leurs idées et les maintenir en action.

A propos d’idées, comment avez-vous réagi à la sortie d’Emmanuel Marcon qui dit vouloir « emmerder » les Français non vaccinés ?

Il est coutumier de ces écarts de langage, mais cela ne se fait pas quand on est Président de la République. User de gros mots pour se mettre à ce qu’il estime être le niveau des électeurs, ou penser que si on ne se laisse pas gouverner c’est parce qu’on ne comprend pas ce qui se passe, témoigne du même mépris. Je pense surtout que Macron excite la discussion sur le pass vaccinal pour qu’on évite de parler du pouvoir d’achat.

Comprenez-vous les réactions des gens qui s’opposent au vaccin ?

Il faudra prendre le temps d’analyser ce qui s’est passé pour arriver à un tel refus, loin des passions qui divisent la France pour l’instant. Ce qui m’inquiète, c’est que le rejet d’une forme de connaissance puisse être certifié, légitime. Comme si le point de vue d’un patron de bistrot – et je n’ai rien contre cette profession – se retrouve sur le même plan que celui d’un professeur au Collège de France sur le même sujet. Cela me semble grave. « Quand les élèves n’écoutent pas les maîtres, c’est le début de la tyrannie », disait Platon.

Cette méfiance ne correspond-elle pas à une défiance plus générale envers l’autorité ?

Effectivement, je ramène ça à une question sociétale générale qui fait qu’on ne croit plus personne. Qu’on ne croit plus les politiques, d’accord, mais on ne croit plus non plus les scientifiques, les enseignants, nos parents… Ça commence à faire beaucoup. Il faut bien qu’il y ait, à un moment, une structuration du monde, quitte à se révolter ensuite. Il ne peut pas y avoir de révolution sans structure de base.

Approuvez-vous les mesures sanitaires actuelles ?

Je n’ai pas de religion sur ce sujet. Je suis triplement vacciné et je vois que tous les pays essaient de trouver une solution pour régler cette fichue situation. Quoi qu’on en dise, les Français sont disciplinés : bien qu’on parle beaucoup de ceux qui protestent, ils ne sont pas nombreux. Nous sommes l’un des pays les plus vaccinés du monde. Ce qui est certain, c’est qu’il faut que toutes les mesures soient levées dès que l’épidémie s’arrête. On peut admettre le principe des contrôles, même si on rechigne à ce sujet, mais il faut que cela soit transitoire.

Pensez-vous que le monde puisse encore changer malgré la mondialisation ?

Les circonstances actuelles – bouleversement climatique, pandémie – seraient plutôt propices à produire une contre-culture, une « contre-société » dans laquelle la gauche pourrait s’engouffrer. Je crois qu’« à quelque chose malheur est bon ». Si la gauche prend une vraie déculottée à la présidentielle, il faudra bien que les dirigeants, les états-majors et les militants révisent leur copie, reviennent aux fondamentaux et s’unissent enfin sur une communauté d’idées.

L’union de la gauche telle qu’on en parle aujourd’hui, vous n’y croyez pas ?

La gauche est mal en point. A mon sens, c’est foutu pour l’élection présidentielle. Il faudrait un tremblement de terre pour que les choses s’arrangent. Seul un miracle pousserait la gauche à s’unir. Et je n’y crois pas. S’il n’y a pas de miracle, il n’y aura pas d’union de la gauche à la Présidentielle. Pour moi, l’union de la gauche, c’est celle de TOUTE la gauche, j’insiste sur les majuscules. Et sans Mélenchon, elle n’aurait aucun sens. Cela me semble impossible d’y parvenir.

Y avez-vous cru à un moment ?

Oui, quand Mélenchon a presque fait 20 % à la présidentielle de 2017, c’était une très belle nouvelle qui m’a rappelé un score similaire du Parti communiste dans les années 1970. Ce dimanche soir là, s’il avait fait une déclaration en disant qu’il ouvrait les portes en se plaçant comme leader de la gauche, il aurait cartonné. C’est ce qu’aurait fait François Mitterrand, j’en suis persuadé. Mais Mélenchon divise le monde en deux : le peuple et la « caste ». Cela ne fonctionne pas ainsi. Le peuple en tant que masse n’existe plus car plus personne n’a les mêmes intérêts. Il faut s’y faire et essayer plutôt de réunir les différentes sensibilités en s’appuyant sur ce qu’il reste de bases communes.

Cet échec peut-il expliquer la montée de l’extrême droite ?

Oui, parce que face à l’effondrement de la gauche, bien des gens se laissent convaincre qu’on pourrait essayer autre chose. Comme si tout mettre sur le dos de l’immigration pouvait permettre d’effacer leurs malheurs et d’entrevoir une solution. C’est n’importe quoi, mais on saisit tout de suite de quoi il s’agit. La gauche n’a plus de mot d’ordre aussi clair, net et précis. Surtout, elle n’est plus porteuse d’espoir de solution immédiate.

Le passage par un gouvernement d’extrême droite est-il indispensable pour la gauche se réinvente ?

Je n’ai jamais cru à la victoire de l’extrême droite en France, ce qui ne m’empêche pas de lutter contre ces idées-là. Je ne crois pas que le pire puisse amener à des améliorations. Le pire amène toujours le pire !

Comment expliquez-vous que les gens aillent de moins en moins voter ?

Les candidats disent beaucoup de conneries et souvent, ça ne vole pas bien haut. Prenez Hidalgo et son idée de doubler le salaire des profs… Et ce n’est pas la seule qui ne soit ni réaliste, ni poétique, ni lyrique, ni philosophique. Souvent, les candidats n’ont aucune vision. Ce n’est pas motivant.

Etes-vous pessimiste pour l’avenir ?

Je refuse de l’être. Il faut que cet échec certain de la gauche à la Présidentielle conduise à une réflexion pour les élections législatives. Si on envie de changement, il faut absolument se dire qu’il serait inadmissible qu’il n’y ait pas une union très large et massive aux législatives. Il n’y a jamais eu de changement en France sans alliance entre les courants réformiste et révolutionnaire. Les Insoumis, ce qui reste du Parti communiste et du Parti socialiste et les écologistes doivent s’unir. Sinon ils n’obtiendront jamais le pouvoir. Il n’y a pas d’exemple historique du contraire depuis cent cinquante ans. Mais à la question que pose le titre de mon livre Les Lendemains chanteront-ils encore ?, je me force à répondre « oui », ne serait-ce que pour trouver le courage de continuer le combat.

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Robert Guédiguian est sur tous les fronts (de gauche). Son film Twist à Bamako , en salle depuis ce mercredi, revient sur la tentative de mise en place d’un régime socialiste au Mali en 1962. Le réalisateur à l’accent chaleureux signe aussi  Les Lendemains chanteront-ils encore?, livre d’échanges passionnants sur la politique avec le journaliste Christophe Kantcheff , paru aux éditions Les Liens qui libèrent.

Une bonne occasion pour demander au cinéaste de commenter l’actualité et de livrer son pronostic quant aux chances de la gauche pour la future présidentielle.

« Twist à Bamako » est sorti en salle, mais imaginez-vous qu’il puisse être produit par une plateforme comme Prime Vidéo ou Netflix ?

Sur le principe, je suis contre. Je défends l’idée qu’un film sorte d’abord en salle pour un public qui choisit d’aller le voir de manière attentive, puis qu’il passe à la télévision où il sera sans doute regardé de manière moins respectueuse. Maintenant, si je ne peux pas produire un film ailleurs que sur une plateforme et qu’on me garantit que j’aurai une totale liberté sur le contenu, je dirai oui. Ce qui compte, c’est de pouvoir exprimer ses idées.

Pensez-vous que le cinéma puisse encore être une arme politique ?

C’est une façon d’émouvoir, de « mettre en mouvement » si on reprend l’étymologie de ce verbe. On y appelle plus souvent aux émotions qu’aux arguments directement politiques, même si on parvient parfois à glisser un peu d’analyse, histoire de questionner le réel et de faire s’interroger le spectateur. Un film peut servir d’étendard. Dans tous les mouvements, on a besoin de chansons, de signes qui racontent la mouvance dans laquelle on se situe. C’est comme une musique qui accompagne une marche. J’ai vu les titres de certains de mes films sur des banderoles dans des manifs. J’en suis fier même si cela implique des responsabilités dont je suis bien conscient quand je prends la parole.

N’avez-vous pas l’impression, par votre engagement, de ne prêcher que des convertis ?

Ce n’est pas mal de prêcher des convertis car il faut qu’ils le restent ! Comme on est d’accord sur le fond entre personnes qui veulent aller au même endroit, on peut parler des détails, essayer d’améliorer les choses. Je ne convaincrai pas quelqu’un qui a envie de voter Zemmour. Cette personne n’ira pas voir mes films et n’achètera pas mon livre de toute façon. J’essaie de réunir des gens qui sont déjà acquis pour les confronter dans leurs idées et les maintenir en action.

A propos d’idées, comment avez-vous réagi à la sortie d’Emmanuel Marcon qui dit vouloir « emmerder » les Français non vaccinés ?

Il est coutumier de ces écarts de langage, mais cela ne se fait pas quand on est Président de la République. User de gros mots pour se mettre à ce qu’il estime être le niveau des électeurs, ou penser que si on ne se laisse pas gouverner c’est parce qu’on ne comprend pas ce qui se passe, témoigne du même mépris. Je pense surtout que Macron excite la discussion sur le pass vaccinal pour qu’on évite de parler du pouvoir d’achat.

Comprenez-vous les réactions des gens qui s’opposent au vaccin ?

Il faudra prendre le temps d’analyser ce qui s’est passé pour arriver à un tel refus, loin des passions qui divisent la France pour l’instant. Ce qui m’inquiète, c’est que le rejet d’une forme de connaissance puisse être certifié, légitime. Comme si le point de vue d’un patron de bistrot – et je n’ai rien contre cette profession – se retrouve sur le même plan que celui d’un professeur au Collège de France sur le même sujet. Cela me semble grave. « Quand les élèves n’écoutent pas les maîtres, c’est le début de la tyrannie », disait Platon.

Cette méfiance ne correspond-elle pas à une défiance plus générale envers l’autorité ?

Effectivement, je ramène ça à une question sociétale générale qui fait qu’on ne croit plus personne. Qu’on ne croit plus les politiques, d’accord, mais on ne croit plus non plus les scientifiques, les enseignants, nos parents… Ça commence à faire beaucoup. Il faut bien qu’il y ait, à un moment, une structuration du monde, quitte à se révolter ensuite. Il ne peut pas y avoir de révolution sans structure de base.

Approuvez-vous les mesures sanitaires actuelles ?

Je n’ai pas de religion sur ce sujet. Je suis triplement vacciné et je vois que tous les pays essaient de trouver une solution pour régler cette fichue situation. Quoi qu’on en dise, les Français sont disciplinés : bien qu’on parle beaucoup de ceux qui protestent, ils ne sont pas nombreux. Nous sommes l’un des pays les plus vaccinés du monde. Ce qui est certain, c’est qu’il faut que toutes les mesures soient levées dès que l’épidémie s’arrête. On peut admettre le principe des contrôles, même si on rechigne à ce sujet, mais il faut que cela soit transitoire.

Pensez-vous que le monde puisse encore changer malgré la mondialisation ?

Les circonstances actuelles – bouleversement climatique, pandémie – seraient plutôt propices à produire une contre-culture, une « contre-société » dans laquelle la gauche pourrait s’engouffrer. Je crois qu’« à quelque chose malheur est bon ». Si la gauche prend une vraie déculottée à la présidentielle, il faudra bien que les dirigeants, les états-majors et les militants révisent leur copie, reviennent aux fondamentaux et s’unissent enfin sur une communauté d’idées.

L’union de la gauche telle qu’on en parle aujourd’hui, vous n’y croyez pas ?

La gauche est mal en point. A mon sens, c’est foutu pour l’élection présidentielle. Il faudrait un tremblement de terre pour que les choses s’arrangent. Seul un miracle pousserait la gauche à s’unir. Et je n’y crois pas. S’il n’y a pas de miracle, il n’y aura pas d’union de la gauche à la Présidentielle. Pour moi, l’union de la gauche, c’est celle de TOUTE la gauche, j’insiste sur les majuscules. Et sans Mélenchon, elle n’aurait aucun sens. Cela me semble impossible d’y parvenir.

Y avez-vous cru à un moment ?

Oui, quand Mélenchon a presque fait 20 % à la présidentielle de 2017, c’était une très belle nouvelle qui m’a rappelé un score similaire du Parti communiste dans les années 1970. Ce dimanche soir là, s’il avait fait une déclaration en disant qu’il ouvrait les portes en se plaçant comme leader de la gauche, il aurait cartonné. C’est ce qu’aurait fait François Mitterrand, j’en suis persuadé. Mais Mélenchon divise le monde en deux : le peuple et la « caste ». Cela ne fonctionne pas ainsi. Le peuple en tant que masse n’existe plus car plus personne n’a les mêmes intérêts. Il faut s’y faire et essayer plutôt de réunir les différentes sensibilités en s’appuyant sur ce qu’il reste de bases communes.

Cet échec peut-il expliquer la montée de l’extrême droite ?

Oui, parce que face à l’effondrement de la gauche, bien des gens se laissent convaincre qu’on pourrait essayer autre chose. Comme si tout mettre sur le dos de l’immigration pouvait permettre d’effacer leurs malheurs et d’entrevoir une solution. C’est n’importe quoi, mais on saisit tout de suite de quoi il s’agit. La gauche n’a plus de mot d’ordre aussi clair, net et précis. Surtout, elle n’est plus porteuse d’espoir de solution immédiate.

Le passage par un gouvernement d’extrême droite est-il indispensable pour la gauche se réinvente ?

Je n’ai jamais cru à la victoire de l’extrême droite en France, ce qui ne m’empêche pas de lutter contre ces idées-là. Je ne crois pas que le pire puisse amener à des améliorations. Le pire amène toujours le pire !

Comment expliquez-vous que les gens aillent de moins en moins voter ?

Les candidats disent beaucoup de conneries et souvent, ça ne vole pas bien haut. Prenez Hidalgo et son idée de doubler le salaire des profs… Et ce n’est pas la seule qui ne soit ni réaliste, ni poétique, ni lyrique, ni philosophique. Souvent, les candidats n’ont aucune vision. Ce n’est pas motivant.

Etes-vous pessimiste pour l’avenir ?

Je refuse de l’être. Il faut que cet échec certain de la gauche à la Présidentielle conduise à une réflexion pour les élections législatives. Si on envie de changement, il faut absolument se dire qu’il serait inadmissible qu’il n’y ait pas une union très large et massive aux législatives. Il n’y a jamais eu de changement en France sans alliance entre les courants réformiste et révolutionnaire. Les Insoumis, ce qui reste du Parti communiste et du Parti socialiste et les écologistes doivent s’unir. Sinon ils n’obtiendront jamais le pouvoir. Il n’y a pas d’exemple historique du contraire depuis cent cinquante ans. Mais à la question que pose le titre de mon livre Les Lendemains chanteront-ils encore ?, je me force à répondre « oui », ne serait-ce que pour trouver le courage de continuer le combat.

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