Chez James Mangold, la course d’endurance centenaire défile à toute berzingue. Des libertés narratives et un recours minimal aux effets numériques ont permis de condenser vingt-quatre heures de compétition en trente minutes explosives.
Publié le 11 juin 2023 à 18h55
Les 24 Heures du Mans ont eu 100 ans ce week-end, et l’édition de 1966 restera pour toujours l’une des plus marquantes de l’histoire. Non seulement une voiture américaine l’emportait pour la première fois, mais elles étaient trois, carrément, à franchir ensemble la ligne d’arrivée. Avec ce triplé, Ford gagnait son pari, insensé au départ, d’écraser Ferrari. James Mangold (Walk the Line, 3h10 pour Yuma et le prochain Indiana Jones) raconte dans Le Mans 66 comment Carroll Shelby, interprété par Matt Damon, a conçu ce petit bijou de Ford GT40, avec l’aide du pilote Ken Miles, joué par Christian Bale.
À l’image du dernier Top Gun, cette grosse production a été saluée pour son recours minimal aux procédés numériques. Alors qu’ils ont pris l’habitude de filmer des Marvel sur fond vert, les studios Disney ont accepté de mettre leurs ordinateurs en veille pour ce blockbuster-là, ne les rallumant que pour peaufiner les trois derniers quarts d’heure, au cours desquels la course des 24 Heures du Mans 1966 est condensée en trente minutes explosives.
Car si nous avons affaire à un spectacle hollywoodien « à l’ancienne », on reste bien à Hollywood. Sur le plan scénaristique d’abord : James Mangold s’est efforcé de fractionner la course en de multiples rivalités pour la dramatiser au maximum. À commencer, évidemment, par le match entre Ken Miles et Lorenzo Bandini. Il faut être attentif pour identifier ce « méchant », filmé de loin par petites touches. Car cet homme bronzé, très brun, qui ne se déride que pour lâcher un petit sourire en coin quand son adversaire a un problème, est une ombre, une menace, un Italien. S’ajoute le duel plus global entre Ford et Ferrari, dans les stands comme en tribune, où le grand Enzo, qui en réalité ne se rendait jamais sur les circuits, est bien présent. Enfin, le clan Ford est fracturé entre Matt Damon et l’un de ses supérieurs, qui ne peut pas pifer Ken Miles.
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L’autre point fondamental pour fabriquer un grand spectacle classique, c’est de dégager une figure héroïque, Ken Miles en l’occurrence. Première astuce : invisibiliser les autres pilotes. Il est le seul à être filmé dans sa voiture, et on serait bien incapable de dire quels acteurs interprètent ses coéquipiers Denny Hulme, Bruce McLaren et Chris Amon. Ajoutons qu’il est super fort. Et, surtout, qu’il est un excellent père de famille. Il y a donc les arrêts au stand mais aussi à la maison, où madame se ronge les ongles et le fiston garde les yeux rivés sur le poste de télé, murmurant des « Come on, dad » entre deux sauts de joie.
Enfin, le filmage de la course doit bien entendu captiver le spectateur. Avec l’idée de mettre le paquet sur le départ qui, c’est vrai, est en soi spectaculaire : à l’époque, les pilotes couraient jusqu’à leur voiture depuis l’autre côté de la piste. Mais pour ne pas attendre six ou sept heures qu’il se passe quelque chose, comme ça peut arriver sur une course de vingt-quatre heures, les scénaristes ont décidé que Ken Miles n’arriverait pas à fermer sa portière. Pas bête : il se passe tout de suite un truc, le pilote doit s’arrêter aux stands, puis l’on va suivre sa « remontada », sous une musique incessante. Dans le même temps, deux gros accidents envoient des voitures raser la sienne, ça ne mange pas de pain et ça permet d’utiliser, quand même, le savoir-faire Disney en matière d’effets spéciaux.
On est dans l’habitacle, au plus près de ce bon vieux Ken. Entre deux plans sur son visage, des coupes fulgurantes font défiler boîte de vitesses, pédales, tableau de bord, plans subjectifs (son regard) sur la piste ou dans le rétroviseur. À l’extérieur, des travellings arrière ou latéraux suivent sa voiture qui zigzague entre les autres, et si deux ou trois caméras fixes, au sol dans les virages, mangent la poussière, la priorité est au mouvement. Selon la logique suivante : sur la piste ou en dehors, la caméra est mobile si le plan excède les deux secondes (jusqu’au climax). Récompensés par des Oscars en 2020, les montages son et image donnent à l’ensemble une fluidité très efficace… même si, ultime dérèglement du réel, cette course d’endurance a l’air d’un sprint.
r Le Mans 66, de James Mangold, avec Matt Damon, Christian Bale. 2h32. Sur France 2 à 21h10.
Read AgainChez James Mangold, la course d’endurance centenaire défile à toute berzingue. Des libertés narratives et un recours minimal aux effets numériques ont permis de condenser vingt-quatre heures de compétition en trente minutes explosives.
Publié le 11 juin 2023 à 18h55
Les 24 Heures du Mans ont eu 100 ans ce week-end, et l’édition de 1966 restera pour toujours l’une des plus marquantes de l’histoire. Non seulement une voiture américaine l’emportait pour la première fois, mais elles étaient trois, carrément, à franchir ensemble la ligne d’arrivée. Avec ce triplé, Ford gagnait son pari, insensé au départ, d’écraser Ferrari. James Mangold (Walk the Line, 3h10 pour Yuma et le prochain Indiana Jones) raconte dans Le Mans 66 comment Carroll Shelby, interprété par Matt Damon, a conçu ce petit bijou de Ford GT40, avec l’aide du pilote Ken Miles, joué par Christian Bale.
À l’image du dernier Top Gun, cette grosse production a été saluée pour son recours minimal aux procédés numériques. Alors qu’ils ont pris l’habitude de filmer des Marvel sur fond vert, les studios Disney ont accepté de mettre leurs ordinateurs en veille pour ce blockbuster-là, ne les rallumant que pour peaufiner les trois derniers quarts d’heure, au cours desquels la course des 24 Heures du Mans 1966 est condensée en trente minutes explosives.
Car si nous avons affaire à un spectacle hollywoodien « à l’ancienne », on reste bien à Hollywood. Sur le plan scénaristique d’abord : James Mangold s’est efforcé de fractionner la course en de multiples rivalités pour la dramatiser au maximum. À commencer, évidemment, par le match entre Ken Miles et Lorenzo Bandini. Il faut être attentif pour identifier ce « méchant », filmé de loin par petites touches. Car cet homme bronzé, très brun, qui ne se déride que pour lâcher un petit sourire en coin quand son adversaire a un problème, est une ombre, une menace, un Italien. S’ajoute le duel plus global entre Ford et Ferrari, dans les stands comme en tribune, où le grand Enzo, qui en réalité ne se rendait jamais sur les circuits, est bien présent. Enfin, le clan Ford est fracturé entre Matt Damon et l’un de ses supérieurs, qui ne peut pas pifer Ken Miles.
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L’autre point fondamental pour fabriquer un grand spectacle classique, c’est de dégager une figure héroïque, Ken Miles en l’occurrence. Première astuce : invisibiliser les autres pilotes. Il est le seul à être filmé dans sa voiture, et on serait bien incapable de dire quels acteurs interprètent ses coéquipiers Denny Hulme, Bruce McLaren et Chris Amon. Ajoutons qu’il est super fort. Et, surtout, qu’il est un excellent père de famille. Il y a donc les arrêts au stand mais aussi à la maison, où madame se ronge les ongles et le fiston garde les yeux rivés sur le poste de télé, murmurant des « Come on, dad » entre deux sauts de joie.
Enfin, le filmage de la course doit bien entendu captiver le spectateur. Avec l’idée de mettre le paquet sur le départ qui, c’est vrai, est en soi spectaculaire : à l’époque, les pilotes couraient jusqu’à leur voiture depuis l’autre côté de la piste. Mais pour ne pas attendre six ou sept heures qu’il se passe quelque chose, comme ça peut arriver sur une course de vingt-quatre heures, les scénaristes ont décidé que Ken Miles n’arriverait pas à fermer sa portière. Pas bête : il se passe tout de suite un truc, le pilote doit s’arrêter aux stands, puis l’on va suivre sa « remontada », sous une musique incessante. Dans le même temps, deux gros accidents envoient des voitures raser la sienne, ça ne mange pas de pain et ça permet d’utiliser, quand même, le savoir-faire Disney en matière d’effets spéciaux.
On est dans l’habitacle, au plus près de ce bon vieux Ken. Entre deux plans sur son visage, des coupes fulgurantes font défiler boîte de vitesses, pédales, tableau de bord, plans subjectifs (son regard) sur la piste ou dans le rétroviseur. À l’extérieur, des travellings arrière ou latéraux suivent sa voiture qui zigzague entre les autres, et si deux ou trois caméras fixes, au sol dans les virages, mangent la poussière, la priorité est au mouvement. Selon la logique suivante : sur la piste ou en dehors, la caméra est mobile si le plan excède les deux secondes (jusqu’au climax). Récompensés par des Oscars en 2020, les montages son et image donnent à l’ensemble une fluidité très efficace… même si, ultime dérèglement du réel, cette course d’endurance a l’air d’un sprint.
r Le Mans 66, de James Mangold, avec Matt Damon, Christian Bale. 2h32. Sur France 2 à 21h10.
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