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Yann Potin, historien : « Le film de Ridley Scott rate le véritable héritage de Napoléon » - Le Monde

Extrait de « Napoléon », de Ridley Scott.

Auteur de nombreux travaux étudiant les rapports entre histoire et mémoire nationale, Yann Potin a notamment participé à la coordination de l’ouvrage Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017), dirigé par Patrick Boucheron, été commissaire adjoint de la grande exposition « Napoléon et l’Europe. Le rêve et la blessure » au Musée de l’armée, à Paris, et organisé le colloque « Annexer la mémoire, centraliser les savoirs dans l’Europe napoléonienne » (Archives nationales, 2014). On retrouve ce féru de cinéma à son bureau des Archives nationales, quelques jours après sa découverte du Napoléon de Ridley Scott.

Quelles étaient vos attentes sur ce film ?

En tant que spectateur qui a pu admirer la manière dont Gladiator [2000] de Ridley Scott a transfiguré le genre du péplum, j’attendais de ce film quelque chose de similaire. Or mon attente a été déçue, car le Napoléon de Scott se range, comme la plupart des œuvres qui ont été consacrées à cette figure, dans la catégorie de ce que j’appellerais les films-tableaux, au sens matériel et symbolique du terme. On fait mine de prendre l’histoire comme scénario, mais elle est bien trop vaste pour entrer dans le film. Du coup il n’y a aucune dramaturgie et il ne reste au spectateur qu’à attendre qu’on change de décor. C’est un vaste diorama. Ce qui n’empêche pas certaines scènes de bataille, comme celle d’Austerlitz, d’être proprement exceptionnelles. Mais j’espérais que le film dépasse ce plafond.

Comment comprenez-vous ce parti pris d’alterner de bout en bout les scènes de bataille et la relation mouvementée avec l’impératrice Joséphine de Beauharnais ?

C’est le côté Si Versailles m’était conté… [1954] du film, qui déduit le fracas du monde à des enjeux de boudoir, et qui relève évidemment du réductionnisme réflexif. A ce degré d’ineptie, Alain Decaux passerait pour Fernand Braudel. Du moins, à défaut de focus, a-t-il choisi la technique du fil rouge. Ce n’est pas le choix le plus bête, car la relation entre les deux est bien documentée, notamment à travers la conservation exceptionnelle des lettres de Napoléon à Joséphine, dont le film montre qu’elle les avait rangées dans sa chambre à coucher, détail qui ravit l’archiviste que je suis, car cela prouve en un sens qu’elle l’aimait.

Malgré quelques scènes érotiques, le film, en cela sans doute un peu puritain, édulcore les citations de cette source, où l’on trouve notamment ceci, qui date de 1896 : « Tu sais bien, la petite forêt noire. Je lui donne mille baisers et j’attends avec impatience le moment d’y être. » Par ailleurs, sur le plan politique cette fois, il est dommage que le rôle de Joséphine dans l’ascension de Bonaparte, elle qui était de fait au cœur de tous les réseaux du Directoire, ne soit pas explicité par le film. Ridley Scott, qui se vante du contraire, est plus élitiste que vulgarisateur.

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En tant que spectateur qui a pu admirer la manière dont Gladiator [2000] de Ridley Scott a transfiguré le genre du péplum, j’attendais de ce film quelque chose de similaire. Or mon attente a été déçue, car le Napoléon de Scott se range, comme la plupart des œuvres qui ont été consacrées à cette figure, dans la catégorie de ce que j’appellerais les films-tableaux, au sens matériel et symbolique du terme. On fait mine de prendre l’histoire comme scénario, mais elle est bien trop vaste pour entrer dans le film. Du coup il n’y a aucune dramaturgie et il ne reste au spectateur qu’à attendre qu’on change de décor. C’est un vaste diorama. Ce qui n’empêche pas certaines scènes de bataille, comme celle d’Austerlitz, d’être proprement exceptionnelles. Mais j’espérais que le film dépasse ce plafond.

Comment comprenez-vous ce parti pris d’alterner de bout en bout les scènes de bataille et la relation mouvementée avec l’impératrice Joséphine de Beauharnais ?

C’est le côté Si Versailles m’était conté… [1954] du film, qui déduit le fracas du monde à des enjeux de boudoir, et qui relève évidemment du réductionnisme réflexif. A ce degré d’ineptie, Alain Decaux passerait pour Fernand Braudel. Du moins, à défaut de focus, a-t-il choisi la technique du fil rouge. Ce n’est pas le choix le plus bête, car la relation entre les deux est bien documentée, notamment à travers la conservation exceptionnelle des lettres de Napoléon à Joséphine, dont le film montre qu’elle les avait rangées dans sa chambre à coucher, détail qui ravit l’archiviste que je suis, car cela prouve en un sens qu’elle l’aimait.

Malgré quelques scènes érotiques, le film, en cela sans doute un peu puritain, édulcore les citations de cette source, où l’on trouve notamment ceci, qui date de 1896 : « Tu sais bien, la petite forêt noire. Je lui donne mille baisers et j’attends avec impatience le moment d’y être. » Par ailleurs, sur le plan politique cette fois, il est dommage que le rôle de Joséphine dans l’ascension de Bonaparte, elle qui était de fait au cœur de tous les réseaux du Directoire, ne soit pas explicité par le film. Ridley Scott, qui se vante du contraire, est plus élitiste que vulgarisateur.

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