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Catherine Breillat, réalisatrice de « L'Eté dernier » : « Je n'ai jamais réussi à devenir adulte, ça m'ennuie trop » - Le Monde

La réalisatrice Catherine Breillat, au Festival de  Cannes, le 26 mai 2023.

Voilà dix ans qu’on n’avait plus de ses nouvelles. Cinéaste franc-tireuse, Catherine Breillat n’a rien perdu de sa rage, de son impétuosité, de son insatiable appétit de vérité. Elle revient sur L’Eté dernier, son dernier long-métrage, produit par Saïd Ben Saïd, une nouvelle histoire de passion vénéneuse sous l’éclat inquisiteur du soleil de midi.

Votre dernier film traite d’une relation incestueuse entre une femme d’âge mûr et son beau-fils. Mais on comprend que le sujet est ailleurs…

C’est plus complexe, il s’agit du vertige. Le personnage d’Anne, joué par Léa Drucker, en parle à un moment : le vertige, ce n’est pas la crainte de tomber, mais la tentation de la chute. Quand on préfère tomber plutôt que de vivre dans la peur. Je règle beaucoup de mes problèmes comme ça. Avant, j’avais très peur de l’avion ; le jour où j’ai décidé que j’étais déjà morte avant de le prendre, ça m’a soignée. C’est comme l’infirmité [Catherine Breillat est hémiplégique depuis un accident vasculaire cérébral survenu en 2005]. C’est très désagréable d’être infirme et de voir que les gens vous considèrent comme un crapaud, vieille et moche. La solution, c’est de les devancer : se voir soi-même comme un déchet. Alors, on fait pire que les gens. Et on gagne le droit à l’indifférence.

En quoi a consisté cette adaptation du film danois « Queen of Hearts » (« Dronningen », 2019), de May el-Toukhy, à la base de votre film ?

Je n’ai pas beaucoup changé le scénario danois, il y a même des scènes, des articulations quasiment identiques, sauf qu’elles ne disent pas du tout la même chose. Le film danois était très premier degré. J’y ai ajouté la dimension du déni : mes personnages se mentent à eux-mêmes. Il faut relire Musset ou même L’Idiot, de Dostoïevski. Quand on est amoureux, on se ment sans arrêt à soi-même et on fait des choses catastrophiques.

Comment était-ce de retrouver un plateau de tournage dix ans après votre précédent film, « Abus de faiblesse » ?

J’avais très peur. Je considère que chaque nouveau film doit être abordé comme un premier film. On ne sait jamais ce qu’on va faire, parce qu’un film, ça se fait avec la chair des acteurs. Ce n’est pas comme de la peinture, on n’a pas la mainmise dessus. Notre matière première, ce sont les personnes, et l’on peut trouver ça absolument immoral, parce qu’on s’en sert comme des instruments, on les transforme en fantasmes, on leur arrache des émotions. Les corps ne m’intéressent pas tant que ça, en tout cas moins que les visages. Un visage à nu, c’est atrocement intime, il n’y a rien de plus impudique.

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La réalisatrice Catherine Breillat, au Festival de  Cannes, le 26 mai 2023.

Voilà dix ans qu’on n’avait plus de ses nouvelles. Cinéaste franc-tireuse, Catherine Breillat n’a rien perdu de sa rage, de son impétuosité, de son insatiable appétit de vérité. Elle revient sur L’Eté dernier, son dernier long-métrage, produit par Saïd Ben Saïd, une nouvelle histoire de passion vénéneuse sous l’éclat inquisiteur du soleil de midi.

Votre dernier film traite d’une relation incestueuse entre une femme d’âge mûr et son beau-fils. Mais on comprend que le sujet est ailleurs…

C’est plus complexe, il s’agit du vertige. Le personnage d’Anne, joué par Léa Drucker, en parle à un moment : le vertige, ce n’est pas la crainte de tomber, mais la tentation de la chute. Quand on préfère tomber plutôt que de vivre dans la peur. Je règle beaucoup de mes problèmes comme ça. Avant, j’avais très peur de l’avion ; le jour où j’ai décidé que j’étais déjà morte avant de le prendre, ça m’a soignée. C’est comme l’infirmité [Catherine Breillat est hémiplégique depuis un accident vasculaire cérébral survenu en 2005]. C’est très désagréable d’être infirme et de voir que les gens vous considèrent comme un crapaud, vieille et moche. La solution, c’est de les devancer : se voir soi-même comme un déchet. Alors, on fait pire que les gens. Et on gagne le droit à l’indifférence.

En quoi a consisté cette adaptation du film danois « Queen of Hearts » (« Dronningen », 2019), de May el-Toukhy, à la base de votre film ?

Je n’ai pas beaucoup changé le scénario danois, il y a même des scènes, des articulations quasiment identiques, sauf qu’elles ne disent pas du tout la même chose. Le film danois était très premier degré. J’y ai ajouté la dimension du déni : mes personnages se mentent à eux-mêmes. Il faut relire Musset ou même L’Idiot, de Dostoïevski. Quand on est amoureux, on se ment sans arrêt à soi-même et on fait des choses catastrophiques.

Comment était-ce de retrouver un plateau de tournage dix ans après votre précédent film, « Abus de faiblesse » ?

J’avais très peur. Je considère que chaque nouveau film doit être abordé comme un premier film. On ne sait jamais ce qu’on va faire, parce qu’un film, ça se fait avec la chair des acteurs. Ce n’est pas comme de la peinture, on n’a pas la mainmise dessus. Notre matière première, ce sont les personnes, et l’on peut trouver ça absolument immoral, parce qu’on s’en sert comme des instruments, on les transforme en fantasmes, on leur arrache des émotions. Les corps ne m’intéressent pas tant que ça, en tout cas moins que les visages. Un visage à nu, c’est atrocement intime, il n’y a rien de plus impudique.

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