© Prod / France Télévisions
Reconstitution de l’audition d’un enfant dans la série documentaire « L’Affaire d’Outreau », sur France 2 (2023).
JUSTICE - Vingt ans plus tard, France Télévisions a choisi de revenir sur L’Affaire d’Outreau, scandale judiciaire qui dépasse le fait divers et continue de hanter notre mémoire collective. En quatre épisodes, dont les deux premiers sont diffusés ce mardi 17 janvier, France 2 retrace cet incroyable fiasco. Le HuffPost a choisi de s’interroger sur les conséquences d’Outreau sur le recueil de la parole des enfants victimes de violences sexuelles.
Il faut revenir au 1er décembre 2005. La cour d’appel de Paris procède aux derniers acquittements de l’affaire d’Outreau. Il aura fallu quatre années de procédure et deux procès pour arriver à cette conclusion : au total, douze enfants sont reconnus victimes d’agressions sexuelles, quatre personnes reconnues coupables, et treize personnes innocentées après avoir passé trois ans en prison.
« Ce qui est horriblement dramatique, c’est qu’outre les majeurs qui ont été accusés à tort et dont la vie a été détruite, il y a des enfants qui ont bien été victimes, rappelle Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l’Université Paris Nanterre. Une réforme de la procédure pénale a été introduite peu de temps après, qui était complètement axée sur la protection de la présomption d’innocence. Et pas sur le volet des enfants. »
« Un cumul d’incompétents »
Gilles Antonowicz, avocat ayant écrit plusieurs livres sur l’affaire d’Outreau – dont le dernier, Outreau, histoire d’un désastre, est sorti le 11 janvier 2023 – a été consultant pour la série de France 2. Pour lui, « toute la difficulté, c’est de montrer que les enfants n’ont rien inventé et que dans le même temps, que cela ne porte nullement atteinte au fait que les personnes qui ont été acquittées l’ont été à juste titre. »
Contrairement à ce qui a été beaucoup entendu, aucune « sacralisation » de la parole des enfants n’a eu lieu lors de l’enquête sur Outreau, selon les experts interrogés. « C’est du baratin, soutient Ernestine Ronai, membre de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE). Il y avait et il y a toujours une difficulté à croire les enfants, c’est ça notre problème. »
Pour les professionnels interrogés, ce qui a mené au fiasco de l’affaire d’Outreau, c’est surtout « un cumul d’incompétents ». « Dans la pratique, il y a des bons et des mauvais professionnels. C’est ça, l’histoire, souligne Gilles Antonowicz. Si l’on compte le nombre de fois où ces enfants ont été entendus, c’est affolant. C’est une banalité, ce que je dis, mais ce sont les hommes qui ont failli. »
Une scène où tous les enfants sont convoqués le même jour au commissariat est reconstituée de manière assez réaliste dans le documentaire de France 2. « Les mineurs sont au commissariat et on convoque je ne sais combien de personnes, raconte Audrey Darsonville. Et à chaque fois qu’une personne entre dans la pièce, les enfants disent ‘lui aussi, il m’a violé’. On voit bien qu’il n’y a plus de sens dans rien. Il y a une espèce de chaîne d’erreurs qui est assez saisissante. Et personne ne met un stop. »
Des progrès significatifs
Si l’affaire d’Outreau aura des conséquences à l’égard de la crédibilité de la parole des enfants chez certains juges ou membres des forces de l’ordre, des progrès significatifs ont néanmoins été faits depuis vingt ans dans la manière de la recueillir et de l’appréhender.
« Le point de bascule s’est fait il y a une dizaine d’années, quand on a commencé à s’intéresser au recueil de la parole de l’enfant victime, avec beaucoup de nouvelles procédures, dans la police et la gendarmerie, relate Audrey Darsonville. Dans les dispositifs législatifs, il y a eu des avancées, comme le fait d’enregistrer les dépositions de mineurs pour ne pas avoir à répéter sans cesse les mêmes propos. »
Pour Gilles Antonowicz, l’enregistrement vidéo est une avancée significative. « Ça évite la répétition et surtout, ça évite de permettre au policier ou au gendarme qui interroge de faire son interprétation personnelle du hochement de tête d’un enfant, par exemple », explique-t-il. Depuis octobre 2009, des Unités départementales de protection de la famille sont spécialisées pour recevoir les plaintes de mineurs victimes de violences sexuelles dans certains commissariats.
« Au niveau local, des groupes de protection de la famille ont été également déployés, explique Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale. Dans les petits commissariats, il y a l’obligation d’avoir au moins un référent protection de la famille, formé spécifiquement au recueil de la parole de l’enfant. » Selon la porte-parole, il existe aujourd’hui environ 150 unités départementales et groupes de protection de la famille.
Enregistrements vidéo et « salles Mélanie »
Certains professionnels, notamment les forces de l’ordre, sont formés au « protocole d’audition du NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) », créé aux États-Unis et importé du Canada. « Il est très bien étudié pour favoriser la parole des enfants, souligne Ernestine Ronai, de la CIIVISE. Il existe aussi des salles spécialisées pour recueillir cette parole. »
Depuis 1998 des « salles Mélanie », inspirées du Québec, ont ainsi été créées pour faciliter l’audition des mineurs victimes. Elles sont spécialement aménagées et composées de mobilier, de jouets et de matériels pédagogiques facilitant le confort, la mise en confiance et par conséquent l’expression de l’enfant.
En 2020, il en existait une trentaine. Depuis le plan de financement 2021-2022, trente salles supplémentaires ont été créées. « Il n’y a pas des ’salles Mélanie’ partout : par exemple, en Seine-Saint-Denis, il n’y en a pas, regrette Ernestine Ronai, de la CIIVISE. On voit bien qu’il y a encore des progrès à faire. Mais il y a eu une prise de conscience sur le fait que pour recueillir la parole des enfants, il faut être spécialisé et formé. »
« Une vraie attente sociétale sur ces questions »
Il existe d’autres marges de progression. « Il faut que le nombre de gendarmes et de policiers formés soit plus nombreux et qu’il y ait des prises en charges des enfants en psycho trauma, pour qu’ils soient entendus, protégés et soignés », réclame Ernestine Ronai.
Un constat que fait également la professeure de droit Audrey Darsonville. « Mais les mouvements comme #MeTooInceste ont beaucoup aidé la prise en considération de ces questions par les professionnels, estime-t-elle. Ça a sensibilisé sur l’ampleur systémique de la réalité des violences sexuelles. Sur l’inceste, c’est assez récent. »
« Il y a une vraie attente sociétale sur ces questions, à laquelle nous, service public, nous avons le devoir de répondre », confirme Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale. « Il faut avoir les moyens humains de répondre à toutes les demandes, de poser les bonnes questions, de bien comprendre les réponses et surtout de ne pas travestir ce qui vous est dit, résume Gilles Antonowicz. Ensuite, ne prennent conscience que ceux qui veulent prendre conscience. »
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Reconstitution de l’audition d’un enfant dans la série documentaire « L’Affaire d’Outreau », sur France 2 (2023).
JUSTICE - Vingt ans plus tard, France Télévisions a choisi de revenir sur L’Affaire d’Outreau, scandale judiciaire qui dépasse le fait divers et continue de hanter notre mémoire collective. En quatre épisodes, dont les deux premiers sont diffusés ce mardi 17 janvier, France 2 retrace cet incroyable fiasco. Le HuffPost a choisi de s’interroger sur les conséquences d’Outreau sur le recueil de la parole des enfants victimes de violences sexuelles.
Il faut revenir au 1er décembre 2005. La cour d’appel de Paris procède aux derniers acquittements de l’affaire d’Outreau. Il aura fallu quatre années de procédure et deux procès pour arriver à cette conclusion : au total, douze enfants sont reconnus victimes d’agressions sexuelles, quatre personnes reconnues coupables, et treize personnes innocentées après avoir passé trois ans en prison.
« Ce qui est horriblement dramatique, c’est qu’outre les majeurs qui ont été accusés à tort et dont la vie a été détruite, il y a des enfants qui ont bien été victimes, rappelle Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l’Université Paris Nanterre. Une réforme de la procédure pénale a été introduite peu de temps après, qui était complètement axée sur la protection de la présomption d’innocence. Et pas sur le volet des enfants. »
« Un cumul d’incompétents »
Gilles Antonowicz, avocat ayant écrit plusieurs livres sur l’affaire d’Outreau – dont le dernier, Outreau, histoire d’un désastre, est sorti le 11 janvier 2023 – a été consultant pour la série de France 2. Pour lui, « toute la difficulté, c’est de montrer que les enfants n’ont rien inventé et que dans le même temps, que cela ne porte nullement atteinte au fait que les personnes qui ont été acquittées l’ont été à juste titre. »
Contrairement à ce qui a été beaucoup entendu, aucune « sacralisation » de la parole des enfants n’a eu lieu lors de l’enquête sur Outreau, selon les experts interrogés. « C’est du baratin, soutient Ernestine Ronai, membre de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE). Il y avait et il y a toujours une difficulté à croire les enfants, c’est ça notre problème. »
Pour les professionnels interrogés, ce qui a mené au fiasco de l’affaire d’Outreau, c’est surtout « un cumul d’incompétents ». « Dans la pratique, il y a des bons et des mauvais professionnels. C’est ça, l’histoire, souligne Gilles Antonowicz. Si l’on compte le nombre de fois où ces enfants ont été entendus, c’est affolant. C’est une banalité, ce que je dis, mais ce sont les hommes qui ont failli. »
Une scène où tous les enfants sont convoqués le même jour au commissariat est reconstituée de manière assez réaliste dans le documentaire de France 2. « Les mineurs sont au commissariat et on convoque je ne sais combien de personnes, raconte Audrey Darsonville. Et à chaque fois qu’une personne entre dans la pièce, les enfants disent ‘lui aussi, il m’a violé’. On voit bien qu’il n’y a plus de sens dans rien. Il y a une espèce de chaîne d’erreurs qui est assez saisissante. Et personne ne met un stop. »
Des progrès significatifs
Si l’affaire d’Outreau aura des conséquences à l’égard de la crédibilité de la parole des enfants chez certains juges ou membres des forces de l’ordre, des progrès significatifs ont néanmoins été faits depuis vingt ans dans la manière de la recueillir et de l’appréhender.
« Le point de bascule s’est fait il y a une dizaine d’années, quand on a commencé à s’intéresser au recueil de la parole de l’enfant victime, avec beaucoup de nouvelles procédures, dans la police et la gendarmerie, relate Audrey Darsonville. Dans les dispositifs législatifs, il y a eu des avancées, comme le fait d’enregistrer les dépositions de mineurs pour ne pas avoir à répéter sans cesse les mêmes propos. »
Pour Gilles Antonowicz, l’enregistrement vidéo est une avancée significative. « Ça évite la répétition et surtout, ça évite de permettre au policier ou au gendarme qui interroge de faire son interprétation personnelle du hochement de tête d’un enfant, par exemple », explique-t-il. Depuis octobre 2009, des Unités départementales de protection de la famille sont spécialisées pour recevoir les plaintes de mineurs victimes de violences sexuelles dans certains commissariats.
« Au niveau local, des groupes de protection de la famille ont été également déployés, explique Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale. Dans les petits commissariats, il y a l’obligation d’avoir au moins un référent protection de la famille, formé spécifiquement au recueil de la parole de l’enfant. » Selon la porte-parole, il existe aujourd’hui environ 150 unités départementales et groupes de protection de la famille.
Enregistrements vidéo et « salles Mélanie »
Certains professionnels, notamment les forces de l’ordre, sont formés au « protocole d’audition du NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) », créé aux États-Unis et importé du Canada. « Il est très bien étudié pour favoriser la parole des enfants, souligne Ernestine Ronai, de la CIIVISE. Il existe aussi des salles spécialisées pour recueillir cette parole. »
Depuis 1998 des « salles Mélanie », inspirées du Québec, ont ainsi été créées pour faciliter l’audition des mineurs victimes. Elles sont spécialement aménagées et composées de mobilier, de jouets et de matériels pédagogiques facilitant le confort, la mise en confiance et par conséquent l’expression de l’enfant.
En 2020, il en existait une trentaine. Depuis le plan de financement 2021-2022, trente salles supplémentaires ont été créées. « Il n’y a pas des ’salles Mélanie’ partout : par exemple, en Seine-Saint-Denis, il n’y en a pas, regrette Ernestine Ronai, de la CIIVISE. On voit bien qu’il y a encore des progrès à faire. Mais il y a eu une prise de conscience sur le fait que pour recueillir la parole des enfants, il faut être spécialisé et formé. »
« Une vraie attente sociétale sur ces questions »
Il existe d’autres marges de progression. « Il faut que le nombre de gendarmes et de policiers formés soit plus nombreux et qu’il y ait des prises en charges des enfants en psycho trauma, pour qu’ils soient entendus, protégés et soignés », réclame Ernestine Ronai.
Un constat que fait également la professeure de droit Audrey Darsonville. « Mais les mouvements comme #MeTooInceste ont beaucoup aidé la prise en considération de ces questions par les professionnels, estime-t-elle. Ça a sensibilisé sur l’ampleur systémique de la réalité des violences sexuelles. Sur l’inceste, c’est assez récent. »
« Il y a une vraie attente sociétale sur ces questions, à laquelle nous, service public, nous avons le devoir de répondre », confirme Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale. « Il faut avoir les moyens humains de répondre à toutes les demandes, de poser les bonnes questions, de bien comprendre les réponses et surtout de ne pas travestir ce qui vous est dit, résume Gilles Antonowicz. Ensuite, ne prennent conscience que ceux qui veulent prendre conscience. »
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