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Rothko, peintre de l'intime et de l'intense - Le Monde

Mark Rothko, à New York, en mars 1961, au moment de l’exposition que lui consacre le MoMA.

Rothko, c’est l’antithèse du pop art – il l’a vu naître et ne l’appréciait guère –, de la vision immédiate d’une peinture qui emprunte plus à l’efficacité de l’affiche qu’à la spiritualité de l’icône. Un Warhol, on le subit, un Rothko, on s’en imprègne. On le questionne. Et, parfois, il vous répond, signe que l’on est devenu fou… Ses tableaux, et surtout ceux de sa période dite « classique », sont dangereux : ils ont la séduction et la beauté du diable. Il faut, devant ses œuvres, se souvenir de la phrase de Nietzsche, dont il était un grand lecteur : « Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi. »

Sauf à de très rares exceptions, comme l’hommage à Henri Matisse de 1954 – L’Atelier rouge du peintre français, acquis par le MoMA en 1949, était une de ses œuvres fétiches –, Mark Rothko ne titrait pas ses tableaux peints après la guerre. Tout au plus leur donnait-il des numéros dont les séries sont rarement cohérentes. Ce n’est pas lui non plus qui a défini les périodes de son œuvre : les « multiformes », premières abstractions de 1946, et la dernière phase de son travail, dans les années 1950 et 1960, désignée par l’histoire de l’art sous le terme surprenant, tant la peinture est révolutionnaire, de « classique », sont des conventions a posteriori.

On a aussi voulu le classer parmi les expressionnistes abstraits, ceux qui firent les beaux jours de l’école de New York des années 1950 : une photographie célèbre prise par Nina Leen, en 1950, le montre assis avec eux, qui se nommaient alors les « irascibles », car ils protestaient contre le choix, selon eux, désastreux des artistes supposés représenter l’art moderne américain dans une exposition du Metropolitan Museum of Art. Tous – ils sont quinze – fixent l’objectif avec un regard mauvais. Sauf deux : la seule femme du groupe, Hedda Sterne, qui a l’œil plutôt bienveillant, et Rothko, vu de trois quarts, qui semble être ailleurs, comme détaché. Il se sent un autre destin.

« A l’opposé du décoratif »

Détaché, il le fut très vite, notamment de l’expressionnisme abstrait : il rejetait violemment cette appellation. De même que certains peintres, qui avaient pourtant été parmi ses plus proches amis, le rejetaient lui : en 1955, par exemple, Barnett Newman (1905-1970) et Clyfford Still (1904-1980) allèrent jusqu’à écrire à leur marchand commun, le galeriste Sidney Janis, pour critiquer le travail de Rothko. La blessure a dû être d’autant plus profonde que Rothko s’était beaucoup démené pour imposer Still, venu de Californie, sur la scène new-yorkaise et que le passage à l’abstraction de Rothko doit beaucoup à l’exemple de Still. « Le travail du peintre évolue, à mesure qu’il avance dans le temps, vers plus de clarté, vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre et l’idée, et entre l’idée et le spectateur », dit-il dans la revue The Tiger’s Eye, en 1949. « Atteindre à cette clarté, c’est, forcément, se faire comprendre. »

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Mark Rothko, à New York, en mars 1961, au moment de l’exposition que lui consacre le MoMA.

Rothko, c’est l’antithèse du pop art – il l’a vu naître et ne l’appréciait guère –, de la vision immédiate d’une peinture qui emprunte plus à l’efficacité de l’affiche qu’à la spiritualité de l’icône. Un Warhol, on le subit, un Rothko, on s’en imprègne. On le questionne. Et, parfois, il vous répond, signe que l’on est devenu fou… Ses tableaux, et surtout ceux de sa période dite « classique », sont dangereux : ils ont la séduction et la beauté du diable. Il faut, devant ses œuvres, se souvenir de la phrase de Nietzsche, dont il était un grand lecteur : « Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi. »

Sauf à de très rares exceptions, comme l’hommage à Henri Matisse de 1954 – L’Atelier rouge du peintre français, acquis par le MoMA en 1949, était une de ses œuvres fétiches –, Mark Rothko ne titrait pas ses tableaux peints après la guerre. Tout au plus leur donnait-il des numéros dont les séries sont rarement cohérentes. Ce n’est pas lui non plus qui a défini les périodes de son œuvre : les « multiformes », premières abstractions de 1946, et la dernière phase de son travail, dans les années 1950 et 1960, désignée par l’histoire de l’art sous le terme surprenant, tant la peinture est révolutionnaire, de « classique », sont des conventions a posteriori.

On a aussi voulu le classer parmi les expressionnistes abstraits, ceux qui firent les beaux jours de l’école de New York des années 1950 : une photographie célèbre prise par Nina Leen, en 1950, le montre assis avec eux, qui se nommaient alors les « irascibles », car ils protestaient contre le choix, selon eux, désastreux des artistes supposés représenter l’art moderne américain dans une exposition du Metropolitan Museum of Art. Tous – ils sont quinze – fixent l’objectif avec un regard mauvais. Sauf deux : la seule femme du groupe, Hedda Sterne, qui a l’œil plutôt bienveillant, et Rothko, vu de trois quarts, qui semble être ailleurs, comme détaché. Il se sent un autre destin.

« A l’opposé du décoratif »

Détaché, il le fut très vite, notamment de l’expressionnisme abstrait : il rejetait violemment cette appellation. De même que certains peintres, qui avaient pourtant été parmi ses plus proches amis, le rejetaient lui : en 1955, par exemple, Barnett Newman (1905-1970) et Clyfford Still (1904-1980) allèrent jusqu’à écrire à leur marchand commun, le galeriste Sidney Janis, pour critiquer le travail de Rothko. La blessure a dû être d’autant plus profonde que Rothko s’était beaucoup démené pour imposer Still, venu de Californie, sur la scène new-yorkaise et que le passage à l’abstraction de Rothko doit beaucoup à l’exemple de Still. « Le travail du peintre évolue, à mesure qu’il avance dans le temps, vers plus de clarté, vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre et l’idée, et entre l’idée et le spectateur », dit-il dans la revue The Tiger’s Eye, en 1949. « Atteindre à cette clarté, c’est, forcément, se faire comprendre. »

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