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« Le Lycéen » : le réalisateur Christophe Honoré fait de l'éducation sentimentale un remède à la mort - Le Monde

De gauche à droite : Lucas Ronis (Paul Kircher), Quentin Ronis (Vincent Lacoste) et Lilio Rosso (Erwan Kepoa Falé), dans « Le Lycéen », de Christophe Honoré.

Aux Etats-Unis, on appelle cela une « coming of age story », en France, un roman de formation, dont Goethe a fixé le canon, en 1796, avec Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister. Un succès non démenti a accueilli les hectolitres de romans, puis de films, qui se sont coulés depuis dans le genre, des plus tocards aux plus sentis. On aime toujours voir, comprendre, sentir ce qu’on a immanquablement manqué de voir, de comprendre et de sentir quand on l’a soi-même vécu. Ce fin moment de bascule entre l’enfance et la maturité qu’on appelle l’adolescence, ce passage insensible et secret où l’on ne sait pas encore que ce que l’on croit avoir gagné n’est que la conscience de notre propre perte. Ce pourquoi l’adolescence est elle-même une perte, sans doute la plus merveilleuse d’entre toutes, en ce qu’elle nous émancipe d’à peu près tout ce que la raison nous dicte de faire et de penser.

Le grand privilège des créateurs qui s’essaient au genre est de pouvoir, explicitement ou non, donner forme à ce moment de leur propre vie. Une sorte de seconde chance qui nous est à tous refusée, mais où il s’agit pour eux, redoutable défi, de ne pas rater l’évocation d’un si lointain soi-même. Avec Le Lycéen, Christophe Honoré a trouvé cette alchimie complexe qui dispense tout à la fois la naïveté et la profondeur, la force et la fragilité, propres à ce passage. Il le doit, bien sûr, à son talent, mais aussi à son jeune acteur, Paul Kircher, qui possède, sans se forcer et à un degré suprêmement cinégénique, ces vertus. Kircher ou la rencontre d’Oliver Twist et de Mick Jagger.

Tout commence à la montagne, dans la confusion d’un récit post-traumatique, énoncé face caméra par le personnage principal, qui ponctuera tout le film. Une mère (Juliette Binoche) enseignante ; un père (Christophe Honoré) prothésiste dentaire. Lucas (Paul Kircher), leur fils, vient d’apprendre qu’il devra désormais vivre sans ce dernier. Ultime souvenir d’une balade, sombrement annonciatrice, avec lui. En voiture sur la route. La sollicitude inquiète du père, l’insouciance rieuse du fils. Beaucoup de tendresse réciproque dans le ton, dans les regards. Le père qui se confie soudain, sur sa propre vie, sur les choix différents qui auraient pu être les siens s’il ne s’était pas laissé aller au lycée. Et puis, une berline qui les double sans visibilité, une autre voiture qui débouche en face et qui l’oblige à se rabattre, contraignant le père à la sortie de route. Ce geste de protection avec le bras sur le torse de son fils, puis l’embourbement dans ce qui n’est, par chance, qu’une friche dépourvue du moindre obstacle.

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Le grand privilège des créateurs qui s’essaient au genre est de pouvoir, explicitement ou non, donner forme à ce moment de leur propre vie. Une sorte de seconde chance qui nous est à tous refusée, mais où il s’agit pour eux, redoutable défi, de ne pas rater l’évocation d’un si lointain soi-même. Avec Le Lycéen, Christophe Honoré a trouvé cette alchimie complexe qui dispense tout à la fois la naïveté et la profondeur, la force et la fragilité, propres à ce passage. Il le doit, bien sûr, à son talent, mais aussi à son jeune acteur, Paul Kircher, qui possède, sans se forcer et à un degré suprêmement cinégénique, ces vertus. Kircher ou la rencontre d’Oliver Twist et de Mick Jagger.

Tout commence à la montagne, dans la confusion d’un récit post-traumatique, énoncé face caméra par le personnage principal, qui ponctuera tout le film. Une mère (Juliette Binoche) enseignante ; un père (Christophe Honoré) prothésiste dentaire. Lucas (Paul Kircher), leur fils, vient d’apprendre qu’il devra désormais vivre sans ce dernier. Ultime souvenir d’une balade, sombrement annonciatrice, avec lui. En voiture sur la route. La sollicitude inquiète du père, l’insouciance rieuse du fils. Beaucoup de tendresse réciproque dans le ton, dans les regards. Le père qui se confie soudain, sur sa propre vie, sur les choix différents qui auraient pu être les siens s’il ne s’était pas laissé aller au lycée. Et puis, une berline qui les double sans visibilité, une autre voiture qui débouche en face et qui l’oblige à se rabattre, contraignant le père à la sortie de route. Ce geste de protection avec le bras sur le torse de son fils, puis l’embourbement dans ce qui n’est, par chance, qu’une friche dépourvue du moindre obstacle.

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