ANALYSE - Les cheveux courts de Miss France 2024 font couler autant d'encre. Nous avons demandé pourquoi à l’historienne Elisabeth de Feydeau.
Madame Figaro. – Eve Gilles, Miss France 2024, a fait sensation avec ses cheveux courts. Pourquoi sa coupe fait-elle autant parler ?
Elisabeth de Feydeau. - Ce qui est intéressant, c’est qu’elle se distingue, parce que les autres finissent toutes par se ressembler. En la voyant, je me suis tout de suite dit : «Celle-ci est différente avec son petit côté Audrey Hepburn». Pour ce qui est des réactions suite à sa victoire, il faut savoir que de tout temps, les cheveux courts pour une femme ont dérangé. Cela remonte à l’Antiquité où la chevelure ressortait comme la parure féminine par excellence. Un symbole de séduction et de féminité. En Orient comme en Occident, elle s’impose comme l'attribut de séduction érogène, le symbole d'une féminité absolue. À tel point que dans le Moyen Âge occidental, les femmes se couvraient la tête par humilité. Encore aujourd’hui, de beaux cheveux bien entretenus demandent de l’entretien et donc deviennent synonymes de raffinement. Et aussi de bonne santé. Comme ils sont soyeux, on aime y passer les mains. Il suffit de relire Baudelaire. La chevelure est comme une mer infinie où l’homme peut se perdre.
À découvrir
Mais pourquoi, avec l’évolution de notre société, les cheveux courts pour une femme souffrent toujours d’une vision négative ?
Longtemps, le fait de se couper les cheveux a été associé à une punition ou une obligation. La prisonnière, la condamnée à mort ou encore la traîtresse qui est rasée. Il suffit de voir comment étaient traitées celles qui étaient accusées d’avoir collaboré avec les Allemands à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Mais il y a aussi la femme qui est obligée de vendre ses cheveux par pauvreté, une situation qui existe encore aujourd’hui dans certains pays. Puis quand les femmes ont commencé à se couper les cheveux volontairement dans les années 1900-1910, à l’image de l’actrice Polaire ou de l’écrivaine Colette, il y avait deux messages. Celui bien sûr de la volonté d’indépendance mais aussi celui de l’orientation sexuelle. Celles qui se coupaient les cheveux indiquaient qu’elles préféraient les femmes. Et quand on lit certains commentaires en réaction à l’élection d’Eve Gilles, on retrouve ce genre de préjugés. Même en 2023.
Le choix de couper se révèle aussi très symbolique...
Parce que se couper les cheveux, comme l’ont fait celles qu’on appelait les Garçonnes dans les années 1920, riment avec une libération, une prise d’indépendance. D’ailleurs il n’est pas rare de voir des femmes changer de tête après une rupture amoureuse ou un divorce. J’ai discuté avec une personne qui pratique la coupe dite énergétique et qui m’expliquait que le cheveu est la dernière mémoire du corps. Après un chagrin d'amour, on a envie de renaître, de tourner la page. Comme si, instinctivement, en coupant cette dernière mémoire du corps et des émotions, on l'enlevait. Il y a un côté «reset». Cette fois-ci, c’est la femme qui le désire, qui fait ce choix et elle ne le subit pas. Les cheveux deviennent une arme et pas un affaiblissement.
Elisabeth de FeydeauLes cheveux deviennent une arme et pas un affaiblissement.
La victoire d'une Miss France aux cheveux courts, c'est une évolution pour un concours de beauté que certains trouvent désuet ?
Je pense surtout qu’Eve Gilles a gagné parce que le jury était exclusivement féminin. Elle réunit les critères de beauté des femmes mais ne correspond pas aux goûts masculins. S'il y avait eu un jury mixte, elle n'aurait sûrement pas eu les mêmes notes. Son physique assez androgyne, cette coupe... Elle a été élue sur les critères qui plaisent aux femmes, comme un porte-drapeau qui prouve qu'en 2023, on en a marre de la poupée Barbie.
D’ailleurs, plusieurs anciennes Miss se sont coupé les cheveux après leur «règne» : Sonia Rolland, Linda Hardy... Comme pour se démarquer de cette étiquette de reine de beauté ?
Quand on a les cheveux très longs, il y a une forme d’allégement. Et puis, on met le curseur sur autre chose que sur les attributs ancestraux de la féminité et c’est pour ça que c’est un message. Les cheveux sont une parure, donc quand on les enlève, on va accentuer le regard, mettre l’accent sur l’intelligence. C’est en ça que Miss France se distingue, elle impose une attitude dès le départ, et c’est ça qui est effronté. Je pense qu’elle apparaît comme une garçonne des temps modernes avec une tête bien faite et qui sait montrer qu’elle est libre. Et c’est finalement ça qui est le plus difficile à accepter par la société : cela peut déclencher soit de l’admiration, soit de l’irritation.
Elisabeth de Feydeau est historienne et a signé Elsa Schiaparelli, l'extravagante aux éditions Flammarion.
ANALYSE - Les cheveux courts de Miss France 2024 font couler autant d'encre. Nous avons demandé pourquoi à l’historienne Elisabeth de Feydeau.
Madame Figaro. – Eve Gilles, Miss France 2024, a fait sensation avec ses cheveux courts. Pourquoi sa coupe fait-elle autant parler ?
Elisabeth de Feydeau. - Ce qui est intéressant, c’est qu’elle se distingue, parce que les autres finissent toutes par se ressembler. En la voyant, je me suis tout de suite dit : «Celle-ci est différente avec son petit côté Audrey Hepburn». Pour ce qui est des réactions suite à sa victoire, il faut savoir que de tout temps, les cheveux courts pour une femme ont dérangé. Cela remonte à l’Antiquité où la chevelure ressortait comme la parure féminine par excellence. Un symbole de séduction et de féminité. En Orient comme en Occident, elle s’impose comme l'attribut de séduction érogène, le symbole d'une féminité absolue. À tel point que dans le Moyen Âge occidental, les femmes se couvraient la tête par humilité. Encore aujourd’hui, de beaux cheveux bien entretenus demandent de l’entretien et donc deviennent synonymes de raffinement. Et aussi de bonne santé. Comme ils sont soyeux, on aime y passer les mains. Il suffit de relire Baudelaire. La chevelure est comme une mer infinie où l’homme peut se perdre.
À découvrir
Mais pourquoi, avec l’évolution de notre société, les cheveux courts pour une femme souffrent toujours d’une vision négative ?
Longtemps, le fait de se couper les cheveux a été associé à une punition ou une obligation. La prisonnière, la condamnée à mort ou encore la traîtresse qui est rasée. Il suffit de voir comment étaient traitées celles qui étaient accusées d’avoir collaboré avec les Allemands à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Mais il y a aussi la femme qui est obligée de vendre ses cheveux par pauvreté, une situation qui existe encore aujourd’hui dans certains pays. Puis quand les femmes ont commencé à se couper les cheveux volontairement dans les années 1900-1910, à l’image de l’actrice Polaire ou de l’écrivaine Colette, il y avait deux messages. Celui bien sûr de la volonté d’indépendance mais aussi celui de l’orientation sexuelle. Celles qui se coupaient les cheveux indiquaient qu’elles préféraient les femmes. Et quand on lit certains commentaires en réaction à l’élection d’Eve Gilles, on retrouve ce genre de préjugés. Même en 2023.
Le choix de couper se révèle aussi très symbolique...
Parce que se couper les cheveux, comme l’ont fait celles qu’on appelait les Garçonnes dans les années 1920, riment avec une libération, une prise d’indépendance. D’ailleurs il n’est pas rare de voir des femmes changer de tête après une rupture amoureuse ou un divorce. J’ai discuté avec une personne qui pratique la coupe dite énergétique et qui m’expliquait que le cheveu est la dernière mémoire du corps. Après un chagrin d'amour, on a envie de renaître, de tourner la page. Comme si, instinctivement, en coupant cette dernière mémoire du corps et des émotions, on l'enlevait. Il y a un côté «reset». Cette fois-ci, c’est la femme qui le désire, qui fait ce choix et elle ne le subit pas. Les cheveux deviennent une arme et pas un affaiblissement.
Elisabeth de FeydeauLes cheveux deviennent une arme et pas un affaiblissement.
La victoire d'une Miss France aux cheveux courts, c'est une évolution pour un concours de beauté que certains trouvent désuet ?
Je pense surtout qu’Eve Gilles a gagné parce que le jury était exclusivement féminin. Elle réunit les critères de beauté des femmes mais ne correspond pas aux goûts masculins. S'il y avait eu un jury mixte, elle n'aurait sûrement pas eu les mêmes notes. Son physique assez androgyne, cette coupe... Elle a été élue sur les critères qui plaisent aux femmes, comme un porte-drapeau qui prouve qu'en 2023, on en a marre de la poupée Barbie.
D’ailleurs, plusieurs anciennes Miss se sont coupé les cheveux après leur «règne» : Sonia Rolland, Linda Hardy... Comme pour se démarquer de cette étiquette de reine de beauté ?
Quand on a les cheveux très longs, il y a une forme d’allégement. Et puis, on met le curseur sur autre chose que sur les attributs ancestraux de la féminité et c’est pour ça que c’est un message. Les cheveux sont une parure, donc quand on les enlève, on va accentuer le regard, mettre l’accent sur l’intelligence. C’est en ça que Miss France se distingue, elle impose une attitude dès le départ, et c’est ça qui est effronté. Je pense qu’elle apparaît comme une garçonne des temps modernes avec une tête bien faite et qui sait montrer qu’elle est libre. Et c’est finalement ça qui est le plus difficile à accepter par la société : cela peut déclencher soit de l’admiration, soit de l’irritation.
Elisabeth de Feydeau est historienne et a signé Elsa Schiaparelli, l'extravagante aux éditions Flammarion.
Bagikan Berita Ini
0 Response to "«S'il y avait eu des hommes dans le jury, elle n'aurait sûrement pas gagné» : pourquoi les cheveux courts de Miss France gênent tant ? - Le Figaro"
Post a Comment