Dix ans après Le vent se lève (2013), Hayao Miyazaki, 82 ans, chef de file de l’animation japonaise, cofondateur du légendaire studio Ghibli, revient avec un nouveau long-métrage caractéristique des œuvres tardives des grands maîtres : libérées de toute justification, n’ayant rien à prouver qu’à elles-mêmes, allant à l’essentiel. Passé le magnum opus (Le Voyage de Chihiro, 2001), le tournant baroque (Le Château ambulant, 2004) et l’incursion réaliste par la seconde guerre mondiale (Le vent se lève), vient avec Le Garçon et le Héron l’heure de la récapitulation et de la synthèse.
Le film opère ainsi une jonction entre le récit du temps de guerre, puisqu’il s’ouvre en 1944, et la formule miyazakienne plus éprouvée qu’est le conte initiatique. Le maître ayant, en la matière, plus d’une fois emprunté à la littérature jeunesse britannique, aucun de ses films n’avait jusqu’alors versé un tel tribut au legs carrollien d’Alice au pays des merveilles, tant il s’assume cette fois comme une suite de visions, un livre d’images chatoyantes à la lisière du surréalisme.
Le récit reprend pourtant les choses là où Le vent se lève les avait laissées, recoupant une partie du même matériau autobiographique (la ville sinistrée, le déménagement campagnard, le père passionné d’aviation). Tokyo, 1944. Le petit Mahito, 11 ans, perd sa mère dans l’incendie des bombardements. Avec son père, qui fabrique des avions de chasse de type Zéro (le modèle des kamikazes), il est évacué à la campagne, dans le grand manoir appartenant à la branche maternelle de la famille.
Le garçon a d’abord du mal à s’acclimater, d’autant plus qu’il découvre sur place son père remarié avec la sœur cadette de son ex-femme, et que cette marâtre attend déjà un autre enfant. Dans ces jours de solitude, il est visité par un étrange héron cendré qui attire son attention sur une vieille tour à l’arrière du domaine, jadis érigée par un grand-oncle bibliophile, désormais condamnée. L’édifice contient en fait un portail vers un monde inversé, univers marin peuplé, entre autres créatures, de nuées ornithologiques, et où bifurquent les couloirs de l’espace-temps. Mahito y plonge et s’y fraie un chemin, dans l’espoir de retrouver sa mère.
Dessin fait main
Retrouver Miyazaki, c’est renouer avec un trait désormais familier, une rondeur souple qui fit florès et, surtout, une éthique du travail fondée sur le temps long et le dessin fait main, l’observation quasi fétichiste du mouvement naturel, qui seule autorise ensuite à emprunter les tremplins vers l’imaginaire. La longueur d’avance que conserve le maître sur le peloton de l’animation mondiale devient évidente face à ces gestes de l’ordinaire restitués avec la plus grande finesse, le trait synchrone avec la pulsation du vivant. Le jeune héros dévalant quatre à quatre une volée d’escaliers, le pied d’une femme foulant le sol à la descente d’un cabriolet, l’envol ou l’amerrissage d’un échassier, jusqu’au moindre frémissement d’aile, une vieille femme tirant sur une cigarette suscitent au moins autant d’émerveillement que les prodiges fantastiques à venir, traversés en dernier recours par la même énergie vitale.
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Le film opère ainsi une jonction entre le récit du temps de guerre, puisqu’il s’ouvre en 1944, et la formule miyazakienne plus éprouvée qu’est le conte initiatique. Le maître ayant, en la matière, plus d’une fois emprunté à la littérature jeunesse britannique, aucun de ses films n’avait jusqu’alors versé un tel tribut au legs carrollien d’Alice au pays des merveilles, tant il s’assume cette fois comme une suite de visions, un livre d’images chatoyantes à la lisière du surréalisme.
Le récit reprend pourtant les choses là où Le vent se lève les avait laissées, recoupant une partie du même matériau autobiographique (la ville sinistrée, le déménagement campagnard, le père passionné d’aviation). Tokyo, 1944. Le petit Mahito, 11 ans, perd sa mère dans l’incendie des bombardements. Avec son père, qui fabrique des avions de chasse de type Zéro (le modèle des kamikazes), il est évacué à la campagne, dans le grand manoir appartenant à la branche maternelle de la famille.
Le garçon a d’abord du mal à s’acclimater, d’autant plus qu’il découvre sur place son père remarié avec la sœur cadette de son ex-femme, et que cette marâtre attend déjà un autre enfant. Dans ces jours de solitude, il est visité par un étrange héron cendré qui attire son attention sur une vieille tour à l’arrière du domaine, jadis érigée par un grand-oncle bibliophile, désormais condamnée. L’édifice contient en fait un portail vers un monde inversé, univers marin peuplé, entre autres créatures, de nuées ornithologiques, et où bifurquent les couloirs de l’espace-temps. Mahito y plonge et s’y fraie un chemin, dans l’espoir de retrouver sa mère.
Dessin fait main
Retrouver Miyazaki, c’est renouer avec un trait désormais familier, une rondeur souple qui fit florès et, surtout, une éthique du travail fondée sur le temps long et le dessin fait main, l’observation quasi fétichiste du mouvement naturel, qui seule autorise ensuite à emprunter les tremplins vers l’imaginaire. La longueur d’avance que conserve le maître sur le peloton de l’animation mondiale devient évidente face à ces gestes de l’ordinaire restitués avec la plus grande finesse, le trait synchrone avec la pulsation du vivant. Le jeune héros dévalant quatre à quatre une volée d’escaliers, le pied d’une femme foulant le sol à la descente d’un cabriolet, l’envol ou l’amerrissage d’un échassier, jusqu’au moindre frémissement d’aile, une vieille femme tirant sur une cigarette suscitent au moins autant d’émerveillement que les prodiges fantastiques à venir, traversés en dernier recours par la même énergie vitale.
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