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« Goutte d'or », de Clément Cogitore : le mage escroc, les morts consolants et les jeunes sauvages - Le Monde

Ramsès (Karim Leklou), dans « Goutte d’or », de Clément Cogitore.

Deuxième long-métrage de fiction de Clément Cogitore, plasticien et cinéaste, qui ne cesse depuis le début de ses activités polymorphes de surprendre son monde. Il suffit de citer en exemple le carton déclenché par sa mise en scène, en 2019, à l’Opéra de Paris, des Indes galantes, rencontre improbable entre le sublime ballet héroïque de Jean-Philippe Rameau, son orientalisme en toc et son esprit Louis XV, et le gang d’une trentaine de danseurs urbains invoquant le krump des ghettos noirs de Los Angeles pour lui retourner le compliment et le danser farouchement.

Rien de mieux que cet étincelant succès pour dire que la dialectique casse bien des briques chez Cogitore, par le biais d’un frottement continu entre sauvagerie et civilisation, magie et rationalité. Pour preuve, l’excellent Goutte d’or qu’il nous livre aujourd’hui, sis dans le populaire quartier parisien du même nom, ultime bastion sans doute d’une certaine « sauvagerie » à l’œuvre dans la ville policée, quadrillée et mise au pas qu’est devenu le Paris de François Villon, de Georges Danton et de Jules Vallès.

Ramsès (Karim Leklou), qui n’a de pharaonique que le nom, y est un petit escroc assez doué qui étend le royaume de la voyance dans le quartier, avec un sens certain du cérémonial. Appartement calfeutré par d’épaisses tentures. Assistante asiatique inspirée. Eclairage aux chandelles. Dépouillement des visiteurs de leurs effets – à cause des « ondes » –, laissés seuls dans une pièce avec la photographie d’un proche à la main, généralement décédé, que le « mage », discrètement apparu, se chargera, yeux fermés, de faire parler.

Dévoilement de la supercherie

Deux choses déjà remarquables dans cette première partie du film. Karim Leklou, tout d’abord – 40 ans, dix de seconds rôles –, dont on croit pouvoir dire qu’il atteint ici quelque chose qui est de l’ordre de l’épiphanie actorale. Calme et rage. Authenticité et manipulation. Intrépidité et effroi. Portant l’ambiguïté de son personnage avec une impressionnante labilité expressive, qui rappelle lointainement le Peter Lorre de M le maudit (Fritz Lang, 1931).

Autre point fort, le progressif dévoilement de la supercherie, à travers la reprise de plusieurs scènes apparentées, dont l’envers du décor nous est peu à peu révélé. Confiscation des téléphones. Relevé visuel du code par un complice, disposé dans la salle d’attente. Consultation rapide de l’appareil pour y relever, à travers mails et galerie photos, les détails essentiels qui feront accroire au client l’extralucidité du mage. En version publique, puisque aussi bien Ramsès officie aussi collectivement, même topo, mais avec le complice en coulisses divulguant les informations par oreillette. Une expérience spectatorielle passionnante se déduit de ce découpage : on n’y croit pas moins averti que non averti.

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Ramsès (Karim Leklou), dans « Goutte d’or », de Clément Cogitore.

Deuxième long-métrage de fiction de Clément Cogitore, plasticien et cinéaste, qui ne cesse depuis le début de ses activités polymorphes de surprendre son monde. Il suffit de citer en exemple le carton déclenché par sa mise en scène, en 2019, à l’Opéra de Paris, des Indes galantes, rencontre improbable entre le sublime ballet héroïque de Jean-Philippe Rameau, son orientalisme en toc et son esprit Louis XV, et le gang d’une trentaine de danseurs urbains invoquant le krump des ghettos noirs de Los Angeles pour lui retourner le compliment et le danser farouchement.

Rien de mieux que cet étincelant succès pour dire que la dialectique casse bien des briques chez Cogitore, par le biais d’un frottement continu entre sauvagerie et civilisation, magie et rationalité. Pour preuve, l’excellent Goutte d’or qu’il nous livre aujourd’hui, sis dans le populaire quartier parisien du même nom, ultime bastion sans doute d’une certaine « sauvagerie » à l’œuvre dans la ville policée, quadrillée et mise au pas qu’est devenu le Paris de François Villon, de Georges Danton et de Jules Vallès.

Ramsès (Karim Leklou), qui n’a de pharaonique que le nom, y est un petit escroc assez doué qui étend le royaume de la voyance dans le quartier, avec un sens certain du cérémonial. Appartement calfeutré par d’épaisses tentures. Assistante asiatique inspirée. Eclairage aux chandelles. Dépouillement des visiteurs de leurs effets – à cause des « ondes » –, laissés seuls dans une pièce avec la photographie d’un proche à la main, généralement décédé, que le « mage », discrètement apparu, se chargera, yeux fermés, de faire parler.

Dévoilement de la supercherie

Deux choses déjà remarquables dans cette première partie du film. Karim Leklou, tout d’abord – 40 ans, dix de seconds rôles –, dont on croit pouvoir dire qu’il atteint ici quelque chose qui est de l’ordre de l’épiphanie actorale. Calme et rage. Authenticité et manipulation. Intrépidité et effroi. Portant l’ambiguïté de son personnage avec une impressionnante labilité expressive, qui rappelle lointainement le Peter Lorre de M le maudit (Fritz Lang, 1931).

Autre point fort, le progressif dévoilement de la supercherie, à travers la reprise de plusieurs scènes apparentées, dont l’envers du décor nous est peu à peu révélé. Confiscation des téléphones. Relevé visuel du code par un complice, disposé dans la salle d’attente. Consultation rapide de l’appareil pour y relever, à travers mails et galerie photos, les détails essentiels qui feront accroire au client l’extralucidité du mage. En version publique, puisque aussi bien Ramsès officie aussi collectivement, même topo, mais avec le complice en coulisses divulguant les informations par oreillette. Une expérience spectatorielle passionnante se déduit de ce découpage : on n’y croit pas moins averti que non averti.

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