Les sites de paris en ligne l’annonçaient parmi les favoris depuis quelques jours. Ils avaient raison : Annie Ernaux s’est vu décerner le prix Nobel de littérature 2022, jeudi 6 octobre. Ils ont ainsi couronné la carrière de l’autrice des Années (Gallimard, 2008), née en 1940.
BREAKING NEWS: The 2022 #NobelPrize in Literature is awarded to the French author Annie Ernaux “for the courage an… https://t.co/EavRKScUVm
— NobelPrize (@The Nobel Prize)
Annie Ernaux est le seizième écrivain français à recevoir, depuis 1901, la distinction dotée de 8 millions de couronnes (environ 740 000 euros), huit ans après Patrick Modiano, la première autrice française et la dix-septième femme – elle succède au romancier tanzanien Abdelrazak Gurnah, distingué en 2021.
« Je considère que c’est un très grand honneur qu’on me fait et, pour moi, en même temps, une grande responsabilité, une responsabilité qu’on me donne en me donnant le prix Nobel », a réagi la lauréate auprès de la télévision suédoise SVT. « C’est-à-dire de témoigner (…) d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde », a-t-elle ajouté.
L’écriture comme une exigence « qui ne peut laisser en repos »
Ce qui se voit ainsi mondialement célébré, c’est une œuvre qui ne pratique l’autobiographie (terme qu’elle récuse, cependant) que pour dire une histoire, des sensations, des émotions communes. Une œuvre admirable par sa constance, dont l’écriture a toujours été conçue par son autrice comme une exigence « qui ne peut laisser en repos », s’attachant phrase après phrase, livre après livre, à tenter d’élucider le réel, à accéder à la compréhension et à l’expression d’une vérité sur l’existence autrement inaccessibles.
Tel est le pouvoir fondamental qu’Annie Ernaux attribue à cet exercice, situé, selon celle qui a toujours accepté de commenter généreusement son travail au cours d’entretiens, « entre la littérature, la sociologie et l’histoire ».
Le refus de la joliesse
Des Armoires vides (Gallimard, 1974) à Mémoire de fille (Gallimard, 2016), en passant par La Place, et L’Evénement (Gallimard, 1983 et 2000) ou encore Regarde les lumières, mon amour (Seuil, 2014), l’écrivaine, engagée à l’extrême gauche, a très largement contribué à faire évoluer la littérature française, et au-delà.
Elle a travaillé à bouleverser l’ordre littéraire comme elle voulait faire trembler l’ordre social, en écrivant de la même manière sur des objets « considérés comme indignes de la littérature », tels l’avortement, le RER, les supermarchés, et sur d’autres, tenus pour plus « nobles » – le temps, la mémoire, l’oubli. En refusant, aussi, une vision ornementale de la phrase, pour lui préférer une forme de netteté et de sécheresse – une « écriture plate » qui témoigne de sa méfiance à l’égard des joliesses du langage et des formes de domination que celles-ci exercent et reproduisent.
Une transfuge de classe
Entamée il y a quarante-huit ans, l’œuvre d’Annie Ernaux, intensément liée à sa vie, s’inscrit de plain-pied dans son temps. Le chercheur, essayiste et critique Dominique Viart note, dans Annie Ernaux : le temps et la mémoire (Stock, 2014), qu’elle est « au cœur des préoccupations de ces dernières décennies. Elle est attentive aussi bien aux grandes problématiques sociales – différence de classes, distinction socioculturelle, revendications féminines… – qu’aux catégories que l’art ou la pensée ont récemment portées à l’avant-scène – questions de la mémoire et du quotidien, de l’héritage et de la filiation. Profondément impliquée dans la discussion de phénomènes littéraires aussi décisifs que le retour du sujet et de l’autofiction, elle participe aux débats que la littérature entretient désormais avec les sciences humaines ».
La native de Lillebonne (Seine-Maritime) a grandi dans le café-épicerie de ses parents à Yvetot, ce qui lui a permis d’être traversée, très tôt, « par toutes sortes de conversations et de langages », de prendre conscience des hiérarchies sociales, même les plus subtiles, des formes de domination les plus infimes. Son accession, à travers ses études (qui l’ont amenée à devenir professeur agrégée de français) et son mariage, à un monde plus bourgeois, font d’elle une « transfuge de classe », et c’est dans cet écart, cette tension nourrie de culpabilité, de honte, de regret, de tendresse, aussi, que naît l’écriture.
« Les Années », son chef-d’œuvre
Le dernier livre d’Annie Ernaux est paru en France cette année : il s’agit du Jeune Homme (Gallimard). Très lue et admirée dans son pays par la critique comme par le public, sujet de nombreuses thèses, l’écrivaine a probablement été rendue « nobélisable » par la traduction en langue anglaise, en 2018, dix ans après sa parution initiale, de ce qui est tenu pour son chef-d’œuvre : Les Années. Ce texte s’ouvre sur une certitude : « Toutes les images disparaîtront », et s’achève par un espoir d’écrivaine : « Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais. »
Entre les deux se raconte, sur le mode distancié et impersonnel de la troisième personne, une vie, celle d’Ernaux, avec, en toile de fond, l’évolution du monde au fil des ans. Glissant du « elle » au « on », au « nous », ce livre, dont le titre de travail était « Roman total », est un texte magistral sur la mémoire individuelle et la mémoire collective, ce qui nous fait individus et générations, classes… Qui l’a lu ne peut s’étonner du choix de l’académie suédoise.
Les sites de paris en ligne l’annonçaient parmi les favoris depuis quelques jours. Ils avaient raison : Annie Ernaux s’est vu décerner le prix Nobel de littérature 2022, jeudi 6 octobre. Ils ont ainsi couronné la carrière de l’autrice des Années (Gallimard, 2008), née en 1940.
BREAKING NEWS: The 2022 #NobelPrize in Literature is awarded to the French author Annie Ernaux “for the courage an… https://t.co/EavRKScUVm
— NobelPrize (@The Nobel Prize)
Annie Ernaux est le seizième écrivain français à recevoir, depuis 1901, la distinction dotée de 8 millions de couronnes (environ 740 000 euros), huit ans après Patrick Modiano, la première autrice française et la dix-septième femme – elle succède au romancier tanzanien Abdelrazak Gurnah, distingué en 2021.
« Je considère que c’est un très grand honneur qu’on me fait et, pour moi, en même temps, une grande responsabilité, une responsabilité qu’on me donne en me donnant le prix Nobel », a réagi la lauréate auprès de la télévision suédoise SVT. « C’est-à-dire de témoigner (…) d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde », a-t-elle ajouté.
L’écriture comme une exigence « qui ne peut laisser en repos »
Ce qui se voit ainsi mondialement célébré, c’est une œuvre qui ne pratique l’autobiographie (terme qu’elle récuse, cependant) que pour dire une histoire, des sensations, des émotions communes. Une œuvre admirable par sa constance, dont l’écriture a toujours été conçue par son autrice comme une exigence « qui ne peut laisser en repos », s’attachant phrase après phrase, livre après livre, à tenter d’élucider le réel, à accéder à la compréhension et à l’expression d’une vérité sur l’existence autrement inaccessibles.
Tel est le pouvoir fondamental qu’Annie Ernaux attribue à cet exercice, situé, selon celle qui a toujours accepté de commenter généreusement son travail au cours d’entretiens, « entre la littérature, la sociologie et l’histoire ».
Le refus de la joliesse
Des Armoires vides (Gallimard, 1974) à Mémoire de fille (Gallimard, 2016), en passant par La Place, et L’Evénement (Gallimard, 1983 et 2000) ou encore Regarde les lumières, mon amour (Seuil, 2014), l’écrivaine, engagée à l’extrême gauche, a très largement contribué à faire évoluer la littérature française, et au-delà.
Elle a travaillé à bouleverser l’ordre littéraire comme elle voulait faire trembler l’ordre social, en écrivant de la même manière sur des objets « considérés comme indignes de la littérature », tels l’avortement, le RER, les supermarchés, et sur d’autres, tenus pour plus « nobles » – le temps, la mémoire, l’oubli. En refusant, aussi, une vision ornementale de la phrase, pour lui préférer une forme de netteté et de sécheresse – une « écriture plate » qui témoigne de sa méfiance à l’égard des joliesses du langage et des formes de domination que celles-ci exercent et reproduisent.
Une transfuge de classe
Entamée il y a quarante-huit ans, l’œuvre d’Annie Ernaux, intensément liée à sa vie, s’inscrit de plain-pied dans son temps. Le chercheur, essayiste et critique Dominique Viart note, dans Annie Ernaux : le temps et la mémoire (Stock, 2014), qu’elle est « au cœur des préoccupations de ces dernières décennies. Elle est attentive aussi bien aux grandes problématiques sociales – différence de classes, distinction socioculturelle, revendications féminines… – qu’aux catégories que l’art ou la pensée ont récemment portées à l’avant-scène – questions de la mémoire et du quotidien, de l’héritage et de la filiation. Profondément impliquée dans la discussion de phénomènes littéraires aussi décisifs que le retour du sujet et de l’autofiction, elle participe aux débats que la littérature entretient désormais avec les sciences humaines ».
La native de Lillebonne (Seine-Maritime) a grandi dans le café-épicerie de ses parents à Yvetot, ce qui lui a permis d’être traversée, très tôt, « par toutes sortes de conversations et de langages », de prendre conscience des hiérarchies sociales, même les plus subtiles, des formes de domination les plus infimes. Son accession, à travers ses études (qui l’ont amenée à devenir professeur agrégée de français) et son mariage, à un monde plus bourgeois, font d’elle une « transfuge de classe », et c’est dans cet écart, cette tension nourrie de culpabilité, de honte, de regret, de tendresse, aussi, que naît l’écriture.
« Les Années », son chef-d’œuvre
Le dernier livre d’Annie Ernaux est paru en France cette année : il s’agit du Jeune Homme (Gallimard). Très lue et admirée dans son pays par la critique comme par le public, sujet de nombreuses thèses, l’écrivaine a probablement été rendue « nobélisable » par la traduction en langue anglaise, en 2018, dix ans après sa parution initiale, de ce qui est tenu pour son chef-d’œuvre : Les Années. Ce texte s’ouvre sur une certitude : « Toutes les images disparaîtront », et s’achève par un espoir d’écrivaine : « Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais. »
Entre les deux se raconte, sur le mode distancié et impersonnel de la troisième personne, une vie, celle d’Ernaux, avec, en toile de fond, l’évolution du monde au fil des ans. Glissant du « elle » au « on », au « nous », ce livre, dont le titre de travail était « Roman total », est un texte magistral sur la mémoire individuelle et la mémoire collective, ce qui nous fait individus et générations, classes… Qui l’a lu ne peut s’étonner du choix de l’académie suédoise.
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