C’est un procès très médiatisé et très people qui s’est ouvert dans l’État de Virginie, aux États-Unis, il y a quelques semaines. Aux origines de l’histoire, de multiples procès entre les deux ex-époux, Johnny Depp et Amber Heard, depuis leur divorce en 2017, où cette dernière l’accusait de violences verbales et physiques sous l’emprise de drogue et d’alcool. En 2018, l’actrice signe une tribune dans The Washington Post, où, sans citer son ex-conjoint, elle indique être devenue une « figure publique représentant les violences conjugales » : c’est sur cette déclaration que Johnny Depp a porté plainte pour diffamation, réclamant 50 millions de dollars à son ex-femme. Laquelle a engagé une contre-poursuite, pour 100 millions de dollars, l’accusant d’une campagne de dénigrement.
Ce procès très médiatique fondé sur des questions d’atteinte à la réputation est, comme un symbole, filmé et retransmis en direct par Court TV, une chaîne spécialisée dans les domaines de police-justice, ambiance cour de justice et enquêtes criminelles. Une retransmission qui se déroule également sur les réseaux sociaux, YouTube, Twitter et Tik Tok en tête, où des résumés sont présentés et analysés après chaque jour d’audience. Un procès de stars, mais surtout de preuves : à coups de photos, vidéos, textos et enregistrements sonores, les deux parties en viennent à parler de leur relation dans ce qu’elle a de plus intime, de leurs relations sexuelles à leurs échanges privés.
Campagne de misogynie
Stéphanie Lukasik, docteure en sciences de l’information et de la communication, n’est pas étonnée de l’attrait des réseaux sociaux pour ce procès : « C’est dans la continuité d’un nouvel écosystème informationnel, dans lequel les réseaux sociaux deviennent les principaux canaux d’informations » indique-t-elle. C’est plus particulièrement sur Tik Tok que l’on retrouve la majorité de ces contenus liés au procès : commentaires des déclarations de l’un ou de l’autre, montages d’extraits vidéos sur une musique dramatique, analyses complotistes pour prouver les mensonges d’Amber Heard, témoignages émus de fans sur la tristesse de Johnny Depp… A ce stade du procès, Internet semble en grande majorité avoir pris parti : Amber Heard serait une menteuse, et Johnny Depp une victime. « On passe d’un tribunal de justice à un tribunal socio-numérique, car on sait que les réseaux sociaux ont tendance à exacerber la polarisation des opinions » ajoute Stéphanie Lukasik. Sur Twitter, le hashtag #JusticeForJohnnyDepp explose, accompagnant nombre de messages misogynes.
Si le procès entre Amber Heard et Johnny Depp n’est pas le premier procès surmédiatisé d’Hollywood, il prend une tournure particulière de par l’implication des internautes. « Ce que je trouve intéressant et inédit avec cette affaire, c’est que ça arrive à une culmination de plusieurs phénomènes web : un mélange bizarre de différentes communautés en ligne, d’enquêteurs du web… » indique Lucie Ronfaut, journaliste spécialisée en nouvelles technologies. Comme l’écrit la journaliste dans sa newsletter Règle 30, on retrouve dans ces créateurs de contenus un mélange de fans de Johnny Depp, de militant.e.s antiféministes et transphobes, d’enquêteurs du web et de fans d’affaires criminelles, ainsi que nombre d’opportunistes n’hésitant pas à surfer sur la polémique. Chaque argumentaire des deux parties est passé au peigne fin, de la marque de maquillage utilisée par Amber Heard pour cacher ses hématomes aux détails scabreux de violences sexuelles, en passant par l’attitude et la tenue des protagonistes pendant le procès. « L’un des principaux objectifs en partageant ces contenus, c’est d’exprimer son opinion et de persuader à coups d’émotions » indique Stéphanie Lukasik.
La responsabilité des plateformes
Au bout du compte, on a le sentiment, en tant qu’internaute, de ne pas pouvoir être simplement indifférent à cette affaire. Lucie Ronfaut titrait ainsi sa newsletter du 27 avril dernier Je ne veux pas voir Johnny Depp sur Tik Tok : « Il y a un côté où on est forcés de s’y intéresser, de par la recommandation algorithmique de Tik Tok, qui met en avant ce type de contenus plus que les autres. Cette For You Page (page d’accueil qui propose des vidéos en fonction des goûts et des ressemblances, NDLR), on ne sait pas trop comment elle fonctionne, mais je suppose que Tik Tok a deviné que les femmes de mon âge avaient un lien avec Johnny Depp d’une manière ou d’une autre. C’est un phénomène local qui devient ultra viral, complètement algorithmique », développe la journaliste.
Contrairement à d’autres plateformes, Tik Tok ne permet pas de mettre en silencieux un hashtag ou un sujet récurrent, potentiellement dérangeant pour certaines personnes. Tout le monde peut ainsi tomber sur des témoignages de violences sexuelles entre deux vidéos de chats. « Cela prouve aussi que tout est contenu et tout peut être contenu : ton chat, les manifestations au Capitole, les procès… On a pris tellement l’habitude de nous transformer nous-même en contenu, de se segmenter sur les réseaux sociaux, qu’on applique ce fonctionnement sur tout » ajoute Lucie Ronfaut. Quitte à traiter un procès comme une série télévisée, en prenant des outils de fan pour les appliquer dans une logique de viralité, venant nourrir une opinion. « Quand on parle de rabbit hole, c’est-à-dire cette spirale de contenus qu’on a du mal à maîtriser, ce n’est pas que sur l’extrême-droite, cela peut toucher plein de sujets. C’est très perturbant de voir des ados blaguer sur des violences conjugales », conclut Lucie Ronfaut.
En attendant la fin du procès, qui devrait se conclure dans quelques semaines, les réseaux sociaux vont continuer à s’emballer… questionnant notre voyeurisme et la force des algorithmes.
Read AgainC’est un procès très médiatisé et très people qui s’est ouvert dans l’État de Virginie, aux États-Unis, il y a quelques semaines. Aux origines de l’histoire, de multiples procès entre les deux ex-époux, Johnny Depp et Amber Heard, depuis leur divorce en 2017, où cette dernière l’accusait de violences verbales et physiques sous l’emprise de drogue et d’alcool. En 2018, l’actrice signe une tribune dans The Washington Post, où, sans citer son ex-conjoint, elle indique être devenue une « figure publique représentant les violences conjugales » : c’est sur cette déclaration que Johnny Depp a porté plainte pour diffamation, réclamant 50 millions de dollars à son ex-femme. Laquelle a engagé une contre-poursuite, pour 100 millions de dollars, l’accusant d’une campagne de dénigrement.
Ce procès très médiatique fondé sur des questions d’atteinte à la réputation est, comme un symbole, filmé et retransmis en direct par Court TV, une chaîne spécialisée dans les domaines de police-justice, ambiance cour de justice et enquêtes criminelles. Une retransmission qui se déroule également sur les réseaux sociaux, YouTube, Twitter et Tik Tok en tête, où des résumés sont présentés et analysés après chaque jour d’audience. Un procès de stars, mais surtout de preuves : à coups de photos, vidéos, textos et enregistrements sonores, les deux parties en viennent à parler de leur relation dans ce qu’elle a de plus intime, de leurs relations sexuelles à leurs échanges privés.
Campagne de misogynie
Stéphanie Lukasik, docteure en sciences de l’information et de la communication, n’est pas étonnée de l’attrait des réseaux sociaux pour ce procès : « C’est dans la continuité d’un nouvel écosystème informationnel, dans lequel les réseaux sociaux deviennent les principaux canaux d’informations » indique-t-elle. C’est plus particulièrement sur Tik Tok que l’on retrouve la majorité de ces contenus liés au procès : commentaires des déclarations de l’un ou de l’autre, montages d’extraits vidéos sur une musique dramatique, analyses complotistes pour prouver les mensonges d’Amber Heard, témoignages émus de fans sur la tristesse de Johnny Depp… A ce stade du procès, Internet semble en grande majorité avoir pris parti : Amber Heard serait une menteuse, et Johnny Depp une victime. « On passe d’un tribunal de justice à un tribunal socio-numérique, car on sait que les réseaux sociaux ont tendance à exacerber la polarisation des opinions » ajoute Stéphanie Lukasik. Sur Twitter, le hashtag #JusticeForJohnnyDepp explose, accompagnant nombre de messages misogynes.
Si le procès entre Amber Heard et Johnny Depp n’est pas le premier procès surmédiatisé d’Hollywood, il prend une tournure particulière de par l’implication des internautes. « Ce que je trouve intéressant et inédit avec cette affaire, c’est que ça arrive à une culmination de plusieurs phénomènes web : un mélange bizarre de différentes communautés en ligne, d’enquêteurs du web… » indique Lucie Ronfaut, journaliste spécialisée en nouvelles technologies. Comme l’écrit la journaliste dans sa newsletter Règle 30, on retrouve dans ces créateurs de contenus un mélange de fans de Johnny Depp, de militant.e.s antiféministes et transphobes, d’enquêteurs du web et de fans d’affaires criminelles, ainsi que nombre d’opportunistes n’hésitant pas à surfer sur la polémique. Chaque argumentaire des deux parties est passé au peigne fin, de la marque de maquillage utilisée par Amber Heard pour cacher ses hématomes aux détails scabreux de violences sexuelles, en passant par l’attitude et la tenue des protagonistes pendant le procès. « L’un des principaux objectifs en partageant ces contenus, c’est d’exprimer son opinion et de persuader à coups d’émotions » indique Stéphanie Lukasik.
La responsabilité des plateformes
Au bout du compte, on a le sentiment, en tant qu’internaute, de ne pas pouvoir être simplement indifférent à cette affaire. Lucie Ronfaut titrait ainsi sa newsletter du 27 avril dernier Je ne veux pas voir Johnny Depp sur Tik Tok : « Il y a un côté où on est forcés de s’y intéresser, de par la recommandation algorithmique de Tik Tok, qui met en avant ce type de contenus plus que les autres. Cette For You Page (page d’accueil qui propose des vidéos en fonction des goûts et des ressemblances, NDLR), on ne sait pas trop comment elle fonctionne, mais je suppose que Tik Tok a deviné que les femmes de mon âge avaient un lien avec Johnny Depp d’une manière ou d’une autre. C’est un phénomène local qui devient ultra viral, complètement algorithmique », développe la journaliste.
Contrairement à d’autres plateformes, Tik Tok ne permet pas de mettre en silencieux un hashtag ou un sujet récurrent, potentiellement dérangeant pour certaines personnes. Tout le monde peut ainsi tomber sur des témoignages de violences sexuelles entre deux vidéos de chats. « Cela prouve aussi que tout est contenu et tout peut être contenu : ton chat, les manifestations au Capitole, les procès… On a pris tellement l’habitude de nous transformer nous-même en contenu, de se segmenter sur les réseaux sociaux, qu’on applique ce fonctionnement sur tout » ajoute Lucie Ronfaut. Quitte à traiter un procès comme une série télévisée, en prenant des outils de fan pour les appliquer dans une logique de viralité, venant nourrir une opinion. « Quand on parle de rabbit hole, c’est-à-dire cette spirale de contenus qu’on a du mal à maîtriser, ce n’est pas que sur l’extrême-droite, cela peut toucher plein de sujets. C’est très perturbant de voir des ados blaguer sur des violences conjugales », conclut Lucie Ronfaut.
En attendant la fin du procès, qui devrait se conclure dans quelques semaines, les réseaux sociaux vont continuer à s’emballer… questionnant notre voyeurisme et la force des algorithmes.
Bagikan Berita Ini
0 Response to "Entre voyeurisme et misogynie, les réseaux sociaux s'emparent du procès Depp-Heard - 20 Minutes"
Post a Comment