Une enfance sans le sou, mais sans plainte ni tristesse, n’était sans doute pas étrangère à la discrétion dont il s’est toujours paré. Acteur, réalisateur, producteur, boulimique de travail, occupé toute sa vie à des projets qui ont tourné autour de l’humain, de l’humanisme et de l’humanitaire, Jacques Perrin, né le 13 juillet 1941 à Paris, n’a jamais cédé au bruit et à l’agitation, encore moins au vedettariat. Il leur préférait, par nature, le calme et la douceur qui s’étaient inscrits dans sa voix, son visage et ses gestes. Le jeune marin rêveur des Demoiselles de Rochefort (1967), le réalisateur de documentaires et le chevalier blanc de la production indépendante est mort jeudi 21 avril à Paris, à l’âge de 80 ans, a annoncé sa famille à l’Agence France-Presse.
Son talent, confiait-il sans fausse modestie, était de savoir réunir des gens qui en possédaient. Jacques Perrin aimait prendre et apprendre des autres, trouvait en eux le savoir et l’énergie nécessaires pour mener à bien ses aventures. Idéaliste pragmatique, d’une ténacité tranquille, conscient du temps qui file et le regard bleu résolument tourné vers l’avenir, il tenait la barre sans se décourager des tempêtes. De Z (1969) au Peuple migrateur (2001) en passant par La Victoire en chantant (1976) et Himalaya, l’enfance d’un chef (1999), Jacques Perrin n’a guère connu de tournages faciles. Chaque fois, il a dû aller au charbon, séduire, convaincre.
Contre l’avis de tous
L’obstination pose la première pierre de sa maison de production Reggane Films (devenue plus tard Galatée Films), qu’il crée en 1968 pour reprendre, contre l’avis de tous, le projet de Z, de Costa-Gavras. Le cinéaste grec, qui l’avait fait jouer dans Compartiment tueurs (1965) et Un homme de trop (1967), vient de se faire lâcher par les Américains. Il s’apprête à baisser les bras. « Nous avons alors monté une coproduction avec l’Algérie. Personne ne voulait nous suivre. (…) Avouons que nous avons fait quelques acrobaties comptables, anticipé sur le succès. Montand et Trintignant ont touché des cachets dérisoires », avait expliqué Jacques Perrin au Monde en 1996. Le jour de sa sortie en salle, les exploitants s’attendent à une catastrophe. Z sera un triomphe international. Quatre millions d’entrées en France. Des récompenses à la pelle, dont l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, qui ira à l’Algérie.
L’expérience donne des ailes à Jacques Perrin. Il produit les films suivants de Costa-Gavras, Etat de siège (1973), Section Spéciale (1974). Et s’acharne sur un autre projet : l’adaptation au cinéma du roman de Dino Buzzati (1940), Le Désert des Tartares, dont il a acquis les droits mais sur lequel plusieurs scénaristes et cinéastes se cassent les dents. Durant dix ans, Jacques Perrin s’accroche. Le film finit par trouver son réalisateur en la personne de Valerio Zurlini, et voit le jour en 1976, avec, dans le rôle de l’ardent lieutenant Drogo, Jacques Perrin. Lequel, la même année, donne les moyens à Jean-Jacques Annaud de réaliser un rêve qu’il nourrit depuis sept ans : La Victoire en chantant – l’histoire, en 1915 dans la brousse africaine, de quelques militaires français qui, pour tromper leur ennui plus que par patriotisme, décident d’attaquer un poste allemand. Au box-office français, le film est un échec. Délesté de dix minutes, rebaptisé en anglais Black and White in Color (« Noirs et Blancs en couleur »), il traverse l’Atlantique et obtient l’Oscar du meilleur film étranger.
Les Quarantièmes Rugissants (1981), de Christian de Chalonge – inspiré de l’histoire vraie de Donald Crowhurst –, n’a pas cette chance. Le film, dans lequel Jacques Perrin interprète le rôle-titre, multiplie les écueils tout au long de sa fabrication, et connaît un naufrage à sa sortie. Jacques Perrin mettra dix ans à rembourser les dettes accumulées. D’autres en auraient été abattus. Lui, en cinq ans, produit trois films aux tournages plus fous les uns que les autres : Microcosmos, le peuple de l’herbe (1996), de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, Himalaya, l’enfance d’un chef (1999), d’Eric Valli, Le Peuple migrateur (2001), qu’il coréalise avec Jacques Cluzaud.
Des documentaires à budget de blockbuster
Il est alors le seul à oser affronter le documentaire naturaliste à budget de blockbuster. Des films pharaoniques exigeant des années de préparation en recherches scientifiques, en repérages aux quatre coins du globe, en conception de matériel. Pour Microcosmos, il faut construire de très coûteux outils capables de suivre des actions et de capter des émotions à l’échelle du millimètre ou du dixième de millimètre. Pour Le Peuple migrateur, des mois sont nécessaires pour habituer les oiseaux à la présence des machines volantes lestées de caméra. Chacun de ces films rappelle à Jacques Perrin les dangers que court la planète, et l’engage plus avant dans le combat pour sa sauvegarde. C’est dans cet esprit qu’il entreprend sa grande œuvre, Océans (2010), un hymne à la mer et aux créatures qui la peuplent. Il reprend le flambeau d’un autre Jacques – Cousteau –, dont il améliore les méthodes. Le tournage titanesque s’étend sur cinq ans et emmène son équipe sur cinq continents.
Il disait avoir acquis le goût de l’aventure, à la fin des années 1950, quand il était mousse sur un chalutier en Méditerranée et que les pêcheurs, anciens marins au long cours, lui avaient raconté leur rencontre avec les mers lointaines. Puis l’avoir conforté, quinze ans plus tard, sur le tournage au Laos, au Cambodge et au Vietnam, du film La 317e Section (1965), de Pierre Schoendoerffer. Mais au fond, ce désir de voyages avait pris racine bien plus tôt. Dans l’enfance, à la pension où il avait été placé tout gosse et où, jusqu’à l’âge de 11 ans, il avait passé ses nuits d’insomnie à s’imaginer « partir ailleurs », « respirer autrement ».
Le métier d’acteur fut l’étape nécessaire à l’ouverture de tous les chemins. Il l’a ravi à une vie ordinaire, sans qu’il ait à se poser la question. Avec un père, Alexandre Simonet, régisseur à la Comédie-Française, puis souffleur au TNP de Jean Vilar, et une mère, Marie Perrin, comédienne, premier prix au conservatoire de Lyon, difficile d’y échapper. Son père le berce d’histoires de théâtre. Sa mère récite des poèmes lors des soirées familiales et au Caveau de la Bolée, à Paris. La littérature accompagne le petit Jacques, adoucit les privations de la guerre et le console, en partie, de la séparation de ses parents. Après un certificat d’études péniblement décroché à 14 ans, et quelques petits boulots (télétypiste à Air France, commis d’épicerie), il commence à travailler le théâtre avec Antoine Balpêtré (1898-1963), le parrain de sa sœur Eva. Trois ans plus tard, il entre au Conservatoire, où le repère rapidement Jean Yonnel (1891-1968), « statue du commandeur » de la Comédie-Française, tragédien à l’illustre voix de baryton dont il avait alors intégré la classe.
C’est sur la scène du Théâtre Edouard-VII, où il joue une pièce avec Sami Frey, L’Année du bac, mise en scène par Yves Robert, qu’il attire l’attention du cinéaste italien Valerio Zurlini (1926-1982). Ce dernier donne son premier grand rôle au cinéma à Jacques Perrin, dans La Fille à la valise (1961), puis un deuxième dans Journal intime (1962). Les studios italiens s’accaparent aussitôt ce jeune acteur qui, pendant trois ans, figurera parmi les jeunes premiers les plus célèbres du cinéma transalpin. En France, il enchaîne les rôles dans les films d’Henri-Georges Clouzot (1907-1977) – La Vérité, 1960 –, de Mauro Bolognini (1922-2001) – La Corruption, 1963 –, de Costa-Gavras, de Pierre Schoendoerffer (1928-2012) – La 317e Section, en 1965 ; Le Crabe-tambour, en 1977 ; L’Honneur d’un capitaine, en 1982 ; et Là-haut, un roi au-dessus des nuages, en 2004.
« Une douce parenthèse »
Dans les années 1960, les cinéastes de la Nouvelle Vague l’ignorent. « Je pensais que je n’avais ni le caractère ni l’intelligence de la communauté de la Nouvelle Vague. Je me croyais plus proche du cinéma traditionnel », avait-il expliqué en 2005. Jacques Demy (1931-1990) fait néanmoins exception à la règle et l’appelle pour Les Demoiselles de Rochefort. Perrin s’en étonne. Il ne sait pas danser et chante faux. Pire, il est pétrifié à l’idée de se retrouver aux côtés de Danielle Darrieux (1917-2017), Gene Kelly (1912-1996), George Chakiris, Catherine Deneuve et Françoise Dorléac (1942-1967). Demy s’en moque, Jacques Perrin sera son jeune matelot blond des Demoiselles. Trois ans plus tard, le prince de Peau d’âne. « Ces personnages n’étaient pas moi », confiera l’acteur toute sa vie, jugeant avec tendresse ces deux aventures comme « une douce parenthèse ». Rien de plus.
Quand le cinéma l’avait délaissé, il avait tourné pour la télévision – en majorité, des rôles de flic –, dans plus de quarante téléfilms et séries. Il avait aussi été le producteur et l’animateur de « La 25e Heure », rendez-vous documentaire du samedi soir sur France 2, dans lequel il a donné carte blanche à la créativité de réalisateurs réputés difficiles. Il avait enfin prêté sa voix à la narration de plusieurs documentaires. Son exigence, son obstination ne l’avaient jamais coupé du grand public. Au contraire. Populaire, par générosité et sincérité, Jacques Perrin voulait embarquer le monde dans ses convictions. Les spectateurs l’avaient suivi.
Le 6 février 2019, officiellement installé à l’Académie des beaux-arts, où Costa-Gavras lui avait remis son épée et Jean-Jacques Annaud avait prononcé son discours de réception, Jacques Perrin s’était ému de cette reconnaissance, « improbable », selon lui. Puis il avait rendu hommage à son prédécesseur, Francis Girod (1944-2006), réalisateur et producteur dont il avait salué, entre autres, « la personnalité visionnaire et la grande sensibilité, bien cachée derrière une immense érudition ».
Il n’avait néanmoins pas considéré cette entrée à l’Académie comme une consécration qui allait lui permettre de se reposer. Car Jacques Perrin était loin d’en avoir fini. Avec sa maison de production, il travaillait à plusieurs films de fiction, notamment Kersten, de Christophe Barratier (sur le médecin finlandais d’Himmler), et une adaptation chinoise du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson. Ainsi qu’à deux documentaires, l’un sur les aventures de Sea Shepherd, l’ONG créée par Paul Watson et composée de jeunes bénévoles chargés notamment de surveiller les chasseurs de baleine ; l’autre sur le périple, en Amérique de l’Ouest, des photographes explorateurs William Henry Jackson (1843-1942) et Edward Curtis (1868-1952), et du peintre Thomas Moran (1837-1926).
En ces temps de tension sociale, de remise en cause du politique et de ses institutions, Jacques Perrin estimait que « l’exemplarité » était la chose la plus nécessaire. « Des gens qui nous permettent de croire. Comme un Jean Moulin dans la Résistance. On vit de sombres temps, disait Brecht. Mais la clarté, c’est une histoire d’ombre », avait-il dit début 2019 au Figaro. Il se réjouissait alors d’être toujours et d’avoir encore à combattre, avec l’enthousiasme d’un enfant têtu et optimiste.
Les dates
13 juillet 1941 Naissance à Paris
1977 « Le Crabe-tambour », de Pierre Schoendoerffer
2001 « Le Peuple migrateur », coréalisé avec Jacques Cluzaud et Michel Debats
2010 « Océans », coréalisé avec Jacques Cluzaud
2016 « Les Saisons », coréalisé avec Jacques Cluzaud
21 avril 2022 Mort à 80 ans
Une enfance sans le sou, mais sans plainte ni tristesse, n’était sans doute pas étrangère à la discrétion dont il s’est toujours paré. Acteur, réalisateur, producteur, boulimique de travail, occupé toute sa vie à des projets qui ont tourné autour de l’humain, de l’humanisme et de l’humanitaire, Jacques Perrin, né le 13 juillet 1941 à Paris, n’a jamais cédé au bruit et à l’agitation, encore moins au vedettariat. Il leur préférait, par nature, le calme et la douceur qui s’étaient inscrits dans sa voix, son visage et ses gestes. Le jeune marin rêveur des Demoiselles de Rochefort (1967), le réalisateur de documentaires et le chevalier blanc de la production indépendante est mort jeudi 21 avril à Paris, à l’âge de 80 ans, a annoncé sa famille à l’Agence France-Presse.
Son talent, confiait-il sans fausse modestie, était de savoir réunir des gens qui en possédaient. Jacques Perrin aimait prendre et apprendre des autres, trouvait en eux le savoir et l’énergie nécessaires pour mener à bien ses aventures. Idéaliste pragmatique, d’une ténacité tranquille, conscient du temps qui file et le regard bleu résolument tourné vers l’avenir, il tenait la barre sans se décourager des tempêtes. De Z (1969) au Peuple migrateur (2001) en passant par La Victoire en chantant (1976) et Himalaya, l’enfance d’un chef (1999), Jacques Perrin n’a guère connu de tournages faciles. Chaque fois, il a dû aller au charbon, séduire, convaincre.
Contre l’avis de tous
L’obstination pose la première pierre de sa maison de production Reggane Films (devenue plus tard Galatée Films), qu’il crée en 1968 pour reprendre, contre l’avis de tous, le projet de Z, de Costa-Gavras. Le cinéaste grec, qui l’avait fait jouer dans Compartiment tueurs (1965) et Un homme de trop (1967), vient de se faire lâcher par les Américains. Il s’apprête à baisser les bras. « Nous avons alors monté une coproduction avec l’Algérie. Personne ne voulait nous suivre. (…) Avouons que nous avons fait quelques acrobaties comptables, anticipé sur le succès. Montand et Trintignant ont touché des cachets dérisoires », avait expliqué Jacques Perrin au Monde en 1996. Le jour de sa sortie en salle, les exploitants s’attendent à une catastrophe. Z sera un triomphe international. Quatre millions d’entrées en France. Des récompenses à la pelle, dont l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, qui ira à l’Algérie.
L’expérience donne des ailes à Jacques Perrin. Il produit les films suivants de Costa-Gavras, Etat de siège (1973), Section Spéciale (1974). Et s’acharne sur un autre projet : l’adaptation au cinéma du roman de Dino Buzzati (1940), Le Désert des Tartares, dont il a acquis les droits mais sur lequel plusieurs scénaristes et cinéastes se cassent les dents. Durant dix ans, Jacques Perrin s’accroche. Le film finit par trouver son réalisateur en la personne de Valerio Zurlini, et voit le jour en 1976, avec, dans le rôle de l’ardent lieutenant Drogo, Jacques Perrin. Lequel, la même année, donne les moyens à Jean-Jacques Annaud de réaliser un rêve qu’il nourrit depuis sept ans : La Victoire en chantant – l’histoire, en 1915 dans la brousse africaine, de quelques militaires français qui, pour tromper leur ennui plus que par patriotisme, décident d’attaquer un poste allemand. Au box-office français, le film est un échec. Délesté de dix minutes, rebaptisé en anglais Black and White in Color (« Noirs et Blancs en couleur »), il traverse l’Atlantique et obtient l’Oscar du meilleur film étranger.
Les Quarantièmes Rugissants (1981), de Christian de Chalonge – inspiré de l’histoire vraie de Donald Crowhurst –, n’a pas cette chance. Le film, dans lequel Jacques Perrin interprète le rôle-titre, multiplie les écueils tout au long de sa fabrication, et connaît un naufrage à sa sortie. Jacques Perrin mettra dix ans à rembourser les dettes accumulées. D’autres en auraient été abattus. Lui, en cinq ans, produit trois films aux tournages plus fous les uns que les autres : Microcosmos, le peuple de l’herbe (1996), de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, Himalaya, l’enfance d’un chef (1999), d’Eric Valli, Le Peuple migrateur (2001), qu’il coréalise avec Jacques Cluzaud.
Des documentaires à budget de blockbuster
Il est alors le seul à oser affronter le documentaire naturaliste à budget de blockbuster. Des films pharaoniques exigeant des années de préparation en recherches scientifiques, en repérages aux quatre coins du globe, en conception de matériel. Pour Microcosmos, il faut construire de très coûteux outils capables de suivre des actions et de capter des émotions à l’échelle du millimètre ou du dixième de millimètre. Pour Le Peuple migrateur, des mois sont nécessaires pour habituer les oiseaux à la présence des machines volantes lestées de caméra. Chacun de ces films rappelle à Jacques Perrin les dangers que court la planète, et l’engage plus avant dans le combat pour sa sauvegarde. C’est dans cet esprit qu’il entreprend sa grande œuvre, Océans (2010), un hymne à la mer et aux créatures qui la peuplent. Il reprend le flambeau d’un autre Jacques – Cousteau –, dont il améliore les méthodes. Le tournage titanesque s’étend sur cinq ans et emmène son équipe sur cinq continents.
Il disait avoir acquis le goût de l’aventure, à la fin des années 1950, quand il était mousse sur un chalutier en Méditerranée et que les pêcheurs, anciens marins au long cours, lui avaient raconté leur rencontre avec les mers lointaines. Puis l’avoir conforté, quinze ans plus tard, sur le tournage au Laos, au Cambodge et au Vietnam, du film La 317e Section (1965), de Pierre Schoendoerffer. Mais au fond, ce désir de voyages avait pris racine bien plus tôt. Dans l’enfance, à la pension où il avait été placé tout gosse et où, jusqu’à l’âge de 11 ans, il avait passé ses nuits d’insomnie à s’imaginer « partir ailleurs », « respirer autrement ».
Le métier d’acteur fut l’étape nécessaire à l’ouverture de tous les chemins. Il l’a ravi à une vie ordinaire, sans qu’il ait à se poser la question. Avec un père, Alexandre Simonet, régisseur à la Comédie-Française, puis souffleur au TNP de Jean Vilar, et une mère, Marie Perrin, comédienne, premier prix au conservatoire de Lyon, difficile d’y échapper. Son père le berce d’histoires de théâtre. Sa mère récite des poèmes lors des soirées familiales et au Caveau de la Bolée, à Paris. La littérature accompagne le petit Jacques, adoucit les privations de la guerre et le console, en partie, de la séparation de ses parents. Après un certificat d’études péniblement décroché à 14 ans, et quelques petits boulots (télétypiste à Air France, commis d’épicerie), il commence à travailler le théâtre avec Antoine Balpêtré (1898-1963), le parrain de sa sœur Eva. Trois ans plus tard, il entre au Conservatoire, où le repère rapidement Jean Yonnel (1891-1968), « statue du commandeur » de la Comédie-Française, tragédien à l’illustre voix de baryton dont il avait alors intégré la classe.
C’est sur la scène du Théâtre Edouard-VII, où il joue une pièce avec Sami Frey, L’Année du bac, mise en scène par Yves Robert, qu’il attire l’attention du cinéaste italien Valerio Zurlini (1926-1982). Ce dernier donne son premier grand rôle au cinéma à Jacques Perrin, dans La Fille à la valise (1961), puis un deuxième dans Journal intime (1962). Les studios italiens s’accaparent aussitôt ce jeune acteur qui, pendant trois ans, figurera parmi les jeunes premiers les plus célèbres du cinéma transalpin. En France, il enchaîne les rôles dans les films d’Henri-Georges Clouzot (1907-1977) – La Vérité, 1960 –, de Mauro Bolognini (1922-2001) – La Corruption, 1963 –, de Costa-Gavras, de Pierre Schoendoerffer (1928-2012) – La 317e Section, en 1965 ; Le Crabe-tambour, en 1977 ; L’Honneur d’un capitaine, en 1982 ; et Là-haut, un roi au-dessus des nuages, en 2004.
« Une douce parenthèse »
Dans les années 1960, les cinéastes de la Nouvelle Vague l’ignorent. « Je pensais que je n’avais ni le caractère ni l’intelligence de la communauté de la Nouvelle Vague. Je me croyais plus proche du cinéma traditionnel », avait-il expliqué en 2005. Jacques Demy (1931-1990) fait néanmoins exception à la règle et l’appelle pour Les Demoiselles de Rochefort. Perrin s’en étonne. Il ne sait pas danser et chante faux. Pire, il est pétrifié à l’idée de se retrouver aux côtés de Danielle Darrieux (1917-2017), Gene Kelly (1912-1996), George Chakiris, Catherine Deneuve et Françoise Dorléac (1942-1967). Demy s’en moque, Jacques Perrin sera son jeune matelot blond des Demoiselles. Trois ans plus tard, le prince de Peau d’âne. « Ces personnages n’étaient pas moi », confiera l’acteur toute sa vie, jugeant avec tendresse ces deux aventures comme « une douce parenthèse ». Rien de plus.
Quand le cinéma l’avait délaissé, il avait tourné pour la télévision – en majorité, des rôles de flic –, dans plus de quarante téléfilms et séries. Il avait aussi été le producteur et l’animateur de « La 25e Heure », rendez-vous documentaire du samedi soir sur France 2, dans lequel il a donné carte blanche à la créativité de réalisateurs réputés difficiles. Il avait enfin prêté sa voix à la narration de plusieurs documentaires. Son exigence, son obstination ne l’avaient jamais coupé du grand public. Au contraire. Populaire, par générosité et sincérité, Jacques Perrin voulait embarquer le monde dans ses convictions. Les spectateurs l’avaient suivi.
Le 6 février 2019, officiellement installé à l’Académie des beaux-arts, où Costa-Gavras lui avait remis son épée et Jean-Jacques Annaud avait prononcé son discours de réception, Jacques Perrin s’était ému de cette reconnaissance, « improbable », selon lui. Puis il avait rendu hommage à son prédécesseur, Francis Girod (1944-2006), réalisateur et producteur dont il avait salué, entre autres, « la personnalité visionnaire et la grande sensibilité, bien cachée derrière une immense érudition ».
Il n’avait néanmoins pas considéré cette entrée à l’Académie comme une consécration qui allait lui permettre de se reposer. Car Jacques Perrin était loin d’en avoir fini. Avec sa maison de production, il travaillait à plusieurs films de fiction, notamment Kersten, de Christophe Barratier (sur le médecin finlandais d’Himmler), et une adaptation chinoise du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson. Ainsi qu’à deux documentaires, l’un sur les aventures de Sea Shepherd, l’ONG créée par Paul Watson et composée de jeunes bénévoles chargés notamment de surveiller les chasseurs de baleine ; l’autre sur le périple, en Amérique de l’Ouest, des photographes explorateurs William Henry Jackson (1843-1942) et Edward Curtis (1868-1952), et du peintre Thomas Moran (1837-1926).
En ces temps de tension sociale, de remise en cause du politique et de ses institutions, Jacques Perrin estimait que « l’exemplarité » était la chose la plus nécessaire. « Des gens qui nous permettent de croire. Comme un Jean Moulin dans la Résistance. On vit de sombres temps, disait Brecht. Mais la clarté, c’est une histoire d’ombre », avait-il dit début 2019 au Figaro. Il se réjouissait alors d’être toujours et d’avoir encore à combattre, avec l’enthousiasme d’un enfant têtu et optimiste.
Les dates
13 juillet 1941 Naissance à Paris
1977 « Le Crabe-tambour », de Pierre Schoendoerffer
2001 « Le Peuple migrateur », coréalisé avec Jacques Cluzaud et Michel Debats
2010 « Océans », coréalisé avec Jacques Cluzaud
2016 « Les Saisons », coréalisé avec Jacques Cluzaud
21 avril 2022 Mort à 80 ans
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